GUÉRISON & MALADIE
La maladie est un état de faiblesse et de débilité (Ps 38,11), analogue à une blessure. Une tradition, reprise par les esséniens veut que Salomon, dans sa sagesse, ait connu les secrets des plantes médicinales et des forces cachées de la nature, c’est-à-dire ce qui se traite par les exorcismes et la magie. La Bible ne donne guère de détails médicaux, et se borne à noter les conséquences d’accidents (2 S 4,4) ou les effets de la vieillesse (Qo 12,1-6 ; cf. Gn 27,1 ; Dt 34,7 ; 1 R 1,1-4) ; elle mentionne des médications (2 R 20,7 ; Tb 11,8-12 ; Sg 7,20), mais s’élève contre la magie (2 R 1,1-4), qui contamine parfois la médecine (2 Ch 16,12 ; cf. Mc 5,26). On trouve même un éloge du médecin, qui par sa sagesse prolonge la maîtrise de la Création (Si 38,1-13). Cependant, l’essentiel est ailleurs : si Dieu est présent en toute chose, comment le malade peut-il donner un sens à son état ?
En effet, depuis Adam, l’homme est mortel et Dieu frappe, soit directement (Jb 16,12-14 ; Ps 39,11-12), soit par des êtres plus grands que l’homme : l’ange exterminateur (Ex 12,23 ; 2 S 24,15-17) ; 2 R 19,35), les fléaux personnifiés (Jb 2,7 ; Ps 91,5-6) et toutes sortes de démons.
Le lien s’établit spontanément entre maladie et péché. Dieu a créé l’homme pour le bonheur, mais les divers maux humains sont entrés par le péché (Gn 3,16-19) ; ce sont des signes de la colère de Dieu envers le monde pécheur (Ex 9,1-12), ou des malédictions promises à Israël en cas d’infidélité (Dt 28,21-35). Dans les Psaumes, la demande de guérison est accompagnée d’un aveu des fautes (Ps 38,2-6 ; 39,9-12 ; 107,17), mais lorsque la maladie frappe le juste, comme Job ou Tobit, son sens d’épreuve providentielle est moins évident (Jb 42,5-6 ; Tb 12,13). Elle peut être vue aussi comme une expiation pour autrui (Is 53,4-5).
Dieu, maître de la vie est le médecin par excellence (Ex 15,26) ; l’ange qui vient guérir Sarra s’appelle Raphaël « Dieu guérit » (Tb 3,17). Aussi les malades s’adressent-ils aux prêtres (Lv 13,49-51 ; Mt 8,4) et aux prophètes (1 R 14,1-13 ; 2 R 8,7-9) ; ils implorent la guérison comme une grâce (Ps 6 ; 38 ; 41 ; 102 ; Is 38,1-6), et celle-ci arrive parfois comme un miracle (1 R 17,17-24 ; 2 R 4,18-37), qui a valeur de signe. En tout cas, la maladie reste un mal dont les prophètes annoncent l’extinction dans le monde futur (Is 25,8 ; 35,5-6 ; 65,19), lorsque le péché aura entièrement disparu.
Jésus voit dans la maladie un signe de la puissance de Satan (Lc 13,16) ; il en éprouve de la pitié (Mt 20,34) et « il chasse les esprits d’un mot et guérit tous les malades » (Mt 8,16), ce qui exprime sa victoire sur Satan (Lc 10,18) et l’instauration du règne de Dieu conformément aux Écritures (Mt 11,5). Pourtant, malgré les guérisons, il voit que les foules sont comme des troupeaux sans pasteurs (Mt 9,36), car le miracle d’un jour ne peut faire toute une vie. En effet, toutes les maladies décrites ont un sens double, physique et moral : aveuglement, surdité, vie réduite, etc. Dans l’Église, on prie pour les malades, on fait une onction d’huile en l’associant à l’aveu des fautes les uns aux autres (Jc 5,13-16) : dans la tradition des Psaumes, la prière du juste et la conversion ont beaucoup de puissance.
La foi est donc nécessaire pour que la guérison soit un salut (Mc 1,40 ; 5,36 ; 10,52). Un cas exemplaire est la guérison par Jésus du paralytique de Capharnaüm : il commence par louer la foi de ceux qui l’ont amené, alors qu’il ne demandait rien, puis il lui remet ses péchés (Mc 2,1-12), dont la paralysie est un signe. Ailleurs, Jésus demande à un infirme s’il veut guérir, plutôt que de gémir sur un grabat (Jn 5,6) ; déjà Moïse avait invité à la liberté les fils d’Israël esclaves en Égypte (Ex 6,8-9). En outre, il rompt tout lien mécanique entre péché et infirmité : les faits scandaleux ou troublants sont l’occasion de manifester la gloire de Dieu (Jn 9,2-5 ; cf. Ex 3,20). Tous ces signes culminent dans la Passion de Jésus, le Juste qui prend sur lui l’injustice et les infirmités (Mt 8,17 ; Ac 3,14-15).
Parmi les maladies, il faut signaler une affection cutanée très contagieuse, la plaie par excellence, qu’on appelle traditionnellement « lèpre » d’après la Bible. Le lépreux est exclu de la communauté jusqu’à sa purification (Lv 13-14 ; Nb 12,10-15 ; 2 Ch 26,19-23). Le Serviteur de Yhwh est frappé, et l’on s’en détourne comme d’un lépreux (Is 53,3-12 ; cf. Ps 73,14). Jésus purifie les lépreux et les réintègre dans la communauté (Mt 8,17). Pour Justin Martyr, le baptême est la purification d’une lèpre, et le pain eucharistique représente l’action de grâce pour la guérison, à l’image de la fleur de farine qu’offrait le lépreux guéri le huitième jour (cf. Lv 14,10), ce qui correspond bien au Jour du Seigneur.
Jésus a envoyé ses disciples prolonger sa propre mission (Mt 10,8), et leur annonce qu’ils auront toujours après lui le pouvoir de guérir pour accréditer leur annonce de l’Évangile (Mc 16,17-18 ; cf. Mt 9,8) ; c’est bien ce qu’on voit ensuite (Ac 3,1-3 ; 8,7 ; 9,18-19 ; 32-34 ; 1 Co 12,9.28-30). Cependant, Paul dans ses lettres n’insiste pas sur les guérisons, car le sens de la maladie et des souffrances a changé pour ceux qui « portent partout et toujours la mort en acte de Jésus » (2 Co 4,8-10 ; Col 1,24). Elles prennent une dimension de rédemption (2 Co 12,7-10 ; Ga 4,13). Le malade n’est plus un maudit (cf. Ps 38,12 ; 41,6-10) : il est un signe de Jésus-Christ (Mt 25,36). Ignace d’Antioche recommande : « Portez les maladies de tous. »