CRAINTE (DE DIEU)
L’homme se sait mortel, connaît la peur de la mort, s’interroge sur les forces qui le dépassent, et tente d’échapper à cette angoisse en rendant ces forces favorables, soit par la magie, soit par divers cultes. Il en est ainsi dans la Bible, mais à la différence des idoles, qui sont muettes ou sibyllines (cf. 1 R 18,26-27), Dieu est celui qui parle dans un langage humain (Dt 30,11-14), lequel peut se transmettre malgré sa singularité (Is 55,5-9). Au paradis, la « crainte de Dieu » était une intimité ; après le péché, elle est devenue de la peur : l’homme cherche à se cacher (Gn 3,9-10 ; cf. Jn 3,20-21), redoutant la colère.
Des signes cosmiques évoquent la colère divine ou le jugement ultime au Jour du Seigneur (Is 2,10-21 ; cf. Sg 5,2). La crainte d’Israël devant la théophanie du Sinaï (Ex 20,18-20) est d’abord l’effroi devant un phénomène exceptionnel, tout comme celle de Jacob après sa vision nocturne (Gn 28,17), ou de Moïse devant le buisson ardent (Ex 3,6). Les soldats romains voyant le tombeau de Jésus vide (Mt 28,4) ou la foule païenne face aux miracles des apôtres (Ac 3,10-12 ; 5,13a) sont également pris d’effroi. À Iconium, Paul et Barnabé ont même dû empêcher la foule de leur offrir des sacrifices comme à des dieux (Ac 14,11-15).
Cependant, lorsque de tels signes indiquent la proximité et la miséricorde de Dieu – ou s’ils sont perçus comme tels – ils suscitent l’adoration, qui s’exprime par un geste ou une parole : ainsi Gédéon (Jg 6,22-23), Isaïe (Is 6,5), la foule devant les miracles de Jésus (Lc 5,9-11 ; Jn 6,26). Il y a une gradation entre la peur devant cette présence terrifiante qui paralyse et la crainte de Dieu, qui libère.Celle-ci la perception humble de sa présence, laquelle suscite une réponse confiante ; elle est un don de l’Esprit (Is 11,2) ou un effet de la sagesse (Ps 111,10 ; Pr 1,7 ; 6,6), qui peut s’étendre même hors d’Israël ; on parle alors de « craignant-Dieu », qui ne sont pas circoncis (Si 1,11-20 ; Ac 10,2 ; 13,43 ; 16,14 ; 18,16), alors que les prosélytes le sont peut-être (Ac 2,11). Cette crainte est aussi une béatitude (Ps 112,1 ; 128,1 ; cf. Lc 1,50).
Ceci dit, Dieu ne veut pas terroriser l’homme en se manifestant à lui, mais l’appeler à se dépasser. Beaucoup de révélations commencent par « Ne crains pas ! » : depuis Abraham et Isaac (Gn 15,1 ; 26,24) les annonces prophétiques (Is 41,10-14 ; 44,2 ; Dn 10,12) et jusqu’aux apparitions à Zacharie et à Marie (Lc 1,13.30). De la même façon, Jésus rassure les apôtres étonnés d’un miracle (Mc 6,50), et plus encore lorsqu’il leur apparaît après sa résurrection (Mt 28,18 ; Jn 20,21).
Les missions divines se heurtent à des oppositions, mais il importe de ne pas craindre les hommes (2 R 1,15 ; Jr 1,8 ; Ez 2,6 ; Mt 6,25.34 ; Lc 13,32), qui ne peuvent tuer que le corps (Mt 10,26-31). La foi en Dieu bannit toute crainte, autant pour les guerres d’Israël contre des ennemis puissants (Nb 21,34 ; Dt 3,2 ; 20,1 ; Jos 8,1 ; Jg 7,1-11 ; Is 7,4 ; 37,6) que dans les occasions plus ordinaires (Ps 23,4 ; 91,5-13).
Mais la crainte de Dieu est aussi liée au jugement, car la Loi convainc l’homme de péché (Rm 7,14-15), et avec elle viennent les sanctions (Ex 23,21). Les prophètes présentent inlassablement les déboires d’Israël comme étant la conséquence de ses fautes, avec une double dimension de punition (cf. Ps 2,11-12) et de pédagogie (2 M 6,12-17). Le NT insiste sur l’imminence du jugement final (2 Co 7,1 ; Ep 5,21), mais seuls les pécheurs endurcis doivent trembler (Jc 5,1 ; Ap 6,15-16 ; 11,18). En effet, la foi en la Passion rédemptrice de Jésus certifie que le poids du péché (Col 2,14) est levé et que la grâce de Dieu justifie (Rm 3,23-24). La peur de la mort peut être abolie (He 2,10-18), et l’homme est alors restauré dans la condition de fils adoptif, à la suite de Jésus ressuscité, « premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8,29). PuisqueJésus a endossé le châtiment, toute crainte est désormais bannie (1 Jn 4,18), même si le cœur doute encore (1 Jn 3,20-21). Dans le Royaume ainsi inauguré, le double commandement de l’amour (Dt 6,4-5) de Dieu et de l’amour du prochain (Lc 19,19) prend une dimension nouvelle, ouverte aux nations (Ac 10,34-35).