Textes bibliques du jour

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Prière de St Ignace

 « Seigneur Jésus,
apprenez-nous à être généreux,
à vous servir comme vous le méritez,
à donner sans compter,
à combattre sans souci des blessures,
à travailler sans chercher le repos,
à nous dépenser sans attendre d’autre récompense
que celle de savoir que nous faisons votre Sainte volonté. »

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Homélies Année B 2023-2024

4e Dimanche ordinaire B

28/1/24, 4e dim. ord. B : Une parole forte qui libère ? Ça vient de l’Esprit.

Dt 18,15-20 ; Ps 94 (95),1-2.6-9 ; 1 Co 7,32-35 ; Mc 1,21-28.

Moïse n’est pas naïf. Il sait d’expérience que le peuple est rebelle, et il a composé un cantique pour qu’en le chantant les déviants soient ramenés à de plus saines pensées. De plus, son humilité a été recon-nue, et il sait qu’il n’est pas indispensable : un autre prophète viendra prolonger son œuvre. En effet, le spectacle de la révélation au Sinaï était grandiose, mais trop fort : mourir, ou tomber après un moment trop extrême. Ce nouveau prophète sera dans l’histoire du peuple, et sa parole sera adaptée aux circonstances. Sa parole ? Non, ce que Dieu lui aura inspiré, au-delà de sa conscience claire. Paul est resté dans cette ligne : il déclare que lorsqu’il prêche, c’est le Christ qui parle par sa bouche ; quelque chose qui le dépasse se communique. Un signe en est qu’il va rencontrer de l’opposition. Et le faux prophè-te ? C’est tout simplement celui qui cher­che à se faire apprécier, qui courtise. La Bible fourmille d’exemples, et il y en a encore de nos jours...

Le psaume met en scène le nouveau prophète : les anciens avaient vu les merveilles de Dieu, puis ils avaient tout oublié, noyés dans les soucis quotidiens. Le cœur endurci est celui qui n’écoute plus que lui-même, qui se débrouille pour mener sa vie. Il est seul ; les autres sont souvent une gêne. Or, le psaume introduit un collectif : « Venez, crions de joie ! » L’écoute remet chacun à sa place, une assemblée se forme et chante, animée par une réalité plus grande qu’elle. Des indi-vidus dispersés deviennent des frères, car ils ont retrouvé un Père.

C’est sur ce point que l’évangile soulève une remarquable ques-tion : comment nous connaissons-nous les uns les autres, au-delà des apparences, des routines, et même des liturgies magnifiques ? Voici une assemblée où tout marche bien ; puis Jésus parle avec autorité, et un assistant explose ! Il se passe quelque chose que nous avons peut-être vu ou expérimenté : quelqu’un est troublé dans son monde inté-rieur, et en toute sincérité se l’est caché, ou même croit qu’une piété bien réglée le soutient jour après jour. Cela peut être un traumatisme ancien, une haine indéracinable… bref quelque chose de plus fort que lui ; c’est un démon, mais Paul parle plus volontiers du péché, qui est plus fort que lui. À Capharnaüm, on ne sait ce qu’a dit Jésus, et cela n’a aucune importance. Seule comptait son autorité, c’est-à-dire sa capacité à toucher là où ça fait mal ; non pas pour juger, mais par amour pour une créature qui peine à vivre. La présence de Dieu sur terre n’est pas ailleurs que dans la parole qu’il inspire, comme l’avait annoncé Moïse. Or, celui qui se sent dénoncé par surprise réa-git violemment, car il n’a en tête que le jugement brutal ; au fond, il est très scandalisé de lui-même, mais c’est bien caché. Jésus ne lâche pas, car sa parole est finalement plus forte, et le possédé a en lui-même une zone enfouie qui est prête à entendre, comme les Ninivites de la semaine dernière. Dans la synagogue de Capharnaüm, l’Écritu-re était proclamée chaque sabbat, et certainement commentée, mais le plus souvent cela n’avait que l’effet rassurant du devoir accompli. 

Ne disons surtout pas que l’exorcisme ancien avec Jésus n’est plus valable ! Un peu choquée par ce coup de vérité, l’assemblée a pu renouveler sa louange, goûter un brin de vie céleste. C’est précisé-ment ce à quoi pense Paul dans l’épî­tre d’aujourd’hui : une vie sans souci par le célibat, entièrement consacrée au Seigneur, sans partage. Donc, une vie céleste sur terre, ce qui renouvelle l’invi­tation que fai-sait déjà Jésus lui-même. Nous savons bien que ce n’est pas une po-tion magique, mais cela reste un repère essentiel !

3e Dimanche ordinaire B

21/1/24, 3e dim. ord. B : Y a-t-il vraiment urgence ??

Jon 3,1-10 ; Ps 24(25),4-9 ; 1 Co 7,29-31 ; Mc 1,14-20.

Jonas est un prophète récalcitrant qui aimerait bien que les mé-chants soient punis. Et nous ? Après un premier échec où il avait voulu en vain fuir l’appel de Dieu, il est envoyé de nouveau à Ninive, la ville « divinement grande ». Son message est concis : la catastro-phe est imminente, sans autre explication. Mais ça suffit : les Ninivi-tes reconnaissent que leur conduite est mauvaise et font pénitence, suppliant Dieu ; le seul indice donné est la violence, ce qui veut dire que la vie en commun va mal. Curieusement, le roi demande que même les animaux jeûnent et se revêtent de toile à sac. Cela signifie que Ninive représente l’ensemble de la création qui court à sa perte, car elle n’a aucun lieu où fuir. Comme au temps de Noé et pour la même raison. La différence est qu’à Ninive Jonas l’a proclamé, sor-tant les gens de leur aveuglement et/ou de leur impuissance. Aupara-vant, c’est à contrecœur que Jonas avait appris à connaître Dieu. Ce-lui-ci pratique donc une double pédagogie : d’abord éduquer Jonas, dont il a besoin, en lui laissant traverser une crise, puis sauver la grande cité qui se perd.

Le psaume se place dans une réalité que Jonas et les Ninivites avaient ignorée : l’importance de la prière, dont l’essentiel est de de-mander à Dieu une lumière. La sagesse n’est jamais un acquis bien contrôlé ; même le sage Socrate disait déjà que sa seule certitude était qu’il ne savait rien. Cette humilité n’est pas une disparition dans le néant, mais au contraire une école de liberté.

Et c’est urgent, comme le rappelle Paul, mais d’une manière un peu étrange : faire quelque chose comme si on ne le faisait pas, car le monde passe. Prêche-t-il l’insensibilité, la vie dans les apparences, le cœur de pierre, ou encore la jouissance immédiate du jour sans voir au-delà ? Ça ne lui ressemble pas. Il n’a rien contre les sentiments et l’amour, bien au contraire : il croit à la communauté chrétienne, à la réconciliation, mais il dénonce l’esclavage affectif. Par exemple, un proche très cher peut être malade ou mourir, mais ma vie ne s’éva-nouira pas pour autant ; un deuil peut être fécond. Paul lui-même affirme être aussi à l’aise dans l’abondance que dans l’indigence ; la richesse est dangereuse, on le sait, mais à l’opposé le culte de la pau-vreté peut n’être que de l’orgueil. 

Jean-Baptiste proclamait l’imminence du Royaume de Dieu ; à sa suite, Jésus en fait autant, mais c’est l’Évangile, c’est-à-dire une bonne nouvelle, ce qui ne devrait pas être lugubre. Plus tard, Jean-Baptiste entend dans sa prison des rumeurs sur Jésus ; il lui fait de-mander : « Es-tu celui qui doit venir, ou faut-il en attendre un autre ? » Il est dérouté ; il se demande ce qu’il en est du Royaume. Et Jésus répond en citant Isaïe : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, les morts ressuscitent. » Toutes ces guérisons ont un double sens, physique et moral, mais ce n’est ni une envolée au ciel, ni l’émergence sur terre d’une république parfaite. C’est quelque chose comme une graine qui va se développer. Aussi Jésus a-t-il besoin de disciples, et il s’agira de les former, comme Jonas, mais en procédant autrement. Les quatre premiers appelés suivent aussitôt Jésus ; il est remarquable qu’ils soient interrompus en plein travail, et non à un moment de repos ; ils sont fascinés. On aimerait avoir une photo de la tête de Zébédée lorsque ses fils le quittèrent. Ils s’y connaissent en poissons, mais ils ne sont pas prêts à être « pê-cheurs d’hommes », car il ne s’agit pas d’un commerce, mais plutôt de la transmission d’une expérience, et ils resteront largement aveu-gles jusqu’à l’arrestation de Jésus, vécue comme une fin du monde. Alors, après la résurrection, ils pourront annoncer que le Royaume est là.

2e Dimanche ordinaire B

14/1/24, 2e dim. ord. B : retour au vert, symbole de l’espérance.

1 S 3,1-10.19; Ps 39(40),2-4,7-9,10-11; 1 Co 6,13-20 ; Jn 1,35-42.

Après Moïse et Josué vint la période dites « des Juges », où la cohésion du peuple était très vague, non moins que sa relation à Dieu. La fin de cet âge est représentée par le prêtre Éli, qui était au sanctuaire de Silo, là où se trouvait l’Arche d’Alliance. Il était vieux et presque aveugle, et il avait mal éduqué ses fils. C’est dans cette décrépitude qu’il eut un ultime sursaut : il sut reconnaître que Dieu, qu’on ne discernait plus guère, s’adressait au jeune Samuel. Celui-ci, né dans des conditions quasi-miraculeuses, avait été consacré par sa mère Anne ; elle avait en quelque sorte payé un grand prix pour avoir un fils. Il servait au sanctuaire, respectueux des usages et du prêtre, mais « il ne connaissait pas Dieu ». La situation était certainement sérieuse, mais il devait d’abord grandir, avant de lancer un renouveau dont l’aboutissement sera David. C’est une prophétie sur Jean-Baptiste : consacré dès sa naissance, elle aussi miraculeuse, et il annoncera Jésus (Luc 1), et avec lui un autre renouveau commençant avec l’enfant fêté à Noël. Une vraie nouveauté ne commence pas avec un héros tonitruant, et c’est toujours vrai : les vraies révolutions sont des affaires lentes.

La liturgie ou le culte, par son caractère répétitif, a certainement un effet pédagogique, mais c’est pour préparer à reconnaître Dieu dans des événements singuliers ; tel est le test fondamental, qui est parfois redoutable. C’est ce que chante le psaume, à travers le souve-nir d’une sortie de détresse. Or, une telle expérience de résurrection est improbable lorsqu’on se voit sans force. Il en résulte une recon-naissance envers Dieu et une jubilation : « Il a mis en ma bouche un chant nouveau. » Ce chant imprévu est un don. Il ne s’agit surtout pas de pompiers rattrapant un inconnu qui se noie. En effet, la remise en route qu’atteste le psalmiste s’est préparée, peut-être longuement : « Ton enseignement me tient aux entrailles. » Ainsi, l’Écriture traîne dans son cœur et dans sa tête, ce qui lui donne une perception plus ou moins diffuse que Dieu est vivant, qu’il est présent quand on l’invo-que, et surtout, le psalmiste sent que sa propre existence a du prix aux yeux de Dieu. Ainsi, il saura trouver les mots pour en témoigner devant un voisin en déroute, voire même devant une « grande assem-blée ». Au contraire, le pompier aura peut-être une médaille, le res-capé pourra raconter une belle histoire, mais cela ne dira rien à celui qui ne sait plus pourquoi il vit.

Paul dit une chose étonnante : « Vous avez été achetés à grand prix. » Ça ressemble plus à un marché aux esclaves qu’à un appel à la liberté ! Mais restons dans le psaume : vous étiez esclaves d’une déchéance et un autre a payé pour vous en sortir, à savoir Jésus-Christ. Bien entendu, il ne ressemble pas à un pompier : c’est l’Esprit saint qui révèle à la fois la gravité de la déchéance et la force du salut. Détail essentiel, ce n’est pas une simple idée, car l’Esprit réside dans le corps, ce qui inclut la sensibilité et l’imagination. Et Paul donne un critère bien concret, la débauche : depuis Adam, c’est l’union qui fait le mariage, « une seule chair », donc l’union avec une prostituée est comme un meurtre : créer une seule chair puis la dé-truire. Et l’Esprit saint s’éloigne...

Dans l’évangile, Jean-Baptiste pose un regard sur Jésus, puis Jésus fait de même avec Pierre : compréhension profonde, mais sans indiscrétion. Des disciples quittent Jean pour suivre Jésus, comme happés, mais il les oblige à se dévoiler ; ils osent demander : « Où demeures-tu ? » Ils cherchent où demeurer, où trouver un lieu qui donne sens. Bien plus tard, Pilate un peu perdu demandera à Jésus : « D’où es-tu ? » Même lui cherchait quelque chose. Et nous ?

Épiphanie

7/1/24, Épiphanie : Debout, Jérusalem assoupie !

Is 60,1-6 ; Ps 71,1-2.7-8.10-13 ; Ep 3,2-3a.5-6 ; Mt 2,1-12.

Isaïe, prophète isolé, porte un diagnostic sévère : les ténèbres recouvrent la terre, et Jérusalem en est contaminée. C’est la survie au quotidien. Que s’est-il passé ? Jérusalem a perdu la mémoire d’une histoire qui vient de loin et qui inclut une mission, celle de maintenir des traces de Dieu sur terre. Isaïe n’est pas naïf : lors de sa vocation, il lui a été confié la tâche déroutante de se heurter à ses compatriotes, et même de les endurcir dans leur aveuglement. Considérant l’en­semble de l’histoire biblique, Jésus dira plus tard que Jérusalem tue les prophè­tes. Pour l’heure, Isaïe ne se décourage pas, car il voit autre chose : des étrangers vont arriver, sortir de chez eux avec leur petit bagage et une espérance imprécise. Peut-être à contrecœur, ils vont obliger Jérusalem à redevenir une lumière. C’est bien ce qu’on voit à toute époque avec les foules de pèlerins, qui repartent enrichis sans trop savoir dire pourquoi, après avoir acheté de petits souvenirs tan-gibles. Tels sont les exploits du Seigneur, qui méritent d’être médités et racontés ; la lumière vient de lucioles qu’il faut savoir repérer. Isaïe n’envisage pas le grand spectacle d’un monde parfait et immobile, où tout serait réglé grâce à Jérusalem : Qui y croirait ? Avant David, Jéru-salem s’appelait Jébus, et par deux fois l’Écriture dit : « Le Jébuséen habite Jérusalem jusqu’à ce jour. » Il y a toujours une fracture non maîtrisée, qui permet à la prophétie de rester actuelle.

Le psaume reprend le souvenir de la promesse faite à David et à sa postérité. « Dieu, donne au fils de roi ta justice. » Cette justice extrême n’est pas celle des gouvernements ordinaires, malgré de hautes procla-mations. La miséricorde et l’attention au pauvre, que tout le monde oublie, sont bien autre chose que la mise au point de savants équilibres budgétaires ou les progrès d’une diplomatie fine. Ce qu’Isaïe entre-voyait n’est autre chose que ce qu’on appellera plus tard le « Royaume de Dieu », une réalité qui est dans le monde mais n’en est pas issue. Et Jérusalem reste un point d’ancrage, mais il faut l’annoncer.

Paul dit justement « toutes les nations », faisant allusion aux révé-lations qu’il a reçues. Il ne s’agit pas d’une prise de pouvoir, mais de l’annonce de l’Évan­gile, que seul l’Esprit saint permet d’entendre. Il connaît bien la Bible, avec la longue histoire de la déchéance orig-inelle. Tout le monde soupçonne qu’il y a une sortie cachée, mais personne ne la trouve par ses propres forces, car il est toujours tentant d’accuser les autres, ou la situation d’aujourd’hui, ou n’importe quoi d’autre ; ce serait si simple si... Paul a eu l’intuition que dans toutes les cultures on souffre de la même chose, qui corrompt la relation à autrui : la peur de la mort, qui est représentée par les souffrances de chaque jour. En un mot, c’est la croix, qu’il invite fermement à joindre à celle du Christ. En effet, il y a par derrière une résurrection, disons une entrée dans le Royaume de Dieu sur terre, où la mort sous toutes ses formes cesse d’être une menace. Ce n’est pas un fait vérifiable, mais une réalité qui doit constamment être annoncée pour rester vive.

Les « rois-mages », venus de loin, accomplissent la prophétie d’I-saïe, mais sous la forme d’un commencement, comme tout ce qui entoure l’arrivée de Jésus. L’étoile les amène à Jérusalem ; la cité est avachie autour d’Hérode, le potentat méfiant, mais ils y entendent l’Écriture et ils repartent en banlieue. Curieusement, ils sont les seuls à voir l’étoile, et ils ne vont témoigner de rien ; ce ne sont finalement que des marginaux, tout comme les bergers, qui sont les seuls à avoir reçu une révélation. Pourtant, leur présence annonce un renouveau de Jérusalem, prêt à commencer, avec des soubresauts qui vont illuminer le monde !

Dimanche de la Ste Famille

31/12/23, Sainte-Famille. Un bébé d’avenir : simplicité, patience.

Gn 15,1-6.21,1-3 ; Ps 105,1-6.8-9 ; He 11,8.-12.17-19 ; Lc 2,22-40.

La succession des fêtes dans la semaine de Noël est une sorte de tourbillon. Et voici brusquement un espace de tranquillité, avec la famille de Nazareth, qui reste longuement dans la discrétion. Jésus a pris le temps de grandir.

Un modèle lointain est la famille d’Abraham, qui pourtant a mal commencé. Alors qu’il n’était qu’un réfugié vieillissant et stérile, il a reçu une promesse, mais ça ne se passe pas comme prévu ; il est balloté à gauche et à droite, et rien n’avance. L’amertume pointe, mais il est sauvé parce qu’il ose faire un reproche à Dieu : « Tu m’as dit de grandes choses, mais en fait tu m’abandonnes, et mon horizon est bouché. » Cette audace est essentielle, pour Abraham comme pour nous, quand nous nous voyons au pied du mur. Puis il lui vient une réponse toute simple : « Sors de ta casemate nocturne, lève la tête, et regarde ce scintillement d’étoiles. Le monde est plus vaste que ta petite tête, et tu ignores tout de ta fécondité réelle. » Et Abraham, qui devenait amer à cause de sa propre impuissance, se voit enfin à sa place réelle, à l’échelle humaine de tout le monde : un plus grand que lui fait sa destinée, il suffit qu’il l’admette. Tel est le point de départ de la foi, mais il a fallu une longue épreuve de dépouillement, qui a abouti à son cri. La Terre promise n’est pas au bout d’un tapis rouge. Abraham n’est pas parfait, mais il est juste, car il commence à savoir qui il est. Puis il eut le fils promis, « et il s’est réjoui », mais sans tapage.

Bien longtemps après, le psaume médite sur la promesse faite à Abraham, qui était isolé dans un monde hostile. Sa postérité est fina-lement devenue vaste, mais elle n’est pas faite de rentiers soucieux de leurs droits. Non, il est d’abord un exemple à suivre : « Cherchez sans trêve la face du Seigneur. » Lui parler fermement au milieu des événements qui nous dépouillent de toute prétention. En levant la tête et en faisant mémoire des anciens.

C’est justement d’eux que parle l’épître aux Hébreux : la foi de Sara la sté­rile, la foi d’Abraham parti sans savoir où il allait, la foi d’une nuée de témoins, grands et petits. Leur trait commun est le même : ils ne se sont pas bloqués face à un événement de mort ; ils ont cru qu’une porte allait s’ouvrir quelque part, et ils l’ont cherchée. Dieu a poussé Abraham très loin, en lui demandant de sacrifier son fils unique Isaac. S’il n’était qu’un héros du passé, il nous resterait étranger. En fait, il est très actuel, car chacun d’entre nous a son petit Isaac, qu’il ne faut perdre à aucun prix. Nous sommes invités à le découvrir, en sortant de la casemate, puis à le lâcher en croyant qu’il sera rendu autrement et mieux. La foi, c’est la victoire de l’Esprit contre la pesanteur du monde. Jésus demande de lâcher le cocon affectif de la famille, qui est une sorte de casemate, pour trouver des myriades de frères et de sœurs. Comme les étoiles du ciel.

Arrivons à la sainte famille avec une tranche d’évangile. Les pa-rents de Jésus commencent par faire exactement ce que prescrit la Loi, tout simplement, sans se singulariser. Mais la réalité de la foi est déjà là, avec Syméon quelque part et Anne au temple, chacun à sa manière. L’un et l’autre ont entrevu de gran­des choses en accueillant cette famille simple. Syméon connaît les prophètes et prie avec les psaumes ; il sait que ce qui vient de Dieu suscite de l’opposition, car le monde est rempli de faux-semblants, de paix apparente. Chacun croit devoir se protéger – encore des casemates, peut-être très pieuses –, et cet enfant, par sa seule présence, va jeter le trouble : personne n’aime se sentir brusquement superficiel, mais certains vont trouver une autre respiration, avec la foi !

Noël

25/12/23, Noël année B : Un signe surprenant !

Messe la veille: Is 62,1-5; Ps 88,4-17; Ac 13,16-17.22-25; Mt 1,1-25.
Messe la nuit: Is 9,1-6 ; Ps 95,1-3.11-13 ; Tt 2,11-14; Lc 2,1-14.     
Messe l’aurore: Is 62,11-12 ; Ps 96,1-6.11-12 ; Tt 3,4-7; Lc 2,15-20.
Messe de jour: Is 52,7-10 ; Ps 97,1-6 ; He 1,1-6 ; Jn 1,1-18.

Quelle disproportion entre un tel déferlement de lectures et un nouveau-né entièrement immobilisé par des langes ! Oublions un instant Jésus pour nous arrêter à la naissance d’un premier enfant. C’est à la fois très banal et très extraordinaire : il faut se préparer, et après les douleurs de l’enfantement, « la femme est dans la joie qu’un être humain soit venu au monde », et elle « médite ces choses dans son cœur ». La vie ressurgit au sein d’une sorte de chaos. Expérience unique que la femme a pour tâche de faire comprendre à l’homme. De même, dans les évangiles, ce sont des femmes qui les premières comprennent la résurrection de Jésus comme une nouvelle naissance, après la tristesse d’un deuil. Dans la Bible, il est une femme stérile qui est tellement transformée à la naissance d’un fils qu’elle le consacre à Dieu : c’est Anne, la mère de Samuel, celui qui plus tard oindra David comme roi. Aussi, ne sous-estimons pas le drame de l’avortement : c’est un refus de la vie, qui laisse des traces graves.

Aujourd’hui l’état du monde paraît accablant ; de même, au temps de Jésus, des violents voulaient s’emparer du Royaume au nom de Dieu. On voudrait trouver une solution raisonnable, entre « grandes personnes » compétentes. Et nous voyons que ça n’a jamais vraiment marché durablement, malgré les essais courageux d’hommes de bon-ne volonté : l’histoire qui advient reste toujours déroutante et avance inexorablement. Le monde paraît livré au hasard, sans gouvernement divin. Mais l’Écriture dit autre chose. Dieu préside ce monde tragi-que et révèle la profondeur de l’humain, car en réalité nous avons surtout besoin d’espérance, alors que nous croyons avoir besoin de stabilité, voire de routine. Mais en même temps, des moments de joie paisible et communicative sont nécessaires, comme des relais qui confortent l’espérance ; ce sont les fêtes.

Et voici Noël : un îlot de joie et de simplicité ; l’Époux a retrouvé l’Épouse ; la lourdeur des choses est en passe d’être levée. La nais-sance de Jésus est l’aboutissement d’une longue attente, représentée par les prophètes, ces exilés permanents, et aussi par l’Avent qui nous met en face de tout ce qui est insatisfaisant. Une étoile cé-leste se pose sur un coin de terre, loin des grandes capitales. Isaïe parle d’un messager qui annonce la paix, mais on ne voit que ses pieds, car il est d’une hauteur qui nous dépasse. Encore aujourd’hui, Jérusalem, avec son histoire hachée, a un avenir que nous peinons à imaginer.

La fête n’est pas une drogue qui ferait tout oublier : la mémoire des choses est toujours là, mais elle prend un sens, et une louange est possible dans la vérité. Car même à Noël nous savons bien le destin de Jésus : il entrera dans le tragique du monde en subissant une croix injuste. Mais Dieu entre dans un corps comme le nôtre. C’est ce que rappelle chaque eucharistie, et il y en a beaucoup à Noël !

Paul, lui, nous rappelle opportunément une vérité à voir en face : le mauvais état du monde provient du péché, qui est toujours centré sur l’égoïsme. Celui des autres, bien sûr, mais aussi le mien que j’ai-merais oublier. C’est un peu décourageant. Eh bien, cet enfant que nous fêtons ce jour en porte le poids, si nous acceptons de recon-naître que nos efforts sont vains et nos mérites infimes.

Alors, joyeux Noël ! Cherchons les visages tristes — ils ne sont pas loin — et redonnons-leur le sourire.

4e Dimanche de l'Avent

24/12/23, 4e dim. de l’Avent B : « Toi, Dieu, tu es mon Père ! »

2 S 7,1-5.8b-12.14a.16 ; Ps 88(89),2-5.27.29 ; Rm 16,25-27 ; Lc 1,26-38.

David croyait avoir tout réussi : paix avec les ennemis, un palais, quelques épouses et des enfants ; il ne manquait que la cerise sur le gâteau : un temple pour Dieu (une « maison »). Et Nathan, un prophète courtisan, s’est empressé d’abonder dans son sens. Mais Dieu veille : il envoie un songe à Nathan, qui va se reprendre et devenir un vrai prophète. Il fait dire quelques vérités à David, qui se connaît mal : il ne sait pas encore qu’il est un mauvais mari et un mauvais père. Mais le plus important concerne l’histoire qui se déroule : David se trompe s’il veut culminer et se croire indispensable, car il n’est pas l’auteur véritable de ses succès ; c’est Dieu qui l’a accompagné, et il doit y avoir une suite sans lui. En effet, il lui est annoncé une dynastie (une « maison ») ; autrement dit, la réussite ultime est différée, d’où une invitation ferme à la patience.

Le psaume se place au terme de la vie de David, quand après ses fautes il a su s’humilier et entrer dans une véritable relation avec Dieu, alors qu’auparavant il voulait le mettre à son service ; ainsi, il est reconnu comme maître des psau­mes. Il y a une alliance, ce qui suppose une réciprocité. Sa postérité « est établie pour toujours », mais il y a une condition évidente : son successeur devra aussi dire à Dieu « Tu es mon Père ». L’histoire d’Israël après lui montre que c’est une lourde charge qui fait toujours tanguer les rois : ils se croient forts comme le jeune David. En ce sens, Jésus a été reconnu comme un « fils de David » réussi, car il disait à Dieu « tu es mon Père », mais avec un changement majeur : il affirmait que son royaume n’est pas de ce monde, ce qui nous étonne encore.

Dans la conclusion de l’épître aux Romains, Paul poursuit dans ce sens et résume. Jésus-Christ a révélé un mystère jusque-là caché dans les méandres de l’Écriture. Non pas une information neuve, mais l’aboutissement de quelque chose que tout homme a dans un coin de son cœur : l’amour est une réalité magnifique, mais il s’engloutit sous un tas de choses, et l’on n’a pas la force de refaire surface. Or justement, Paul affirme que l’Évangile donne une force, une espérance. Il a compris qu’annoncer la croix du Christ, c’est rejoindre les gens là où ils sont, ici et maintenant, dans n’importe quelle culture ; tel est l’achèvement de la mission d’Israël. Mais attention, ce n’est pas une conclusion administrative, renvoyant Israël aux archives. En effet, Paul demande « l’obéissance de la foi », c’est-à-dire une écoute à la fois active et soumise : la révélation éblouissante entendue une fois peut s’affadir, car les voix du monde sont sonores, et la force peut s’affaisser face aux imprévus qui surgissent. Il s’agit donc de renouveler l’écoute, et c’est justement le rôle essentiel de la liturgie, qui rend Dieu présent. Elle culmine dans les fêtes, et justement Noël approche.

Parmi les passages d’évangile bien connus qui reviennent en boucle ces temps-ci, la lecture du jour est consacrée à l’Annonciation. Deux détails attirent l’attention : d’abord, le bouleversement de Marie, alors que l’ange lui dit des choses très simples : « Réjouis-toi, le Seigneur est avec toi ! » C’est une invitation à quiconque de se laisser troubler par un tel prélude, affirmant la proximité de Dieu ; on serait tenté de disparaître derrière un sentiment d’indignité. Ensuite, à l’annonce qu’elle va concevoir, Marie répond qu’elle ne connaît pas d’homme. C’est un peu étrange, puisqu’elle est fiancée, et il suffirait de laisser les choses suivre leur cours habituel. Il faut comprendre qu’elle n’est pas destinée à connaître d’homme, donc qu’elle est vierge consacrée, ce que dit bien le récit de la Nativité de Marie. En bref, rien n’est impossible à Dieu, qu’on se le dise !

3e Dimanche de l'Avent

17/12/23, 3e dim. de l’Avent B : « Réjouissez-vous ! »

Is 61,1-2a.10-11 ; Ps = Lc 1,46-50.53-54 ; 1 Th 5,16-24 ; Jn 1,6-8.19-28.

La parole d’Isaïe est celle que reprend Jésus à la synagogue de Nazareth. C’est aussi celle qu’il fait transmettre à Jean-Baptiste, qui s’inquiétait de savoir s’il était bien celui qu’annonçaient les prophètes: par l’Esprit, les cœurs brisés et autres captifs entrevoient une lumière. Mais il se pose une grave question : Pourquoi attendre que quelqu’un souffre pour lui offrir une espérance ? Pour­quoi ne pas lui épargner ce détour ? Le Dieu des philosophes fait abstraction de ces contingences. Celui de la Bible fait tout le contraire : il crée l’homme libre, l’avertit d’un danger… et le laisse affronter la réalité avec ses petites idées, croyant sincèrement être le centre du monde. Cela irait s’il était seul sur terre, mais ça ne va pas, car la solitude le fait dépérir. Il y a donc un égocentrisme à briser, et c’est douloureux : déceptions en famille, au travail ; déceptions de l’amour, aussi. D’où le défi : Comment reconnaître à travers tout cela un Dieu qui veut nous faire grandir, nous faire reconnaître des frères, et même un père commun ? C’est un processus long et chaotique, une germination. Mais ce n’est nullement lugubre : entrevoir un salut au milieu d’une grisaille durable donne un tressaillement de joie. Y aurait-il de la joie sans épreuves, sans le mouvement de la vie ? Non, il n’y aurait que la satisfaction monotone d’être constamment repu, avec un environnement vague ou de l’amour affadi. Ou, pour le dire autrement, Satan, ou le Tentateur, ou l’antique Serpent, est une créature au service de Dieu ; il se déchaîne lorsque l’Esprit est proche. Or justement, Jésus est passé par là !

Le psaume du jour n’est autre que le Magnificat, l’exultation de Marie. Dans les évangiles, elle est discrète, mais elle sait être présente, malgré diverses souf­frances. Elle comprend sans doute mal les détails, mais à travers les épreuves, elle a perçu l’essentiel : elle a été visitée, et au sein de sa petitesse, elle voit la réalité du monde, sentant que le mal dont tout le monde parle n’aura pas le dernier mot. Telle est son humilité, et elle enfante la présence de Dieu parmi nous, pas moins ; c’est ce qu’on va fêter à Noël. Elle est une femme, certes, mais les hommes même célibataires ne sont pas du tout dispensés d’une humi-lité analogue, avec la même fécondité !

Paul demande d’être toujours dans la joie, ce qui prouve bien que ce n’est nullement évident, car il s’agit de paix intérieure même quand tout est confus. Or, il a bien repéré que les Thessaloniciens sont un peu agités, voire brouillons, et il n’est pas homme à s’en étonner. Il sait que cette joie n’est pas le résultat d’un effort personnel, mais plutôt un effet de la prière, qui est un fruit de l’Es­prit. Ce fruit peut s’affadir, et Paul donne un critère simple et très concret pour en expérimenter la présence : non pas des envolées lyriques, mais le discerne­ment, l’at-tention à ce qui se passe, tout comme le Magnificat de Marie.

Et l’évangile met en scène Jean-Baptiste, le Précurseur. Sa grâce est de n’être pas témoin de lui-même, mais d’un autre plus grand que lui. Il refuse d’être pris pour un grand personnage ; il n’est que la voix qui crie dans le désert, annoncée par Isaïe. Le désert de son temps est comme celui d’aujourd’hui, avec les cœurs brisés et les captifs… Il ne sait pas grand-chose sur « celui qui doit venir », mais à sa manière il le fait venir, en déclarant qu’il est « au milieu de vous » et que « vous ne le connaissez pas ». C’est encore une invitation au discernement, com-me disait déjà le Deutéronome : Ne cherchez pas du merveilleux dans le lointain ou parmi les étoiles ! Ouvrez votre cœur, et vous reconnaî-trez ou sus­citerez une présence de Dieu là où vous êtes. Et ça va tressaillir !

2e Dimanche de l'Avent

10/12/23, 2e dim. de l’Avent B : Consolations et espérance…

Is 40,1-5.9-11 ; Ps 84,9-14 ; 2 P 3,8-14 ; Mc 1,1-8.

Qui a besoin d’être consolé, entouré ? En fait tout le monde, car chacun a une mémoire lourde, soit personnelle, soit par identification avec un groupe ou même une nation. Et l’on n’a pas la force d’en sortir ; il faut sauver les apparences. Isaïe arrive avec un programme qui est toujours actuel, en trois temps. Le premier est une mise au net du passé, offerte gratuitement : beaucoup de péchés se sont accu-mulés, beaucoup de souffrances, beaucoup d’injustices aussi, et voici qu’une miséricorde insoupçonnée irrigue tout cela. Il ne s’agit pas d’un projet de retraite paisible, mais d’une mission, qui commence avec le deuxième temps : avec l’énergie que donne le pardon, il convient de « préparer la venue du Seigneur ». En clair, identifier le désert cabossé où nous nous trouvons et où pataugent aussi nos voi-sins, puis écarter quelques obstacles, chacun à sa mesure. Ce n’est pas tout : le troisième temps est de proclamer cette venue, sans crain-te ; car c’est la parole qui rend Dieu présent, par l’invocation ou la communication à autrui. Ou, pour le dire autrement, si personne ne l’annonce ou ne le reconnaît, il ne se manifestera pas, et le monde aura toujours le dernier mot, avec des rapports de force, et l’ONU n’y peut rien ! Tout est donc très simple, apparemment ! En fait, non, car le premier temps est en réalité le plus difficile : l’orgueil empêche de reconnaître une miséricorde gratuite, et sous cet orgueil se cache une conscience secrète d’indignité profonde, d’où une résignation plus ou moins diffuse. Ainsi, c’est l’espérance qui rend Dieu proche.

Le psaume reprend le tout sur un mode lyrique : un salut est proche pour quiconque craint Dieu, c’est-à-dire qui le met au-dessus de leurs propres sécurités. L’obstacle à la paix est toujours le même : chacun se défend, se protège, tient autrui à distance ; la politique le montre bien, et il est très vrai que le monde est menaçant. D’où la question : Qu’avons-nous à défendre, au juste ? Ce n’est pas de la naïveté : si « amour et vérité se rencontrent », c’est qu’il y a un travail de clarification à faire, donc de vérité, mais l’amour redonne à la vérité une autre couleur, sinon la recherche de la justice reste en réalité la loi du plus fort.

Mais le temps file et tout tarde : comment résister à l’usure des jours ? Les grands moments se fanent. La venue en gloire du Fils de l’Homme se fait attendre, avec le ciel nouveau et la terre nouvelle qu’entrevoyait Isaïe… Mais voudrions-nous vraiment qu’une nou-velle république parfaite soit instaurée, et que les journaux n’aient plus rien à dire ? Ou qu’un club de sauvés échappe aux vilaines con-tingences de ce monde ? Non, imposer le Bien est une horreur, l’his­toire l’a montré, et ce retard est dû à une maturation essentielle, mais lente : le Royaume est un petit levain qui se soucie de toute la pâte, et elle est immense. Dieu n’est pas absent, mais il laisse mijoter, pour donner tout son temps à la pro­phétie d’Isaïe. Cependant, la respon-sabilité qu’il demande oblige à être prêt à l’imprévu : la mort peut surgir à tout moment, et même la fin ultime. Au temps de Noé, nous dit-on, chacun vaquait à ses occupations, et l’on voyait l’immense arche qu’il construisait comme une sottise ; et le déluge est arrivé…

L’année liturgique B est centrée sur l’évangile de Marc, qui débu-te ainsi : « Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ. » Ce début n’est autre que la prophétie d’Isaïe, et le messager n’est autre que Jean-Baptiste, qui proclame une rémission des péchés. C’est un per-sonnage bizarre, mais il reprend la marche des Israélites au désert, et il se tient au Jourdain, comme à une entrée renouvelée en Terre pro-mise. Il annonce un plus grand que lui, qui aura l’Esprit du Royaume.

1er dimanche de l'Avent

3/12/23, 1er dim. d’Avent B : On repart à zéro, mais avec un plu.

Is 63,16-19+64,2b-7 ; Ps 79(80),2-3.15-16.18-19 ; 1 Co 1,3-9 ; Mc 13,33-37.

L’année liturgique qui s’est achevée avait des échos tonitruants et une question : Où est ce Christ-Roi que nous peinons à discerner ? Si nous avons lâché prise, même brièvement, le temps de l’Avent reprend la question par un autre bout, plus familier : l’espérance va se con-centrer sur la naissance d’un petit d’homme dans un coin perdu, mais qui saura être un Fils.

L’une des grandeurs d’Isaïe est d’y voir clair, tout en restant très solidaire d’un peuple qui tangue, qui oublie qu’il a un père ; ou pour le dire autrement, qui oublie qu’il est constitué de frères. Ce père, justement, vient rencontrer celui qui pratique joyeusement la justice. « Mais nous sommes endormis, desséchés. » Isaïe ne se réfugie pas dans de bonnes actions, pour se sentir meilleur que d’au­tres. Non ! Il inter-cède, car il sait que si personne n’invoque Dieu, il sera irrémédia-blement absent, alors que l’homme, si riche qu’il soit, est ballotté à droite et à gauche. Il n’a plus aucune consistance : un rien le terrorise et l’emporte. En même temps, Isaïe sait aussi – c’était sa vocation – que le Père ne craint pas que ses fils s’égarent et souffrent, qu’ils expérimentent l’absurde et qu’ainsi ils aient une occasion de grandir. Isaïe est un peu comme Moïse au moment du veau d’or dans le désert (Ex 32) : le peuple inquiet et oublieux a fait n’importe quoi, Dieu est prêt à se décourager, mais Moïse tient bon ; il demande à Dieu – et par ricochet au peuple – de se rappeler l’histoire qui s’est faite jusqu’à ce jour ! Car c’est la mémoire qui remet les pieds sur terre, les fêtes sont là pour le rappeler.

Le psaume reprend l’intercession par amour pour le peuple ; d’abord pour Israël, le peuple élu qui a une mission de médiation depuis le Sinaï ; puis pour tout fils d’Adam, qui est invité à chercher d’où vient sa force – ou sa faiblesse. « Jamais plus nous n’irons loin de toi. » C’est très optimiste, sans doute, ou peut-être un peu naïf, mais il faut oser le dire, en reprenant aujourd’hui cette parole qui vient de très loin. Et c’est pour une raison majeure : tous ceux que nous avons envie de juger sont appelés à devenir un « nous », formé des fils du même Père, même s’ils n’en savent rien. Chacun, à sa petite échelle, peut y contribuer.

Paul a des reproches à faire aux Corinthiens, et il ne va pas s’en pri-ver. Pourtant, il commence par rappeler l’essentiel : les grâces qu’ils ont reçues vont bien au-delà de ce qu’ils en ont compris. Au-delà aussi de la capacité de Paul à convaincre ; il ne se voit jamais comme un publiciste qui a un produit à vendre, ou comme un avocat dont l’art est de défendre une cause par la persuasion. Il a une conscience aiguë que c’est l’Esprit saint qui parle par sa bouche, avec des effets qui le dépassent et qui forcent son admiration. C’est ce qui lui donne la force de défendre sa mission, avec parfois des tournures qui ont l’air prétentieuses.

Mais les grands moments ne durent qu’un temps, et il y a toujours la petite voix adverse qui les déclare illusoires, comme déjà au temps de Moïse : après la traversée miraculeuse de la mer Rouge, les fils d’Israël ont tout oublié en trois jours et commencé à râler. Alors Jésus prend une parabole très simple : Dieu est comme un maître qui se retire en confiant à chacun une tâche, avec un espace de liberté. Il fait confiance… Pas tout-à-fait, cependant, car il place un veilleur, comme autrefois le prophète Ézéchiel, qui était chargé de veiller sur les exilés ; non pas pour les espionner, mais pour que sa seule présence soit une sorte de poil à gratter qui asticote les routines. Tel est le veilleur-portier qu’installe le maître : il sait voir et prier. Jésus élargit la tâche, et nous demande d’être tous des veilleurs, fragiles mais décidés, par amour pour les autres.