SAGESSE
Comme pour toutes les civilisations du Proche-Orient ancien, la sagesse d’Israël résulte largement de l’expérience (cf. Jb 42,1-6). Elle s’attache à la vie et à la destinée de l’individu dans son entourage immédiat, et reste à une certaine distance des préoccupations religieuses liées à la Loi et à l’ensemble du peuple, ce qui a toujours constitué une tension, car le sage est distinct du prêtre et du prophète (Jr 18,18). Le visionnaire Daniel, fidèle à la Loi, constitue une exception, car il est à la fois un sage (Dn 1,17-21) et un prophète (Dn 10,9-14). Les prophètes annonçaient que Dieu détruirait la sagesse des sages (Is 29,14). Paul, qui annonce la folie d’un Christ crucifié, dénonce de même la sagesse du monde, qui n’a pas reconnu le Créateur (1 Co 1,21), qui a crucifié le Seigneur de la gloire » (1 Co 2,8), et qui a sombré dans des conduites contre nature (Rm 1,24-27 ; cf. Gn 19,4-5).
Pour la Bible, la sagesse est un don de Dieu, qui accorde le discernement (Sg 8,21). Joseph, fils de Jacob, qui savait interpréter les songes, devint l’administrateur avisé de toute l’Égypte, ayant reçu de Dieu la sagesse (Gn 41,39). Salomon, le plus grand des sages, dépassant les fils de l’Orient et d’Égypte (1 R 5,9-15), demanda la sagesse dans la prière, la reçut de Dieu et l’appliqua dans son gouvernement (1 R 3,6-28 ; Sg 7,7-14). Si quelqu’un a la simplicité de reconnaître son manque de sagesse, dit Jacques, il doit la demander à Dieu et il sera exaucé (Jc 1,5).
Plusieurs livres bibliques sont attribués à Salomon : les Proverbes, le Cantique, Qohélèt (ou Ecclésiaste), Sagesse.On les range sous le titre de « Littérature sapientielle », en y ajoutant le Siracide (ou Ecclésiastique), dont l’auteur est nommé, Jésus ben Sira.
La tension entre le sage et le prophète vient de ce qu’il y a deux aspects de la sagesse biblique. Selon le premier, rattaché à la Création, le sage discerne dans la nature la main de Dieu (Jb 36,22-36,18 ; Ps 92,2-7 ; Si 42,15-43,33). Il s’applique à la tâche qui lui est confiée (Is 40,20 ; Jr 9,16 ; cf. Si 38,32-34a). Il perçoit la grandeur de l’homme (Si 16,24-17,14), mais il connaît aussi sa misère (Si 40,1-11), sa solitude (Jb 6,11-30 ; Qo 1,4-8), son angoisse (Qo 3 ; Si 41,1-4). Il n’est pas naïf sur les défauts du monde (Pr 13,7 ; Qo 7,2-6Si 13,21-23). Il s’interroge sur la justice de Dieu, sur la rétribution du juste (Jb 9,22-24 ; Qo 7,15). En tout cas, le sage se soucie de bien vivre (Si 14,11-14), mais c’est un art difficile (Si 6,18-37), et il se préoccupe d’enseigner ce qu’il a acquis (Si 51,13-30 ; prologue du traducteur, 4-14) : il invite à la justice (Pr 11,1 ; 15,17), à l’amour des pauvres et à l’aumône (Tb 4,7-11 ; Pr 14,31 ; Si 7,32-34). Chez un vieillard, le plus bel ornement des cheveux blancs est la sagesse (Si 25,5), mais elle peut vaciller (Dn 13,5-10.28).
Cependant, le deuxième aspect de la sagesse est son lien avec l’Alliance. Les prophètes s’élèvent contre ceux qui se jugent sages (Is 5,21), car devenus orgueilleux ils changent en mensonge la Loi de Dieu (Jr 8,8-9 ; cf. Si 19,24). Car c’est l’Alliance et la Loi qui font d’Israël le seul peuple sage (Dt 4,6). Même Qohélèt, le perpétuel insatisfait, enseigne à son fils que la Loi, « c’est tout l’homme » (Qo 12,13). Le roi court le danger de l’arbitraire, de ne plus obéir à la Loi (cf. Dt 16,14-20 ; 1 S 8,6.10-19) ; Salomon lui-même a fini par tomber dans l’idolâtrie (1 R 11 ; Ne 13,26), ce qui est peu différent du péché d’Adam. La vrai sagesse suppose donc la crainte de Dieu et l’humilité (Pr 9,10 ; Si 1,14-18). Son fruit est la douceur et la pitié (Jc 3,17). L’opposé de la sagesse est la folie, mais l’impiété, dont les conséquences morales sont immédiates (cf. Jc 3,15). Paul résume le paradoxe du vrai sage (Rm 7,18) : « Vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir » (cf. Lv 16,20-22 ; Ps 130,8 ; Ac 15,10). Seul le sage accepte d’être corrigé (Pr 9,7-8).
La sagesse de Dieu est personnifiée comme une bien-aimée (Pr 14,1 ; Si 14,22-24) ; elle a « dressé sa table » pour inviter l’insensé, le pécheur (Pr 9,1-5) ; elle est désirable et toujours à rechercher (Si 24,18-19). Elle existe depuis toujours (Pr 8,22-26) ; elle partage le trône de Dieu (Si 24,4 ; Sg 9,4) ; elle est issue de la bouche de Dieu (Si 24,3). Elle était présente lors de la Création (Pr 8,27-31) et continue de régir l’univers (Sg 8,1). Un targoum (traduction araméenne de l’AT) rend le début de la Genèse : « Par la sagesse, Dieu créa le ciel et la terre » (cf. Jn 1,1). Finalement, elle se confond avec l’Alliance de Moïse (Si 24,23-24).
Jésus est la sagesse de Dieu (1 Co 1,24.30 ; Ap 5,12 ; cf. Lc 2,40.52), premier-né avant toute créature (Col 1,15-17), image de la nature de Dieu (He 1,3). Il annonce que « la sagesse est justifiée par ses enfants » (Lc 7,35) ou par ses œuvres (Mt 11,19). La sagesse de l’Évangile est accordée aux petits et aux humbles, et non aux sages et aux habiles, qui s’enorgueillissent. En effet, elle est une révélation du Père (Mt 11,25-27). Elle ne peut être communiquée que par l’Esprit de Dieu (1 Co 12,8 ; Ep 1,17), car elle est d’une profondeur insondable (Rm 11,33-35). Elle révèle les choses cachées depuis les origines du monde (Rm 16,25-26). Cette sagesse du Christ est une vie divine, qui donne la force de ne pas rougir de l’Évangile (Mc 8,38 ; cf. Rm 1,16), et de réduire au silence les adversaires (Lc 21,12-15). C’est cette sagesse qui animait Étienne ; ses adversaires, n’ayant pas de réponse, le lapidèrent, mais il voyait le ciel ouvert (Ac 6,10 ; 7,57-58).
La parabole des vierges sages et des vierges folles rappelle que l’humilité du croyant est de savoir qu’il aura des faiblesses (Mt 25,1-13 ; cf. Lc 22,31-34).