ESPÉRANCE
Avec la foi et la charité, l’espérance est l’une des trois vertus théologales (1 Co 13,13). Saint Thomas d’Aquin l’appelle « attente certaine de la béatitude à venir » (cf. 2 Tm 1,12). Le nom même de YHVH contient l’espérance d’un avenir (Ex 3,14), et ce mouvement est exprimé par la doxologie « Gloire au Père au Fils et au Saint Esprit, au Dieu qui est, qui était et qui vient pour les siècles des siècles » (Ap 1,4). L’espérance est donc intimement liée à l’histoire, car malgré le rythme permanent du soleil et de la lune, le temps biblique n’est pas purement cyclique, comme le veut la conception païenne. L’expérience biblique enseigne que le temps est orientée vers l’émergence du Royaume des Cieux (Dn 2,44).
Après la Création organisant par la parole un chaos primordial, le paradis initial aurait pu être durable, mais depuis Adam jusqu’à la tour de Babel, les prétentions de l’homme à être Dieu ont abouti à un monde de nouveau chaotique. Dans ce cadre, la promesse faite à Abraham (Gn 12,1-4) est l’annonce d’un retour au paradis, dont la figure première est la Terre promise ; ce sera la longue histoire du salut, objet d’espérance, puisque souvent contredite par les faits (He 7,18-19). La foi d’Abraham est d’y avoir cru (Gn 15,6) : l’espérance, qui a un contenu énonçable, dépend de la foi, et non de probabilités raisonnables, car « rien n’est impossible à Dieu » (Gn 18,14 ; Jr 32,27). Ainsi, « espérant contre toute espérance », Abraham engendra Isaac dans sa vieillesse (Rm 4,18-22), puis accepta de le sacrifier (Gn 22,1-17). Au contraire, Zacharie, recevant l’annonce de la naissance de Jean le Baptiste, douta que ses prières soient réellement exaucées (Lc 1,13.18).
Alors que les Israélites sont asservis en Égypte, c’est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob qui annonce à Moïse une terre « ou coulent le lait et le miel » (Ex 3,8). Cette espérance, qui est le propre des vivants (Is 38,18-19), est adossée à la mémoire de bienfaits antérieurs, comme souvent dans les prières de demande (cf. Ne 9,6-37 ; Ps 42,6-7 ; Si 36,1-17 ; Is 25,9).
La réalisation de la promesse, qui est l’obtention des biens espérés, est toujours un don de Dieu (Dt 26,1-11) à travers la fidélité aux préceptes divins, et non une performance humaine (Dt 28,9-14), mais Israël l’oublie régulièrement (Ez 16,15-17 ; Os 2,10), et Dieu menace parfois de renoncer (Ex 32,7-10). Car la tentation de l’idolâtrie, ou de l’alignement sur les nations pour obtenir la paix ou la sécurité, est permanente (1 M 1,11). Lorsque les fils d’Israël murmuraient dans le désert, doutant de Dieu, ils rêvaient non plus de Terre promise, objet d’espérance, mais d’un retour en Égypte (Ex 14,10-12 ; 16,3 ; Nb 11,4-6), souvenir embelli d’un esclavage protecteur et gastronomique.
Plus tard, les prophètes dénoncent de même l’illusion des fils d’Israël qui par orgueil croient pouvoir négliger l’Alliance (Jr 6,1-8 ; 13,1-11). Cela conduit à la colère de Dieu (Am 5,20 ; So 1,15-16). Concrètement, cette illusion laisse les fils d’Israël sans force face aux ennemis, qui sont toujours là (Jos 7,1-26 ; Jg 2,11-15 ; Jdt 5,19-24 ; Is 26,8-10 ; Os 12,7). Les crises sont sévères, et les fils d’Israël méconnaissent le sens de leurs tribulations (Ez 37,11 ; cf. Lm 3,18). De fait, l’espérance de tout un peuple peut être enfouie (Ps 39,8-9 ; Is 8,16-17). Cependant, il est toujours annoncé qu’un reste fidèle connaîtra le salut (Is 10,20-21 ; Am 9,8-9), en particulier ceux qui sont marqués au front d’une croix, signe de conversion (Ez 9,4-6).
Il se fait donc des sélections dans le peuple. Les souffrances du juste (Lm 1,12 ; 3,1-4) ne sont pas une punition, mais une épreuve capable de l’initier au mystère de Dieu (Jb 42,5 ; Si 2,1-5 ; cf. Dt 8,1-3). La question de la destinée individuelle en Dieu se scinde selon deux directions ; d’une part, la souffrance du juste prend une valeur d’expiation pour autrui, par solidarité avec le peuple (Is 53,1-11) ; d’autre part, le martyre subi dans la fidélité à Dieu ouvre à la notion de résurrection (2 M 7,14 ; Ap 12,10-12), qui est une sorte d’immortalité auprès de Dieu (Sg 5,2-16 ; cf. Ps 73,23-28). La Passion du Christ inclut ces deux dimensions (Rm 5,17 ; Ac 3,14-15).
L’espérance des prophètes est multiple : selon une perspective royale sur terre, elle est messianique, avec le règne d’un descendant de David (Is 11,1-9), consolidé par une victoire sur les nations (Ps 2,1-9) ; on peut y joindre l’annonce d’un nouveau prophète semblable à Moïse (Dt 18,18-22). Dans une perspective plus idéaliste, sans roi, Israël sera rassasié de bénédictions (Jr 31,1-26) ; une nouvelle Alliance sera conclue, telle que tous auront la connaissance de Yhwh (Jr 31,31-34 ; Ha 2,4), car la contemplation de Dieu lui-même est l’espérance d’Israël (Ps 63,2-9 ; 84,2-3). Les nations se convertiront (Is 2,3 ; Jr 3,17 ; Za 8,20-23) et prendront part à l’adoration de Dieu (Is 60,19-20 ; 63,19). Il y aura toujours des tribulations (Is 13,8 ; Jr 6,24 ; Mi 4,9-10), mais tout sera centré sur le Dieu d’Israël et sur Jérusalem (Za 14,16-19), qui pourra devenir une Jérusalem céleste (Ap 21,1-4). Un jugement ultime par un « fils d’homme » sera aussi manifesté (Dn 7,10-14). En témoigne la dernière ligne du Symbole : « J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir ».
À la suite de Jean le Baptiste, Jésus proclame la venue en ce monde du Royaume de Dieu (Mt 3,1 ; 4,17), réalité petite comme une graine et qui va donner un arbre (Mt 13,31-32). Il précise que ce n’est pas un spectacle (Mt 12,40), car ce Royaume est « à l’intérieur de vous » (Lc 17,21 ; cf. Jn 1,26), ce qui suppose la foi. Jésus transcende le messianisme davidique en refusant le pouvoir (Jn 6,14-15). En fait, depuis la Pentecôte, le Royaume est une nouvelle Création en expansion qui repart de Jérusalem, point ultime de l’AT, et « gémit dans les douleurs de l’enfantement » (Rm 8,18-23). C’est l’Église « épouse de l’Agneau » (Ap 21,2), qui est à la fois sur terre et dans la vie éternelle ; c’est ce que représente le baptême comme franchissement de la mort (Rm 6,3-6 ; 1 Co 1,13 ; Col 2,12).
Le récit de l’Ascension exprime l’espérance d’un retour prochain du Messie, ou du Fils de l’Homme (Ac 1,4-7 ; cf. Ap 22,20), puis la Pentecôte, avec la venue de l’Esprit, montre à la fois une anticipation sur terre du Royaume, par communion dans la louange, et aussi la nécessité d’une mission immédiate (Ac 2,37-41), pour manifester son extension aux dimensions du monde (Mt 28,18-20). La gloire attendue est si grande (2 Co 4,17-18) qu’elle rejaillit sur le présent (1 P 1,8-9), et invite à un détachement du monde, en vue de suivre le Christ et de participer à la nature divine (Lc 14,26-27.33 ; 1 Th 5,8 ; 1 P 4,7 ; 2 P 1,4 ; cf. He 6,17-18) ; la vie éternelle est apparue sur terre (Jn 3,14-19 ; 6,54 ; 1 Jn 3,14). Pour Paul, ne pas croire à la résurrection revient à être « sans espérance », car ainsi Jésus n’aurait pas racheté l’humanité, l’annonce de l’Évangile serait vaine (Ac 23,6 ; 1 Co 15,19 ; 1 Th 4,13) et il n’y aurait plus d’accomplissement des Écritures (2 Co 4,18 ; cf. Mt 5,17,18). Pour lui, le baptisé est déjà ressuscité (Rm 6,1-7) : il a les prémices du monde à venir (Rm 15,13). Pour lui personnellement, la mort n’est plus une menace (2 Co 4,8-14 ; cf. He 2,14-15), mais l’espérance d’être uni pleinement au Christ (2 Co 5,4-5 ; Ph 3,8-14).