No 12 – Janvier 2004
Sommaire :
- Editorial
- Le dossier du mois : les manuels scolaires palestiniens
- Histoire : la guerre des six jours (1ère partie)
- Un mur et une polémique
- Désinformation
- Flashes d’espoir
- Le chant du mois
-Humour en finale
Editorial
Premier numéro de cette nouvelle année 2004. C’est toute l’équipe qui offre ses vœux à vous tous qui nous lisez.
Merci pour tous ceux que nous avons reçus et aussi merci aux lecteurs qui ont répondu au questionnaire, nous encourageant ou nous donnant leurs remarques. Tout cela nous aide à rester le plus objectifs possible, dans les situations si complexes de ce Moyen-Orient.
Les différents articles de ce numéro illustreront de façon concrète pourquoi il est si difficile de rester nuancé devant certaines situations :
Comment croire en la volonté de paix, lorsque de façon officielle, des enfants sont « éduqués » à la haine de l’autre ?
Comment croire en la volonté réelle de paix, devant certaines situations créées par la construction « du mur » ?
Dans la page d’histoire, la tension du mois de mai 1967, provoquée en grande partie par les discours enflammés de Nasser, reflète bien celle que j’ai vécue à Jérusalem à ce moment là.
Il est vraiment difficile d’être nuancé comme nous le montrent les pages sur la désinformation. Mais le plus éprouvant est de constater combien la haine d’Israël est partout comme un dogme dans l’opinion européenne et même chrétienne. J’ai envie de vous, de nous, inviter à relire le « dossier du mois » de « un écho » n°4.
Et puisque le dossier d’histoire porte sur la période de mai 1967, pourquoi ne pas vous livrer la leçon d’espoir que j’ai reçue à cette époque, en descendant de Jérusalem vers Tel-Aviv. A ce moment là, on travaillait à l’élargissement de cette route qui serpente sur les flancs des collines. Il n’y avait que quelques hommes âgés qui continuaient leur travail, tous les autres étant mobilisés sur la frontière égyptienne, et je me disais : « Pourquoi tout cet effort ? demain il n’y aura peut-être plus d’État d’Israël ». Quelques jours après, la victoire m’a surprise, et j’ai compris la leçon.
Bonne année à tous.
Cécile Pilverdier
Dossier du mois
Les manuels scolaires palestiniens
La presse internationale considère généralement la violence palestinienne comme l’expression d’un désespoir collectif devant l’échec du processus de paix et ses conséquences sur la vie quotidienne de la population des territoires. Sans nier l’importance de la frustration qui a fait suite aux espérances nées du processus d’Oslo, il convient d’attirer l’attention sur une autre cause de violence à laquelle les organes de presse font parfois allusion, mais qui est largement sous-estimée : l’éducation à la haine organisée délibérément par le système scolaire palestinien, précisément depuis la signature des accords d’Oslo.
C’est ce que montre Yohanan Manor, politologue et orientaliste, qui est vice-président du Center for monitoring the impact of peace (C.M.I.P.), organisme spécialisé dans l’analyse des programmes et manuels scolaires des pays en conflit. Dans un livre publié en septembre 2003, il analyse le contenu des manuels utilisés dans les écoles de Cisjordanie et de la bande de Gaza, et relevant de l’Autorité palestinienne[1].
De 1967 à 1994, le contenu des livres scolaires utilisés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza était contrôlé par le gouvernement israélien. À partir de la mise en œuvre des accords d’Oslo en 1994, l’Autorité palestinienne prit en charge, entre autres domaines, l’éducation. Elle obtint de l’Égypte et de la Jordanie l’autorisation d’utiliser provisoirement leurs manuels, tandis qu’une commission palestinienne commençait à élaborer des livres qui furent progressivement introduits dans les établissements scolaires au cours des années suivantes. Les six premiers furent mis en service à la rentrée de l’année 1995-1996. L’élaboration des manuels palestiniens n’est pas terminée, et l’on emploie encore dans certaines classes des manuels égyptiens ou jordaniens. L’étude de Y. Manor porte essentiellement sur les manuels palestiniens, utilisés dans les classes des niveaux 1, 2, 3, 6, 7, 8, correspondant aux âges de 6 à 8 ans et de 11 à 13 ans, ainsi qu’au niveau 11 (16 ans) .
Le résultat de cette enquête ne porte guère à l’optimisme sur l’avenir de la co-existence dans la région : dès le début de leur scolarité, les enfants palestiniens sont formés à la haine du juif, et dans l’idée que l’État d’Israël est illégitime et que chaque Palestinien a le devoir de participer à sa destruction par tous les moyens.
La photo de couverture du livre de Y. Manor nous fait entrer brutalement dans le sujet : une fillette, la bouche grande ouverte, sans doute pour crier quelque slogan, salue fièrement d’une main et brandit de l’autre une Kalachnikov. Cette illustration est tirée d’une photographie représentant des élèves du cours préparatoire de l’école des filles de Einata, près de Jérusalem, interprétant « la libération de la Palestine ». La suite est à l’avenant.
Un des leit-motiv que rabâchent ces manuels est que les Juifs sont mauvais par nature : « La corruption est le trait de caractère des Bani Isra’il [fils d’Israël]. », « La trahison et la félonie sont des traits caractéristiques des Juifs. » À la fin d’un chapitre d’un manuel destiné à des enfants de 9 ans et portant sur le « Jihad du prophète et de ses compagnons », une conclusion résume la leçon que l’élève doit retenir : « J’ai appris de ce chapitre que les Juifs sont fourbes et traîtres. » Le sujet de l’épreuve d’histoire au baccalauréat en juin 2002 était : « Expliquer les raisons qui ont amené les Européens à persécuter les Juifs. »
À l’appui de ces jugements sur les Juifs, ces manuels apportent de fausses citations du Talmud, souvent inspirées des Protocoles des Sages de Sion : « [Dieu] a imposé à la bête humaine et à toutes les races et nations de nous servir, et il nous a répandus sur la Terre pour les enfourcher et les tenir en laisse […]. Les non-Juifs sont des porcs auxquels Dieu a donné une forme humaine afin qu’ils puissent servir les Juifs, car Dieu a créé le monde pour eux. » Cette prétendue citation talmudique est tirée du manuel Histoire moderne des Arabes et du monde, niveau 12 (17 ans).
Le livre de Y. Manor soulève indirectement une question qui ne peut que troubler le lecteur chrétien, lorsqu’il montre incidemment que, dans la description des traits congénitaux des Juifs, les manuels d’éducation religieuse destinés aux élèves des écoles chrétiennes ne sont malheureusement pas en reste. Dans un livre destiné aux enfants de 7 ans, une leçon sur « le mariage chrétien » cite Matthieu 19,8 : « C’est à cause de la dureté de vos cœurs que Moïse vous a permis de répudier vos femmes. » Suit la question : « Pourquoi Moïse autorisa-t-il les Juifs à divorcer ? » Le bon élève devra évidemment répondre : « Parce qu’ils ont le cœur dur. » On découvre à cette occasion que les manuels d’instruction religieuse utilisés dans les écoles chrétiennes des territoires sont dûment estampillés par l’Autorité palestinienne[2]. On aurait aimé que Y. Manor poursuive son enquête sur ce point. Qui a rédigé ces manuels ? Revêtus de l’imprimatur de l’Autorité palestinienne, ont-ils reçu aussi celui des autorités chrétiennes ? Dans l’affirmative, comment s’articulent ces deux imprimatur ?
On ne sera pas surpris d’apprendre que les manuels palestiniens ignorent le judaïsme en tant que religion. Un chapitre invite à respecter toutes les religions. Cette affirmation est illustrée par deux images juxtaposées, représentant un musulman priant devant une mosquée et un chrétien priant devant une église[3]. Cette présentation apparemment irénique de la tolérance est d’ailleurs assez éloignée de ce que sont, dans la réalité, les rapports entre musulmans et chrétiens au sein de la société palestinienne. Quant au judaïsme, il n’a aucune place dans cette présentation qui se prétend universaliste. Sur une carte représentant la vieille ville de Jérusalem, les écoliers doivent identifier les lieux saints : la mosquée al-Aqsa, le dôme du Rocher et l’église du Saint-Sépulcre. Il n’y a aucun lieu saint juif à Jérusalem. Y. Manor rapporte à ce sujet comment le Président Clinton, lors des entretiens de Camp David, reprit vertement Yasser Arafat lorsque ce dernier prétendit, conformément à l’orthodoxie palestinienne, qu’on n’avait aucune preuve qu’il y ait jamais eu à Jérusalem un temple juif. Les manuels scolaires, quant à eux, tiennent pour mensongère cette revendication par les Juifs d’un lien historique et religieux avec Jérusalem : « Les Juifs prétendent que ceci [le mur occidental, qui est pour les musulmans le mur d’al-Buraq] est un des lieux qui leur appartient et ils l’appellent le Mur occidental, mais ce n’est pas vrai. »
Autre conviction à ancrer dans la tête des écoliers palestiniens : la patrie palestinienne va de la Méditerranée au Jourdain. Les Palestiniens sont les descendants des Cananéens qui occupaient cette terre depuis des temps immémoriaux. D’autres peuples y ont fait de brefs passages, mais aucun d’entre eux n’y est resté. C’est donc une imposture, de la part des Juifs, que de prétendre à un quelconque droit historique sur cette terre. Certes, il y a eu un royaume de David et de Salomon (on ne peut pas le nier, puisque le Coran le dit), mais le peuple juif n’a plus jamais eu d’existence politique indépendante depuis l’exil à Babylone.
Dans ces manuels, le terme de Palestine inclut donc toujours le territoire de l’État d’Israël, comme l’attestent les cartes géographiques utilisées dans les écoles palestiniennes. Un exercice de géographie demande par exemple de colorier le Néguev sur une carte de la Palestine. Les grandes villes de Palestine sont Jaffa (avec son extension Tel-Aviv), Béer-Shéva, Tibériade, Bet-Shéan, Haïfa… Cette volonté d’englober le territoire israélien dans la Palestine aboutit d’ailleurs à des résultats cocasses. Une leçon d’histoire sur le XIIe siècle est illustrée par une carte de la région présentant les frontières actuelles (Syrie, Liban, Jordanie, Israël-Palestine), y compris les limites de la Cisjordanie et de la bande de Gaza dessinées en pointillé, avec la légende : « Les villes libérées par Saladin ». Un exercice de géographie pose la question : « Pourquoi l’industrie du raffinage est-elle concentrée à Haïfa ? » Dans l’esprit des auteurs du manuel, il s’agit, bien entendu, du raffinage… palestinien ! L’économie israélienne est l’économie palestinienne, les ports israéliens sont palestiniens, les oranges israéliennes sont palestiniennes, etc. On lit par exemple dans le manuel Géographie de la Palestine, niveau 7 : « Leçon 16, productions agricoles en Palestine : a. Productions des régions côtières […] dans les régions d’Acre, Haïfa, Jaffa, Tulkarem, Qalqilya et Gaza. b. Productions de la vallée du Jourdain […] dans les régions de Beisan (Bet Shéan), Tibériade et Jéricho. » Comme on peut le constater, ces énumérations ne font aucune différence entre villes israéliennes et villes palestiniennes. Toutes sont considérées comme palestiniennes.
Dans les manuels palestiniens, Israël n’est jamais nommé, et son territoire est désigné par des formules du genre : « les terres de 1948 », comme par exemple dans ce texte tiré d’un manuel de géographie : « Le peuple palestinien réside dans les quatre régions géographiques suivantes : la Cisjordanie, la bande de Gaza, les terres de 1948 et la diaspora. »
Quant au Sionisme, il se réduit à une idéologie colonialiste et impérialiste. Ici encore, on n’a que l’embarras du choix des citations. Un manuel d’histoire pour le niveau 10 le présente en ces termes : « Les puissances impérialistes ont créé le sionisme au cœur de la Terre arabe afin d’avoir une base pour les aider contre les pays arabes voisins et satisfaire les anciennes aspirations d’établir un État juif du Nil à l’Euphrate. » Selon un autre manuel, « les exemples les plus évidents de croyance raciste et de discrimination raciale dans le monde sont le sionisme et le nazisme. » Un manuel de l’enseignant souligne qu’un des buts de l’enseignement sur les idéologies est de faire comprendre que « le sentiment de supériorité raciale est l’essence du sionisme, du fascisme et nazisme. » Il s’agit là, répétons-le, non pas d’extraits de harangues politiques, mais d’échantillons de ce que la jeunesse palestinienne doit apprendre à l’école et réciter pour réussir ses examens.
Il va sans dire que la partition de la Palestine en 1948, à la suite du vote de l’O.N.U., et la création de l’État d’Israël sont considérées comme des décisions nulles et non avenues. Les territoires occupés ne se limitent donc pas à la Cisjordanie et à la bande de Gaza : les lieux habités par les Juifs, et d’abord les « terres de 1948 » (l’actuel État d’Israël), constituent la Palestine occupée, qui est indivisible et qui doit être libérée de ses envahisseurs. Un manuel pose la question : « Pourquoi avons-nous le devoir de lutter contre les Juifs ? » Un exercice demande aux élèves d’expliquer « Pourquoi nous devons combattre les Juifs et les chasser de notre terre. »
« Il semble évident, commente Y. Manor, que la contradiction entre cette pédagogie mensongère et la réalité, vécue quotidiennement par les enfants palestiniens, suscite en eux des sentiments de frustration et de désarroi qui les mènent au désespoir, avec toutes les conséquences que cela implique. »
Ajoutons que le guide de l’enseignant qui accompagne chacun de ces manuels recommande constamment de mettre en œuvre une pédagogie active pour faire entrer dans l’esprit des élèves ce qu’on veut leur inculquer : le livre du maître invite par exemple l’enseignant à souligner « la vilenie des Bani Isra’il et la corruption qu’ils ont apportée à cette région ». Ou encore : « Le maître distribuera aux élèves un tableau comportant un certain nombre de croyances tirées du Talmud [sic] que les élèves discuteront. Prenant ainsi conscience de leur immoralité inhérente, ils donneront des preuves qu’elles sont sans fondement […]. Le tableau sera comme suit : » Le tableau proposé contient deux colonnes : « Croyance » et « Réfutation ». La première contient de fausses citations du Talmud (par exemple « L’âme des Juifs est noble et celle des non-Juifs est satanique ») et la seconde doit être remplie par les élèves eux-mêmes.
On ne saurait trop le souligner : la plupart de ces textes ont été écrits à la suite des accords d’Oslo. Ils n’expriment donc pas le désespoir de la population palestinienne à la suite de l’échec du processus de paix, de la reprise de l’Intifada à la fin de 2000 et de la ré-occupation par Israël des territoires devenus autonomes. L’accord signé le 4 mai 1994 stipulait : « Israël et l’Autorité palestinienne s’assureront que leurs systèmes d’éducation respectifs contribuent à la paix entre Israël et le peuple palestinien et à la paix dans toute la région. »[4] C’est à la suite de la signature de cet accord, qui transférait à l’Autorité palestinienne, entre autres, la responsabilité de l’éducation, que les commissions pédagogiques palestiniennes, après avoir écarté un premier projet présenté le Centre de développement du curriculum palestinien, organisme présidé par un universitaire palestinien modéré, se sont mises au travail pour rédiger les manuels dont on vient de lire quelques échantillons.
Les manuels d’histoire palestiniens ne font d’ailleurs pratiquement aucune mention des accords d’Oslo, sinon pour dire que c’est à la suite de ces accords que les bataillons de « l’Armée de libération de la Palestine », précédemment stationnés dans d’autres pays arabes, ont réintégré la mère patrie. Précisions que seule la création d’une police, et non celle d’une armée, était prévue par les accords d’Oslo.
Il faut donc se rendre à l’évidence : contrairement aux engagements signés en 1994, l’Autorité palestinienne ne reconnaît pas, dans les faits, l’État d’Israël, et les déclarations publiques de ses dirigeants sont massivement démenties par l’enseignement qui est dispensé à la jeunesse sous sa responsabilité. L’illégitimité, voire la non-existence, de l’État d’Israël et la nécessité de débarrasser de la présence juive toute la Palestine, qui s’étend de la Méditerranée au Jourdain (appelée parfois « Palestine historique » ou « Palestine naturelle ») sont des dogmes qui sont introduits dans la tête des petits Palestiniens à partir de l’âge de six ans.
Autre remarque, à peine nécessaire, puisque le lecteur a pu s’en rendre compte par lui-même : la notion de laïcité est totalement étrangère à ces manuels. À leur lecture, il est évident que le bon Palestinien est musulman — quoi qu’il en soit par ailleurs des déclarations sur la tolérance à l’égard des autres religions. On lit ainsi dans un manuel de langue pour le niveau 5 : « Il y aura un Jihad et notre pays sera libéré. C’est notre histoire avec les conquérants et les voleurs. Tu dois savoir, mon enfant, que la Palestine est ta lourde responsabilité. » Le même manuel poursuit : « L’aboutissement final et inéluctable sera la victoire des Musulmans sur les Juifs. » On apprend aussi que « les combattants Jihad martyrs sont les personnes les plus honorées après les prophètes. »
Pour libérer la patrie, chacun doit être prêt au sacrifice de sa propre vie. Mieux : il doit y aspirer, pour accéder à la gloire du « martyre ». « Le système d’éducation palestinien, écrit Y. Manor, loin de préparer la jeune génération à la reconnaissance de l’État d’Israël et à une coexistence pacifique avec lui, tend à fabriquer des shahids pour briser le moral de ses citoyens. »
Le plus terrifiant, à la lecture de ces pages, est la culture de mort dont elles sont imprégnées. Les enfants palestiniens, dès leur plus jeune âge, sont élevés dans un véritable culte de la mort. Ils doivent apprendre et réciter des poèmes à sa gloire :
Je porterai mon âme dans la paume de ma main
Et je la lancerai dans l’abîme de la destruction
Par ta vie ! je vois ma mort
Mais je hâte mes pas vers elle
[…]
Le son du heurt [des armes] est plaisant à mes oreilles
Et le sang qui coule réjouit mon âme
Et un corps jeté sur le sol
Tombé dans l’embuscade tendue par les prédateurs du désert
Dont le sang a couvert la terre de pourpre
Et a chargé le vent d’est de parfum
[…]
Je jetterai mon cœur au visage de l’ennemi
Mon cœur est de fer et mon feu est un incendie.
On lit dans un manuel du niveau 8 (13 ans) : « Vos ennemis cherchent la vie et vous cherchez la mort. Ils cherchent des dépouilles pour remplir leurs estomacs vides et vous cherchez un jardin dont la largeur est à la fois celle du Ciel et de la Terre [le Paradis]. Ne soyez pas tristes de les affronter, car la mort n’est pas amère dans la bouche du croyant. »
Y. Manor cite à ce sujet ces propos tenus par Yasser Arafat à un général israélien : « Général, dites-moi franchement, est-ce que les Israéliens peuvent encaisser 500 morts ? Nous pouvons encaisser et sacrifier, sans problème, 30 000 shahids [« martyrs »]. Et sachez qu’entre les deux voies [la voie politique et la voie militaire] nous savons parfaitement quel est votre point faible — les vies humaines. »
Il est bien difficile de trouver dans ces ténèbres une lueur d’espoir, même si quelques voix palestiniennes isolées osent s’élever pour dire qu’ « il est temps pour les Palestiniens de choisir la vie. » La dernière partie du livre traite de la responsabilité des organisations internationales et des États dont les subventions permettent à l’Autorité palestinienne d’imprimer cette littérature éducative. Elle montre comment les réponses de ces différents partenaires du processus de paix, lorsqu’ils sont interrogés à ce sujet, sont souvent des dérobades, et comment les justifications données par l’Autorité palestinienne sont irrecevables. S’il est permis d’espérer quelque chose, c’est que les États, et en particulier ceux de l’Union européenne, prennent enfin les moyens d’exercer un contrôle strict sur l’usage qui est fait de l’argent qu’ils donnent à l’Autorité palestinienne, et qui est celui de leurs propres contribuables.
En attendant, on serait tenté de proposer aux lecteurs un exercice à la manière de ceux qui scandent les leçons de ces manuels : « Expliquer pourquoi Yasser Arafat a reçu le prix Nobel de la paix. »
Michel Remaud
HISTOIRE
La guerre des six jours.
Du 7 avril au 4 juin
Si la guerre de 1967 n’a duré que 6 jours, la « montée » qui a précédé les combats est née en grande partie du jeu des super-puissances. Nasser, au faîte de son prestige avec le panarabisme est très mal conseillé par son allié l’URSS.
L’année 66 voit de nombreuses attaques terroristes venant du Nord, et le 7 avril, les avions israéliens abattent 6 Migs syriens au dessus du lac de Tibériade. Le 22 avril, c’est la conférence des partis communistes d’Europe en Tchécoslovaquie, et Erwin Weit, traducteur de Gomulka témoignera : « Nasser qui peut se placer à la tête du mouvement de libération arabe a dans l’étape actuelle, une valeur énorme. C’est l’application du principe léniniste d’une coopération avec des groupes ayant une orientation différente, cela est utile à un instant précis pour faire avancer la révolution. Lorsque les masses arabes comprendront leur véritable intérêt, nous n’aurons plus besoin d’un Nasser ». (Cité par Avraham Ben Tsour, Gormim soviétim ve milhémet Sheshet Ha Yamim, Sifriat Hapoalim, p 190).
Le 29 avril, Anouar Sadate, président de l’Assemblée nationale égyptienne, fait escale à Moscou où Kossyguine, Premier ministre, l’informe d’une situation très tendue à la frontière syro-israélienne où dix brigades de Tsahal seraient massées, prêtes à entrer en action et à renverser le pouvoir syrien. A son retour, le Caire a déjà été informé par les Soviétiques et les Syriens. Faouzi le chef d’état-major d’Egypte va voir sur place en Syrie et affirme qu’il n’y a pas de troupes israéliennes. Les Israéliens nient ces concentrations de troupes et le 11 mai ils invitent l’ambassadeur d’URSS à venir voir ; il refuse. Le secrétaire général des Nation Unies, le 18 mai, dit également qu’il n’y a aucune concentration de troupes au nord.
A partir de là, tant du côté égypto-syrien qu’israélien, c’est la guerre psychologique. Shoukeiry et « la Voix des Arabes » n’arrêtent pas les menaces : « le peuple Arabe est fermement résolu a rayer Israël de la carte » – « …ou bien il (Israël) mourra d’étouffement en raison du blocus militaire et économique arabe, ou bien il mourra sous le feu des forces arabes qui l’entourent au sud, au nord et à l’est. » La radio syrienne, elle, appelle au meurtre, et sans arrêt ces radios renchérissent. La propagande arabe exagérée a joué un rôle dans l’évolution de la crise, même si les facteurs internationaux ont été les plus importants.
Dans cette période de tension, les Israéliens donnent des avertissements, mais pas toujours coordonnés. Le 14 mai, le général Rabin avertit Damas que le régime syrien porte la responsabilité de la continuation du terrorisme. Certains interprètent cela comme une intention israélienne d’installer un régime plus amical a Damas. Par l’atmosphère créée par les Soviétiques au sujet d’une attaque contre la Syrie, et avec toutes les menaces d’extermination d’Israël de la part des pays arabes, la tension monte de tous les côtés. Le 15 mai, fête de l’Indépendance d’Israël, Lévi Eshkol, Premier ministre et Itzhac Rabin chef d’état-major reçoivent un message : « l’armée égyptienne se déploie dans le Sinaï » C’est la surprise, car Nasser a une bonne partie de ses troupes au Yémen. Israël pense que c’est pour dériver l’attention de sur la Syrie ; mais lorsque Nasser demande à U.Thant, secrétaire général de l’ONU de retirer les troupes des Nations Unies du Sinaï et de Gaza, ce qui est fait dès le 19 mai, Israël commence a rappeler ses réservistes. Les Israéliens essaient de faire « établir une ligne de communication directe avec l’Egypte afin que les choses ne se compliquent pas »; mais il n’y aura pas de réponses.
Le 22 mai, Abdel Hakim Amer annonce la fermeture du golfe d’Akaba bloquant ainsi le port d’Eilat. Tout le monde en Europe et à Washington comprend que c’est un « casus belli » pour Israël. Les Russes demandent à Nasser s’ils doivent lancer un avertissement à Israël et Nasser répond, qu’il vaut mieux l’envoyer aux Américains. Le 23, Nasser prononce un discours: « nous sommes face à face avec Israël. Par conséquent, la situation est entre nos mains. Nos armées ont occupé Sharm-el-Sheikh. Nous ne tolèrerons à aucun prix que le pavillon d’Israël transite par le golfe d’Aqaba. Les Juifs nous ont menacé de la guerre ; je leur répondrai : « Ahlan Wasahalan : la guerre est la bienvenue, nous sommes prêts. » (A. Eban, Mon pays, p, 205).
Le gouvernement israélien se réunit avec les chefs de l’armée et plusieurs députés de l’opposition. Pour Itzhak Rabin, le plus tôt sera le mieux, pour l’offensive. Le gouvernement hésite. Les contacts politiques se multiplient : Lyndon Johnson invite Israël à relâcher la tension et demande à l’Egypte de ne pas interdire le libre passage dans le détroit de Tiran, entrée du Golfe d’Akaba. La nuit suivante le détroit est bloqué. Le gouvernement d’Israël lance une offensive diplomatique, une résolution est adoptée :
« 1-Le blocus du golfe d’Eilat est un acte d’agression,
2-Toute décision sur une riposte est repoussée de 48 heures,
3-Le premier ministre et le ministre des affaires étrangères ont le pouvoir de décider d’un voyage à Washington du chef de la diplomatie pour rencontrer le président Johnson »
Abba Eban part pour Paris et rencontre le général de Gaulle qui lui dit : « Israël ne doit pas agir jusqu’à ce que la France ait le temps de concerter l’action des grandes puissances pour permettre aux navires de passer par les détroits. Ne faites pas la guerre. ».
(A. Eban, personnal witness, Cape, London, 1993. p, 373).
Puis Abba Eban se rend à Londres et à Washington. De là-bas, il entend que la situation en Israël est très tendue, la population angoissée. Itzhak Rabin, épuisé et seul à prendre les décisions pour l’armée, craque. Mais le lendemain, remis sur pieds, il propose de démissionner, ce qui est refusé. Le délai pour l’offensive diplomatique touche à son terme et Lévi Eshkol comprend qu’il faut agir, et vite. Les déclarations de Nasser sont arrivées au secrétaire d’ Etat Dean Rusk : « Israël ne se battra pas parce qu’il n’a pas d’alliés, parce qu’il craint l’Union Soviétique, parce qu’il sait que les Etats-Unis sont trop impliqués au Vietnam pour aider Israël, parce que la majorité des membres des Nations Unies soutiennent les Arabes. Egalement en raison des divisions internes en Israël, de l’attitude de la France et du fait que 5% seulement du commerce d’Israël passe par Eilat. »
(A.Eban, personnal witness, Cape, London, 1993. p, 383).
Le 26, Nasser remercie chaleureusement l’URSS et annonce qu’un des objectifs de l’Egypte est la destruction d’Israël : « Nous sommes allés à Charm El Cheikh sachant que cela mènerait à la guerre. Nous avons choisi le moment opportun, quand Israël menaçait la Syrie.Tous les Etats arabes entourant Israël constituent un front militaire unique. »
(Ch. Enderlin, Paix ou guerre, Stock, p, 236).
Envoyé à Damas, Mohamed Bassionny est un des officiers supérieurs égyptiens qui coordinera les opérations des deux armées. Mahmoud Riad, le ministre égyptien des Affaires étrangères est inquiet. Il écrira plus tard : « Nasser savait qu’une confrontation avec Israël conduirait inévitablement à un affrontement direct avec les Etats- Unis, ce qu’il voulait éviter. IL avait pleinement conscience du fait qu’en raison de l’engagement d’une partie de ses forces armées au Yémen, il n’avait pas à sa disposition la force militaire pour attaquer Israël. Mais, quels que soient les risques, en attaquant le premier, il aurait marqué un avantage certain sur l’ennemi et évité le désastre. » (M. Riad, the struggle for peace in the Middle East, Quartet Books, London, 1981, p, 21 et 22)
Le 28 mai, tout Israël est à l’écoute pour entendre Lévi Eshkol qui s’adresse à la nation. Il bafouille et semble sur le point de s’effondrer. C’est la crise politique et la coalition nationale libérale avec Menahem Bégin accepte l’union nationale. Le Rafi, parti de Ben Gourion, se joint également au cabinet Eshkol. La population fait pression pour que Moshé Dayan soit ministre de la défense.
Le 30 mai, Hussein de Jordanie arrive au Caire pour signer un pacte de défense commune avec Nasser et repart à Amman avec son plus grand ennemi, A. Shoukeiry. Cette décision inquiète Israël beaucoup plus que tous les cris des pays voisins. Le 1er et 2 juin, il est clair que ni la France, ni l’Angleterre ni les USA ni les Nations Unies ne sont prêtes à intervenir. Méir Amit, le chef du Mossad, est à Washington avec les responsables de l’administration américaine qui lui signifient : « Embourbés au Vietnam, nous ne pouvons pas nous lancer dans une nouvelle aventure militaire. La mise sur pied d’une force internationale qui se déploierait en mer Rouge paraît impossible. La meilleure formule serait qu’Israël agisse seul.» (Ch. Enderlin, p, 238)
Pour Israël, c’est le feu vert.
Le 3 juin, tout est calme en Israël. Beaucoup de soldats sont en permission, tous les touristes ont quitté le pays, certains avec des bébés qui leur ont été confiés à l’aéroport au dernier moment.
« C’était comme si les adversaires d’Israël, par leur arrogance, et ses amis, par leur impuissance, avaient restreint son choix à une unique solution. » (Abba Eban, Mon pays, Buchet/Chastel, p, 215.)
Cécile Pilverdier
Un mur et une polémique
Le «Mur de la honte », « de l’Apartheid » ou seulement « le Mur de Sharon », telles sont les expressions couramment utilisées pour parler de la barrière sécuritaire que construit actuellement Israël, ayant pour but de séparer physiquement les territoires palestiniens de Cisjordanie du territoire israélien. La polémique bat son plein, les accusations mutuelles se multiplient et la désinformation est à la fête. S’agit-il réellement d’une barrière de protection contre les terroristes ou du premier tracé de la future frontière entre la Palestine et Israël ? Israël a-t-il vraiment l’intention d’enfermer dans un enclos hermétique les Palestiniens et de les étouffer économiquement ? Parle-t-on d’un mur ou d’une barrière électronique ? Ce mur est-il vraiment celui de Sharon ?
Précisons qu’il est impossible à l’heure actuelle de savoir avec précision quel sera le tracé définitif de cette clôture pour la bonne raison que le gouvernement d’Israël le décide au coup par coup et que chaque nouveau tronçon construit donne lieu à d’âpres discussions au sein du gouvernement. Ainsi, en octobre 2003, contre toute attente, le gouvernement Sharon a décidé que les implantions d’Ariel et de Kedoumim ne seraient pas englobées par la clôture principale mais qu’une autre barrière électronique, plus légère, protégerait les deux localités. Les ONG impliquées dans la région, l’Autorité Palestinienne, Israël et les organisations israéliennes des droits de l’homme ont entrepris une véritable bataille des chiffres et des statistiques. Pour être honnête, il faut reconnaître qu’il est impossible d’y voir clair. Début 2004, près de 180 km de clôture sont construits sur 400 prévus. Suivant Israël, 1,6 % du territoire palestinien est inclus ou le sera prochainement du côté occidental de cette barrière de protection alors que pour l’Autorité palestinienne, Israël aurait déjà confisqué près de 4% des Territoires. Les médias comparent volontiers cette barrière au mur de Berlin et les journalistes viennent photographier un mur de béton de quelque 8 km dont 7 se trouvent sur le territoire israélien ! Il s’agit, en partie, d’un mur anti-bruit qui longe la nouvelle autoroute n° 6. À la demande de la compagnie internationale (et donc non-israélienne) chargée de la construction et de l’entretien de cette autoroute, ce mur anti-bruit est devenu un mur de protection, à la suite de tirs palestiniens visant les employés de cette compagnie. Ce mur existe sur d’autres tronçons de cette autoroute en plein Goush Dan (région de Tel Aviv) et personne ne parle de mur de Berlin.
Les quelque 170 autres kilomètres restants sont constitués d’une barrière électronique plus ou moins sophistiquée suivant les endroits. Si béton il y a, il est dans les fondations de cette clôture pour prévenir toute infiltration par en-dessous. Elle ressemble à celle qui existe depuis de nombreuses années autour de la Bande de Gaza, ou à celles qui séparent Israël de la Syrie, de la Jordanie et du Liban. En théorie, si quelqu’un essaie de la franchir, un signal électronique se déclenche et les services de sécurité ainsi prévenus peuvent immédiatement intervenir. Dans la réalité, cette clôture est ouverte à de nombreux endroits et n’est pas entièrement électronisée. Il faudrait pour qu’elle soit véritablement efficace que Tsahal déploie des militaires sur toute sa longueur. Le budget 2004 de la Défense ne le permet pas.
Contrairement à l’idée souvent répandue, ce n’est pas Sharon qui est l’auteur de ce projet mais les leaders de la gauche. Isthak Rabin est le premier qui, en plein processus d’Oslo, a fait ériger une clôture électronique autour de la bande de Gaza pour empêcher les terroristes d’en sortir. Le résultat du point de vue de la sécurité fut particulièrement probant : depuis son érection, aucun terroriste n’a réussi à pénétrer en Israël depuis Gaza (les attentats ont eu lieu dans les implantations situées à l’intérieur de la Bande de Gaza). Tous les attentats en Israël sont venus de la Judée et de la Samarie. A cette époque, aucune campagne n’avait été faite contre ce « mur de Berlin », construit par celui qui restera dans la mémoire collective l’homme qui a fait le sacrifice de sa vie pour la paix.
C’est en mars 1996, sous le gouvernement sortant de Shimon Pérès, que le projet d’une ligne de séparation le long de la Ligne verte est envisagé. Il est abandonné immédiatement par le gouvernement Netanyahou. En novembre 2000 c’est Ehud Barak qui décida de construire une barrière pour empêcher le passage des véhicules du Nord de la Cisjordanie à Latrun, le projet est enterré un an plus tard suite aux protestations, entre autres, de la droite !
L’idée d’une barrière de séparation physique n’est pas vraiment nouvelle. Il s’agissait aussi durant les années d’Oslo de pouvoir limiter le flot de plus en plus important de travailleurs illégaux, ainsi que le trafic de drogue et de voitures entre Palestiniens et Israéliens (sans d’ailleurs la moindre efficacité).
C’est en pleine vague d’attentats, en juin 2001, que le gouvernement Sharon décide de créer une commission chargée de planifier une clôture entre la Cisjordanie et Israël. Un an plus tard, en avril 2002, les travaux n’ont toujours pas débuté. L’augmentation dramatique des attentats amène Sharon à se décider enfin à commencer les travaux et ce sous la pression des membres travaillistes de son gouvernement d’union nationale. C’est Ben Eliezer, ministre de la défense et secrétaire général du parti travailliste qui va en dessiner avec l’Etat major les premiers contours. A cette époque, seul Shimon Péres, ministre des Affaires étrangères s’y oppose avec des personnalités de la droite. La construction de la barrière est même un enjeu de la campagne des travaillistes qui accusent Sharon de n’avoir rien fait dans ce domaine. Pour la gauche, il s’agit de créer un premier tracé des frontières et de provoquer l’évacuation d’une grande partie des implantations. Amram Mitzna qui se présente en face de Sharon promet « qu’une fois élu Premier ministre, sa première décision sera d’accélérer la construction de la barrière. » Au Likoud comme pour les autres partis de la droite, ce projet divise. Si Shaoul Mofaz, l’actuel ministre de la Défense, ne cesse de répéter que cette clôture n’est que sécuritaire et n’a aucune signification politique, certains ministres comme Meir Shitrit, s’opposent à son tracé qui s’écartent un peu trop des frontières de 1967. Les habitants des implantations qui se sont opposés violemment à sa construction dans le passé soutiennent aujourd’hui le projet. Les intérêts ont évolué. Si dans un premier temps, ils avaient peur que sa construction entérine les futures frontières de l’Etat palestinien, ils constatent qu’aujourd’hui, beaucoup d’implantations sont avantagées par son contour.
A droite comme à gauche, la grande majorité des politiques adhèrent à l’idée de la barrière sécuritaire. Le débat et la polémique concernent son tracé. Elle ne suit que de très loin les frontières de 1967 et conduit à l’annexion de territoires palestiniens et à de nombreuses expropriations. De nombreux drames humains pourraient ici être rapportés. La clôture passe parfois à travers des propriétés, séparant les familles. Des centaines de milliers d’arbres (surtout des oliviers) arrachés provoquent des pertes économiques importantes qui sont inquiétantes. Suivant le PARC (Palestinian Agricultural Relief Committes), les confiscations de terres consécutives à la première phase de construction de la clôture dépassent les 16.000 hectares. Les expropriés sont avertis parfois seulement quelques jours avant l’arrivée des bulldozers. Les exemples de brutalité de Tsahal ne manquent pas et les organisations humanitaires attirent un peu plus chaque jour l’attention de la communauté internationale. Si Israël a annoncé qu’il consacrerait 60 millions d’euros à l’indemnisation des Palestiniens lésés et que le ministère de l’agriculture entreprendrait de replanter 60 000 oliviers, pour l’heure, rien encore n’en a été fait.
La construction de cette barrière conduit à un drame humain dont il faut considérer tous les aspects. Les Palestiniens seront-ils vraiment enfermés ou les points de passage ouverts permettront-ils, comme l’affirme Israël, de laisser entrer plus de Palestiniens pour travailler en Israël ? Il est trop tôt pour pouvoir apprécier les véritables conséquences économiques de la construction de cette clôture. Les spéculations vont bon train et chacun suivant ses intérêts et son idéologie (car c’est bien là le véritable enjeu) avance des chiffres et des pronostics. Une chose est sûre : si le terrorisme n’avait pas frappé si fort, il n’y aurait pas aujourd’hui de clôture. Ce 7 janvier, le ministère de la Défense vient de publier que le nombre des victimes des attentats avait diminué en 2003 de 50 % en comparaison de l’année 2002. Même des organisations opposées à la construction du « mur » comme ‘la paix maintenant’ reconnaissent qu’il est en partie efficace.
Que l’on soit pour ou contre, d’union nationale. on peut au moins dire que cette clôture ne résoudra pas à elle seule le conflit israélo-palestinien et que si la polémique fait rage c’est qu’il est le symbole de l’échec des négociations et de la paix. Echec auquel on refuse de croire et heureusement…
Jean-Marie Allafort
Désinformation
Dans chaque numéro de notre bulletin, nous pourrions rapporter des quantités de cas de déformation des faits, et des exemples d’omission, autre forme de désinformation, et de fait certains sites Internet s’y consacrent, traquant tout article ou titre tendancieux. Il y a la vision partielle des choses et les malentendus non-intentionnels, il y a aussi la mauvaise foi et la déformation méthodique : tout est permis pour défendre son camp et démolir l’autre. C’est un aspect de la vie humaine. Mais il est dommage que des gens bien intentionnés, désireux de paix, suivant ce qu’ils disent, se laissent aller à de telles affirmations tendancieuses, et manifestent une sensibilité à sens unique.
Voyage “La paix, nom de Dieu”
Du 7 au 11 novembre un voyage interreligieux de deux cents Français juifs, chrétiens et musulmans, organisé par Témoignage Chrétien et bien intentionné au départ, a cependant suscité une polémique. On en retrouve des traces dans des articles de La Croix et T.C. Quelques citations nous donneront l’occasion de certaines mises au point.
Dans la Croix Dominique Gerbaud ne cache pas sa réserve sur la façon dont la rencontre avec Arafat s’est déroulée :
Malin, Arafat avait brandi une grande photo de la statue de la Vierge qui trône au dessus de l’Eglise de Bethléem « Notre Vierge Marie, ma chère Vierge Marie que j’aime tant, a reçu 18 roquettes et ça n’a suscité aucune colère dans le monde, alors que la destruction des statues bouddhistes de Bamyan [par les Talibans] a provoqué un tollé ». Pour mieux marteler son discours, le président de l’Autorité palestinienne saisit une autre photo : « Cette petite église d’Abboud, à 20 km d’ici, l’une des plus vieilles du monde, les Israéliens l’ont fait exploser. Pour quoi faire ? » Applaudissements assurés.
Yasser Arafat avait repéré dans le groupe le rabbin Philippe Haddad, qui, à son arrivée, ne lui avait accordé qu’une poignée de main polie, alors que les autres acteurs embrassaient le chef palestinien. A la fin du discours, un photographe de la présidence va chercher le rabbin et l’invite à la tribune. Arafat le prend dans ses bras, l’embrasse avec moult effusion et lui prend la main et la lève en signe de victoire. Devant le drapeau palestinien. Philippe Haddad est piégé et s’effondre. […] Le théologien musulman Ghaleb comprend que son ami, le rabbin, vient de se faire récupérer par Arafat et qu’il est en train de craquer. Il lui prend amicalement la main. […]
Dans TC, Michel Cool tente de se démarquer des deux parties en litige et dans l’article “Fallait-il voir Arafat ?” il dit entre autres :
Notre délégation, par son pluralisme politique, culturel et religieux, leur a adressé un message, une pétition incarnée. Elle a posé devant chacun d'eux un acte significatif de dialogue, de respect mutuel ; un signe de contradiction dans un contexte d'impasse politique paroxystique. Au cœur de cette controverse, la personnalité même d'Arafat. Il faut rappeler qu'il est le président légal de Palestine et que nul ne peut lui contester cette légitimité si ce n'est le peuple palestinien qui l'a élu. Certes, Arafat inspire bien des réticences, justifiées par le caractère autocratique de son pouvoir et la corruption qui l'entoure. Mais le personnage est aussi l'icône historique d'un peuple qui lutte pour son indépendance. Les Français savent ce qu'il peut en coûter de résister pour exister... On ne nous a pas permis, du côté israélien, de rencontrer Ariel Sharon ou l'un de ses ministres, ou de visiter la Knesset, comme nous l'avions demandé et fait savoir, par voie diplomatique. Un haut fonctionnaire du gouvernement israélien a été missionné pour nous accueillir : il s'est acquitté de sa tâche avec une certaine élégance qui honore la démocratie israélienne.
Que garderont de notre passage nos interlocuteurs de Ramallah et de Jérusalem ? Nous ne sommes pas dupes des opérations de propagande des deux parties en conflit. L'article du quotidien palestinien Al-Quds relaye exclusivement la diatribe anti-israélienne du chef de l'Autorité palestinienne, en mentionnant d'une phrase le discours prononcé au nom de notre délégation. Le silence absolu sur notre voyage dans les médias israéliens, pourtant bien informés, est lui aussi révélateur de la sélection de l'information qui prévaut dans ce pays. Le vrai piège serait de se laisser enfermer par ces opérations de manipulation et de censure, en prenant parti pour l'un contre l'autre et en jetant aux oubliettes ce qui fut la démarche constructive de notre aventure collective.
Deux cents personnes, sûrement sincères, et qui voulaient aider à promouvoir la paix. Ici on est toujours perplexe devant ces initiatives venues de loin, sans savoir si le bilan final est vraiment positif. On le souhaite. Nous citons cependant les deux textes ci-dessus pour faire quelques mises au point que le lecteur d’Europe ne peut faire par lui-même.
1) Les Chrétiens se rappellent le siège de la Basilique de Bethléem où s’étaient enfermés les combattants palestiniens armés. Au cours d’un mois d’échanges de tirs, il y a eu un projectile qui a endommagé la statue de la Vierge sur le toit de l’église. Mais elle est toujours là, malgré les “18 roquettes” (!) que les soldats israéliens lui ont accordées, au dire d’Arafat. Ce qui abîma un peu la statue fut un incident involontaire, on peut le supposer, ne serait-ce que parce qu’Israël n’a aucune envie d’irriter le monde catholique contre lui par de tels comportements.
2) L’église d’Abboud actuelle est intacte, des évêques français y ont prié lors de leur visite l’an dernier. Il y a bien sur une colline voisine les ruines d’une ancienne église du Vème siècle, mais l’armée israélienne n’y est pour rien. Notre ami Jean-Marie a voulu vérifier, et l’officier compétent interrogé a été stupéfait, mais n’a rien voulu affirmer sans s’être assuré de sa réponse. Après vérification, il a pu répondre que jamais l’armée n’avait touché cette église, en ruines depuis fort longtemps.
Mais à des étrangers on peut dire n’importe quoi, ça marche, puisqu’ils n’ont pas le temps de vérifier sur place.
3) Michel Cool voit un refus dans le fait que le groupe n’a pas été reçu avec les honneurs dus à leur bonne volonté, mais surtout il parle de “censure” et dit : Le silence absolu sur notre voyage dans les médias israéliens, pourtant bien informés, est lui aussi révélateur de la sélection de l'information qui prévaut dans ce pays. Quand on sait la masse de choses graves ou compliquées qui défilent dans les nouvelles quotidiennes, on ne peut que sourire tristement. Le journaliste de Haaretz venu à l’ordination épiscopale, dont nous avons parlé dans le numéro précédent, espérait faire paraître le lendemain son article sur l’événement. Or nous l’attendons toujours… Il y a eu tant de choses plus importantes les jours suivants. Personne d’entre nous n’a parlé de censure ou de sélection.
Quand on suit les nouvelles au jour le jour, on entend en Israël des masses de critiques et d’avis contradictoires, et des choses graves sont dites et redites au public sans aucune censure. S’il y a un abus, c’est plutôt qu’on dit tout, trop, parfois pour le scoop, ou par manœuvre politique pour ou contre. Il y a sans doute des cas où certaines choses gênantes sont cachées, mais généralement pas pour longtemps; il y a toujours un petit malin qui va se vanter d’avoir découvert la chose.
Non, les médias n’ont pas systématiquement voulu ignorer ce voyage.
La paix, comment?
J’ouvre par hasard un site Internet de jeunes chrétiens italiens, et il me renvoie à un autre site italien “peace link” (lien de paix), qui traite des problèmes de notre région. Ils disent eux-mêmes travailler en collaboration avec un site de propagande palestinienne, et tous leurs articles sont violemment anti-israéliens. Cela me rappelle certains “mouvements pour la paix” qui manifestent contre Israël. J’ai participé un jour à Jérusalem à une manifestation pour les droits des Palestiniens, où se retrouvaient Israéliens, Palestiniens et Européens; et j’y ai rencontré une Française d’un tel “mouvement pour la paix”. Notre échange a tourné court assez vite : pas de nuances, pas possible de lui dire “oui, mais... peut-être que…”.
Un ami chrétien vivant en Israël entendit parler de l’initiative d’une soirée de prière pour la paix à Jérusalem. Il demanda avec un humour un peu triste dû à son expérience : “C’est contre qui?” Mais, n’exagérons pas, il y a aussi dans ce pays beaucoup de bonne volonté et de prière pour une vraie paix.
Anne, notre amie de Nevé Shalom, me disait récemment : “Pour aider nos peuples ici à s’approcher de la paix, il faut aimer les deux.” Aimer n’est pas tout approuver, c’est aussi critiquer pour améliorer. Mais en comprenant un peu de l’intérieur, et sans accabler et démoniser un des deux peuples massivement sous prétexte de soutenir l’autre.
On est souvent plus à l’aise avec les critiques de certains Palestiniens sur place qu’avec les diatribes des étrangers qui veulent soutenir leur cause. De même qu’on est souvent plus en accord avec beaucoup d’Israéliens, qui aiment leur pays mais se posent des questions, qu’avec certains étrangers (Juifs ou non) qui justifient sans nuance tout comportement d’Israël.
Yohanan Elihai.
Flashes d’espoir
Un arabe du village de Baqa el-gharbiyye (en Israël) ayant été tué dans un accident, sa famille a donné ses organes pour sauver 5 personnes, dont un juif d’Hébron (où la coexistence juifs-arabes est problématique). Un de ses oncles avait été gravement blessé, dans le passé, par les tirs d’un garde-frontière israélien. Interrogé à la TV il dit : “Ça ne fait rien ; l’important, c’est donner la vie.”
Dans un autre domaine, on parle de modifier le tracé de la barrière de sécurité, destinée officiellement à empêcher les incursions de terroristes dans la population israélienne. En fait il était prévu qu’elle annexe des territoires palestiniens, en s’éloignant de la ligne verte (frontière d’Israël d’avant 1967) parfois de plusieurs kilomètres, coupant en deux des villages palestiniens. Zeev Schiff, journaliste vétéran spécialiste en affaires militaires, souligne que l’armée n’avait pas été consultée pour ce tracé problématique, et qu’un nouvel accord entre politiciens et le QG de l’armée va permettre qu’on rapproche la barrière de la ligne verte, au moins en plusieurs sections. C’est un premier pas, espérons-le, vers un tracé non moins efficace d’une barrière sans doute nécessaire, mais discutable dans sa conception originelle. Affaire à suivre.
A la suite du terrible tremblement de terre récent en Iran, le gouvernement iranien accepta tous les secours internationaux, sauf, bien sûr, ceux proposés par Israël (qui a pourtant aidé dans le passé en divers pays après de telles catastrophes). Cela n’a pas découragé les particuliers en Israël, spécialement les Juifs d’origine iranienne, qui ont décidé d’envoyer leurs dons de façon anonyme par des banques internationales.
Cela m’a rappelé l’histoire racontée par une amie israélienne de Galilée, après la guerre des Six jours dont la population arabe se relevait difficilement. La fille de cette amie, âgée de 14 ans, lui dit : “Ils ont besoin de tas de choses, je voudrais envoyer quelques habits et des jouets.” La mère savait que les vaincus auraient du mal à recevoir des dons de l’ennemi d’hier. Alors la fille eut une idée : “Eh bien, donne-le à une organisation arabe chrétienne de Haïfa ! Ils transmettront…”
Y.E.
Le chant du mois
Un chant de Hava Alberstein, une grande chanteuse dont le répertoire touche la variété des drames humains, chantait il y a quelques années un chant encore plus actuel aujourd’hui, avec la déterioration de la situation politique et économique.
Ne me rejette pas, ne m'éjecte pas !
Non, non, non, non... Ne me rejette pas
Du lit, du travail,
De l'appartement, de la famille…
Donne encore un instant de répit,
Donne encore une dernière chance,
Ne m'éjecte pas, ne m'efface pas!
Ne dis pas: C'est pas moi qui décide!
Je ne fais qu’exécuter les ordres...
Ne te moque pas des gens,
Ne me rejette pas,
Ne m'exile pas !
Ne me rejette pas, ne m'expulse pas
De l'usine, du pays, de la scène,
Qui es‑tu? Un homme comme moi.
Ne joue pas au juge suprême,
Toi aussi tu es bien petit,
Toi aussi on t'éjectera...
Ne sois pas si fier,
Ne regarde pas vers le ciel,
Regarde‑moi dans les yeux!
Je suis là devant toi, debout,
Je suis là devant toi, tremblant…
Ne me rejette pas !
et l’histoire en finale…
Cette fois-ci tirée d’un livre sur le Professeur Yeshaya Leibowitz, le redoutable savant très religieux et très indépendant, qui a marqué la société durant sa vie. Son observance des préceptes et son sens de l’Absolu de Dieu le rendait parfois intransigeant et violent dans ses propos. L’auteur du livre, Shalom Rosenberg, imagine son héros comparaissant devant le siège du Saint Béni soit-il, entouré des anges. Voici sa description :
A l’arrivée du célèbre professeur, les anges ne le reçurent pas, car il avait irrité trop de personnes par ses propos critiques.
On apporta la balance et les deux plateaux du bien et du mal étaient presque à égalité… mais il manquait un mérite pour que cela penche du bon côté et qu’il puisse entrer au paradis.
A l’unanimité les anges le condamnèrent donc à l’enfer, au grand regret de Dieu.
Suivant son habitude, Leibowitz reçut la sentence avec amour et soumission, et prononça la bénédiction suivante :
“Béni sois-tu, notre Dieu Roi de l’Univers, qui nous as béni par ses préceptes et nous as ordonné d’aller en enfer!”
C’était juste la quantité de mérite qui lui manquait pour entrer au paradis.
Et depuis lors, de là-haut, il nous regarde au fil des jours.
Y.E.
Infos pratiques
Livres conseillés
— Jean Dujardin, L’Eglise catholique et le peuple juif, un autre regard, Calmann-Lévy, 2003.
— Jean Rollin, Chrétiens, P.O.L, 2003.
Même si nous avons une ligne commune dictée par notre présence en Israël, il semble bon de rappeler le principe qui guide bien des publications et qui donne une certaine liberté à chacun :
la revue laisse aux auteurs des articles et comptes rendus l’entière responsabilité
des opinions et jugements qu’ils expriment.
[1] Yohanan Manor, Les manuels scolaires palestiniens. Une génération sacrifiée, Berg International Éditeurs, 2003, 192 p ., 18 € .
[2] La couverture du livre est illustrée par une représentation de la sainte famille très « image d’Épinal » : l’enfant Jésus enfonce un clou dans une planche sous l’œil attentif de Joseph, tandis que Marie est occupée à un travail de couture. Au-dessus de l’image, on voit, de droite à gauche, le signe de l’Autorité palestinienne, le titre « Éducation chrétienne » en arabe, et le chiffre 2, signifiant que le manuel est destiné au niveau 2.
[3] La légende qui accompagne cette double illustration commente ainsi : « Nous faisons la même chose de différentes manières. » Manière subtile d’annexer le christianisme ? Des chrétiens d’autres pays musulmans ont déjà fait l’expérience de ce procédé.
[4] Israël, de son côté, n’avait pas attendu les accords d’Oslo pour revoir dans ce sens ses propres manuels. On y combat les préjugés, les stéréotypes et les généralisations, on propose aux plus jeunes des récits d’actes de solidarité, comme par exemple une histoire de naufragés israéliens secourus par des pêcheurs palestiniens et autres anecdotes du même genre.