IVRESSE
Le vin* « réjouit le cœur de l’homme » (Ps 104,15 ; cf. 2 M 15,39) ; le vin nouveau « épanouit les vierges » (Za 9,17). La sagesse* offre à l’insensé du pain* et du vin, pour l’arracher à la sottise (Pr 9,5-6). Le salut messianique est représenté par un banquet avec « des vins capiteux » (Is 55,1), ce que confirme Jésus aux noces de Cana (Jn 2,10). Pourtant, cette expérience de bonheur partagé est instable, car le vin et les boissons fortes peuvent conduire à l’ivresse, dégradation qui coupe toute relation à la réalité (cf. 1 S 1,13). Un symbole de cette ambiguïté est l’ivraie (en latin zizania), dont les grains ne se mêlent au blé sans qu’on puisse les séparer ; il en résulte un pain corrompu, qui rend ivre (cf. Mt 13,25-30).
Lemuel, un sage oriental, recommande aux princes de s’abstenir de boisson, pour ne pas dévoyer le droit, mais d’en donner aux mourants et aux affligés, pour qu’ils oublient leurs souffrances (Pr 31,4-7). Le nazir* fait vœu de s’abstenir de boisson fermentée (Nb 6,2-3) et de même Jean-Baptiste (Lc 1,15 ; cf. 7,33). Peu avant la chute de Jérusalem, le groupe nomade des Rékabites refusait, par fidélité à leur tradition, le vin offert par Jérémie (Jr 35,5-7).
L’ivresse est une déchéance qui livre l’homme à ses passions ; le symbole en est l’idolâtrie (Am 2,8 ; Os 4,11), qui est comparée à une prostitution (Ap 17,2 ; cf. Jr 51,7). Jérémie, solidaire du péché et de la condamnation de son peuple, se voit comme ivre (Jr 23,17), comme ayant bu la coupe* de la colère* de Dieu (Ps 11,6 ; Jr 25,27-28 ; Ap 14,10) ; il semble alors que la terre chancelle (Is 24,19-20).
L’homme ivre est incohérent, son esprit est engourdi (Is 19,14 ; Jr 13,13 ; Jl 1,5) ; il devient autiste à l’égard d’autrui et ne comprend rien au dessein* de Dieu, comme Anne, soupçonnée de parler dans le vide (1 S 1,12-18). Oubliant qu’il est mortel, il n’est plus vigilant (Mt 24,45-51 ; Rm 13,13 ; 1 P 5,8). L’ivresse ferme l’accès au Royaume* (1 Co 5,11 ; Ga 5,21).
À sa manière, l’ivresse est pour certains une manière de pénétrer dans la sphère du sacré, mais comme une réalité séparée, hors de toute entrave d’ici-bas. Au temps de Samuel, des groupes de prophètes se mettaient en transes avec des instruments de musique (1 S 10,5), et le roi Saül s’y joignit, saisi par l’Esprit* de Dieu (1 S 19,23-24), mais sans parvenir à vaincre sa jalousie et sa violence (cf. 1 S 20,30-34) : contrairement au prophète Samuel, ses « inspirations » et ses paroles ne concordent pas. L’ivresse ressemble beaucoup à l’état exceptionnel provoqué par l’effusion de l’Esprit : Paul reproche aux Corinthiens de mêler les agapes, ou fêtes eucharistiques, à l’ivresse (1 Co 11,21 ; cf. Ep 5,18). En sens inverse, lors de l’expérience de communion* exceptionnelle de la Pentecôte*, certains jugent que les gens sont ivres (Ac 2,13-15), mais c’est l’assurance des apôtres à travers les persécutions qui montre qu’ils sont dans la réalité (Ac 4,29-31), et même dans une joie qui est celle de l’amour (cf. Ct 5,1).