PHARISIENS, etc.
Au temps de Jésus, il y avait plusieurs tendances dans le judaïsme. L’AT n’en parle pas directement et le NT les suppose connues. On en sait davantage en consultant le philosophe Philon d’Alexandrie (d’env. 25 av. J.-C. à 50 ap.), et surtout Flavius Josèphe (37-96), l’unique historien de Judée dont l’œuvre soit conservée. Celui-ci mentionne trois écoles : les pharisiens, les sadducéens et les esséniens .
Les pharisiens (« séparés » en araméen) étaient l’école la plus ancienne, et la référence de tout le peuple, mais leurs maîtres étaient des défenseurs assidus de l’observance. Ils s’efforçaient de faire des « prosélytes », c’est-à-dire en fait de ramener les tièdes (Mt 23,15). Très attachés aux généalogies (cf. Esd 2,59-63), ils n’admettaient pas la conversion proprement dite de païens. Leur modèle est Néhémie, un laïc babylonien, venu imposer des coutumes distinctes de la Loi écrite (cf. Ne 13,1-3), et très soucieux de « séparation ». Le terme caractérise la Création, qui est une organisation du monde à partir du chaos primordial : « et Dieu sépara la lumière des ténèbres » (Gn 1,4 etc.). Le verset « Soyez saints car moi, Yhwh votre Dieu, je suis saint » (Lv 19,2) est compris « Soyez séparés car je suis séparé », ce qui est l’un des fondements de l’élection (cf. 1 M 1,11).
On retrouve la trace de ces pharisiens lors de la crise maccabéenne : ce sont les assidéens, terme signifiant « pieux, fidèles » (1 M 2,39-43 ; 7,12-14 ; cf. Ps 79,1-5). Parmi les traditions auxquelles ils sont attachés figure la croyance en la résurrection des morts (2 M 7,9 ; 12,44-45 ; Ac 23,6 ; cf. Dn 12,2-3).
Les pharisiens ont donc des attaches babyloniennes nettes. Depuis l’époque maccabéenne, on discerne des vagues de rapatriés d’Exil en Galilée rurale. À partir de l’arrivée des Romains en 63 av. J.-C., se développe un parti indépendantiste issu des pharisiens, très religieux, politiquement très actif et cherchant à instaurer par la force un royaume de Dieu sur terre (cf. Lc 16,16). Ce sont les zélotes, qualifiés de « brigands » car ils s’emparaient au nom de Dieu des dîmes et autres prestations lévitiques qui auraient dû être acheminées vers le Temple. Hérode tenta de les neutraliser en installant à l’est du Lac une colonie de Babyloniens adonnés à la sanctification ; c’est d’ailleurs l’origine lointaine de la tradition rabbinique. Le plus célèbre des zélotes fut Judas le Galiléen (cf. Ac 5,35-37), après la mort d’Hérode, et par la suite, le terme « Galiléen » garda un relent zélote, qui suscita une méfiance durable (Mt 26,69 ; Lc 13,1-2 ; Jn 7,52 ; Ac 2,7). Tout cela forme le milieu où vécut Jésus, qui en Galilée n’entrait pas dans les capitales romanisées de Séphoris et Tibériade et n’avait guère d’estime pour Hérode Antipas (Lc 13,31-33), qui gouvernait la Galilée au nom de Rome.
Les sadducéens, moins bien connus, sont des réformateurs qui s’opposent aux pharisiens depuis au moins le roi Alexandre Jannée (103-76 av. J.-C.). Ils refusent tout ce qui ne se rattache pas à l’Écriture, en particulier la Providence et la résurrection des morts (cf. Ac 23,6-10) ; pour eux, l’homme est l’auteur de sa destinée. Lors de sa discussion avec des sadducéens sur la résurrection, Jésus prend soin de donner un argument tiré de la loi de Moïse, en rapprochant « Dieu des vivants » et « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » (Lc 20,37-38) ; donc ils vivent. Dans la première partie des Actes, Pilate n’est plus visible, et les adversaires des apôtres sont les sadducéens, alliés au grand prêtre (Ac 4,1 ; 5,17). Cependant, le seul grand prêtre sadducéen connu fut Anân, qui en 62 fit exécuter Jacques, le « frère du Seigneur » (cf. Ga 1,19).
Les esséniens, dont le nom signifie « guérisseurs, thérapeutes » – ou moins probablement « fidèles, pieux » – étaient des communautés rurales, dont les membres s’adonnaient à l’étude et à la prière.Ils mettaient tout en commun (cf. Ac 2,42-45), et pratiquaient la virginité (cf. Mt 19,10-12). Connaissant la nature et même l’invisible, ils pratiquaient des guérisons et savaient prophétiser. Les fouilles de Qumrân, près de la mer Morte, ont apporté une grosse documentation sur eux, mais le lieu, désertique, est atypique, puisqu’on ne peut rien y cultiver. Ils se méfiaient des autorités de Jérusalem, restaient à distance du Temple, et avaient la certitude que la fin était proche, avec une victoire divine des « fils de lumière » (cf. Lc 16,18 ; Jn 12,36 ; 1 Th 5,5) contre les forces du mal, juives et païennes. Pour eux, l’entrée dans l’Alliance n’était pas la circoncision, mais un parcours individuel de conversion aboutissant à un baptême lors de la Pentecôte, la grande fête de l’Alliance et du don de la Loi. La proclamation de Jean le Baptiste, invitant à la conversion et au baptême parce que la fin est proche, est manifestement de même allure (Mt 3,3) ; il se fonde d’ailleurs sur le même verset invitant à préparer les chemins du Seigneur (Is 40,3).
Philon connaît les esséniens de Judée et leurs cousins les « thérapeutes » en Égypte, mais il ignore tout des pharisiens et des sadducéens. En philosophe de culture grecque, il s’attache à l’Écriture et à son sens allégorique, mais sans perdre de vue les préceptes. Dans une perspective cosmopolite, il juge que la loi de Moïse, étant d’origine divine, a un rôle majeur à jouer dans le monde, Jérusalem restant la métropole. Il ne cherche pas à convertir quiconque, mais sa pensée attire autour des synagogues des nuées de « craignant-Dieu » non circoncis. C’est ainsi qu’on voit Paul s’adresser à des assemblées dédoublées en « hommes d’Israël » et craignant-Dieu (Ac 13,16), séparés par ce qu’il appelle une « barrière de la haine », qui justement est abolie dans la nouvelle Création inaugurée par la résurrection de Jésus-Christ (1 Co 7,18-19 ; Ep 2,14-18).
Dans les évangiles, Jésus admire le zèle des pharisiens (Mt 23,15) ; certains l’invitent (Lc 7,36 ; 14,1) ou prennent sa défense (Lc 13,31 ; Jn 7,50) ; beaucoup l’ont suivi (Ac 15,5), le plus célèbre étant Paul (Ac 26,5 ; Ph 3,5). Pourtant, il est surtout en débat avec eux, car il est exigeant et il leur reproche d’être aveugles (Jn 8,13 ; 9,40-41), de rester superficiels par manque de discernement (Mt 23,23-24 ; cf. Jn 7,24), ou de se prévaloir de leur justice en ignorant la miséricorde de Dieu (Lc 18,9-14). Pierre et Paul affirment que personne n’accomplit vraiment la Loi (Ac 15,10 ; Rm 2,17,24 ; cf. Jn 5,45), d’où les invectives contre l’hypocrisie (Mt 23,27). L’hypocrite est celui qui joue un rôle pour être reconnu des hommes, et qui ignore l’intimité avec Dieu (Mt 6,1-6) ; l’hypocrite peut être retors, mais le plus souvent il est simplement aveugle. Jésus ne s’oppose jamais à la Loi comme telle ni aux traditions ancestrales (cf. Mt 5,17 ; Mt 23,23-24), mais il insiste sur la jonction entre l’amour de Dieu (Jn 5,39), exprimé surtout par l’observance, et l’amour du prochain (Mt 22,37-39 ; 1 Jn 2,10 ; 4,16). Les scribes connaissent ce double commandement (Lc 10,26), que d’ailleurs les prophètes ont constamment rappelé (Is 29,13,14 ; Am 5,21-27).
Le pharisaïsme, terme issu des défauts des pharisiens pris en bloc, représente la réalité éternelle de ceux qui sont aveugles sur eux-mêmes, qui jouent un rôle pour être reconnus, qui se rassurent par des rites, qui jugent autrui, et finalement qui n’ont guère l’expérience de Dieu vivant.