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Glânures...

Prière de St Ignace

 « Seigneur Jésus,
apprenez-nous à être généreux,
à vous servir comme vous le méritez,
à donner sans compter,
à combattre sans souci des blessures,
à travailler sans chercher le repos,
à nous dépenser sans attendre d’autre récompense
que celle de savoir que nous faisons votre Sainte volonté. »

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HOMELIES DIMANCHES ET FÊTES

7e Dimanche de Pâques

Dimanche 1er Juin 2014

Ac 1,12-14 ; Ps 27(26),1.4.7-8 ; 1 P 4,13-16 ; Jn 17,1-11a.

Nous voici au cœur de la prière de Jésus, on ne la trouve que dans l’évangile de Jean, on l’appelle la prière sacerdotale. L’évangéliste nous fait entrer dans l’intimité de la prière filiale de Jésus : « Père, l’heure est venue où je dois accomplir l’œuvre que tu m’as confiée et révéler aux hommes de quel amour tu les aimes. Certes, en tant que Verbe éternel, je partageais ta gloire avant le commencement de la création, puisque tu m’engendres éternellement de ta propre substance et me fais vivre de ton Esprit. Mais conformément à ton dessein de salut, j’ai pris chair en ce monde, je me suis revêtu de l’humanité mortellement blessée par le péché, afin de la délivrer de son impuissance et la restaurer dans sa faculté d’aimer. C’est pourquoi je te demande, Père, de me glorifier, c’est-à-dire de répandre sur mon humanité ta puissance infinie d’amour, pour que je puisse à mon tour te glorifier non seulement en tant que Fils de Dieu, mais en tant que Fils de l’homme. Tu m’as donné autorité sur tout être vivant afin de les conduire sur le chemin de la vie, en leur révélant ton visage de Père. Donne-moi la force de l’Esprit pour pouvoir t’offrir le sacrifice parfait grâce auquel l’humanité pourra à nouveau s’ouvrir à ta grâce et vivre de ta vie. »

 

L’œuvre du Fils en notre faveur est double : en notre nom, il s’offre à la justice divine, en offrant à Dieu le parfait sacrifice d’amour qui compense en sur abondance, tous nos manquements à la charité ; et il nous libère de l’esclavage du vieil homme qu’il a définitivement cloué sur la croix.

 

Réconciliés avec le Père, nous pouvons à nouveau accueillir son Esprit d’amour pour vivre en enfants de Dieu. Seulement, même si par la foi et la grâce baptismale, nous sommes effectivement nés à la vie divine, le vieil homme ne s’avoue pas pour autant vaincu !

 

De plus, nous vivons encore au cœur du monde, où le combat entre la lumière et les ténèbres continue de faire rage. Ce combat nous traverse au plus intime, et nous oblige sans cesse à refaire le choix du Christ, choix qui ne se fait pas sans souffrance ; car le choix de l’Évangile va à contre-courant des tendances spontanées de notre nature.

 

Loin de nous en attrister, Pierre nous exhorte tout au contraire dans la deuxième lecture à nous réjouir des épreuves que nous avons à subir en raison de notre appartenance au Christ, puisqu’elles sont pour nous l’occasion de lui manifester notre fidélité, et de communier à sa Pâque. Chaque fois, que nous résistons aux sollicitations du monde, – qui veulent nous détourner de l’Évangile - nous proclamons la seigneurie du Christ dans nos vies, et nous attirons sur nous « l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu ».

 

L’état de disciple, suppose une vigilance de chaque instant. Or il n’est pas facile de demeurer en tenue de combat, au cœur de notre culture hédoniste. Pourtant, Pierre nous avertit : « Le démon, comme un lion qui rugit, va et vient, à la recherche de sa proie. Résistez-lui avec la force de la foi » (1 P 5, 8).

Entendons bien ce que dit l’apôtre : notre force ne réside pas dans nos propres ressources, mais dans la vertu théologale de la foi, c’est-à-dire dans la puissance de l’Esprit qui combat pour ceux qui s’ouvrent à sa présence et à son action.

 

Avec le psalmiste, le chrétien peut dire en vérité : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ? Le Seigneur est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ? » (Ps 26).

 

En toutes circonstances, notre unique recours devrait être le Seigneur. Jésus ne nous a-t-il pas dit : « Demeurez en moi comme je demeure en vous, car hors de moi vous ne pouvez rien faire » ? (Jn 15, 4-5)  La vie chrétienne devrait être une vie en Christ, ce qui signifie que nous nous laissons conduire à chaque instant par l’Esprit.
Pour que nous puissions venir à lui en toute sécurité, le Père nous a donné deux « Défenseurs »
(Jn 14, 16) : son Fils, dont la Parole trace l’itinéraire tout en dénonçant les embûches ; et son Esprit, qui nous « rend fort pour vaincre le Mauvais » (1 Jn 2, 14). N’imaginons pas pouvoir progresser sur le chemin de la vérité et de la vie, sans avoir recours à eux !

 

Avec l’Eglise, en ces jours qui nous conduisent à la fête de la Pentecôte, demandons au Seigneur, qu’il « Envoie du haut du ciel un rayon de sa lumière bienheureuse ; qu’elle remplisse jusqu’à l’intime nos cœurs, pour que nous puissions discerner la volonté de notre Dieu, et l’accomplir avec la force qu’il nous communique. Glorifie-nous Père, pour que tes enfants te glorifient par une vie conforme à celle de ton Fils. ».Amen.

6e Dimanche de Pâques

Dimanche 25 mai 2014

Ac 8,5-8.14-17 ; Ps 66(65),1-7.16.20 ; 1 P 3,15-18 ; Jn 14,15-21.

Le discours de Jésus aux disciples a lieu « à l'heure où Jésus passait de ce monde à son Père ». Le détail n’est pas sans importance, il attire spontanément notre attention. Nous sommes à la veille de la Passion, nous imaginons sans peine les dispositions intérieures des disciples, nous devinons très bien quelles pouvaient être leurs inquiétudes à quelques heures de la mort du Seigneur.

De fait, les paroles de Jésus laissent entendre qu’il s’exprime dans un climat de crainte. Il parle d’invoquer un défenseur, et il parle de ne pas laisser les disciples orphelins, évocation claire d’une des plus douloureuses séparations qui soient.

Pourquoi évoquer ces heures sombres au cœur de temps pascal ? Pourquoi nous montrer la crainte des disciples à la veille de la Pentecôte ? Essayons donc de suivre le discours de Jésus pas à pas…

« Si vous m'aimez, vous resterez fidèles à mes commandements ». Le discours s’ouvre sur une difficulté. Cette phrase n’est pas si simple ; elle peut vouloir dire : il vous suffit de m’aimer et, immédiatement, mes commandements seront gardés. « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements », c'est-à-dire : en aimant Jésus, on est fidèle à ses commandements ; les commandements que Jésus nous laisse, consistent à l’aimer. Mais il y a aussi une autre façon de comprendre : si vous m’aimez, cela prouvera que vous respectez mes commandements. Aimer Jésus ne va pas de soi, la preuve de l’existence de cet amour sera donnée si ses commandements sont respectés.

Quoiqu’il en soit, ce verset établit un lien entre les commandements de Jésus et l’amour qu’on lui porte. De plus, nous pouvons certainement le lire comme une parole destinée à dissiper la crainte des disciples. Les disciples n’ont pas à craindre de ne pas rester fidèle à l’enseignement de Jésus quand il leur sera enlevé, car ils continueront à lui être fidèles grâce à leur amour pour lui. Dans cet évangile, Jésus déclare en effet : « Celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle, c'est celui-là qui m'aime ».

Jésus s’engage personnellement : « Moi, je prierai le Père ». Il prend ses responsabilités, il fait ce qu’il a faire. L’argument est massif et devrait rassurer ; si Jésus intercède pour nous, qu’avons-nous à craindre ?

« Je prierai le Père et il vous donnera un autre Défenseur ». Un défenseur. En faisant cette prière, Jésus montre qu’il se soucie de la défense des disciples, il montre qu’il est lui-même un défenseur. Pourquoi alors parle t-il  d’un « autre défenseur » ? Sa demande implique aussi autre chose. Elle veut dire qu’à travers le procès tout proche de Jésus, un autre procès se dessine, celui où les disciples de Jésus seront eux-mêmes accusés, pour leur foi au Fils de Dieu crucifié et de nouveau vivant. Ce terme de Défenseur, d’Avocat, ou encore de Paraclet, mérite donc l’attention. En milieu judiciaire juif, l'avocat ne tenait pas de plaidoirie, mais il assistait son client et le conseillait au fur et à mesure tandis qu'il parlait lui-même pour tenter de se défendre. Cela laisse entrevoir quelque chose de la nature de l’Esprit-Saint. Il soutient les disciples pour les paroles comme le fait une personne. L’Esprit-Saint parle pour aider, aux disciples maintenant de choisir d’écouter ou non ses conseils.

Mais comment le connaître ? Comment le recevoir ? Ou comment voir cette personne qu’est l’Esprit de vérité ? Il y aurait bien de quoi s’inquiéter, puisque « le monde est incapable de le recevoir, parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas ». « Mais vous, ajoute fort heureusement Jésus, vous le connaissez ». Nous pouvons être rassurés.  Est-ce que cela nous aide à mieux cerner l’Esprit-Saint ? Pas vraiment. Les renseignements sont assez maigres. Nous savons qu’il s’agit d’un Défenseur et nous savons aussi qu’il n’est pas encore reçu, puisque Jésus priera le Père de l’envoyer : « il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous ». Jésus s’exprime clairement au futur. Pourtant, l’Esprit-Saint est déjà connu : « mais vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure auprès de vous, et qu'il est en vous ». Non seulement celui qui doit nous être envoyé par le Père est déjà auprès de nous, mais il est aussi en nous. Evidemment Jésus ne se contredit pas et ne dit pas de choses impossibles. Il est même particulièrement intéressant de noter qu’en priant le Père pour qu’il donne son Esprit qui est déjà là, Jésus fait ce que qu’il invite d’autres à faire. Il demande l’Esprit. Nous avons tous à en faire autant. Cela veut dire que même lorsqu’on a déjà reçu l’Esprit-Saint, il y a encore à demander et encore à recevoir l’Esprit-Saint. La Pentecôte prochaine sera pour nous le jour où l’Esprit-Saint sera demandé au Père et nous le recevrons par le Fils, à nouveau et encore.

 Jésus, dans son discours, se montre très rassurant. Quelle crainte cherche-t-il à effacer ? Nous avons un nouvel indice : « je ne vous laisserai pas orphelin ». Les disciples éprouvent bien une crainte, celle d’être orphelin, c'est-à-dire une crainte qui concerne le Père. C’est pourquoi Jésus ajoute : « je viens avec vous ». Il ne vient pas vers vous comme le Père, mais justement comme Fils, selon la relation qu’il entretient avec son Père. Nous touchons là au but. La crainte fondamentale des disciples à la veille de la séparation d’avec le Christ est de ne plus savoir vivre comme des fils ; ils connaissent la fragilité de l’homme et redoutent que le mystère de la vie filiale leur échappe définitivement. Voilà pourquoi Jésus promet l’Esprit de vérité, l’Esprit qui permet de voir et de se tenir en vérité devant Dieu, l’Esprit qui fait de nous des fils. « En ce jour-là, continue Jésus, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous ». En ce jour-là, en ce jour où l'Esprit sera pour toujours auprès des disciples, avec eux et en eux, d'une présence invisible, ils connaîtront intérieurement le salut réalisé par Jésus-Christ : la vie filiale restaurée. Ils recevront le fruit du salut qu’est l’Esprit-Saint et ils goûteront la joie du salut qui est d’être des fils dans le Fils.

 « Celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle, c'est celui-là qui m'aime ; et celui qui m'aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l'aimerai, et je me manifesterai à lui ». Jésus récapitule ici notre parcours et nous donne la clé : s’il y a une seul crainte à avoir, c’est d’être séparé du Fils et de ne pas connaître l’amour du Père. Ainsi, en observant les commandements de Jésus, ses paroles, le disciple participe à son mouvement filial vers le Père. Et le Père vient en l'homme en envoyant son Fils en lui par l'Esprit. Pour recevoir du Père le don de l'Esprit et le connaître, il faut garder les commandements de Jésus. Et le rôle de l'Esprit est d'assister les disciples pour en faire les témoins des paroles de Jésus.

5e Dimanche de Pâques

Homélie 5eme dimanche  T.O.A. Ste Famille St François D’Assise

 

C’est un appel pressant qui résonne dans l’évangile d’aujourd’hui. Appel pressant adressé par Jésus à ses disciples, mais qui nous rejoint, par-delà les siècles, dans l’aujourd’hui de notre existence.

 

Ces paroles du Christ font suite à l’évangile des béatitudes. Ce sont donc des paroles de vie qui nous ouvrent au bonheur de la possession de la vie éternelle. D’une certaine manière, elles sont une invitation à choisir la vie, à dire « oui » à la vie de Dieu. Comment ? En accueillant la vérité de ce que nous sommes.

 

Car, dans ces paroles de Jésus, c’est bien de notre identité de chrétiens dont il est question : « Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde ». Remarquons que Jésus précise que nous ne sommes pas simplement « sel » et « lumière » mais « le » sel de « la terre » et « la » lumière « du monde ».

 

« Du monde » : Ces paroles sont aussi celles d’un envoi en mission. Etre et agir chrétien se retrouvent ainsi liés, le second ne se révélant tel que dans la mesure où il découle du premier.

 

Par l’emploi des articles définis, ces paroles nous révèlent encore que cette mission de « saler » et d’« illuminer » le monde nous est propre et que personne ne l’accomplira à notre place. Elles nous invitent donc à être responsables de ce que nous sommes en tant que chrétiens.

 

Revenons sur l’image du sel. Le sel est utilisé pour conserver et maintenir saine la nourriture. Quelle est la nourriture des hommes si ce n’est la présence du Christ dans ses sacrements, sa Parole et dans l’action aimante et miséricordieuse de son Esprit ? C’est donc à nous qu’il revient de garder vive la conscience de la présence du Christ-Sauveur au milieu des hommes, particulièrement dans la célébration de l’Eucharistie, mémorial de sa mort et de sa résurrection glorieuse et dans l’annonce de la puissance de salut qui réside dans son Evangile.

 

Le sel est aussi ce qui relève le goût et la saveur des aliments. Ainsi, le chrétien est appelé à améliorer la « saveur » de l’histoire des hommes. Cela, il le réalise tout particulièrement en vivant des trois vertus théologales qu’il a reçu le jour de son baptême. Ce qui nous vient de Dieu nous rend toujours plus homme, car toujours plus à son image et à sa ressemblance. Par la foi, l’espérance et la charité, nous sommes donc invités à illuminer et humaniser un monde qui vit dans la nuit de la défiance, du désespoir et de l’indifférence. La première lecture nous le rappelait : « Si tu fais disparaître de ton pays le joug, le geste de menace, la parole malfaisante, si tu donnes de bon cœur à celui qui a faim, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi. »

 

Le lien est ainsi fait entre le « sel » et la « lumière ». L’invitation que le Christ nous adresse à faire resplendir la « lumière » aux yeux de tous signifie que toute notre vie devrait être le reflet de la flamme de l’Esprit Saint dont nous avons reçu la marque au baptême et qui désormais habite en nos cœurs (cf. 2 Co 1, 22).

 

Cette flamme, lorsqu’elle est vivante, se manifeste à travers les œuvres de charité, mais aussi à travers la proclamation de l’Evangile, de la Bonne Nouvelle du salut offert à tous en Jésus-Christ mort et ressuscité. Dans le discours qu’il a tenu le 11 mars 2006 à l’occasion du quarantième anniversaire du Décret « Ad gentes » du Concile Vatican II, Benoît XVI rappelait que « l'annonce et le témoignage de l'Évangile sont le premier service que les chrétiens doivent rendre à chaque personne et au genre humain tout entier, appelés à transmettre à tous l'amour de Dieu qui se manifeste en plénitude dans l'unique Rédempteur du monde, Jésus Christ » (DC 103 (2006), p. 506).

 

Ce service de l’annonce de l’Evangile sera fécond, il sera vraiment « service de charité », s’il ne repose pas sur nos propres forces mais si « c’est l’Esprit et sa puissance » qui se manifestent à travers lui (cf. 2ème lecture).

 

Une flamme naturelle, aussi faible soit-elle, soulève toujours le lourd manteau de la nuit. Combien plus une flamme, nourrie de la grâce même de la vérité et de la charité divine, de « la puissance de Dieu », ne dissipera-t-elle pas les ténèbres du mensonge qui donne l’illusion de pouvoir vivre sans Dieu et de la mort qui s’ensuit !

 

« Caritas Christi urget nos – l’amour du Christ nous presse » (2 Co 5, 14). Tout au long de l’histoire de l’Église, des fidèles ont témoigné de cela en lançant des initiatives et des œuvres en tout genre pour annoncer l’Évangile au monde entier et dans tous les secteurs de la société. C’est là une invitation pérenne pour chaque génération chrétienne afin qu’elle mette en œuvre avec générosité le mandat du Christ.

4e Dimanche de Pâques

Dimanche 11 mai 2014

Ac 2,14a.36-41 ; Ps 23 ; 1 P 2,20b-25 ; Jn 10, 1-10.

Les évangiles du temps pascal, jusqu’ici tournés vers la résurrection du Christ elle-même, s’ouvrent vers l’engagement de ceux qui accueillent le ressuscité et, par conséquent, vers la croissance de l’Eglise. La liturgie nous oriente ainsi, déjà vers la Pentecôte, sous la conduite du premier Apôtre, Pierre.

Nous avons entendus, en 1ere lecture, la suite du discours de Pierre au matin de la Pentecôte. Il s’adresse aux pèlerins venus nombreux à Jérusalem pour cette grande fête liturgique. Ils viennent fêter le don de la Loi que Dieu fait à son peuple pour le conduire au bonheur. Pendant la liturgie de ce jour, le livre de Ruth est proclamé. Ruth est cette « femme parfaite » (Rt 3,11) qui devint, pour avoir osé suivre l’exemple d’Abraham jusqu’au bout, l’aïeule du roi David, figure du Messie. Cette liturgie est donc également celle où l’on s’interroge sur le Messie.

Alors retentit la voix de Pierre : « il s’agit de Jésus le Nazaréen (…) Que tout le peuple d’Israël en ait la certitude : ce même Jésus que vous avez crucifié, Dieu a fait de lui le Seigneur et le Christ ». Le message est clair. Le message est reçu. La preuve en est qu’il entraîne un changement de comportement. « Que devons-nous faire ? » demande-t-on à Pierre.

Cette question n’est pas un détail. Elle vaut pour nous également : nous mesurons notre accueil de la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ au changement de vie qu’elle entraîne, à la conversion qu’elle suscite. Cette conversion, à laquelle nous avons à nous préparer, se fait dans et par le don de l’Esprit-Saint ; mais la question centrale est de se situer par rapport à Jésus.

L’importance de la place que nous faisons à Jésus dans nos vies est dite par Pierre, qui introduit dans la deuxième lecture la figure du berger veillant sur son troupeau, et par l’évangéliste Jean, il rapporte deux paraboles de Jésus. La figure pacifique du berger n’est pas une version édulcorée du messie. Ses brebis le suivent parce qu’elles connaissent sa voix, mais cet appel à la vie prend toujours les chemins déconcertants de la Croix. « C’est bien à cela que vous avez été appelés, confirme Pierre, puisque le Christ lui-même a souffert pour vous et vous a laissé son exemple afin que vous suiviez ses traces ». Ainsi, le Bon Berger fait mieux que veiller sur nous, il fait que nous ne sommes jamais seuls dans la souffrance et que nos souffrances ont désormais un sens et une issue heureuse : « c’est par ses blessures que vous avez été guéris ».

C’est dans ce contexte là, que nous abordons la figure du messie comme berger.
Jésus se présente comme « la Porte des brebis ». Cette porte est d’abord celle qui permet de distinguer les voleurs et les bandits du berger des brebis. Les voleurs ne passent pas par la Porte. Ce sont des hommes qui œuvrent dans l’ombre et escaladent par un autre endroit. Ensuite, dans la deuxième parabole, la porte des brebis est ouverte pour laisser les brebis sortir librement. Le berger a disparu, ceux qui appellent sont les voleurs – mais les brebis ne les écoutent pas –  les brebis passent par la porte pour accéder aux verts pâturages, c'est-à-dire au salut. Les deux paraboles disent bien la place et le rôle central de Jésus. C’est en les comparants à lui qu’on dévoile les mauvais bergers, les voleurs et les bandits, et c’est en passant par lui, et uniquement par lui, qu’on accède au salut.

Les deux paraboles se complètent pour dire la place centrale de Jésus, mais elles ouvrent sur deux attitudes du troupeau. Dans le premier mouvement, le troupeau suit le berger unanimement, répondant à son appel ; dans le deuxième, les brebis se décident en toute liberté à passer la porte qui mène aux pâturages. L’un ne va donc pas sans l’autre. L’appel de Dieu est impératif, rien ne s’oppose à lui, mais notre liberté doit s’exprimer pleinement.

Finalement le rôle de Jésus est d’ouvrir une brèche. Il est la Porte de la prison de notre péché. Dans sa conclusion, Jésus ne parle en effet plus de brebis mais de personnes : « si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ». Ces paroles nous permettent de mieux réaliser l’unité des textes entendus aujourd’hui.

La fête de la Résurrection est la fête de la Pâque, celle du grand passage à la suite de notre berger. Mais suivre le berger nécessite que notre comportement change, à l’image des auditeurs de Pierre dans la première lecture. Pour faire pleinement notre Pâques, il nous faut accueillir l’Esprit qui bouleverse nos vies et nous donne la liberté de passer de l’autre côté de la Porte.

Tout est entre nos mains. Habitués à la pénombre de nos bercails, une brèche s’ouvre sur le monde illuminé par la Résurrection. Habitués au silence de la mort qui fait en nous son œuvre, la voix du bon berger retentit et nous appelle à la vie. A nous de choisir librement de suivre celui qui se met au service de notre liberté. Désirons-nous habiter la maison du Père « pour la durée de nos jours », comme le chante le psalmiste ? Ou rester, « errants comme des brebis » à la merci des voleurs ?

Ce choix que nous avons à faire est réel et ce n’est pas une option. L’invitation de Jésus concerne tout homme, même les voleurs. Jésus est le chemin, même pour ceux qui s’opposent à lui. En ces temps où l’on tente de réduire la foi à une orientation privée et relative, la question de ce jour est franche : sommes-nous convaincus qu’il n’y a pas d’autre guide que Jésus, pas d’autre passage possible que le Christ ? Il n’y a qu’une vérité, et c’est lui-même ? 

3e Dimanche de Pâques

Dimanche 4 mai 2014

Ac 2,14. 22-33 ; Ps 15 1-11 ; 1 P 1, 17-2 ; Lc 24,13-35.

La liturgie de ce troisième dimanche de Pâques nous invite à nous mettre en route, à la suite du Christ ressuscité, et à la lumière de son Esprit. La vie s’était arrêtée, pour les disciples, au pied de la croix : « Avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé » - autrement dit : il n’y a plus rien à espérer, la mort a définitivement englouti sa victime. Les disciples d’Emmaüs fuient la Cité sainte par peur des responsables religieux, et s’apprêtent à reprendre « la vie sans but qu’ils menaient à la suite de leurs pères » (2nd lect.).

Les Apôtres à vrai dire n’en menaient pas large. Même lorsqu’ils auront compris que Jésus est vivant, qu’il est ressuscité, ils demeureront encore cinquante jours à l’écart, veillant à ne pas se faire remarquer, enfermés eux aussi dans la peur. Ce n’est qu’au matin de Pentecôte, après avoir été « baptisés dans l’Esprit Saint » (Ac 1, 5) et avoir reçu la « force » d’en haut (Ac 1, 8) promise par le Christ, qu’ils pourront enfin s’arracher à leur inertie et témoigner ouvertement de la Résurrection du Seigneur Jésus.

C’est en effet l’Esprit qui entraîne les Apôtres dans le sillage de leur Maître. Celui-ci leur avait « montré le chemin de la vie » (1ère lect.) ; l’Esprit le leur fait emprunter à sa suite. Quant au Christ, après avoir traversé la mort qui ne pouvait le retenir en son pouvoir, il poursuit sa course victorieuse : « Elevé dans la gloire par la puissance de Dieu, il a reçu de son Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu ».

 C’est lui, l’Esprit de vérité (Jn 14, 17), qui permet aux disciples de comprendre à la lumière des Ecritures, qu’il « fallait que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ».

C’est lui le « Défenseur » (Jn 14, 16) qui leur donne de « croire en Dieu, qui a ressuscité Jésus d’entre les morts et lui a donné la gloire » (2nd lect.). C’est lui qui leur « ouvre les yeux » et leur permet de regarder le Seigneur qui demeure à leurs côtés sans relâche afin qu’ils ne tombent pas » (cf. 1ère lect.). C’est lui le Consolateur qui embrase leur cœur à l’écoute de la Parole, les remplit d’une sainte allégresse et leur donne de proclamer : « C’est vrai ! Le Seigneur est ressuscité ».

En regardant autour de nous, et en relisant la manière dont nous-mêmes nous vivons notre foi, n’avons-nous pas l’impression de ne pas avoir accédé à la Pentecôte ? Peu à peu, sans même nous en rendre compte,  n’avons-nous pas pris la place que l’Esprit Saint devrait avoir dans notre vie ?

Seul l’Esprit nous permet de « mettre notre foi et notre espérance en Dieu » (2nd lect.). Si nous nous « arrêtons, tout tristes » au bord du chemin, n’est-ce pas le signe que nous ne sommes plus sous l’onction de l’Esprit, dont la mission consiste précisément à éclairer notre route et à nous communiquer la force d’y progresser dans la joie et la confiance ?

A travers chacun de nos actes, chacune de nos décisions, nous sommes appelés à donner du sens à notre vie. Pour un croyant cela signifie : confirmer le sens chrétien que nous donnons à notre existence à partir de l’accueil de la Bonne Nouvelle de la Résurrection de Jésus Christ.

Mais si nous perdons de vue ce mystère de grâce qui devrait éclairer toute notre vie, quel sens lui donnerons-nous ? Ce n’est pas pour rien que saint Séraphin de Sarov introduisait ses dialogues en disant : « Ma joie : Christ est ressuscité ! » Ce faisant, il mettait ses pensées sous l’onction de l’Esprit Saint et orientait son regard vers « l’espérance de la gloire ». C’est la raison pour laquelle son discernement sur les situations, sur les événements et les personnes était sûr et digne de confiance.

Lorsque Jésus demande aux disciples d’Emmaüs de lui expliciter les événements auxquels ils font allusion, il ne fait pas semblant d’ignorer ce qui s’est passé : sa lecture et son interprétation des faits sont tout simplement totalement différentes. Les disciples ne parlent pas de la Passion telle que Jésus l’a vécue ; ou du moins, ils en font une lecture erronée, parce qu’ils n’ont pas la clé d’interprétation qui leur permettrait de comprendre les enjeux de ce qui s’est passé. Ils se sont « arrêtés, tout tristes », ne percevant pas qu’à travers la mort de leur Maître, les Écritures trouvaient enfin leur accomplissement : la vie se frayait un chemin victorieux qui déboucherait bientôt sur le triomphe du matin de Pâque.

Il en est ainsi pour chacun d’entre nous : si nous lisons les événements de notre vie et de ce monde à la seule lumière de notre discernement naturel, nous avons toutes les raisons de désespérer et de nous éloigner tous tristes. Si nous voulons échapper à l’absurdité et à la morosité d’une vie sans but, il nous faut éclairer notre route par la Parole de vérité, et accueillir l’Esprit de sainteté pour pouvoir avancer dans la paix et la confiance, les yeux fixés sur celui qui est définitivement « glorifié à la droite du Père » (Col 3, 1).

Approchons-nous de la table où le Seigneur va rompre le pain ; alors nos yeux s’ouvriront, et nous pourrons reprendre notre route, le cœur tout brûlant du Feu de l’Esprit qui proclamera par nos lèvres : « “C’est vrai : le Seigneur est ressuscité ! ” Nous l’avons reconnu à la fraction du pain. »

 

Dimanche de la Miséricorde

Dimanche 27 avril 2014

Ac 2,42-47 ; Ps 118,1.4.13-14.19.21-25 ; 1 P 1,3-9 ; Jn 20,19-31.

Le dimanche 30 avril 2000, l’année du jubilée,  au cours de la célébration de la canonisation de sœur Faustine, le pape Jean Paul II déclarait : « Aujourd'hui, ma joie est véritablement grande de proposer à toute l'Eglise, qui est presque un don de Dieu pour notre temps, la vie et le témoignage de Sœur Faustine. La Divine Providence a voulu que la vie de cette humble fille de la Pologne soit totalement liée à l'histoire du vingtième siècle, le siècle que nous venons de quitter. C'est, en effet, entre la Première et la Seconde Guerre mondiale que le Christ lui a confié son message de miséricorde. Ceux qui se souviennent, qui furent témoins et qui prirent part aux événements de ces années et des atroces souffrances qui en découlèrent pour des millions d'hommes, savent bien combien le message de la miséricorde était nécessaire. »

Le pape Jean Paul 2 va puiser dans les écrits de Sœur Faustine, toute sa doctrine sur la Miséricorde Divine. Sœur Faustine raconte dans son petit journal une expérience particulière : « Un soir dans ma cellule, je vis Jésus vêtu d’une tunique blanche, une main levée pour bénir, la seconde touchait son vêtement, sur la poitrine. De la tunique entr’ouverte sortaient deux grands rayons, l’un rouge, l’autre pâle. Je fixais le Seigneur en silence, l’âme saisie de crainte, mais aussi d’une grande joie. Après un moment Jésus me dit : « Peins un tableau de ce tu vois, avec l’inscription : ‘Jésus, j’ai confiance en Vous’. Je désire que l’on honore cette image, d’abord dans votre chapelle, puis, dans le monde entier. Je promets que l’âme qui honorera cette image, ne sera pas perdue. Je lui promets aussi la victoire sur ses ennemis dès ici-bas, et, spécialement à l’heure de la mort. Moi-même, je la défendrai, comme ma propre gloire. »

Sœur Faustine parlera de cette vision et du désir de Jésus à son confesseur. Celui-ci lui dira « Oui, cela te concerne, peins cette image dans ton cœur ». Seulement Sœur Faustine raconte qu’en sortant du confessionnal elle entendit à nouveau Jésus qui lui disait « Mon image est en toi. Je désire qu’il y ait une fête de la Miséricorde. Je veux que cette image que tu peindras avec un pinceau, soit solennellement bénie, le premier dimanche après Pâques : ce dimanche doit-être la fête de la Miséricorde. Je désire que les prêtres proclament ma grande Miséricorde envers les âmes pécheresses. Qu’elles n’aient pas peur de s’approcher de Moi. Les flammes de la miséricorde Me brûlent. Je veux les répandre sur les âmes. » « La méfiance des âmes me déchire le Cœur, mais la méfiance d’une âme choisie Me fait encore plus mal. Malgré la miséricorde dont je l’inonde, elle se méfie de moi. Même Ma mort ne lui suffit pas. Malheur à qui en abuse. »

Mais Qu’est-ce que la miséricorde ?

 

  • ØCompassion pour les misères d’autrui ; la miséricorde divine : bonté de Dieu qui pardonne aux pêcheurs. Définition dictionnaire Flammarion.
  • ØV.T.B. article « miséricorde ».

Le langage courant, identifie la miséricorde à la compassion ou au pardon. Cette identification, risque de voiler la richesse concrète qu’Israël, en vertu de son expérience, mettait sous ce que nous appelons ainsi. Pour lui en effet, la miséricorde se trouve au confluent de deux courants de pensée, la compassion et la fidélité.

  • §  la compassion rahamim (hébreu) exprime l’attachement instinctif d’un être à un

autre. Ce sentiment à son siège dans le sein maternel (rèhèm), dans les entrailles (rahamim), disons le cœur d’un père, ou d’un frère. Il se traduit par des actes.

 

  • §  Le second terme (hèsèd) en hébreu est ordinairement traduit (en grec) par un mot,

qui lui aussi, signifie miséricorde (eleos), il désigne de soi : la piété, relation qui unit deux êtres et implique la fidélité.

  • §  Les traductions françaises des mots grecs et hébreu oscillent de la miséricorde, à

l’amour en passant par la tendresse, la pitié, la compassion, la clémence, la bonté, la grâce. Mais dans cette variété, il n’est pas possible de cerner l’intelligence biblique de la miséricorde. La miséricorde reçoit une base solide : elle n’est plus seulement l’écho d’un instinct de bonté, qui peut se tromper sur son objet et sur sa nature, mais une bonté consciente voulue ; elle est même réponse à un devoir intérieur, fidélité à soi-même.

Sœur Faustine dans son expérience spirituelle découvrira en effet que pour connaître Dieu il faut méditer sur les attributs qui sont les siens, dans son journal elle décrit cette expérience : « Un jour je réfléchissais sur la Sainte Trinité, sur l’Essence divine. Je voulais absolument approfondir et connaître ce mystère de Dieu…Subitement, mon esprit fut ravi dans l’autre monde. Je vis une clarté inaccessible où brillaient comme trois sources de lumière, que je ne pouvais comprendre. Il en sortait des paroles sous la forme de foudre, qui encerclaient le ciel et la terre. Ne comprenant rien, j’étais tout triste. Soudain de cette mer de lumière inaccessible, je vis apparaître notre bien-aimé Sauveur, d’une beauté inconcevable. Ses plaies étaient brillantes. Et de cette clarté une voix se fît entendre : « ce qu’est Dieu dans son Etre, personne ne peut le saisir en profondeur, ni l’esprit angélique, ni l’esprit humain » Jésus me dit «  Fais la connaissance de Dieu par la contemplation de Ses attributs. » puis, Jésus, de sa main, traça le signe de croix et disparut. (30)

« Fais la connaissance de Dieu par la contemplation de Ses attributs »dira Jésus à Sœur Faustine. Le plus grand attribut de Dieu, c’est sa miséricorde, ainsi l’a expérimenté sœur Faustine, elle écrie : « Pendant l’Avent, une grande nostalgie de Dieu s’éveilla en mon âme. Mon esprit, de toutes les forces de son être, s’élançait vers Dieu. Et le Seigneur m’accorda de nombreuses lumières dans la connaissance de ses Attributs. Le premier attribut que le Seigneur me fit connaître, ce fût sa Sainteté. Cette Sainteté est si grande que toutes les Puissances, les Vertus, tremblent devant Lui. Les purs esprits voilent leur face et s’abîment dans une incessante adoration. La seule expression de la plus haute adoration est « Saint »… La Sainteté de Dieu se répand sur l’Eglise de Dieu et sur chaque âme vivant en elle – à des degrés divers. Il y a des âmes toutes pénétrées de Dieu, et il y en a qui vivent à peine. La seconde connaissance que Dieu m’accorda, ce fut celle de Sa Justice. Elle est si grande et si pénétrante qu’elle atteint les choses dans leur essence. Tout se présente à Lui dans sa vérité, mis à nu, et rien ne pourrait Lui résister. Le troisième attribut fut l’Amour et la Miséricorde. Et j’ai compris que c’est là le plus grand, celui qui unit la créature au Créateur. Le suprême Amour et l’infini de la Miséricorde se manifestent dans l’Incarnation du Verbe et dans la Rédemption. Et c’est ainsi que j’ai découvert que cette qualité était première en Dieu. » (180)

Dimanche de Pâques

Dimanche 20 avril

Ac 10,34a.37-43 ; Ps 118,1.4.16-17.22-23 ; Col 3,1-4 ; Jn 20,1-9.

Le jour s’est déjà levé lorsque Marie-Madeleine se rend au tombeau « de grand matin », sans doute pour s’y recueillir et laisser libre court à son chagrin. Mais même si le soleil a commencé sa course, il n’a pas encore chassé l’obscurité de la nuit ; l’évangéliste précise en effet qu’« il fait encore sombre ».

Dans la pénombre de l’aurore, Marie-Madeleine ne voit rien, si ce n’est que « la pierre a été enlevée du tombeau ». On peut supposer qu’elle s’est risquée à jeter un coup d’œil à l’intérieur puisqu’elle annonce la disparition du corps, elle l’attribue à l’action d’un sujet inconnu, anonyme : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis ».

A y regarder de plus près, ce verset nous réserve deux surprises : nous nous attendions à ce que Marie-Madeleine exprime son angoisse devant la disparition du « corps », ou plutôt du cadavre de son défunt Maître; or elle parle de l’enlèvement « du Seigneur » comme s’il s’agissait du rapt d’un vivant. Est-le signe d’un deuil qui n’est pas encore accompli, ou le pressentiment que l’amour ne peut pas mourir ?

Autre surprise : le pluriel de l’aveu d’ignorance : « nous ne savons pas où on l’a mis ». La mention « nous ne savons pas » est un indice important, car il suggère que le lieu mystérieux où se trouve le Seigneur n’est pas accessible par des moyens  simplement humains : il ne se dévoilera qu’aux yeux de la foi. Pour combler le manque au niveau du « savoir », il faut accepter de croire, c'est-à-dire de s’ouvrir à une autre perception des événements, que Jean désigne par le terme « voir ».

Marie-Madeleine bouleversée par la disparition de son Seigneur, court vers ceux qui sont supposés savoir : Simon-Pierre et l’autre disciple, qui est qualifié de  « celui que Jésus aimait ».  Précision  qui suggère que celui-ci avait répondu d’une façon toute particulière à l’amour du Maître, il lui était uni plus étroitement.

Nos deux apôtres se mettent eux aussi en mouvement, parcourant le trajet inverse de Marie Madeleine. Celle ci disparaît de la scène, comme si son rôle n’avait consisté qu’à informer les disciples de la disparition du Seigneur.

Pierre et l’autre disciple se hâtent donc sur les lieux. Pierre, sans hésiter, entre dans le tombeau et fait un constat rigoureux de la disposition du « linge qui couvrait la tête et du linceul ».

L’autre disciple, celui qui était « arrivé le premier au tombeau », n’entre pas tout de suite ; il « se penche », geste qui ressemble à une prosternation, il « contemple le linceul resté là ». Son regard illuminé par l’amour, scrute l’invisible et il « voit » ; il pressent la présence cachée au creux de l’absence.

Ce n’est qu’alors qu’il entre lui aussi, mais il ne pénètre pas dans le même lieu que Pierre. Celui-ci était descendu dans un tombeau vide, symbole du monde ancien marqué par la mort et dont Dieu s’est retiré. Le disciple que Jésus aimait, lui, est entré dans le monde nouveau et dans les temps nouveaux.

Pour Simon-Pierre, « la pierre a été enlevée du tombeau » pour en faire sortir un cadavre. Pour l’autre disciple, elle est roulée afin de permettre aux croyants d’entrer en présence du Seigneur, dans ce lieu qui n’est plus la sépulture d’un défunt, mais le Temple du Dieu vivant.

Ne sommes-nous pas tous confrontés à cette double approche ? Comme Simon-Pierre qui pénètre en premier dans le tombeau, notre raison se saisit d’amblée de l’événement ; mais son analyse n’atteint que le phénomène, c'est-à-dire ce qui apparaît aux yeux de chair ; l’essentiel lui demeure invisible. Seul l’esprit illuminé par la foi, l’espérance et l’amour peut discerner, au cœur d’une contemplation, le mystère du Jour nouveau et du Monde nouveau, le mystère de la nouvelle création qui s’annonce, le mystère de la présence du Vivant qui vient combler notre attente.

Nous qui sommes « ressuscités avec le Christ » par la foi et le baptême, « recherchons les choses d’en-haut : c’est là qu’est le Christ » ; tendons vers lui, non pas en fuyant ce monde, mais en convertissant notre regard, de manière à discerner sa présence à nos côtés. Alors nous ne désirerons plus les choses de la terre, mais les réalités d’en haut ; et « lorsque paraîtra le Christ notre vie, nous aussi nous paraîtrons avec lui en pleine gloire ».




 

 

 

 

 

 

Dimanche des Rameaux

Dimanche 13 avril 2014

Is 50,4-7 ; Ps 22,8-9.17-20.23-24 ; Ph 2,6-11 ; Mt 26,14-27,66

Le dimanche des Rameaux, la liturgie s’ouvre par la lecture de l’évangile de l’entrée de Jésus à Jérusalem suivie d’une procession jusque dans l’église. L’Evangile que nous lisons juste au début de cette procession met en valeur le titre de Jésus « Fils de David ». Par ce titre messianique, Jésus se voit ainsi désigné comme ce roi juste et victorieux qu’attendait tout Israël et qui devait restaurer la cité sainte de Jérusalem. L’atmosphère qui ressort du récit est joyeuse et festive et derrière les chants d’acclamations qui accompagnent cette procession s’annonce déjà le triomphe définitif du Christ sur la mort et le péché durant la nuit pascale. L’espérance d’être sauvés et de ressusciter avec lui pour vivre dans la Patrie céleste de sa vie divine se trouve ainsi mise devant nos yeux.

Mais si la première partie de la liturgie de ce dimanche laisse apparaître le terme qui nous attend au-delà de cette vie terrestre, marquée par la souffrance et le péché, la liturgie eucharistique, en particulier au travers de ses lectures, nous rappelle les conditions nécessaires pour y parvenir.

Cette route nous pouvons la contempler dans la personne même du Christ, elle est celle de l’abaissement et de l’humilité, celle de l’obéissance filiale, de l’abandon entre les mains du Père, celle du don total par amour jusqu’à mourir sur la croix.

Dans l’Ecriture, l’hymne de l’épître aux Philippiens est peut-être le passage qui nous décrit cela de la façon la plus aboutie : « Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu, n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu ; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s'est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix. »

Jésus est bien le Messie - Serviteur souffrant, annoncé par le prophète Isaïe, qui ne s’est pas révolté, qui ne s’est pas dérobé ; qui a présenté son dos à ceux qui le frappaient, et ses joues à ceux qui lui arrachaient la barbe ; qui n’a pas protégé son visage des outrages et des crachats (Cf. 1ère lecture). C’est par ses souffrances que nous sommes sauvés, souffrances qui ne sont que le prolongement de son acte d’obéissance parfaite au Jardin des Oliviers.

Car c’est bien là que se joue notre salut. En communiant humainement à la volonté divine du Père, Jésus rétablit notre nature humaine dans une relation filiale avec le Père, filiation qui avait précisément été refusée dans l’acte même du péché originel.

En choisissant d’entrer dans sa Passion et de la vivre jusqu’au bout, il exprime son abandon total entre les mains de son Père. Par le « oui » qu’il donne humainement à un moment où la délibération de tout homme serait infléchie au maximum vers le refus, Jésus nous sauve en accomplissant dans une nature humaine l’existence filiale parfaite.

Nous touchons ici le paradoxe de tous les paradoxes. Comment, le Fils de Dieu pourrait-il nous sauver au travers d’une telle vulnérabilité ? Le récit de la Passion de l’évangile de Matthieu décrit bien cela en dépeignant le drame de l’incompréhension du peuple d’Israël qui ne peut se résoudre à ce que celui qui se déclare le Messie, Fils de Dieu, puisse se présenter dans une telle condition d’abaissement.

Pourtant, alors que tout semble manifester un échec de celui qui a été acclamé comme le roi messie, son triomphe s’accomplit. Au milieu de l’obscurité de sa Passion, au moment de la crucifixion, les signes eschatologiques du monde nouveau en train de naître ne trompent pas : la terre tremble, le rideau du Temple se déchire, les sépulcres s’ouvrent… La Nouvelle Alliance vient d’être scellée dans le sang du Christ.

Il est important de nous rappeler que Matthieu écrit pour des chrétiens issus du Judaïsme qui se retrouvent face à la même incompréhension que celle devant laquelle se trouva Jésus et qui le conduisit jusqu’à la mort. L’évangéliste veut leur montrer qu’ils ne vivent ni plus ni moins que ce que le Maître lui-même vécut mais que dans le présent de leur vie pointent déjà les signes du monde nouveau.

Ce message nous pouvons le faire nôtre. Tout d’abord, en prenant conscience que nous sommes tous plus ou moins incapables d’interpréter correctement la croix chaque fois qu’elle se présente à nous. Mais, en même temps, Matthieu nous redit que chaque fois que nous accueillons dans la foi l’expérience de la béatitude des persécutés, nous renforçons notre décision de marcher à la suite du Christ.

C’est ici que nous sommes renvoyés à notre attachement au Christ, lui que nous reconnaissons et que nous acclamons comme notre Roi, notre Sauveur, notre Rédempteur. Notre attitude devant la croix, lorsqu’elle se proposera à nous, sera révélatrice de ce que représentent pour nous ces titres que nous lui attribuons. Car suivre le Roi d’humilité implique d’avancer sur le chemin de l’amour et du don total de soi. Sans prétendre y arriver tout de suite, nous ne devons pourtant pas perdre de vue cette finalité et prendre les moyens pour la rejoindre. Les textes de ce jour nous apprennent que le plus fondamental peut-être c’est d’entrer toujours davantage dans la même intimité, la même communion de volonté avec le Père que celle de Jésus. Invitation à prier toujours plus et toujours plus intensément. C’est, en effet, dans la prière seule, comme Jésus à Gethsémani, que nous trouverons la force de choisir et non pas de subir nos croix dans le don total de nous-mêmes. L’enjeu est de taille car c’est ici que se joue l’avènement du Royaume de Dieu.

5e Dimanche de Carême

Dimanche 6 avril 2014

Ez 37,12-14 ; Ps 130,1-8 ; Rm 8,8-11 ; Jn 11,1-45

« Vous saurez que je suis le Seigneur quand j’ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai sortir, ô mon peuple ! Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez ». Notre Dieu est le Dieu de la vie, il n’est pas le Dieu des morts mais des vivants. La liturgie de ce dimanche nous le rappelle avec force.

Le mystère du Père, qui veut nous donner part à sa propre vie dans l’Esprit, nous ne pouvons l’accueillir, comme une réalité dans nos existences, que dans la foi en son Fils unique, venu nous sauver. La mort est inévitable, soit, et donc apparemment triomphante, pourtant Paul nous dit : « Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous ». Cette parole pleine d’espérance, l’Apôtre nous l’adresse ici, dans une parole fondée sur la foi en Jésus-Christ, Sauveur, mort et ressuscité, vainqueur de la mort et du péché.

Dans l’évangile de la résurrection de Lazare ou plutôt de la « réanimation » de Lazare, nous sommes invités à poser cet acte de foi en Jésus Christ, mort et ressuscité pour nous, au travers des personnages de Marthe et de Marie, qui nous renvoient à deux attitudes face à la mort et plus largement face la souffrance.

A Jésus qui lui dit que son frère ressuscitera, Marthe répond : « Je sais que tu le ressuscitera au dernier jour ». Elle renvoie son espérance dans un futur lointain. Jésus va alors la ramener au présent, à l’aujourd’hui de son salut : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ; et tout homme qui vit et qui croit en moi ne mourra jamais. »

Est-ce que nous croyons qu’ici et maintenant, Jésus est la résurrection et la vie ? Ou bien renvoyons-nous à plus tard son œuvre de salut, mettant ainsi une limite à sa puissance ? La foi, ce n’est pas seulement croire que Jésus est mon Sauveur et mon libérateur, c’est aussi croire en Jésus, mon Sauveur, et mon libérateur, ici et maintenant ! C’est croire que Je suis déjà en lui et Lui en moi : « Quiconque croit en moi, même s’il meurt, vivra et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Le crois-tu ? »

Dans la souffrance que nous avons expérimenté dans nos vies, peut-être que nous nous n’avons plus le ressort de confesser une espérance. Peut-être que nous n’avons même plus la force, comme Marthe, de reprocher au Seigneur ce que nous croyons être son inaction : «Seigneur, si tu avais été là ! » Peut-être que nous ne sommes même plus capables d’argumenter devant notre malheur, et que la seule chose encore en notre possibilité, c’est de pleurer, en restant lié, dans notre mémoire à un passé heureux, comme Marie pleure au souvenir de son frère Lazare.

Osons alors regarder vers Jésus. Il ne nous reproche pas nos pleurs ni notre émotivité. Il y a des larmes qu’il est bon de laisser couler, non pour se complaire dans la souffrance, mais pour la confier au Seigneur. Pour nous libérer du poids qui nous écrase, Jésus a besoin de savoir où il se trouve : « Où l’avez-vous mis ? » Où as-tu cachée ta souffrance ? où est cachée ta blessure ? Jésus m’invite à prendre la parole sur ce qui m’aliène, sur ce qui me paralyse, sur ce qui me fait mal. Il ne s’impose pas. Il nous faut répondre : « Seigneur viens et vois ». Alors, il pourra prendre sur lui ma souffrance et devant ma douleur, il frémira de compassion et versera lui aussi des larmes.

Le tombeau devant lequel Jésus nous invite à le conduire est encore fermé. A sa demande, dans la foi, il nous revient de rouler la pierre qui en bouche l’entrée, et de laisser revenir à la lumière et à la vie, cette partie souffrante de nous-mêmes, ce « Lazare », qui y est caché, enfermé... en chacun de nous.

Si nous acceptons dans la foi de rouler cette pierre, si nous choisissons la vie, alors Jésus rend grâce, et prend le relais, pour la suite des opérations. Devant notre tombeau maintenant ouvert il crie : « Lazare, vient dehors». C’est un ordre qu’il nous adresse, dans un cri de re-création, qui nous appelle à la vie ! Viens ici, viens vers moi qui suis la lumière, viens à moi qui suis la vie.

Sommes-nous prêts à faire cet exode ? à laisser venir à la lumière du Christ cette partie blessée et meurtrie de nous-mêmes que nous tenions si bien cachée depuis tant d’année ? Cela peut faire peur, c’est vrai. Un nouvel acte de foi nous est alors demandé, pour nous montrer dans la vérité de ce que nous sommes, encore liés par nos bandelettes.

La liturgie de ce dimanche nous rappelle que le carême est ce temps de l’exode où le Christ nous invite dans la foi, à laisser les tombeaux de nos fausses sécurités, de nos culpabilités, de nos blessures, de nos repliements sur nous-mêmes. Il nous faut les abandonner, les quitter, pour nous ouvrir à la vie en Christ.

4e Dimanche de Carême

Dimanche 30  mars 2014-04-11

1 S 16,6-7.10-13 ; Ps 23,1-6 ; Ep 5,8-14 ; Jn 9,1-41

« Jésus vit un homme qui était aveugle de naissance », nous dit Jean, Dieu ne passe pas outre la misère de ses enfants : « J’ai vu, oui j’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu ses cris ; je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer » (Ex 3, 7-8). Nous sommes bien la seule religion qui ose prétendre que ce n’est pas l’homme qui cherche Dieu, mais Dieu qui inlassablement vient à la recherche de l’homme qui erre en exil loin de sa Terre Promise.

Impossible de lui imputer la responsabilité de sa maladie : elle est de naissance. Serait-ce donc qu’il porte le poids du péché de ses aïeuls ? Jésus refuse de s’engager dans ce genre de calcul : cet homme ne fait que manifester, dans sa chair, l’état de cécité de notre humanité, tout entière, depuis qu’elle est privée de la grâce divine. L’affirmation de Jésus : « Je suis la lumière du monde » fait écho à ce que Jean écrit dans le Prologue de son Evangile : « Le Verbe était la vraie lumière qui en venant dans le monde, illumine tout homme » (Jn 1, 9).

Il est venu pour manifester l’action de Dieu, et révéler ainsi, la bienveillance de notre Père du ciel, envers les hommes ses enfants. C’est bien le même Père qui aux origines « façonna l’homme avec de la glaise prise du sol » (Gn 2, 7), qui maintenant « avec la salive et les mains de son Fils, fait de la boue qu’il applique sur les yeux de l’aveugle ». Jusque-là on pourrait dire que Jésus guérit le mal par le mal : il ne fait que plonger l’homme dans des ténèbres plus profondes encore. Mais le geste s’accompagne d’une Parole qui va en révéler le sens : « Va te laver dans la piscine de l’Envoyé ». La symbolique baptismale est claire : plongé avec le Christ dans les ténèbres de la mort, enseveli avec lui en terre, l’aveugle va être illuminé par l’Esprit, qui l’introduira dans la vie même du Christ ressuscité.

Le miracle est de fait constaté par un nombre important de témoins qui n’en croient pas leurs yeux. L’aveugle guéri n’arrive pas à calmer les esprits, il faut qu’on l’amène aux pharisiens « afin qu’ils instruisent cette étrange affaire » : qui est donc cet homme qui guérit un aveugle-né un jour de sabbat, avant de disparaître dans la nature sans laisser de trace ? Seuls les actes médicaux indispensables à la survie du patient étaient autorisés un jour de sabbat. Rien ne pressait pour cet aveugle-né : le guérisseur est donc en infraction avec la Loi, de fait il ne saurait « venir de Dieu ». Mais alors « comment un homme pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ? »

A bout de ressources, le conseil des sages se tourne vers le bénéficiaire de l’intervention, qui sans hésiter confesse : « C’est un prophète ! » Cette réponse ne les ayant de toute évidence pas convaincu, ils décident de ré-instruire toute l’affaire en vérifiant chaque étape, à commencer par l’identité du soi-disant miraculé. Les pharisiens devaient être visiblement contrariés par l’événement ; aussi les parents jugent-ils plus prudent de se dissocier de leur fils : « Il est assez grand, interrogez-le ! » La délibération fut sans doute de courte durée et la sentence est prononcée: « Cet homme est un pécheur ». Avec beaucoup de bon sens, l’homme guéri oppose à cette conclusion l’objectivité de sa guérison ; c’est même la seule chose que l’on puisse affirmer avec certitude. L’altercation suscitée par cette impertinence conduit la controverse jusqu’à l’affirmation décisive : « Celui-là, nous ne savons pas d’où il est ».

C’est donc à nouveau la question des origines de Jésus qui surgit au cœur du débat. D’où vient-il ? De qui est-il l’Envoyé ? De qui a-t-il reçu ce pouvoir d’accomplir des miracles ? Pour répondre à cette interrogation qui traverse tout le quatrième évangile, il faut savoir renoncer aux réponses fondées sur des arguments soi-disant rationnels.

Le récit de l’aveugle-né nous fait parcourir un cheminement. Après avoir trouvé la vue, c’est l’expulsion de la synagogue - non plus en raison de son handicap mais de sa guérison - qui va permettre à cet homme de franchir le seuil de la foi, au cours d’une seconde rencontre. Dès la première parole qu’il lui adresse, l’aveugle guéri reconnaît sans hésitation sa voix. On imagine sans peine qu’il le mange des yeux et qu’il est tout oreille. Jésus a lu dans son regard le germe d’une foi naissante ; aussi pour qu’elle puisse se dire, il lui donne la parole : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » La question est directe et la réponse est sincère : l’aveugle guéri n’ose pas faire lui-même le lien entre celui qu’il appelle « Seigneur » et ce fameux « Fils de l’homme » auquel il est invité à donner sa foi. La réponse de Jésus « Tu le vois » vient balayer ses derniers scrupules : « Je crois Seigneur » et tombant à ses genoux, « il se prosterna devant lui » dans un geste d’humble adoration.

Ce parcours n’est-il pas un modèle pour chacun de nous ? Au jour de notre baptême, nous avons été illuminés par le Christ. Mais notre foi doit encore être éprouvée par la contradiction, purifiée par l’épreuve, fortifiée par le témoignage, jusqu’à ce qu’enfin le Seigneur se révèle dans une seconde rencontre, qui nous conduise à le choisir résolument et définitivement comme notre Seigneur et Sauveur. Puissions-nous tout au long de ce chemin de carême nous laisser conduire à cette seconde conversion qui fera de nous de vrais disciples et des adorateurs en esprit et vérité.

Demandons à notre Père du ciel d’augmenter en nous la foi, afin que nous puissions reconnaître en Jésus le Berger qu’Il nous donne, “pour traverser avec nous les ravins de la mort, et nous conduire par le juste chemin pour l’honneur de ton Nom”. Après nous avoir fait reposer sur les verts pâturages de sa Parole, qu’Il répande sur notre tête le parfum de son Esprit. 

3e Dimanche de Carême

Dimanche 23 mars 2014

Ex 17,3-7 ; Ps 94 ; Rm 5,1-2.5-8 ; Jn 4,5-42.

Après le passage de la mer rouge, le peuple d’Israël, sous la conduite de Moïse, a commencé sa traversée du désert en direction de la Terre Promise. Mais voilà que l’eau commence à manquer. Impossible de continuer ! « Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous ou n’y est-il pas ? » s’interroge le peuple. Le chant de victoire et d’action de grâce entonné par Anne après la destruction de l’armée de Pharaon et repris en chœur par tout le peuple semble bien loin maintenant. Dans les cœurs, c’est le murmure qui désormais a pris la place : « Pourquoi nous as-tu fait monter d’Egypte ? Etait-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux ? » Ces paroles adressées à Moïse résonnent en fait comme un reproche fait à Dieu. Mais ces paroles sont graves car, par elles, que font les fils d’Israël si ce n’est renier le don de la libération d’Egypte ?

Cependant la bonté du Seigneur ne se laisse pas vaincre si facilement. Rien ne saurait mettre en échec le plan de Dieu, Il va continuer son œuvre de salut malgré l’infidélité de ses enfants. L’eau qu’il fait jaillir du rocher en réponse à l’intercession de son serviteur Moïse annonce déjà l’eau du salut qui s’écoulera du côté transpercé du Christ.

L’épisode du désert de Réphidim préfigure déjà tout le chemin que le peuple devra parcourir pour comprendre qu’un seul est capable de venir étancher sa soif, c’est le Seigneur, le Saint d’Israël. L’eau qu’il lui donnera ne sera plus alors de l’eau matérielle mais l’eau de l’Esprit Saint qui porte en elle la vie éternelle.

Nous voilà rendus à l’évangile. Arrivé auprès de la ville de Samarie, là où Dieu avait promis à Abraham de donner cette terre à sa descendance, Jésus, à l’heure la plus chaude de la journée, s’assoit au bord du puits creusé par Jacob. Chose curieuse, c’est Dieu, dans la personne de son Fils qui demande à boire à l’homme, plus exactement, à une femme et une femme de Samarie, c’est-à-dire une païenne pour les juifs : « Donne-moi à boire ».

Jésus a soif. Non pas de l’eau de ce puits mais de la soif de cette femme qu’il va peu à peu conduire jusqu’à la soif la plus profonde qui l’habite, la soif d’être aimée et sauvée. Au cœur de leur dialogue, il lui demande : « Va chercher ton mari ». Il l’invite à faire la vérité sur son désir le plus intime d’être aimée. Sans se dérober, elle lui répond : « Je n’ai pas de mari ». Alors, avec douceur, Jésus la remet devant la vérité : « tu en as eu cinq et l’homme que tu as maintenant n’est pas ton mari ».

Autrefois, après avoir dévastée la Samarie, les Assyriens envoyèrent cinq peuplades païennes pour la repeupler, chacune emmenant son idole dans ses bagages. Au total sept dieux (2 R 17, 24-31). Jésus, qui arrive après les cinq maris et le sixième homme de cette femme qui incarne le manque qui l’habite, se manifeste ainsi comme l’Epoux véritable, le seul capable de combler en plénitude sa soif d’être aimée. Lui le Messie d’Israël, il vient prendre la place de ces sept divinités qui avaient pris possession de cette terre de Samarie et se révèle ainsi le Sauveur de tous les hommes.

En Jésus, l’heure du salut vient et même elle est là, cette « heure où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ». Le salut apporté par Jésus consiste à nous laver du péché pour nous ouvrir à nouveau l’accès vers le Père, Source de vie.

Voilà le contenu de la nouvelle Alliance que Jésus scellera en son sang sur la Croix. Désormais le lieu de l’adoration de Dieu n’est plus lié à telle ou telle montagne mais il est constitué par la communauté des disciples qui forment le corps mystique du Christ ressuscité.

Cette communauté de disciples, n’est pas close. Elle est ouverte à l’infini à tous ceux qui, dans le sillage de la Samaritaine et de ceux qui grâce à son témoignage se sont convertis, ont reconnu en Jésus, non seulement le Messie, mais « le Sauveur du monde »

Cette espérance, comme nous le rappelle Paul dans la deuxième lecture, n’est pas le résultat d’une conquête humaine mais le fruit du don de l’Esprit Saint que le Christ a répandu en nos cœurs du haut de la croix. Cette espérance tient une place essentielle dans notre vie chrétienne. Elle est cette capacité de garder confiance dans l’accomplissement des promesses de Dieu, même lorsque les faits semblent le démentir.

Le jour de notre baptême, « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Cf. 2ème lecture). L’eau vive de l’Esprit nous a lavés de la tâche du péché des origines et nous a totalement purifiés. Ce jour-là, plongés dans l’Amour Trinitaire, nous avons été réconciliés en Jésus avec le Père.

Pourtant, force est de constater combien il nous est difficile de demeurer en esprit et vérité dans cet amour du Père qui nous conduit à l’adorer. Notre péché personnel nous rattrape malheureusement bien vite et la soif de cet amour dont nous gardons au plus profond de nous-mêmes la nostalgie, auprès de combien de puits d’eaux frelatées allons-nous tenter de l’apaiser !

Mais là encore, Jésus nous rejoint. Il nous attend, il nous attend au bord de ce puits où nous venons, comme la Samaritaine, étancher notre soif de vie, d’amour, de bonheur. Il nous voit arriver de loin et il nous accueille par cette parole déconcertante : « Donne-moi à boire ». Pour ne pas nous humilier dans notre désolation, il se fait mendiant de nous. Folie de l’Amour d’un Dieu qui demande à boire à sa créature alors que c’est elle qui a tout à recevoir de lui. Alors arrive le constat que la seule chose que nous puissions lui donner et qui nous appartienne vraiment c’est notre péché. N’est-ce pas là le merveilleux échange qui s’opère sur la croix lorsque prenant sur lui notre péché, Jésus nous donne en retour la vie éternelle, fleuve d’eau et de sang jailli de son cœur transpercé ?

2e Dimanche de Carême

Dimanche 16 mars 2014,

Gn 12,1-4a ; Ps 33(32),4-5.18-19.20.22 ; 2 Tm 1,8b-10 ; Mt 17,1-9.

L’évangile d’aujourd’hui est quelque peu excessif. Voici Jésus, notre Jésus de tous les jours, ruisselant de lumière. Voici Pierre, impulsif et spontané, prétendant monter une tente pour des prophètes morts depuis plusieurs siècles. Voici ces prophètes des temps jadis, devisant paisiblement avec Jésus, qui se conduit comme si ces personnages faisaient partie de son quotidien. Voici enfin une nuée, et une voix venant du ciel, qui parle comme au jour du baptême de Jésus.

La liturgie, en ce temps de carême, propose aussi à notre méditation,  l’appel d’Abraham. Mise à part la voix céleste, ce texte ne semble pas présenter beaucoup de traits communs avec l’évangile.

Comme souvent, Paul est le meilleur lecteur de l’Ecriture. Il nous dit : « Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible à nos yeux ». Autrement dit, la transfiguration annonce Jésus ressuscité, mais aussi la réalisation de la promesse faite à Abraham, et en lui, à tout homme.

Nous venons de l’entendre, le Nouveau Testament n’est pas exempt de figures. Il faut les accueillir comme elles se donnent, sans tenter de les réduire à de simples allégories visibles de choses invisibles. Moïse et Elie, la Loi et les Prophètes, tiennent vraiment compagnie à Jésus sur la montagne. Leur familiarité montre que ce n’est pas le monde spirituel qui est le référant, mais le corps du Christ. Le récit est construit autour de sa transformation, de sa transfiguration.

Cette matérialité est importante car elle dit l’accomplissement. Dans l’Ancien Testament, une figure renvoie toujours à l’invisible et appelle nécessairement une deuxième figure, pour la confirmer. Ainsi Moïse et Elie sont des promesses de la résurrection à venir. Cette résurrection est annoncée par leur corps invisible. Moïse, en effet, a été enterré dans un lieu inconnu et inaccessible ; quant à Elie, il est monté au Ciel sur un char de feu, lui non plus n’a pas de sépulture.

Dans l’évangile, Jésus nous apporte la deuxième annonce, confirmant ainsi la première. La transfiguration dévoile en effet le corps invisible du ressuscité. Jésus est le nouveau Josué, le successeur de Moïse, annoncé dans le livre du Deutéronome. En rendant visible sa gloire, pour quelques moments, au sommet de la montagne, Jésus nous ouvre au monde invisible, invisible mais réel, où nous vivons tous. Montrer que Moïse et Elie y habitent, confirme la promesse qui reposait sur eux et se réalise en Jésus. En confirmant l’annonce faite dans le Premier Testament, Jésus annonce la réalisation de la Nouvelle Alliance.

Le corps du Christ apparaît ainsi à nos yeux comme l’accomplissement des Écritures. Il naît de la présence des deux Testaments. D’une part, la déficience de l’Ancien Testament, balbutiant la vérité de Dieu qui lui est inaccessible parce que trop lointaine, d’autre part la saturation du Nouveau Testament, manifestant en Jésus de la vérité de Dieu. Ce paradoxe se noue dans le corps du Christ. Il nous fait entrer dans le monde invisible : nous le voyons ruisselant de la gloire promise à nos pères.

Mais ce monde est aussi le nôtre. Jésus touche ses disciples. Il leur adresse la parole. La rupture entre les deux univers repose sur une continuité, qui invite à un nouveau type de relation. Jésus ouvre à ses disciples un monde où il est possible d’être particulièrement proches de l’histoire sainte dans son ensemble, d’être en dialogue constant et confiant avec le Père.

C’est là, le trésor, qu’il nous est donné de découvrir. Jésus a prescrit le silence à ses disciples, jusqu’à la résurrection, c'est-à-dire jusqu’à ce qu’ils puissent comprendre la Croix.

Dieu nous enjoint d’écouter Jésus, qui nous annonce son passage par la Croix. Le visage de gloire ne pourra en effet être appréhendé par les disciples qu’une fois passés eux aussi par la mort et la résurrection en Jésus.

Nous avons à vaincre les peurs qui nous rendent sourds à la voix du Père, dont Jésus vient de nous montrer qu’elle ne cesse de résonner. Pour monter courageusement vers notre Croix, alors que la nuée se dissipe, il ne nous reste que Jésus, seul. Jésus qui nous parle et qui nous touche. Jésus qui nous encourage : « "Relevez-vous", ressuscitez, accueillez la gloire que le Père vous réserve, accueillez la Vie qu’il vous donne en partage ». Nous avons ainsi nos Thabor, nos rencontres intenses et toujours vivantes avec Dieu, moments de grâce sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour poursuivre notre marche vers Pâque.

Le carême est une route austère, soit, mais elle une route joyeuse car Jésus marche à nos côtés. Sachons en rendre grâce, pour nous relever, et marcher, libres et confiants, dans les pas de Jésus.

1er Dimanche de Carême

Dimanche 9 mars 2014

Gn 2,7-9.3,1-7 ; Ps 51(50),3-6.12-14.17 ; Rm 5,12-19 ; Mt 4,1-11.

Ce premier dimanche de Carême nous place devant le drame qui affecte toute notre existence : le péché, acte de rupture de l’homme vis-à-vis d’un Dieu aimant et bon.
Le récit de la Genèse, dans la première lecture, nous remet devant le premier refus de l’homme par rapport à Dieu. Au cœur de la relation entre Dieu et l’homme, vient s’immiscer le fameux « serpent », le diable, le Satan, comme il sera désigné ailleurs.

Accusant Dieu d’hypocrisie et de volonté de puissance qui voudrait étouffer en Adam le désir de communier à la vie divine, il propose à celui-ci de réaliser ce désir mais sans Dieu.

Il lui propose de devenir Dieu par ses propres forces, sans l’aide de la grâce divine, en étant à lui-même sa propre loi. Pur mensonge, qui ne pourra en fait qu’entraîner l’homme sur un chemin de mort, puisqu’avant même, de s’y engager, il se sera coupé de la source de la Vie.

Dans l’évangile, nous retrouvons le tentateur dans le désert, mais cette fois auprès de Jésus. Jésus vient d’être baptisé, et le Père l’a confirmé dans sa filiation divine : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis tout mon amour ». Par trois fois, Satan va essayer de reproduire la tactique mensongère qui avait si bien fonctionné avec Adam et Eve.

A trois reprises, il porte son attaque sur la relation de Jésus à son Père. Tout d’abord, il propose à Jésus de subvenir à ses propres besoins, le poussant implicitement à se soustraire à sa dépendance confiante envers son Père : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Mais Jésus répond : « Il est écrit : Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Jésus traverse victorieusement l’épreuve. Il confesse que la vie véritable se trouve en Dieu et ne tombe pas dans la défiance vis à vis de la Promesse de son Père. Il garde confiance en lui et en son action providentielle car il sait que son Père est fidèle.

Au désert, le peuple d’Israël avait succombé à cette tentation en s’appropriant la manne et en la thésaurisant de peur d’en manquer. Pourtant Dieu avait bien demandé de n’en ramasser que le nécessaire pour chaque jour. Et si Dieu reprenait ses dons ? S’il ne tenait pas parole ? Combien de fois ne nous sommes-nous pas laissés induire dans cette tentation de la défiance par rapport à notre Père ! Jésus nous redit dans cet évangile que le Père est fidèle à sa Promesse et que ses dons sont sans repentance.

La deuxième tentation veut pousser Jésus à obliger le Père à intervenir en sa faveur, ce qui implicitement manifesterait une mise en doute par Jésus de la vérité de la relation qui l’unit à son Père. Jésus ne péchera pas. Il ne mettra pas Dieu en demeure d’opérer un miracle en sa faveur. Jésus nous ramène ici à l’humilité devant Dieu. Je n’ai rien à exiger de lui. Non pas, parce qu’il ferait tout ce qu’il veut, sans tenir compte de ma personne mais parce qu’il fait tout ce qu’il veut, certes, mais en me donnant tout : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » Là encore, la séquelle du péché originel, nous pousserait à  croire que Dieu se garderait pour lui seul quelque chose dont il me priverait. Or Dieu dit à Adam : « Tu peux manger de tous les arbres du Jardin ». Mensonge donc, que les paroles du serpent, qui dit à Eve « alors Dieu a dit que vous ne pouviez pas manger de tous les arbres du Jardin ».

Dieu n’est pas un rival jaloux. Dès le commencement, il nous a tout donné. Le serpent depuis les origines ne cesse de nous murmurer l’inverse.

Alors, n’y tenant plus, le démon découvre ses véritables motivations, conduire à l’adorer servilement en détournant de la véritable adoration qui revient à Dieu seul en tant qu’il est la source de tout bien, expression la plus haute de la filiation par rapport à Dieu. Nous nous trouvons ici devant la tentation suprême du péché contre Dieu, du reniement de Dieu pour suivre des faux dieux, qui pourraient procurer la puissance. C’est devant ces forces ambiguës que le Messie devrait se prosterner pour s’emparer d’un pouvoir, alors que tout lui a été remis par le Père !

Derrière le summum de cette dernière tentation, se profile déjà la montagne du rendez-vous pascal et l’universel pouvoir du Christ. Sur cette montagne, Jésus se révèlera pleinement Fils en s’abandonnant dans une confiance absolue entre les mains du Père.

Et le Père pourra alors manifester pleinement sa paternité en le ressuscitant. Cette victoire de la vie sur la mort et sur le péché, par l’abandon confiant du nouvel Adam entre les mains du Père est ici anticipée par Jésus. Le 1er Adam s’était élevé en oubliant que sa dignité de créature « à l’image » de Dieu, signifiait non pas égalité ou identité mais relation à Dieu, ce qui le conduisit à sa perte. Jésus, second Adam, ne prenant pas prétexte de sa conformité avec Dieu, Lui, au contraire, s’est abaissé et il a été exalté, nous restaurant dans notre relation de fils avec notre Père du ciel (Cf. Ph 2, 6-11)

La liturgie de ce premier dimanche de carême nous remet donc devant la racine de tout péché : la volonté d’autonomie qui est refus de cette dépendance filiale selon laquelle nous avons été créés et qui seule est capable de nous combler puisqu’elle nous garde orientés vers celui qui est la source de tout bien.

Nous voici donc invités, à faire le point, sur nos

comportements, sur les finalités que nous nous fixons au quotidien, dans tel ou tel projet, ainsi que les moyens que nous choisissons pour les rejoindre. La question fondamentale à nous poser pourrait être : quelle est la place de Dieu dans tout cela ?

La tentation se reconnaît à ce qu’elle nous conduit toujours à mettre en doute la bonté, la providence, la miséricorde de Dieu, à notre égard, et nous amène nécessairement à mettre en question notre relation de dépendance filiale vis-à-vis de lui. Les chemins pour y arriver peuvent être divers. La peur et la défiance vis-à-vis de notre Père céleste sont ceux sur lesquels le tentateur nous conduit le plus souvent.

Avec la force de Jésus répondons lui « vade retro ».

Mercredi des Cendres

Mercredi 5 mars 2014

Jl 2,12-18 ;Ps 51(50),3-6.12-14.17 ; 2 Co 5,20-21.6,1-2 ; Mt 6,1-6.16-18.

L’imposition des cendres que nous vivons au début de chaque Carême manifeste le sens de ce temps liturgique. Ce rite signifie le désir de cette mise en route, humble et pénitente, vers la réconciliation promise par le Seigneur dont nous ferons mémoire lors de la veillée pascale.

 Regardons de plus prés les textes de la liturgie de ce jour, ils nous invitent à prendre ce chemin. La première lecture, tirée du prophète Joël, est un appel à « revenir vers le Seigneur de tout notre cœur ».« Déchirez vos cœurs et non vos vêtements » précise le prophète, il nous rappelle ainsi, qu’il s’agit d’une démarche intérieure. Cette démarche doit s’incarner pour se fortifier et porter le fruit attendu. Toutefois l’essentiel réside dans la conversion que le prophète exprime en termes de retour vers le Seigneur duquel nous nous étions éloignés. Et pour bannir toute peur, Joël insiste : « Revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment ». Comme le fils prodigue, nous sommes donc invités à nous mettre en marche vers le Père, dans l’espérance de sa miséricorde.

N’est-ce pas aussi l’essentiel du message que Paul adresse au Corinthiens ? Dans un style particulièrement solennel, il supplie ses frères « au nom de Jésus-Christ » de « se laisser réconcilier avec Dieu ». La forme grammaticale du verbe, -le passif- montre bien que l’initiative de cette réconciliation vient entièrement de Dieu qui seul peut accorder le pardon ; mais en même temps, la supplication souligne que nous avons à désirer et à accueillir ce pardon, lequel pardon nous est offert et non pas imposé. Là encore, il y a une démarche à faire : Dieu appelle par son ambassadeur Paul ; et nous sommes supposés répondre à cet appel en nous mettant en route vers lui.

Ainsi donc, les deux lectures nous proposent de parcourir un chemin ; les traditionnelles processions d’entrée en carême ne le suggère-t-elle pas elles aussi. Comme les Hébreux, il nous faut quitter nos terres, les terres de ‘notre’ Egypte, pour nous mettre en route vers la terre promise. pour atteindre ce terme, il nous faudra oser nous enfoncer quarante jours au désert.

Le désert. Lieu de silence, de dénuement, de solitude, voire même de mort, le désert peut inquiéter ou même rebuter. Mais il peut se révéler aussi comme le lieu privilégié de la rencontre, avec soi, avec Dieu.

N’est-ce pas là tout le sens du Carême : se dépouiller de soi, creuser en soi le désir de rencontrer Dieu en esprit et en vérité. Dégager l'espace où il pourra venir se donner et ce, particulièrement, le jour de Pâques où il nous comblera de sa vie de Ressuscité.

N'est-ce pas cela se convertir, au final ? C’est un ouvrage à remettre sans cesse sur le métier. Il s’agit là d’une véritable lutte à mener contre nos idoles, notre autosuffisance, nos égoïsmes, notre narcissisme… Dans un message qu’il nous adresse en ce carême, le pape Benoit XVI, réfléchissant sur la notion de « justice de Dieu » écrivait : « Se convertir au Christ, croire à l’Evangile, implique d’abandonner vraiment l’illusion d’être autosuffisant, de découvrir et d’accepter sa propre indigence ainsi que celle des autres et de Dieu, enfin de découvrir la nécessité de son pardon et de son amitié ».

Eh oui, le Carême est bel et bien un temps de combat spirituel. L’oraison de la liturgie d’aujourd’hui nous le rappelle. Ce combat, le pape Benoit XVI, toujours dans le même message, l’identifie à celui de l’humilité « pour accepter que quelqu’un d’autre me libère de mon moi et me donne gratuitement en échange son soi ».

Pour mener ce combat, le Seigneur nous offre trois armes : l’aumône, la prière et le jeûne. Par trois fois, Jésus oppose à l’emphase spectaculaire des pharisiens l’humble discrétion de celui qui agit en réponse à l’appel intérieur à la conversion et dont la seule motivation est de se rapprocher de Dieu pour se laisser réconcilier avec lui : « Ton Père qui est présent dans le secret connaît ton action ; ton Père voit ce que tu fais en secret : il te le revaudra ».

La vraie récompense du jeûne, de la prière et de l’aumône, c’est l'intimité retrouvée avec le Père, au terme d'un chemin de décentrement de soi, d’apparente perte du bénéfice de son action, bref de désintéressement, de gratuité.

Jeûner c'est faire de la place en nous pour permettre à Dieu de nous rejoindre. Jeûner c'est aussi reconnaître que le Seigneur est notre unique nécessaire et que tout nous vient de lui. Jeûner c'est enfin reprendre conscience que la seule chose qui ne vient que de nous et que nous pouvons présenter à Dieu pour qu’il nous en libère : c'est la pauvreté de notre péché.

Libérés du trop plein de nous-mêmes nous pourrons alors par la prière rejoindre dans l'intimité celui qui nous précède toujours pour se donner à nous. Dans la reconnaissance du don gratuit de cet amour, résonnera alors l'appel, à nous donner à notre tour gratuitement aux autres. " Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement " (Mt 10,8).

Voilà le sens de l'aumône : donner, se donner, autrement dit, reconnaître que rien ne nous appartient, que tout nous est donné gratuitement par Dieu, à commencer par le don merveilleux de la vie. C’est alors que nous entrons dans la véritable justice, une « justice » plus grande que celle des hommes, celle de l’amour (cf. Rm 13, 8-10) : « la justice, comme le précise le saint Père, de celui qui, dans quelque situation que ce soit, s’estime davantage débiteur que créancier, parce qu’il a reçu plus que ce qu’il ne pouvait espérer ». Qu’aurais-je à retenir à mon frère ? Encore plus, qu’aurais-je à retenir à Dieu alors que Lui, en son Fils, a tout donné à chacun d’entre nous, Lui qui nous a aimé « jusqu’à faire passer en lui la malédiction qui était réservée à l’homme pour rendre à l’homme la bénédiction réservée à Dieu ». Folie de l’Amour de Dieu.

Le Carême est ce chemin vers la vie, chemin de vie. Le Christ nous y précède. N'ayons pas peur de le suivre. Il est déjà vainqueur. Notre combat c'est celui de la disponibilité pour accueillir les fruits de sa victoire. Mais là aussi la grâce nous précède dans la personne de l'Esprit-Saint.

Concluons en reprenant à notre compte l'exhortation de  Paul dans la deuxième lecture : « Ne laissons pas sans effet la grâce reçue de Dieu. Car c’est maintenant le moment favorable, c’est maintenant le jour du salut où le Seigneur nous exauce et vient à notre secours ».

 

8e Dimanche du temps ordinaire

Dimanche 2 mars 2014

D’où viennent nos divisions, nos oppositions, nos conflits ? De nos divisions, de nos oppositions, de nos conflits intérieurs, que nous projetons - individuellement et collectivement - sur notre entourage ! « Aucun homme ne peut servir deux maîtres », nous dit Jésus ; et pourtant, combien de faux maîtres n’avons-nous pas ? Tantôt nous aimons l’un et détestons l’autre, tantôt nous nous attachons à ce dernier et méprisons le premier. Nous sommes sans cesse en contradiction intérieure, divisés entre nos multiples appartenances contradictoires.

Jésus choisit pour exemple l’argent, qui constitue le modèle le plus parfait de nos convoitises, puisqu’il donne accès à l’avoir, au pouvoir et à la gloire selon ce monde. Ce n’est pas l’argent en tant que tel qui est mis en cause : s’il n’existait pas, il faudrait réinstaurer le troc - ce qui ne serait probablement guère mieux. Mais c’est notre relation à l’argent que Jésus critique : de serviteur, ou plutôt de moyen d’échange de biens et de services, il est devenu une fin en soi, un absolu, en un mot une idole. Lorsque Jésus met en accusation « l’argent trompeur » (Lc 16, 9), il dénonce le mensonge qu’il représente : ces quelques pièces de métal éveillent en nous des désirs inavouables, qui sont à mettre en lien avec le péché des origines. Coupés de Dieu, nous sommes enfermés dans nos peurs : peur de l’avenir, peur de l’autre, peur de la maladie, peur des imprévus, peur des revers de fortune ; aussi sommes-nous en quête de sécurité, d’assurances en tous genres, que nous espérons trouver dans l’argent, supposé nous prémunir de tous les aléas de la vie.

Illusoire est le repos qui prétend se fonder sur l’abondance matérielle ! Souvenons-nous du propriétaire dont les terres avaient beaucoup rapporté et qui se disait : « Te voilà avec des réserves en abondance pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence. Mais Dieu lui dit : “Tu es fou : cette nuit même, on te redemande ta vie. Et ce que tu auras mis de côté, qui l’aura ?” ». Et Jésus de conclure : « Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu » (Lc 12, 16-21). Heureux celui qui peut dire avec le Psalmiste : « Je n’ai de repos qu’en Dieu seul, mon salut vient de lui : lui seul est mon salut, la citadelle qui me rend inébranlable » (Ps 61) ; il ne sera pas déçu, car il a mis dans le Très-Haut son espérance. Cela ne signifie pas qu’il sera à l’abri des épreuves, mais celles-ci vérifieront la qualité de sa foi, de sa confiance en Dieu : « Mes frères, quand vous butez sur toute sorte d'épreuves, pensez que c'est une grande joie. Car l'épreuve, qui vérifie la qualité de votre foi, produit en vous la persévérance, et la persévérance doit vous amener à une conduite parfaite ; ainsi vous serez vraiment parfaits, il ne vous manquera rien » (Jc 1, 2-4).

Pour faire confiance au Seigneur, il nous faut d’abord nous laisser guérir de notre défiance envers le Dieu rival, jaloux de notre bonheur, cette idole monstrueuse qui tyrannise notre cœur depuis que le Serpent a perverti en nous l’image du Dieu Père. Les quelques versets du prophète Isaïe que la liturgie nous propose en première lecture sont un véritable antidote contre ce venin : « Jérusalem disait : “Le Seigneur m’a abandonnée, le Seigneur m’a oubliée”. Est-ce qu’une femme peut oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même si elle pouvait t’oublier, moi, je ne t’oublierai pas. Parole du Seigneur tout-puissant ».

Où est-il le paternel tyrannique qui nous enferme dans la peur ? Cette idole n’a jamais existé que dans notre cœur blessé par le mensonge de l’Ennemi ; la peur de Dieu est l’ivraie la plus redoutable que le malin ait semée dans le champ de nos vies. Elle pousse avec le blé et menace de l’étouffer ; mais le seul moyen de l’empêcher de nuire, ce n’est pas de l’arracher au risque d’arracher aussi les épis, mais c’est de promouvoir la croissance du bon grain, en fortifiant notre foi par l’écoute de la Parole et l’accueil de l’Esprit d’amour dans la prière et les sacrements (cf. Mt 13, 24-30).

Jésus ne nous demande pas de nous retirer du monde pour bannir tout usage de « l’argent trompeur » (Lc 16, 9). Ce que Jésus récuse, c’est de servir l’argent et de lui être asservi, au lieu de nous servir de l’argent pour faire le bien. Notre relation à l’argent - comme toutes nos relations d’ailleurs - doit être ajustée à la Révélation du vrai visage de Dieu : « Votre Père céleste sait ce dont vous avez besoin ». Jésus veut nous conduire de l’état d’esclave de l’argent trompeur, à celui de fils dans la maison de son Père.

C’est donc une double idolâtrie qu’il dénonce, l’une entraînant probablement l’autre : l’idolâtrie d’un Dieu lointain, exigeant, indifférent aux besoins de l’homme ; et l’idolâtrie de l’Argent. Il n’est pas impossible que la seconde ne soit qu’une compensation pour l’insatisfaction engendrée par la première. Telle est l’attitude des « païens » qui ignorent le vrai visage de Dieu, et continuent de s’inquiéter quotidiennement quant au boire et au manger.

Celui qui se sait fils du Père, travaille certes pour subvenir aux besoins des siens, et participe au bien commun de la société à laquelle il appartient ; mais il le fait dans la liberté filiale, c’est-à-dire dans la certitude que Dieu est avec lui dans son effort comme dans son repos, dans ses succès comme dans ses échecs professionnels.

De maître, l’argent peut devenir serviteur parce que dans son rapport à Dieu, le croyant est passé de la servitude au service, de la peur à la confiance filiale. Son souci n’est plus de sauvegarder sa vie - il sait maintenant qu’il la reçoit à chaque instant de son Père comme un don d’amour - mais de travailler pour établir la justice du Royaume, c’est-à-dire de rendre à chacun ce dont il a besoin afin qu’il puisse vivre dans la dignité de fils de Dieu ; à commencer par ceux qui lui sont les plus proches : ceux qui lui sont confiés et qu’il est chargé de servir.

« Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout vous sera donné par surcroît. », nous dit Jésus en conclusion.

7è Dimanche du temps ordinaire

Dimanche 23 février 2014

Nous achevons aujourd’hui la lecture du « sermon sur la montagne », dont l’ampleur se déploie depuis trois semaines et nous emmène, dans un ultime mouvement à la contemplation de la splendeur du Père. Jésus continue de révéler l’essence de la vie chrétienne en confrontant son enseignement aux certitudes et aux pratiques en vigueur. « Vous avez appris qu’il a été dit… eh bien moi je vous dis ».

Le premier adage établit une loi d’équivalence. Il s’agit d’une prescription biblique visant à établir un équilibre, à introduire une pondération du désir de vengeance dans les relations humaines. Le chant de Lamek - « Oui, j’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. Oui, Caïn sera vengé 7 fois, mais Lamek 77 fois » (Gn 4,23-24) – ce chant est étouffé par la loi du talion - « œil pour œil, dent pour dent » (Ex 21,24). Cette loi ne peut cependant, représenter qu’une étape vers la sagesse. Elle évite à l’homme de tomber dans l’excès. Jésus nous invite à prendre le risque d’être humain. L’équilibre de la loi du talion consiste en un effet de miroir, imposant des mutilations réciproques qui tiennent les hommes à distance. La loi de l’amour, au contraire, renonce à l’identique du miroir de nos haines pour affirmer la liberté du sujet : « Eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ».

Affirmer sa liberté pour s’affranchir du cercle vicieux du mal n’est cependant pas la seule exigence de l’amour. Il faut encore venir au secours du frère qui a cédé à la violence et l’inviter à communion fraternelle. Jésus appelle cela « tendre l’autre joue ». Par ce geste, Il ne nous invite pas à réclamer une nouvelle manifestation de violence ; il attend de nous que nous reconstruisions la fraternité. Tendre l’autre joue consiste à exposer une vulnérabilité volontaire, à découvrir la confiance née de l’amour, à montrer que rien ne pourra affecter la charité. Tendre l’autre joue consiste à dire au méchant qu’il est reçu comme un frère parce qu’il l’est. L’acte de violence est désamorcé de l’intérieur par un geste d’abandon confiant. Seule la confiance peut conduire à l’amour.

De même, celui qui use du pouvoir. Le procès représente la puissance implacable de la justice des hommes, qui quantifie le mal. En cela, elle peut être rapprochée de la loi du talion. Or Jésus veut sauver l’homme. Sa réponse est celle d’un surcroît d’amour, d’une surenchère du don. Combien faut-il donner à celui qui veut prendre ? Davantage ! Comblé au-delà de sa convoitise, le voleur réalise d’abord que le chemin de l’amour est plus profitable que celui de la puissance, puis il se rapproche de celui qui, en donnant, l’introduit dans la fraternité.

Ainsi, en donnant son manteau en plus de sa tunique, en offrant deux mille pas à celui qui en impose mille, l’amour montre qu’il a toujours l’initiative. Tel est l’exercice de la liberté qui plaît au Seigneur : renoncer à la réaction primaire qui engendre la réciprocité et qui se mesure en équivalences, pour choisir l’initiative du don et la créativité de l’amour construisant la communion. « Donne à qui te demande ; ne te détourne pas de celui qui veut t’emprunter. »

L’initiative de l’amour doit alors être menée à son terme : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent ». Jésus ne se contente pas de dénoncer notre système d’équivalence dans la vengeance et dans la violence, il entend que nous renoncions aussi à notre système d’équivalence dans le bien. L’amour ne s’établit pas sur la reconnaissance des similitudes, il ne grandit pas par réciprocité - le frère aimant celui qui est un frère pour lui, l’ami aimant celui qui est un ami pour lui. L’amour procède d’un don gratuit reposant sur une altérité irréductible. Celui qui est à aimer n’est pas le même, il est l’autre ; il n’est pas celui qui est proche, mais celui dont on se rend proche. Ailleurs, Jésus dira : celui dont on se fait le prochain.

Pour autant, Jésus ne renonce pas à nos distinctions. L’autre n’est pas toujours un ami ; il peut être un ennemi. Il est important de le souligner et de ne pas considérer, au nom de notre christianisme, que tous les hommes sont nos amis. L’objectivité de la Parole de Dieu l’emporte sur les bons sentiments. Nous avons des ennemis ; c’est un fait. Reste à bien comprendre qui sont-ils et que nous veulent-ils. Malheureusement, la sainteté de la plupart d’entre nous n’est pas telle que nous représentions une menace pour l’esprit du monde. Ainsi, nos ennemis visent plus loin, plus grand que nous. Plus exactement : plus profond. Le sceau baptismal. Le lien filial. L’Ennemi cherche à atteindre et à défigurer le Christ en nous !

« Priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux ». Affirmer et affermir notre identité filiale est la seule réponse appropriée. Le commandement de l’amour que Jésus nous laisse ne va pas sans la révélation du don de l’amour : l’être filial. Ainsi se déploie la pédagogie de Jésus : donner à qui demande, dans l’initiative de l’amour, et devenir des fils en aimant sans condition, en aimant les ennemis qui voudraient mutiler l’être filial. La logique de l’équivalence est dépassée, la riposte n’existe plus. Seul le don transfigure la haine et manifeste la filiation divine. L’amour fait devenir fils.

Ainsi atteignons-nous le sommet du discours de Jésus. Car le fils fait les œuvres du Père. En développant ces antithèses, Jésus ne tente pas d’édifier un nouveau code moral ; il nous introduit dans la contemplation de la splendeur du Père. « Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Tous les comportements que Jésus demande et que ses disciples vivent, par grâce, manifestent la grandeur du Père.

« Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir », disait Jésus la semaine dernière. Nous mesurons mieux à présent la nouveauté de cet accomplissement. Jésus ne rejette pas la Loi, il ne renonce à aucune catégorie morale, il nomme clairement les justes et les injustes, les bons et les méchants.

Mais Jésus révèle que le Père agit autrement que nous qui rejetons les uns et choisissons les autres. Le Père fait lever le soleil et tomber la pluie sur les uns comme sur les autres. Le Père s’occupe autant des justes que des injustes, des bons que des méchants ; il ne donne pas à chacun selon ce qu’il paraît mais selon ce qu’il est destiné à être : un fils dans le Fils. Tel est l’accomplissement que réalise le Fils et qui révèle l’agir du Père. Tel est l’œuvre des fils de Dieu : ils ne cherchent pas la perfection de la Loi mais la perfection de la vie filiale, se rappelant que la Loi est faite pour le fils. « Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Le fils doit rechercher la perfection du Père, qui est amour, parce que la justice des disciples du Christ trouve sa source dans la fécondité de l’amour du Père, elle est à leur portée.

Quelle Bonne Nouvelle pour nous aujourd’hui ! Père Saint, que ton Nom soit sanctifié !

6è Dimanche du temps ordinaire

 Dimanche 16 février 2014

Si 15,15-20; Ps 118 -117, 1 Co 2,6-10; Mt 5,17-37.

« La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix » (1ère lect.). Ce verset tiré de la première lecture de ce dimanche, pourrait être une illustration des deux Arbres du livre de la Genèse : l’Arbre de la vie et l’Arbre de la connaissance du bien et du mal (Gn 2, 9). Nous ne sommes pas « déterminés » au mal ; le péché n’est pas une fatalité ; mais nous sommes invités à discerner le bien à la lumière de l’Esprit, et à l’accomplir dans la force qu’il nous donne : « Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle » souligne le sage Ben Sirac. Telle est la Bonne Nouvelle annoncée par lui, Bonne Nouvelle réalisée en Jésus, mort au péché, et ressuscité dans la puissance de l’Esprit de liberté et de vie. Car la vraie liberté consiste à pouvoir discerner et choisir ce qui promeut la vie que le Père nous donne et dont il veut nous combler.

La Révélation nous enseigne qu’après la rupture du péché, qui avait conduit au triomphe de la mort, cette liberté nous est à nouveau donnée dans la participation à la vie filiale de Jésus (cf. 2 P 1, 4). Tel est le projet de Dieu sur nous, « sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire. Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, a révélé cette sagesse » (2ème lect.).

 

Dès lors, si la vérité de notre condition humaine consiste à vivre uni au Christ, l’union à Jésus par la foi, est l’unique chemin qui nous conduit à l’Arbre de vie, il nous restaure dans une relation filiale avec Dieu, et nous ouvre à la fraternité universelle.

 

On comprend dès lors que loin de vouloir « abolir » les commandements qui balisent notre marche sur le chemin de la liberté et de la vie, Jésus est tout au contraire venu « accomplir la Loi et les Prophètes », afin de mettre en pleine lumière la voie qui conduit à Dieu, son Père et notre Père, en passant par l’obéissance à sa Parole.

 

Cette suprême sagesse, nous dit Paul dans la 2nde lecture, est cependant aux antipodes de « la sagesse de ceux qui dominent le monde », autrement dit à cette part de l’humanité qui refuse l’illumination du Verbe.

 

Certes la justice humaine, qui s’efforce par tous les moyens de défendre les « droits » des individus, est une valeur précieuse ; pourtant elle est insuffisante aux yeux de Jésus : « Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux » nous dit-il. Jésus n’a pas l’intention de rajouter d’autres commandements - on n’atteint pas l’amour en multipliant les préceptes, les commandements - mais il annonce la nécessité d’un saut qualitatif, qui ne peut se réaliser que dans l’Esprit, qu’il va répandre sur toute chair au matin de Pentecôte.

Notons que les exemples cités par Jésus ont tous trait à la violence dans les relations, dont Il dévoile toute l’ampleur :

- la colère menace la vie physique du frère ;

- l’insulte le blesse profondément dans sa vie psychique ;

- la malédiction l’exclut du champ religieux ;

- la concupiscence du regard, commet déjà intentionnellement l’adultère, qui fait

violence à la relation d’alliance nuptiale ;

- la répudiation est une violence faite au droit de l’épouse à la fidélité et à la

stabilité familiale ;

- le serment prononcé à la légère, fait violence à la confiance.

La stricte justice se contente de réguler tant bien que mal les formes extérieures de cette violence, mais sans pouvoir ni la déraciner, ni la remplacer par un ordre supérieur, celui de la charité.  

Seul l’Esprit peut nous donner d’accomplir cette conversion de la violence à la douceur, la patience, la compassion, la tendresse, en un mot : à l’amour. Hélas trop souvent nous nous berçons d’illusion quant à la dureté du chemin : les comparaisons de Jésus nous font pressentir la radicalité des renoncements qu’implique une telle conversion : « Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi, car c’est ton intérêt de perdre un de tes membres et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne ». Emile Nicole écrit : « L'image du chrétien mutilé mais sauvé nous montre quelle peut être l'ardeur de cette lutte et prévient toute association abusive entre la grâce et la facilité. La grâce de Dieu n'a pas pour objet de nous éviter les résolutions difficiles, les sacrifices, les amputations, mais de les rendre possibles ». 

L’Esprit m’est donné, à moi, pour pouvoir faire les choix radicaux, arracher de ma vie et jeter loin de moi ce qui m’empêche d’être libre de la liberté des fils, même si ce dont j’ai à me séparer et d’un grand prix à mes yeux. Que pourrions-nous mettre en balance avec la Perle rare, le Trésor unique de la Vie éternelle ?

 

L’oraison d’ouverture de la messe d’aujourd’hui ne demande pas à Dieu de nous permettre d’observer scrupuleusement tous les commandements, mais « de vivre selon sa grâce », car « Dieu veut habiter les cœurs droits et sincères » (Or. d’ouvert.). En effet, la sagesse que « le cœur de l’homme n’avait pas imaginée, et qui avait été préparée pour ceux qui aiment Dieu » (2ème lect.)n’est autre que l’Esprit Saint, c'est-à-dire la Charité infuse, cette force surnaturelle qui nous permet de vaincre l’inertie du vieil homme, et de vivre dans la logique de l’amour, c'est-à-dire du primat du don.  

Les « adultes dans la foi », autrement dit les croyants qui ont engagé résolument le combat avec la partie obscure d’eux-mêmes, et dont la foi est vivante par une charité qui se met en peine, ne sauraient être déçus dans leur espérance, car ils ont déjà part à leur héritage ; ils savent que « les yeux du Seigneur sont tournés vers ceux qui le craignent » (1ère lect.) pour leur faire grâce au temps voulu et leur « donner part à sa gloire » (Ibid.).

 

La conversion radicale à laquelle nous invite Jésus, implique aussi de reconnaître qu’en Lui nous sommes tous frères, étant fils d’un même Père. Nous ne nous tenons donc jamais seuls devant l’autel : en chacun de nous, c’est le Corps tout entier qui présente son offrande à Dieu. Dès lors, comment notre Père des cieux pourrait-il se réjouir du don de ses enfants, s’ils sont divisés entre eux ? Voilà pourquoi « lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande ».

 

Toutes les interpellations lancées par Jésus sont personnelles ; il n'est pas question de couper la main ou le pied de mon frère, ou de lui arracher l'œil : c'est de mon problème qu'il s'agit. Puissions-nous discerner dans ces Paroles déconcertantes un appel à oser nous engager résolument sur le chemin de la vraie liberté, celle de l’amour de charité ; puissions-nous accueillir la force de l’Esprit pour arracher et jeter loin de nous ce qui menace notre participation à la vie divine, notre héritage.

5è dimanche du temps ordinaire

Dimanche 9 février 2014

Is 58,7-10; Ps 111(110); 1 Co 2,1-5; Mt 5,13-16.

 

C’est un appel pressant qui résonne dans l’évangile d’aujourd’hui. Appel pressant adressé par Jésus à ses disciples, mais qui nous rejoint, par-delà les siècles, dans l’aujourd’hui de notre existence.

 

Ces paroles du Christ font suite à l’évangile des béatitudes. Ce sont donc des paroles de vie qui nous ouvrent au bonheur de la possession de la vie éternelle. D’une certaine manière, elles sont une invitation à choisir la vie, à dire « oui » à la vie de Dieu. Comment ? En accueillant la vérité de ce que nous sommes.

 

Car, dans ces paroles de Jésus, c’est bien de notre identité de chrétiens dont il est question : « Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde ». Remarquons que Jésus précise que nous ne sommes pas simplement « sel » et « lumière » mais « le » sel de « la terre » et « la » lumière « du monde ».

 

« Du monde » : Ces paroles sont aussi celles d’un envoi en mission. Etre et agir chrétien se retrouvent ainsi liés, le second ne se révélant tel que dans la mesure où il découle du premier.

 

Par l’emploi des articles définis, ces paroles nous révèlent encore que cette mission de « saler » et d’« illuminer » le monde nous est propre et que personne ne l’accomplira à notre place. Elles nous invitent donc à être responsables de ce que nous sommes en tant que chrétiens.

 

Revenons sur l’image du sel. Le sel est utilisé pour conserver et maintenir saine la nourriture. Quelle est la nourriture des hommes si ce n’est la présence du Christ dans ses sacrements, sa Parole et dans l’action aimante et miséricordieuse de son Esprit ? C’est donc à nous qu’il revient de garder vive la conscience de la présence du Christ-Sauveur au milieu des hommes, particulièrement dans la célébration de l’Eucharistie, mémorial de sa mort et de sa résurrection glorieuse et dans l’annonce de la puissance de salut qui réside dans son Evangile.

 

Le sel est aussi ce qui relève le goût et la saveur des aliments. Ainsi, le chrétien est appelé à améliorer la « saveur » de l’histoire des hommes. Cela, il le réalise tout particulièrement en vivant des trois vertus théologales qu’il a reçu le jour de son baptême. Ce qui nous vient de Dieu nous rend toujours plus homme, car toujours plus à son image et à sa ressemblance. Par la foi, l’espérance et la charité, nous sommes donc invités à illuminer et humaniser un monde qui vit dans la nuit de la défiance, du désespoir et de l’indifférence. La première lecture nous le rappelait : « Si tu fais disparaître de ton pays le joug, le geste de menace, la parole malfaisante, si tu donnes de bon cœur à celui qui a faim, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi. »

 

Le lien est ainsi fait entre le « sel » et la « lumière ». L’invitation que le Christ nous adresse à faire resplendir la « lumière » aux yeux de tous signifie que toute notre vie devrait être le reflet de la flamme de l’Esprit Saint dont nous avons reçu la marque au baptême et qui désormais habite en nos cœurs (cf. 2 Co 1, 22). 

Cette flamme, lorsqu’elle est vivante, se manifeste à travers les œuvres de charité, mais aussi à travers la proclamation de l’Evangile, de la Bonne Nouvelle du salut offert à tous en Jésus-Christ mort et ressuscité. Dans le discours qu’il a tenu le 11 mars 2006 à l’occasion du quarantième anniversaire du Décret « Ad gentes » du Concile Vatican II, Benoît XVI rappelait que « l'annonce et le témoignage de l'Évangile sont le premier service que les chrétiens doivent rendre à chaque personne et au genre humain tout entier, appelés à transmettre à tous l'amour de Dieu qui se manifeste en plénitude dans l'unique Rédempteur du monde, Jésus Christ » (DC 103 (2006), p. 506). 

Ce service de l’annonce de l’Evangile sera fécond, il sera vraiment « service de charité », s’il ne repose pas sur nos propres forces mais si « c’est l’Esprit et sa puissance » qui se manifestent à travers lui (cf. 2ème lecture).

 

Une flamme naturelle, aussi faible soit-elle, soulève toujours le lourd manteau de la nuit. Combien plus une flamme, nourrie de la grâce même de la vérité et de la charité divine, de « la puissance de Dieu », ne dissipera-t-elle pas les ténèbres du mensonge qui donne l’illusion de pouvoir vivre sans Dieu et de la mort qui s’ensuit !  

« Caritas Christi urget nos – l’amour du Christ nous presse »(2 Co 5, 14). Tout au long de l’histoire de l’Église, des fidèles ont témoigné de cela en lançant des initiatives et des œuvres en tout genre pour annoncer l’Évangile au monde entier et dans tous les secteurs de la société. C’est là une invitation pérenne pour chaque génération chrétienne afin qu’elle mette en œuvre avec générosité le mandat du Christ.

4ème dimanche ordinaire

Fête de la Présentation

Dimanche 2 février 2014

Ml 3,1-4; Ps 24(23),7-10; He 2,14-18; Lc 2,22-40.

« Lorsque furent accomplis les jours pour leur purification... ils l'emmenèrent (l'enfant) à Jérusalem pour le présenter au Seigneur »(Lc 2, 22). Quarante jours après la naissance de Jésus, Marie et Joseph l’offrent à Dieu comme leur fils unique, ils obéissent ainsi à la Loi de Moïse, selon laquelle, tout premier né, devait être racheté par un sacrifice, quarante jours après sa naissance (cf. Ex 13, 2.12; Lv 12, 1-8).

Cette offrande trouvera son parfait achèvement dans la passion, dans la mort et la résurrection de Jésus, qui réalisera alors en plénitude sa mission de « grand prêtre miséricordieux et fidèle » (He 2, 17). La prophétie de Siméon est significative : cet enfant qu’il reconnaît comme le Messie (Lc 2, 25-32) sera la lumière des nations et la gloire d’Israël (v. 32) mais il sera aussi « un signe en bute à la contradiction » (v. 34) car selon l’Ecriture il réalisera le jugement de Dieu.

Nous voyons bien la portée eschatologique de tout cela. Jésus est le Messie, le Christ, l’Epoux qui vient accomplir l’alliance nuptiale avec Israël. Mais encore faut-il être disposé à accueillir l’Epoux qui vient à notre rencontre.

Aujourd’hui, nous contemplons tout particulièrement les personnages de l’évangile, Siméon et Anne, comme autant de figures de ceux qui attendent et ouvrent docilement leur cœur à la rencontre avec Jésus. Rappelons-nous que la tradition orientale appelle la fête d'aujourd'hui la « fête de la rencontre », car, dans l'espace sacré du temple de Jérusalem, se réalise la rencontre entre la bienveillance de Dieu et l'attente du peuple élu.

Un des aspects fondamentaux de la vie consacrée, est précisément de rappeler, à l’homme, les dispositions de cœur qu’il doit entretenir pour accueillir Celui qui veut venir épouser son humanité, pour la sanctifier, la diviniser. Voilà la raison pour laquelle, l’Eglise célèbre en ce jour de la Présentation du Seigneur la « Journée de la vie consacrée ».

La personne consacrée comme Siméon invite tout homme à revenir à son désir fondamental : voir Dieu, le contempler dans la paix. Comme Anne, elle rappelle à tout homme que c’est par sa persévérance dans la prière, le service de la charité, et le don de soi, qu’il se préparera de la meilleure des manières à accueillir Jésus dans sa vie pour se laisser transformer de l’intérieur par cette présence, qui seule, est capable de le combler de joie.

La présentation de Jésus au temple, consacré au Seigneur selon la prescription rituelle de l’époque, annonce en effet le don de Jésus par amour de Dieu et des hommes, et l’offrande suprême de la Croix.

 La prophétie de Siméon, manifeste ce lien, entre la présentation au Temple, et l’offrande de la Croix, où s’accomplit le véritable sacrifice rédempteur. Cela nous ramène là encore à la vie consacrée, qui, inspirée par le don du Christ, veut témoigner qu’il n’y a pas d’autre chemin à la suite de Jésus que celui du don et de l’abandon. Le consacré rappelle à tout baptisé qu’être disciple du Christ passe par l’offrande totale de soi, chemin qui, s’il débouche sur la résurrection et la vie éternelle, passe inévitablement par la croix et la mort au vieil homme et au péché en chacun de nous.

L’occasion nous est donnée, en cette fête, de nous laisser renouveler dans notre ardeur spirituelle, dans notre marche à la suite de Jésus sur le chemin du don, don de nos vies, dons de nos personnes. Le secret de cette ardeur se trouve dans l’Eucharistie. Elle actualise en effet le don jusqu’au bout de Jésus et nous permet de nous y unir chaque jour davantage. A chaque Eucharistie, Jésus nous enseigne à donner notre vie pour nos frères en union avec la sienne.

Redisons au Seigneur, notre volonté de le suivre sur le chemin de l’offrande totale de lui-même, le seul qui conduise à la vie éternelle. Qu’il nous libère de nous-mêmes, de nos égoïsmes, de notre narcissisme, que nous puissions au cours de cette Eucharistie le recevoir en profondeur, que nous puissions au cours de cette Eucharistie nous unir à Lui dans l’offrande de sa vie. Nous pourrons alors au cœur de notre monde témoigner véritablement, à l’image de ces cierges que nous avons allumés au début de cette célébration, qu’il est le « salut préparé par Dieu à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations, et gloire de son peuple Israël. »

 

 

3ème dimanche du temps ordinaire

Dimanche 26 janvier 2014

Is 8,23 + 9,1-3; Ps Ps 27(26),1.4.13-14; 1Co 1,10-13.17; Mt 4,12-23.

« Jésus quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord du lac, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali ». Cette précision de Mathieu,  n’a pas pour objectif de nous donner des renseignements touristiques, sa visée est théologique, il l’explique : « Ainsi s'accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète Isaïe », et de citer la première lecture que nous avons entendue. Arrêtons-nous un instant sur cette lecture.

Zabulon et Nephtali sont deux régions du Nord. À l’époque dont parle Isaïe, le royaume d’Assyrie les annexa et les humilia fortement. La honte de la défaite, et le souvenir des déportations, furent un traumatisme cuisant. Or, le prophète l’annonce fermement, ces souvenirs seront bientôt effacés. La conviction du prophète est si grande qu’il se permet de parler déjà au passé : « sur ceux qui habitaient le pays de l'ombre une lumière a resplendi ».

Autrement dit, à ceux, à qui il veut redonner l’espérance dans le Seigneur qui sauve son peuple, Isaïe n’hésite pas à parler comme si le salut promis -était déjà arrivé-. Telle est la force de la Parole de Dieu : elle réalise ce qu’elle annonce. Isaïe considère que la joie de la libération promise, peut légitimement déjà s’exprimer : « ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit en faisant la moisson ». Le prophète évoque la joie à venir et invite à en vivre déjà, par la foi.

Le psaume reprend en écho ces encouragements : « J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ; espère le Seigneur ». Cette foi permet de se réjouir déjà, des biens promis, elle repose sur une authentique connaissance de Dieu, parce que le « Seigneur est ma lumière et mon salut ». Par la foi, on possède les réalités qu’on espère, le possessif, « ma » lumière et « mon » salut, introduit une dimension originale dans la relation au salut : ce possessif est lui-même acte de foi. La lumière qui se lève pour les nations se lève pour moi. Le salut promis à Zabulon et Nephtali est la libération qui m’est offerte personnellement.

Il est donc essentiel pour le croyant de proclamer les psaumes. Il trouve sa force dans cette proclamation qui le dépasse, et qui le rend libre, parce qu’elle est la vérité. « Le Seigneur est ma lumière et mon salut ». Il redit l’espérance qui l’habite et affirme son accomplissement. Ce faisant, il s’appuie sur le roc et devient un roc, pour ceux qui l’écoutent. Ainsi, par la citation qu’il fait de la prophétie d’Isaïe, Matthieu nous enseigne que nous pouvons redoubler de joie, car non seulement, la promesse de libération s’accomplit, mais encore, elle s’accomplit en Jésus-Christ. Voilà ce qu’il nous dit, lorsqu’il explique, que Jésus est venu s’installer à Capharnaüm.

Quant à la deuxième lecture, il ne faut pas la réduire à un appel à l’unité dans nos communautés. Ce texte est également à lire dans la ligne de l’évangile de ce jour, où Jésus lance un appel à la conversion, où Jésus appelle ses premiers disciples. Paul nous rappelle, qu’au-delà de Paul, de Pierre ou d’Apollos, il y a le Christ. Tous les regards doivent être tournés constamment vers lui. Lui s’est livré pour nous, lui seul nous sauve. Ainsi, quand il appelle ses disciples, Jésus ne cherche pas à réunir des compétences dont il aurait besoin : il rassemble ceux qu’il a souverainement choisis pour être les témoins de son Évangile.

 Paul le dit : « le Christ ne m'a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l'Évangile, et sans avoir recours à la sagesse du langage humain, ce qui viderait de son sens la croix du Christ ». Ce n’est pas au nom d’une compétence d’orateur qu’aurait acquise Paul, qu’il a été choisi, mais pour annoncer un Messie crucifié, folie pour la sagesse du monde.

Les textes de ce jour nous placent ainsi en opposition avec la logique mondaine. Après avoir été invités à nous réjouir sans attendre la réalisation complète d’une promesse, les lectures nous demandent d’annoncer une Bonne Nouvelle sans chercher à la justifier. Elle est sa propre justification car elle opère le salut qu’elle annonce.

Au final, la foi est aussi simple qu’un matin qui se lève. Mais il s’agit d’une aurore nouvelle, l’astre d’en haut se levant sur le peuple qui habite les ténèbres est le Christ lui-même. Nous avons à entrer dans la nouveauté de cette lumière, et le Christ nous y invite : « convertissez-vous car le Royaume des cieux est tout proche ». Il est temps de passer des ténèbres à la lumière, du péché à la vie filiale, de la désespérance à l’espérance, de l’accablement à l’allégresse. La démarche de conversion est personnelle, tout comme l’appel de Jésus à le suivre et un appel adressé personnellement.

Là est le chemin du salut. « Venez derrière moi », nous dit Jésus. Il n’a pas dit « venez avec moi » comme si nous marchions d’égal à égal. Il dit « venez derrière-moi », c'est-à-dire : « devenez mes disciples », ou encore : « mettez-vous à mon école ». Il nous invite à entrer dans une relation de maître à disciple. La conversion que Jésus demande, est donc un abandon de nos revendications, de nos désirs d’autonomie, de nos choix de mort qui ont enténébré le monde. Cette conversion, est le choix d’un maître à suivre, et à imiter, elle est le choix exclusif de Dieu.

Notre plus grand émerveillement, à l’écoute de cet ordre de Jésus, n’est pas dans le chemin qu’il ouvre vers la vie. Le plus touchant est que cet ordre est également une prière. Quand il vient pour nous sauver, Dieu a la délicatesse de commencer par nous demander notre collaboration. Le Seigneur, ne se contente pas de couvrir de gloire, les territoires humiliés, selon la promesse faite par son prophète Isaïe, mais il les invite à relever la tête, il leur donne d’accueillir dans la dignité la gloire qu’il leur avait promise.

L’humanité entière est appelée à accueillir le salut. « Galilée, carrefour des nations » est l’expression de cette promesse de l’ouverture du salut à tous les peuples de la terre. Promesse que, quelles que soient les oppositions, et les persécutions, celle de Jean-Baptiste ou, plus tard, celle des disciples de Jésus, le rayonnement de la lumière de la résurrection, transfigurera le monde entier. Les signes attestent la vérité de la Parole, le Royaume de Dieu est bien là, car « toute maladie et toute infirmités » sont guéries.

Sans hésiter, mettons-nous avec une radicalité renouvelée, à la suite de celui qui nous appelle à passer des ténèbres à son admirable lumière, et redisons avec le psalmiste, la seule prière de demande qui ait de l’importance : « J'ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche : habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie ».

 

2ème dimanche du temps ordinaire

Dimanche 19 janvier 2014

Is 49,3.5-6; Ps 40(39),2.4.7-11; 1 Co 1,1-3;  Jean 1,29-34.

« Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Ces paroles Jean-Baptiste annonce la venue du Règne de Dieu dans l’histoire des hommes, l’avènement des anciennes prophéties à propos du messie, l’inauguration des derniers temps, ce temps durant lequel le salut de Dieu va être offert à tous les hommes.
Tout cela s’accomplit en Jésus-Christ. C’est lui le Fils élu, en qui Dieu manifeste sa gloire, c’est lui le « Serviteur » consacré par l’Esprit Saint pour réunir les dispersés d’Israël, c’est lui « la lumière des nations » qui porte le salut aux extrémités de la terre, c’est lui l’ « Agneau » de la Pâque nouvelle qui par sa mort et sa résurrection réalise la libération et scelle dans son sang la Nouvelle et éternelle Alliance.
La mission de Jésus, solennellement proclamée au moment du Baptême dans le Jourdain, atteint son sommet dans le mystère pascal, lorsque sur la croix, Lui, le véritable Agneau immolé pour nous, libère et rachète l'homme, chaque homme, du mal et de la mort.

L’eau et le sang qui jaillissent de son côté sont comme deux rayons de lumière qui veulent rejoindre le cœur de tout homme pour lui faire miséricorde, le réconcilier avec le Père en faisant de lui un fils adoptif. Selon ce que décrit le livre de l’Apocalypse, c’est bien lui l’Agneau immolé debout vainqueur, le flambeau des sauvés appelés à marcher à sa lumière (Cf. Ap 21, 23-24).

Le salut qu’il est venu apporter, il le rend accessible aux hommes grâce au sacrement du baptême. Jésus baptisera, nous dit Jean-Baptiste, dans le feu de l’Esprit-Saint ; après lui, l’Eglise à qui il a confié le baptême, continuera ce ministère de rédemption pour rendre efficace sa présence de salut dans le cours des siècles.

Voilà pourquoi les chrétiens, sanctifiés par l’Esprit dans le baptême, sont « ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom du Seigneur Jésus-Christ » (Cf. 2ème lecture). L’Esprit qui met dans nos cœurs et sur nos lèvres le nom du Père, Abba, en nous réconciliant avec lui est le même qui dépose en nous le nom de Jésus Sauveur.

Puissions-nous être une présence lumineuse de la vie de l’Esprit reçu le jour de notre baptême auprès de tous ceux que nous croisons sur notre route, qui cherchent le Christ mais qui ne l’ont pas encore rencontré, qui n’ont pas encore fait l’expérience significative de son amour et de sa miséricorde.

Demandons aujourd’hui, au Seigneur d’être renouvelés dans notre grâce baptismale. Le baptême est la grande ressource de l’esprit missionnaire, la meilleure manière de dépasser notre égoïsme et notre narcissisme et de donner à notre cœur et à notre vie les dimensions mêmes de l’Eglise, horizons ouverts dans la direction des quatre points cardinaux.

L’Eucharistie est justement le lieu privilégié où nous sommes renouvelés dans la grâce de notre baptême, parce qu’elle est le mémorial vivant et efficace du mystère de notre rédemption. La prière sur les offrandes de la liturgie de ce dimanche nous le rappelle : « Chaque fois qu’est célébré le sacrifice de l’eucharistie en mémorial, c’est l’œuvre de notre rédemption qui s’accomplit ». A chaque eucharistie, Jésus-Christ, l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, nous est présenté.

L’œuvre du salut réalisée par Jésus dans son mystère pascal n’est pas seulement à rattacher à un événement du passé ; elle se rend présente dans l’aujourd’hui de l’Eglise grâce à la puissance de l’Esprit qui agit à travers les signes de la liturgie, mémorial vivant et efficace du mystère de la rédemption.

En célébrant les rites sacrés, à commencer par l’Eucharistie, l’Eglise, fidèle aux commandements du Seigneur « ouvre aux fidèles les richesses des vertus et des mérites de son Seigneur ; de la sorte, ces mystères sont en quelque manière rendus présents tout au long du temps, et que les fidèles sont mis en contact avec eux et remplis par la grâce du salut » nous rappelle le concile Vatican II dans sa constitution Sacrosanctum Concilium (102)

Il n’existe personne qui ne cherche la vérité, le bonheur, le salut. D’une certaine manière, nous sommes tous des chercheurs : nous cherchons pour trouver, et une fois que nous pensons avoir trouvé nous continuons à chercher parce que nous sommes en quête d’une plénitude de salut et de bonheur que Dieu seul peut nous donner.

En vertu de cette solidarité, prions les uns pour les autres, prions pour tous avec un cœur généreux, offrons ces petites et ces grandes choses qui nous pèsent dans notre quotidien afin que tous puissent trouver Jésus, le Sauveur qu’ils cherchent, parfois peut-être à tâtons, parfois même dans les difficultés et l’obscurité de leurs existences.

A chaque Eucharistie, laissons-nous embraser par le feu de l’Esprit et transformer par l’Amour du Seigneur pour devenir nous-mêmes dans le Christ des torches vivantes de charité, des témoins vivants de l’amour de Dieu pour tous les hommes.
« Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Ces paroles Jean-Baptiste annonce la venue du Règne de Dieu dans l’histoire des hommes, l’avènement des anciennes prophéties à propos du messie, l’inauguration des derniers temps, ce temps durant lequel le salut de Dieu va être offert à tous les hommes.
Tout cela s’accomplit en Jésus-Christ. C’est lui le Fils élu, en qui Dieu manifeste sa gloire, c’est lui le « Serviteur » consacré par l’Esprit Saint pour réunir les dispersés d’Israël, c’est lui « la lumière des nations » qui porte le salut aux extrémités de la terre, c’est lui l’ « Agneau » de la Pâque nouvelle qui par sa mort et sa résurrection réalise la libération et scelle dans son sang la Nouvelle et éternelle Alliance.
La mission de Jésus, solennellement proclamée au moment du Baptême dans le Jourdain, atteint son sommet dans le mystère pascal, lorsque sur la croix, Lui, le véritable Agneau immolé pour nous, libère et rachète l'homme, chaque homme, du mal et de la mort.

L’eau et le sang qui jaillissent de son côté sont comme deux rayons de lumière qui veulent rejoindre le cœur de tout homme pour lui faire miséricorde, le réconcilier avec le Père en faisant de lui un fils adoptif. Selon ce que décrit le livre de l’Apocalypse, c’est bien lui l’Agneau immolé debout vainqueur, le flambeau des sauvés appelés à marcher à sa lumière (Cf. Ap 21, 23-24).

Le salut qu’il est venu apporter, il le rend accessible aux hommes grâce au sacrement du baptême. Jésus baptisera, nous dit Jean-Baptiste, dans le feu de l’Esprit-Saint ; après lui, l’Eglise à qui il a confié le baptême, continuera ce ministère de rédemption pour rendre efficace sa présence de salut dans le cours des siècles.

Voilà pourquoi les chrétiens, sanctifiés par l’Esprit dans le baptême, sont « ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom du Seigneur Jésus-Christ » (Cf. 2ème lecture). L’Esprit qui met dans nos cœurs et sur nos lèvres le nom du Père, Abba, en nous réconciliant avec lui est le même qui dépose en nous le nom de Jésus Sauveur.

Puissions-nous être une présence lumineuse de la vie de l’Esprit reçu le jour de notre baptême auprès de tous ceux que nous croisons sur notre route, qui cherchent le Christ mais qui ne l’ont pas encore rencontré, qui n’ont pas encore fait l’expérience significative de son amour et de sa miséricorde.

Demandons aujourd’hui, au Seigneur d’être renouvelés dans notre grâce baptismale. Le baptême est la grande ressource de l’esprit missionnaire, la meilleure manière de dépasser notre égoïsme et notre narcissisme et de donner à notre cœur et à notre vie les dimensions mêmes de l’Eglise, horizons ouverts dans la direction des quatre points cardinaux.

L’Eucharistie est justement le lieu privilégié où nous sommes renouvelés dans la grâce de notre baptême, parce qu’elle est le mémorial vivant et efficace du mystère de notre rédemption. La prière sur les offrandes de la liturgie de ce dimanche nous le rappelle : « Chaque fois qu’est célébré le sacrifice de l’eucharistie en mémorial, c’est l’œuvre de notre rédemption qui s’accomplit ». A chaque eucharistie, Jésus-Christ, l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, nous est présenté.

L’œuvre du salut réalisée par Jésus dans son mystère pascal n’est pas seulement à rattacher à un événement du passé ; elle se rend présente dans l’aujourd’hui de l’Eglise grâce à la puissance de l’Esprit qui agit à travers les signes de la liturgie, mémorial vivant et efficace du mystère de la rédemption.

En célébrant les rites sacrés, à commencer par l’Eucharistie, l’Eglise, fidèle aux commandements du Seigneur « ouvre aux fidèles les richesses des vertus et des mérites de son Seigneur ; de la sorte, ces mystères sont en quelque manière rendus présents tout au long du temps, et que les fidèles sont mis en contact avec eux et remplis par la grâce du salut » nous rappelle le concile Vatican II dans sa constitution Sacrosanctum Concilium (102)

Il n’existe personne qui ne cherche la vérité, le bonheur, le salut. D’une certaine manière, nous sommes tous des chercheurs : nous cherchons pour trouver, et une fois que nous pensons avoir trouvé nous continuons à chercher parce que nous sommes en quête d’une plénitude de salut et de bonheur que Dieu seul peut nous donner.

En vertu de cette solidarité, prions les uns pour les autres, prions pour tous avec un cœur généreux, offrons ces petites et ces grandes choses qui nous pèsent dans notre quotidien afin que tous puissent trouver Jésus, le Sauveur qu’ils cherchent, parfois peut-être à tâtons, parfois même dans les difficultés et l’obscurité de leurs existences.

A chaque Eucharistie, laissons-nous embraser par le feu de l’Esprit et transformer par l’Amour du Seigneur pour devenir nous-mêmes dans le Christ des torches vivantes de charité, des témoins vivants de l’amour de Dieu pour tous les hommes.
 
 

Baptême du Seigneur

Dimanche 12 janvier 2014

Is 42,1-4.6-7; Ps 29(28),1-4.9c-10; Ac 10,34-38; Mt 3,13-17.

C’est un voyage étonnant que nous propose la liturgie aujourd’hui. La première lecture s’ouvre en effet sur ce verset d’Isaïe : « voici (…) mon élu en qui j’ai mis toute ma joie », et l’évangile se termine sur cette parole : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon amour ». Ces deux versets désignent évidemment la même personne, leurs différences nous enseignent le chemin qu’il y a de la prophétie à son accomplissement.

La lecture du livre d’Isaïe nous donne un très beau portrait du Messie, Isaïe l’appelle le Serviteur. Il est celui que Dieu soutient, celui en qui il a mis toute sa joie. Il est la lumière des nations, il est l’Alliance de Dieu avec son peuple. Tous ces qualificatifs sont très forts. Le Serviteur est quelqu'un dont la vocation concerne tout homme, sa mission répond à l’espérance qui habite le cœur de tous les hommes ; pour bien montrer cette universalité, Isaïe appelle ces cœurs les « iles lointaines » qui « aspirent à recevoir les instructions » du Messie. En chaque homme subsiste l’espérance du salut, le Serviteur est venu la réveiller.

Le serviteur n’est pas un personnage qui puisse être envisagé indépendamment de sa mission. Cette mission coïncide parfaitement avec le projet de Dieu sur nous. Faire le portrait du Messie annonce la grandeur de l’œuvre de Dieu. Cette vocation est remarquable : « il fera paraître mon jugement en toute fidélité ». Ainsi, en contemplant le Serviteur à l’œuvre, en nous émerveillant de la délicatesse de celui qui n’éteint pas « la mèche qui faiblit » et qui n’écrase pas « le roseau froissé », nous découvrons la délicatesse de l’amour de Dieu envers tout homme, nous découvrons ce projet divin que Dieu appelle « mon jugement ». Voici le jugement de Dieu sur l’humanité : « tu ouvriras les yeux des aveugles, tu feras sortir les captifs de leurs prisons et de leur cachot, ceux qui habitent les ténèbres ». Dieu veut redonner à tout homme sa liberté perdue, il veut tous nous rendre à nouveau capables d’aimer.

Pierre l’explique, en effet, dans la deuxième lecture, « Dieu ne fait pas de différence entre les hommes », car il les regarde en son Fils unique, en Jésus-Christ. « C’est lui, Jésus, qui est le Seigneur de tous » ; c’est lui, Jésus, qui est le Serviteur dont le prophète disait « j’ai fait reposer sur lui mon esprit ». Tel est bien le témoignage que nous livre Jean-Baptiste et que Pierre atteste : « Jésus de Nazareth, Dieu l’a consacré par l’Esprit Saint et rempli de sa force ». Par la parole de Pierre, c’est l’Église tout entière qui atteste qu’elle a vu l’accomplissement de la prophétie en Jésus-Christ.

L’Évangile, nous présente Jean-Baptiste ; il est là pour accomplir sa propre mission : désigner Jésus comme le Messie. Après avoir entendu son portrait par Isaïe, nous mesurons à quel point l’événement du baptême de Jésus se passe dans l’obéissance et l’humilité : voici le Sauveur du monde, venant demander le baptême que Jean donne pour préparer les hommes à recevoir la grâce du salut. Or il est, lui, celui qui vient réveiller l’espérance du salut dans toutes les îles lointaines que sont nos cœurs isolés dans leurs projets d’autonomie ! Voici donc que lui qui n’a pas péché, se laisse ensevelir dans les eaux du Jourdain, c'est-à-dire dans les eaux de notre mort.

Celui dont nous avons entendu qu’il « ne criera pas, qu’il ne haussera pas le ton » est bien l’Agneau que l’on reconnaît à sa douceur, l’Agneau que Dieu offre pour la réconciliation, selon la promesse qu’il avait faite à Abraham.

Jean Baptiste ne mésestime pas la grandeur de cet événement. Il s’exclame en effet : « C’est moi qui ai besoin de me faire baptiser par toi, et c’est toi qui viens à moi ! ». Il cherche ainsi à empêcher Jésus de recevoir le baptême, considérant que c’est lui-même qui a besoin d’être baptisé dans l’Esprit et non Jésus qui devrait se soumettre au rite du baptême de l’eau ! La réponse de Jésus est claire : « laisse-moi faire ».

Jésus n’est soumis a aucune nécessité de recevoir ce baptême puisqu’il est sans péché et que sa mission est de ramener les pécheurs. Jésus reçoit le baptême de Jean Baptiste parce qu’il choisit de le faire. Il s’agit d’une humiliation volontaire de celui qui a décidé de se rendre solidaire des hommes. Et il le fait dans l’obéissance : « c’est de cette façon que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste ». Jésus et Jean doivent accomplir ensemble un dessein divin, qui, « pour le moment », demeure caché, mais qui se dévoilera au fur et à mesure qu’ils le réaliseront.

Dès que Jésus « sortit de l’eau », c'est-à-dire dès qu’il émerge de la mort dans laquelle il s’est volontairement plongé, dès qu’il rend la vie victorieuse sur la mort, mais également, dès qu’il eut franchi les eaux du Jourdain, dès qu’il entra sur la Terre Promise, « voici que les cieux s’ouvrirent ». Jésus est le nouveau Josué qui conduit le peuple de Dieu sur la Terre où Dieu l’attend, il ré-ouvre les portes du paradis. Le monde divin est à nouveau accessible à l’homme.

Ainsi l’Esprit Saint est-il donné dans sa plénitude au Messie. Puis Dieu le Père atteste en personne l’identité de son Fils. Lui seul pouvait le faire. La colombe et la voix, qui cite Isaïe, nous expliquent que Dieu consacre son Fils dans la plénitude de l’Esprit Saint, qu’il remet le monde entre les mains de son serviteur pour qu’il le sauve. La grande attente d’Israël est comblée, l’espérance de tout homme est satisfaite. Un sauveur nous est né, un fils nous est donné.

Le temps de Noël ne peut avoir meilleure conclusion que la célébration du baptême du Seigneur. C’est en effet ainsi que nous terminons ce temps liturgique qui est le temps de la révélation de la grâce du salut en Jésus-Christ. Dans la Crèche, nous avons contemplé le Verbe fait chair, à l’Épiphanie nous avons vu la lumière du Christ illuminer les nations, au jour de son baptême, l’œuvre de Dieu se révèle dans sa plénitude : le Père veut sauver tous les hommes et confie à son Fils de leur révéler son amour.

Nous abordons donc le temps ordinaire riches de la révélation que le jugement de Dieu sur les hommes pécheurs consiste à faire d’eux ses enfants d’adoption, des fils dans le Fils.

Fête de l'épiphanie

Dimanche de l'épiphanie, 5 janvier 2014

Isaïe 60,1-6; Ps 72(71),1-2.7-8.10-13; Éph 3,2-3a.5-6; Matthieu 2,1-12.

Les récits évangéliques de l’enfance de Jésus, sont bien plus qu’une introduction aux évangiles, destinés à satisfaire notre curiosité sur ce que Jésus a vécu enfant, avant sa vie publique.

Les quelques chapitres des Evangiles nous parlent certes des ultimes préparatifs de l’incarnation du Verbe, de sa naissance, et des premières années de sa vie parmi nous, mais leur but n’est pas anecdotique : Matthieu et Luc relisent la petite enfance de Jésus à la lumière de Pâques, ils nous font découvrir comment l’incarnation du Fils de Dieu est, - dès les origines - orientée vers le mystère de notre Rédemption.

L’annonce des Anges aux bergers, dans la nuit de Noël, préfigure l’annonce de la Résurrection aux saintes femmes, à l’aube de Pâques ; la fuite en Égypte - symbole biblique de la mort - et le meurtre des saints Innocents, préfigurent la Passion et la mort de Jésus ; le retour d’Égypte, qui suit le parcours de l’Exode, annonce le retour à la vie du vainqueur de la mort.

Quant à l’adoration des rois mages, elle anticipe la fin des temps, décrite dans les derniers chapitres du prophète Isaïe, dont nous avons entendu un extrait en première lecture. Les mages ne s’y sont pas trompés : le petit enfant qu’ils adorent est bien le Roi de gloire, le mystérieux personnage triomphant attendu, et qui viendra établir pour toujours le règne de Dieu parmi les hommes. Ce jour-là, « la gloire du Seigneur brillera » sur toutes les nations, qui sortiront de « l’obscurité qui recouvre la terre » et s’avanceront vers « la clarté de son aurore » (1ère lect.). « Les nations marcheront à la lumière de la Cité sainte, et les rois de la terre viendront lui porter leurs trésors. La cité n’a pas besoin de la lumière du soleil ni de la lune, car la gloire de Dieu l’illumine, et sa source de lumière, c’est l’Agneau » (Ap 21, 24.23).

Lorsqu’on sait que le terme « talja » signifie en araméen à la fois « enfant » ou « agneau », la page d’évangile de ce jour prend un relief tout autre. L’étoile que ces princes « venus d’Orient ont vu se lever » est l’étoile radieuse du matin, le Christ ressuscité, qui illumine tout homme venant en ce monde, afin de le conduire aux sources vives du salut. Il est le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs ; à lui seul revient l’or, symbole de la royauté suprême ; il est le grand prêtre, symbolisé par l’encens ; lui seul est digne d’offrir le sacrifice qui nous réconcilie avec Dieu son Père - le sacrifice de sa propre vie offerte par amour, et symbolisé par la myrrhe, baume de grand prix réservé à la sépulture des rois.

Le « mystère du Christ » dont parle Paul dans la seconde lecture, est le mystère de l’amour triomphant de toutes nos divisions, sur nos antagonismes ; de l’amour vainqueur de la haine faisant tomber tous nos murs de séparation ; de l’amour qui rassemble tous les enfants de Dieu dispersés : « Ce mystère, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile » (Ibid.).

L’épiphanie est la fête de l’espérance, parce qu’elle annonce le grand rassemblement de tous les enfants de Dieu sous la bannière de son Christ. Le jour viendra où le combat de la lumière et des ténèbres, de la vérité et du mensonge, de la vie et de la mort cessera. Ce jour-là « la gloire du Seigneur brillera » sur toutes les nations qui sortiront de « l’obscurité qui recouvre la terre » et s’avanceront vers « la clarté de son aurore » (1ère lect.).

Encore faut-il que la flamme de l’espérance ne vacille pas au grand vent de la culture de la mort, qui étend de plus en plus ses tentacules chez nous, cherchant à étouffer les aspirations à la vie, à la paix, qui animent tous les hommes de bonne volonté. Il nous incombe la responsabilité de ranimer cette flamme en nos cœurs, afin qu’elle devienne communicative et relance la quête de ceux qui cherchent Dieu sincèrement.

« En entrant dans la maison, les mages virent l’Enfant avec Marie sa mère », nous dit Mathieu. La « maison » représente l’Église. C’est vers elle que nous pousse l’Esprit, c’est là que nous attend celui que nous cherchons ; c’est là que nous pouvons enfin rencontrer, dans sa Parole et dans ses sacrements, celui dont nous pressentions la présence, celui qui est la source et le terme de notre espérance. « Et tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui » : « tel est le sommet de tout l’itinéraire : la rencontre se fait adoration, s’épanouit en un acte de foi et d’amour qui reconnaît en Jésus, né de Marie, le Fils de Dieu fait homme » déclarait le Benoît XVI, (Cologne 2005).

La démarche n’a pas dû être facile pour les mages - comme pour chacun de nous d’ailleurs. Car ce n’est pas devant un roi glorieux selon une conception mondaine qu’ils sont invités à se prosterner, mais devant un petit enfant de condition modeste. Ici commence pour eux -comme pour nous-, un cheminement intérieur qui est sans cesse à reprendre : il nous faut découvrir au fil de l’Évangile que la puissance de ce Roi n’est pas de ce monde ; qu’elle ne se manifeste pas dans un déploiement de force, mais dans la vulnérabilité de sa vie livrée par amour. Sa gloire se révèlera dans l’humiliation d’une mort honteuse, librement consentie ; son pouvoir, dans sa miséricorde, qui nous réconcilie avec le Père, et nous donne part à sa propre vie dans l’Esprit.

L’Évangile opère une véritable révolution de notre manière spontanée de nous représenter Dieu. Avant de nous prosterner devant l’Enfant divin, il nous faut consentir à une profonde conversion. Ce n’est qu’au prix d’un changement radical de notre regard sur les situations, les événements, les personnes, que nous pourrons reconnaître en cet Enfant le don de Dieu qui surpasse toutes nos espérances, l’Agneau doux et humble de cœur, qui nous ouvre le chemin de la vraie vie.

« Ils regagnèrent leur pays par un autre chemin » commente Mathieu : les rois mages étaient venus en suivant l’étoile des prophéties de la première Alliance qui les a conduits jusqu’à l’Enfant. Mais au retour, ils n’ont plus besoin de cette étoile : désormais la Parole vivante, le Christ, était en eux, la lumière de son Esprit était leur flambeau, « la gloire du Seigneur s’est levée sur eux » (1ère lect.). Ou pour le dire avec les paroles de Paul (2de lecture) : la « grâce que Dieu leur a donnée, c’est de leur faire connaître, par la révélation de l’Esprit, le mystère du Christ ».

Nous avons tous reçu cette connaissance, cette configuration au Christ qui nous le fait connaître en participant à sa vie dans l’Esprit. Demandons au Seigneur de nous renouveler dans ce don ineffable, offrons-lui en retour « l’or de notre liberté, l’encens de notre prière ardente, et la myrrhe de notre affection la plus profonde » (Jean-Paul II).

Fête de la sainte famille

Dimanche de la sainte famille, 29 décembre 2013

Ecclésiastique 3,2-6.12-14; Ps 128(127),1-5; Col 3,12-21; Matthieu 2,13-15.19-23.

Les conseils que donne Ben Sirac le Sage, dans la 1ere lecture, ont pour but de fortifier les familles. Ces conseils sont fondés sur la miséricorde : honorer son père pour obtenir le pardon de ses propres fautes, être miséricordieux envers son père pour obtenir le relèvement de son propre péché. N’oublions pas que le pardon des péchés nous vient de Dieu. Pour l’obtenir, il faut donc avoir appris à être fils, à se comporter comme des fils ou des filles devant Dieu. Pour être fils de Dieu et recevoir de lui la grâce de la réconciliation, ou mieux l’apprendre qu’au sein de la cellule familiale ? La justesse de notre relation à Dieu est liée à la justesse de notre relation à nos parents. Et il en va des pères comme des fils. Le Sage dit en effet : « le Seigneur glorifie le père dans ses enfants ». L’orientation fondamentale de toute relation familiale et l’objet de toute éducation est donc en Dieu. Si Dieu renforce l’autorité de la mère sur ses fils, celle-ci trouve sa joie dans l’obéissance de ses fils au Seigneur.

Dans la deuxième lecture, Paul approfondit cette approche : il convient, particulièrement entre membres d’une même famille, de se supporter les uns les autres. « Se supporter » dans tous les sens du terme ; c'est-à-dire faire preuve « d’humilité, de douceur, de patience » envers autrui et apporter son soutien actif dans l’exercice concret de la miséricorde, « supportez-vous mutuellement et pardonnez si vous avez des reproches à vous faire ». Ces considérations sont assez proches de celles formulées par Ben Sirac, mais deux arguments nouveaux amplifient la perspective : 1°) Dieu en personne est le modèle des relations familiales « agissez comme le Seigneur : il vous a pardonnés, faites de même » et 2°) l’exercice du pardon est le fondement nécessaire à une relation d’amour authentique « par-dessus tout cela qu’il y ait l’amour ». L’action de grâce et la louange se portent en garants de l’ouverture du cœur qui permet de vivre cet appel à l’unité dans la charité. Nous sommes soumis les uns aux autres comme les membres d’un même corps sont dépendants. Ainsi, nous formons le corps du Christ.

L’évangile, nous place au cœur d’un nouvel épisode de la vie de la Sainte Famille, celui que l’on appelle « la fuite en Égypte ». Cet épisode, témoigne que la vie de la Sainte Famille n’a pas été de tout repos. Mais ce récit tranche avec les lectures. Les relations entre les membres de cette famille ne semblent pas mises à l’honneur. Marie et Jésus n’y sont même pas nommés, l’évangéliste les appelle « l’enfant et sa mère », ils semblent vraiment passifs. Quant à Joseph, il a des songes, trois, auxquels il obéit sans discuter. En quoi cela peut-il être exemplaire pour nous ?

Tout d’abord Marie et Joseph ont fondé une famille sur le don de Dieu ; là est l’enseignement le plus précieux. Quand on reçoit un don de la part de Dieu, il ne faut pas le mettre en doute mais se donner à lui afin de se donner soi-même à travers lui. Ainsi Marie et Joseph se donnent à Jésus, totalement et gratuitement, c'est-à-dire sans calcul, par pur amour.

En cela leur paternité nous rejoint. Leurs relations sont fondées sur ce don total de soi au service du projet de Dieu sur l’autre, qu’il a donné à aimer. Ce service est accompli dans la confiance en Dieu et dans une obéissance parfaite, silencieuse et sans retard.

Ainsi, la focalisation de l’évangile sur le chef de la Sainte Famille nous révèle comment l’amour le plus pur, le don de Dieu, l’enfant Jésus, est enfoui dans l’obéissance silencieuse de Joseph et protégé par elle. L’ennemi, par la main d’Hérode, cherche le Messie pour l’éliminer. Or, le massacre des saints Innocents nous montre que l’enfant divin est demeuré invisible à ses yeux. La fuite en Égypte nous montre comment Joseph a sauvé le sauveur du monde parce qu’il a renoncé à tout, à sa maison, à son travail, pour réaliser la volonté de Dieu.

Ensuite, la Sainte Famille nous apprend que le péché, qui est entré dans le monde à cause des égarements d’une famille : Adam, Ève, Caïn et Abel constituaient bien une famille, se trouve vaincu par la grâce faite à une famille. La fête familiale de Noël nous redit en effet le mystère de la miséricorde descendant dans la mort héréditaire de l’homme pour y faire jaillir la vie divine. Jésus, accomplit en toutes choses de sa vie, les prophéties de l’Ancien Testament, nous contemplons en lui, l’humanité nouvelle que Dieu nous donne afin de nous rétablir à son image. Voici en celui qui est sauvé de la mort en Égypte, le nouveau Moïse, qui vient à nous par une famille.

Fêter la Sainte Famille est une façon de refaire le choix de nous mettre à son école. Pour cela, les préceptes bibliques des lectures de ce jour nous font méditer comment nous avons à vivre la charité dans la miséricorde. L’effacement et l’obéissance de Joseph dans l’évangile, nous disent combien une vie de famille accomplie est une mise à disposition de soi pour la réalisation du projet de Dieu sur ceux qui nous sont confiés. En toutes ces choses, le Christ est notre modèle, lui qui a donné sa vie pour nous obtenir la réconciliation avec notre Père des Cieux, lui qui est venus nous rassembler pour que nous formions la famille des enfants de Dieu.

Notre responsabilité dépasse donc les frontières du simple noyau familial. Les relations qui unissent Jésus, Marie et Joseph, les dispositions de leurs cœurs, doivent être imitées pour toute relation humaine car notre Père des Cieux aime chacun de ses enfants et ne veut en perdre aucun. Qu’en renouvelant notre façon de nous aimer et de servir le projet de Dieu dans la vie de nos proches, nous donnions au monde le témoignage de l’amour véritable, celui qui invite chaque homme à redécouvrir sa dignité en Jésus-Christ.

Fête de Noël

Messe de Minuit, 25 décembre 2013

Is 9,1-6; Ps 96(95),1-3.11-13; Tite 2,11-14; Luc 2,1-14.

 

En célébrant, cette nuit le mystère de Noel, nous célébrons le mystère de notre salut, le prodige de la naissance de notre Sauveur, Jésus, le Christ. L’adresse de l’ange aux bergers des alentours de Bethléem nous rejoint par delà les siècles : « Ne craignez pas, car voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : Aujourd'hui vous est né un Sauveur, dans la ville de David. Il est le Messie, le Seigneur. Et voilà le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » (Lc 2, 13).

Ce que le prophète Isaïe avait annoncé dans la 1ère lecture s’accomplit. Lui, qui est Dieu, s’est fait homme. Il a pris notre humanité sans perdre sa divinité. Il s’est fait humble. Il est né homme, il n’a pas cessé d’être Dieu. Il est né petit, tout en restant l’infini sous les voiles de l’enfance.

Au moment de la naissance de Jésus, tout l’univers se fait recenser sur l’ordre de l’empereur César-Auguste. L’évangéliste précise même que c’est à l’occasion du « premier recensement, lorsque Quirinus était gouverneur de Syrie » que Jésus naquit. De quel recensement l’Ecriture nous parle-t-elle ici ?

S’il y a bien un sens historique à cette précision, peut-être y a-t-il aussi un sens spirituel… saint Augustin nous éclaire, quand il écrit : « Au moment de la naissance de Jésus-Christ, tout l'univers se fait enregistrer sur les rôles publics, parce que le tribut est dû à César, comme l'adoration est due à Dieu. La pièce de monnaie est marquée au coin de César, comme les hommes sont formés à l'image de Dieu. Le recensement du monde s'opère en ce moment, afin que l'image du roi soit empreinte sur la monnaie, et que l'image de Dieu soit réformée dans l'homme. C'est ainsi que le tribut était rendu à César et l'homme à Dieu, selon cette parole du Seigneur : “Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu”. »

Ainsi, en cette nuit de Noel, dans la discrétion d’une étable de campagne, et non pas dans le faste d’un palais royal, l’homme est rendu à Dieu. Dans la naissance de ce petit enfant est déjà contenu tout le mystère de la rédemption des pécheurs, tout le mystère de notre rédemption.

C’est aujourd’hui la naissance du Seigneur libérateur, nous sommes délivrés de tous nos esclavages ; c’est la naissance du Rédempteur, nous sommes rachetés de toutes nos captivités ; c’est la naissance du médecin, nous sommes guéris de toutes maladies ; c’est la naissance de la miséricorde, nous sommes pardonnés de nos péchés ; c’est la naissance de Jésus-Christ, nous tous baptisés dans sa mort et dans sa résurrection, exultons avec tous les anges du ciel. Unissons nos voix à celle du psalmiste, chantons notre joie.

Chantons au Seigneur un chant nouveau, proclamons son salut, racontons à tous les peuples sa gloire, à toutes les nations ses merveilles (Cf. Psaume 95) car aujourd’hui en effet « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » (Tite 2, 11).

Oui, que les cieux tressaillent, que la terre se réjouisse. Que les cieux tressaillent parce qu’ils n’ont personne pour les accuser. Que la terre se réjouisse parce qu’elle voit germer la semence de vie éternelle. Que cette joie soit victorieuse de toutes tristesses et que la paix qu’elle donne se communique au monde entier.

Puisse le chant des anges en cette nuit (ce jour) ne jamais quitter nos lèvres : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’il aime » (Lc 2, 14), « car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de nos fautes et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien » (Cf. Tt 2, 14).

Que la vérité qui sauve la vie et qui s’est faite chair en ton Fils Jésus, allume en nos cœurs l’amour de l’Esprit qui poussera notre liberté à redonner ce que nous avons reçu gratuitement. Le plus beau cadeau que nous avons à transmettre au monde c’est Jésus le Verbe incarné ! Le plus beau cadeau que nous avons à transmettre au monde, c’est de lui rappeler qu’en Jésus, Dieu est avec nous, maintenant et pour les siècles sans fin.

4ème dimanche de l'Avent

Dimanche 22 décembre 2013

Is 7,10-14; Ps 24(23),1-6; Ro 1,1-7; Mt 1,18-24.

La 1ere lecture nous rappelle une des pages les plus dramatiques, de l'histoire du peuple d'Israël ; nous sommes vers 735 avant J.C. : l'ancien royaume de David est divisé en deux petits royaumes, depuis environ deux cents ans ; deux rois, deux capitales : Samarie au Nord, Jérusalem au Sud. C’est là, à Jérusalem, que règne la dynastie de David, celle dont naîtra le Messie ; pour l'instant, il n’est pas encore né. Un jeune roi de 20 ans, Achaz, vient de monter sur le trône de Jérusalem, et dès le dernier son des trompettes du couronnement, il doit prendre des décisions très difficiles.

À cette époque, l’empire assyrien voisin ne cessait de s’étendre et représentait une menace certaine pour Jérusalem. Les royaumes d’alentour se rendaient les uns après les autres ; ceux qui résistaient ou se révoltaient étaient vigoureusement recadrés.

Dans ce contexte, deux royaumes du Nord, la Syrie et Israël décidèrent de monter une coalition contre les assyriens. Mais Jérusalem refusa d’entrer dans la coalition. Les rois de Damas et d’Éphraïm se retournèrent alors contre Juda et firent le siège de Jérusalem pour tenter de déposer Achaz et mettre à sa place un roi qui leur serait favorable. Achaz est donc pris entre deux menaces : celle, à ses portes, des royaumes du Nord et celle, plus lointaine, des Assyriens. Achaz paria sur la plus lointaine mais la plus terrible. Malgré les exhortations d’Isaïe, il demanda la protection assyrienne.

Le contexte historique de la première lecture nous permet de bien comprendre les propos échangés entre le roi et le prophète. La réponse que fait Achaz à Isaïe revêt les traits d’humilité, il prétend ne pas vouloir mettre Dieu à l’épreuve, mais là est sa mauvaise foi : le roi a déjà choisi de se soumettre au monarque assyrien plutôt que compter sur la fidélité du Seigneur ; le roi Achaz fait mine de respecter Dieu, alors que pour s’attirer la faveur des dieux païens il a immolé son fils sur leurs autels. Dans la réalité, Achaz a complètement abandonné le Dieu de ses pères, ce faisant, il a mis en péril la dynastie davidique.

Le Seigneur, pourtant, lui envoie son prophète. Le Seigneur, qui a promis à ses pères que la royauté n’échapperait pas à la maison de David, lui promet la naissance d’un nouveau fils. Le Seigneur, bien qu’il ait été rejeté par la royauté, reste fidèle à la maison de Juda. Rien ne l’empêchera d’accomplir ses desseins ; comme le rappelle Isaïe, il est « Dieu avec nous ». La prophétie d’Isaïe dépasse bien entendu le contexte immédiat de sa proclamation, elle concerne directement la venue du Messie.

La prophétie dit encore le ridicule d’Achaz. Isaïe annonce en effet : « avant même que cet enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, elle sera abandonnée, la terre dont les deux rois te font trembler ». Le roi de Juda a abandonné son Dieu et commis des abominations alors que la situation était éphémère ! Avant que l’enfant annoncé n’ait grandi, les royaumes adverses n’existeront plus.

« Tout cela arriva pour que s'accomplît la parole du Seigneur prononcée par le prophète » : dans l’évangile, Matthieu nous explique qu’à cette annonce du Messie par Isaïe, fait écho l’annonce de l’ange à Joseph.

Seul Joseph est appelé « fils de David », il est le seul dont le cœur ait l’humilité qui plaît à Dieu. C’est dans sa maison que se réalisera la promesse. À lui qui a renoncé à tout, Dieu donne le fils que le monde attend, le sauveur qui libèrera les hommes de leur péché.

Le songe qu’a eu Joseph, est en lui-même la marque de son renoncement et de l’obéissance de sa foi. Joseph visité par Dieu au cœur de son sommeil, c'est-à-dire au cœur de sa nuit, dans la profondeur de son impuissance. Joseph a fait sa part, il a courageusement discerné l’action de Dieu et il a choisi d’agir avec justice ; dès lors, il s’abandonne au bon vouloir de Dieu, quel que soit ce que cela lui coûte.

Le message de l’ange à Joseph le rejoint au cœur de ce renoncement et ne l’efface pas. L’ange ne dit pas à Joseph qu’il s’est trompé en abandonnant ses projets personnels de mariage et de paternité, mais il lui demande d’être l’époux que Dieu veut pour la mère de son Fils. Le mariage voulu par Dieu n’est pas l’aventure personnelle d’un couple particulier, il est la pierre angulaire de l’Incarnation. L’œuvre de Dieu prend corps dans l’abandon de Marie et de Joseph. Prendre Marie chez lui, permet à Joseph d’accueillir le don que Dieu fait, Marie avait besoin du soutien d’un époux pour s’engager dans une maternité.

Voilà pourquoi, à la veille de Noël, la liturgie nous tourne vers Joseph : nous avons besoin du modèle de Joseph pour accueillir le don que Dieu nous fait à Noël. Car nous sommes nous aussi les destinataires de la promesse. Paul nous rappelle que le Dieu de toute fidélité, le Dieu qui réalise son dessein de nous sauver au cœur de notre péché et de notre endurcissement, ce Dieu accomplit sa promesse en Jésus-Christ. « Cette Bonne Nouvelle concerne son Fils », nous révèle-t-il.

Cette Bonne Nouvelle doit éviter aux hommes d’entrer dans la même défiance qu’Achaz. Se préparer pleinement à Noël est entrer totalement dans la confiance en l’amour de Dieu, dans « l’obéissance de la foi » dont Joseph nous donne l’exemple parfait. Joseph est juste parce qu’il accepte en tout la volonté de Dieu. Or pour reconnaître en Marie l’œuvre de Dieu, pour entrer dans l’obéissance, Joseph a posé un acte d’humilité. Humilité qui exige le total détachement. Humilité qui exige d’être plongé dans une nuit où la seule lumière est la parole de Dieu. Qui exige d’entrer dans la nuit de Noël où la seule lumière est un enfant fragile, le Verbe fait chair.

Il s’appellera Emmanuel, « Dieu avec nous », avait annoncé la prophétie d’Isaïe. Et l’ange complète : il s’appellera Jésus, « le Seigneur sauve », car il est le salut offert à ceux qui l’accueillent. Notre péché nous a privés de rester en présence de notre Dieu ; voici le temps de la liberté et de la proximité avec Dieu. Voici le temps de Noël.

Demandons à Joseph, de nous apprendre l’humilité qui rend Dieu puissant dans nos vies, qu’il nous apprenne l’obéissance qui permet d’accueillir dans sa plénitude le don de Dieu, qu’il nous obtienne de recevoir le Seigneur tel qu’il se donne, qu’il nous apprenne à faire de nos cœurs une crèche où l’enfant-roi trouvera son repos et sa joie.

La 1ere lecture nous rappelle une des pages les plus dramatiques, de l'histoire du peuple d'Israël ; nous sommes vers 735 avant J.C. : l'ancien royaume de David est divisé en deux petits royaumes, depuis environ deux cents ans ; deux rois, deux capitales : Samarie au Nord, Jérusalem au Sud. C’est là, à Jérusalem, que règne la dynastie de David, celle dont naîtra le Messie ; pour l'instant, il n’est pas encore né. Un jeune roi de 20 ans, Achaz, vient de monter sur le trône de Jérusalem, et dès le dernier son des trompettes du couronnement, il doit prendre des décisions très difficiles.

À cette époque, l’empire assyrien voisin ne cessait de s’étendre et représentait une menace certaine pour Jérusalem. Les royaumes d’alentour se rendaient les uns après les autres ; ceux qui résistaient ou se révoltaient étaient vigoureusement recadrés.

Dans ce contexte, deux royaumes du Nord, la Syrie et Israël décidèrent de monter une coalition contre les assyriens. Mais Jérusalem refusa d’entrer dans la coalition. Les rois de Damas et d’Éphraïm se retournèrent alors contre Juda et firent le siège de Jérusalem pour tenter de déposer Achaz et mettre à sa place un roi qui leur serait favorable. Achaz est donc pris entre deux menaces : celle, à ses portes, des royaumes du Nord et celle, plus lointaine, des Assyriens. Achaz paria sur la plus lointaine mais la plus terrible. Malgré les exhortations d’Isaïe, il demanda la protection assyrienne.

Le contexte historique de la première lecture nous permet de bien comprendre les propos échangés entre le roi et le prophète. La réponse que fait Achaz à Isaïe revêt les traits d’humilité, il prétend ne pas vouloir mettre Dieu à l’épreuve, mais là est sa mauvaise foi : le roi a déjà choisi de se soumettre au monarque assyrien plutôt que compter sur la fidélité du Seigneur ; le roi Achaz fait mine de respecter Dieu, alors que pour s’attirer la faveur des dieux païens il a immolé son fils sur leurs autels. Dans la réalité, Achaz a complètement abandonné le Dieu de ses pères, ce faisant, il a mis en péril la dynastie davidique.

Le Seigneur, pourtant, lui envoie son prophète. Le Seigneur, qui a promis à ses pères que la royauté n’échapperait pas à la maison de David, lui promet la naissance d’un nouveau fils. Le Seigneur, bien qu’il ait été rejeté par la royauté, reste fidèle à la maison de Juda. Rien ne l’empêchera d’accomplir ses desseins ; comme le rappelle Isaïe, il est « Dieu avec nous ». La prophétie d’Isaïe dépasse bien entendu le contexte immédiat de sa proclamation, elle concerne directement la venue du Messie.

La prophétie dit encore le ridicule d’Achaz. Isaïe annonce en effet : « avant même que cet enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, elle sera abandonnée, la terre dont les deux rois te font trembler ». Le roi de Juda a abandonné son Dieu et commis des abominations alors que la situation était éphémère ! Avant que l’enfant annoncé n’ait grandi, les royaumes adverses n’existeront plus.

« Tout cela arriva pour que s'accomplît la parole du Seigneur prononcée par le prophète » : dans l’évangile, Matthieu nous explique qu’à cette annonce du Messie par Isaïe, fait écho l’annonce de l’ange à Joseph.

Seul Joseph est appelé « fils de David », il est le seul dont le cœur ait l’humilité qui plaît à Dieu. C’est dans sa maison que se réalisera la promesse. À lui qui a renoncé à tout, Dieu donne le fils que le monde attend, le sauveur qui libèrera les hommes de leur péché.

Le songe qu’a eu Joseph, est en lui-même la marque de son renoncement et de l’obéissance de sa foi. Joseph visité par Dieu au cœur de son sommeil, c'est-à-dire au cœur de sa nuit, dans la profondeur de son impuissance. Joseph a fait sa part, il a courageusement discerné l’action de Dieu et il a choisi d’agir avec justice ; dès lors, il s’abandonne au bon vouloir de Dieu, quel que soit ce que cela lui coûte.

Le message de l’ange à Joseph le rejoint au cœur de ce renoncement et ne l’efface pas. L’ange ne dit pas à Joseph qu’il s’est trompé en abandonnant ses projets personnels de mariage et de paternité, mais il lui demande d’être l’époux que Dieu veut pour la mère de son Fils. Le mariage voulu par Dieu n’est pas l’aventure personnelle d’un couple particulier, il est la pierre angulaire de l’Incarnation. L’œuvre de Dieu prend corps dans l’abandon de Marie et de Joseph. Prendre Marie chez lui, permet à Joseph d’accueillir le don que Dieu fait, Marie avait besoin du soutien d’un époux pour s’engager dans une maternité.

Voilà pourquoi, à la veille de Noël, la liturgie nous tourne vers Joseph : nous avons besoin du modèle de Joseph pour accueillir le don que Dieu nous fait à Noël. Car nous sommes nous aussi les destinataires de la promesse. Paul nous rappelle que le Dieu de toute fidélité, le Dieu qui réalise son dessein de nous sauver au cœur de notre péché et de notre endurcissement, ce Dieu accomplit sa promesse en Jésus-Christ. « Cette Bonne Nouvelle concerne son Fils », nous révèle-t-il.

Cette Bonne Nouvelle doit éviter aux hommes d’entrer dans la même défiance qu’Achaz. Se préparer pleinement à Noël est entrer totalement dans la confiance en l’amour de Dieu, dans « l’obéissance de la foi » dont Joseph nous donne l’exemple parfait. Joseph est juste parce qu’il accepte en tout la volonté de Dieu. Or pour reconnaître en Marie l’œuvre de Dieu, pour entrer dans l’obéissance, Joseph a posé un acte d’humilité. Humilité qui exige le total détachement. Humilité qui exige d’être plongé dans une nuit où la seule lumière est la parole de Dieu. Qui exige d’entrer dans la nuit de Noël où la seule lumière est un enfant fragile, le Verbe fait chair.

Il s’appellera Emmanuel, « Dieu avec nous », avait annoncé la prophétie d’Isaïe. Et l’ange complète : il s’appellera Jésus, « le Seigneur sauve », car il est le salut offert à ceux qui l’accueillent. Notre péché nous a privés de rester en présence de notre Dieu ; voici le temps de la liberté et de la proximité avec Dieu. Voici le temps de Noël.

Demandons à Joseph, de nous apprendre l’humilité qui rend Dieu puissant dans nos vies, qu’il nous apprenne l’obéissance qui permet d’accueillir dans sa plénitude le don de Dieu, qu’il nous obtienne de recevoir le Seigneur tel qu’il se donne, qu’il nous apprenne à faire de nos cœurs une crèche où l’enfant-roi trouvera son repos et sa joie.

3ème dimanche de l'Avent

Dimanche 15 décembre 2013

Isaïe 35,1-6.10,  Ps 146(145),7-10, Jac 5,7-10, Matthieu 11,2-11.

La liturgie de la Parole de ce 3éme dimanche, appelé « dimanche du Gaudete » nous invite résolument à la joie. L’antienne d’entrée nous y invite déjà : « Soyez dans la joie du Seigneur, soyez toujours dans la joie, le Seigneur est proche » (cf. Ph 4, 4-5). Le motif de cette joie nous est annoncé dés la première lecture : « Le désert et la terre de la soif, qu'ils se réjouissent ! Le pays aride, qu'il exulte et fleurisse,
qu'il se couvre de fleurs des champs, qu'il exulte et crie de joie ! « Prenez courage, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c'est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu.
Il vient lui-même et va vous sauver. »
Jacques nous le dit aussi dans la 2nde lecture«  soyez fermes, car la venue du Seigneur est proche »

Dieu lui-même vient bientôt « déchirer le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples et le linceul qui couvre toutes les nations. Le Seigneur essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple » (Is 25, 7-8). « Comme un berger, il conduira son troupeau ; son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, et il prend soin des brebis qui allaitent leurs petits » (Is 40, 11). Il « fortifiera les mains défaillantes et affermira les genoux qui fléchissent ». « En ce jour-là on dira : “Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés ; c’est lui le Seigneur, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés !” » (Is 25, 9). Comment rester indifférents devant de telles promesses, qui réveillent en nous un désir de paix, de bonheur, et de salut ?

Peut-être demandons-nous : quand donc le Seigneur va-t-il intervenir pour réaliser ce renouvellement de toutes choses ? Quand donc « verrons-nous sa gloire, pourrons-nous contempler la splendeur de notre Dieu » ? En nous posant la question, nous rejoignons l’interrogation de Jean-Baptiste et de tant d’autres chercheurs de Dieu dont les pas ont croisé ceux de Jésus : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? ».

Cette question ne trahit pas un doute, elle formule l’interrogation que nous sommes tous amenés à nous poser devant Jésus de Nazareth.

La réponse de Jésus aux émissaires du Précurseur nous oriente vers la réponse. Par trois fois, Il leur demande : « Qu’êtes-vous allés voir ? » C’est à une conversion du regard que nous sommes invités. Nous avons de la difficulté à entrer dans la joie à laquelle la Parole nous invite, parce que nous ne voyons pas -pas encore- l’accomplissement de ce qu’elle nous promet ; et nous ne le voyons pas, parce que nous regardons mal : nous cherchons des signes d’une gloire toute terrestre, celle que l’on trouve « dans les palais des rois » ; alors que notre Dieu se révèle dans la pauvreté et l’humilité d’un Enfant, au sein d’une famille de condition modeste. Il est venu pour « guérir les cœurs brisés » (Ps 147, 3), Il s’en fait d’emblée solidaire ; aussi est-ce parmi les « petits et les pauvres » (Is 41, 17), et au cœur de nos pauvretés intérieures qu’il faut le chercher.

Nous ne discernerons pas la gloire du Seigneur dans notre monde et dans notre vie, si nous ne sommes pas au lieu de rendez-vous qu’il nous donne. Nous demeurons aveugles aux interventions par lesquelles notre Dieu vient discrètement « consoler son peuple » (Is 40, 1), le peuple des « pauvres et des petits » dont « la langue est desséchée par la soif » (Is 41, 17) de la vraie vie : « Moi le Seigneur, je les exaucerai, moi le Dieu d’Israël, je ne les abandonnerai pas » (Ibid.).

En possession d’une telle promesse, « reprenons courage, ne craignons pas » (1ère lect.) ; Dieu est à l’œuvre en ce monde dans la discrétion de son amour conquérant. Pour que nous puissions « voir » « la revanche de notre Dieu », pour que nous puissions entendre sa voix, sa voix qui nous réconforte, demandons au Seigneur « d’ouvrir nos yeux d’aveugles et nos oreilles de sourds ; afin que notre bouche muette crie de joie » (1ère lect.) à la vue des signes du salut qui jalonnent notre vie quotidienne et celle de nos frères.

Le Royaume nous a été offert sous forme d’un germe de vie divine, enfoui dans notre cœur au jour du baptême. Jour après jour, tandis que nous cheminons encore à l’ombre de la mort, la grâce réalise secrètement en nous son œuvre de transfiguration.

Ce n’est pas en un jour, que la semence grandit, mûrit et donne son fruit : comme le cultivateur, il nous faut faire preuve d’« endurance et de patience », en attendant « les produits précieux » issus de « la semence impérissable » (1 P 1, 23) déposée en nous : « la parole vivante de Dieu qui demeure » (Ibid.). De longs mois sont nécessaires avant que le grain jeté en terre n’apparaisse dans l’herbe, puis dans l’épi. Avant cela, rien ne se voit, et pourtant la croissance est bien réelle, mais elle demeure cachée dans les entrailles de la terre.

Dans l’attente du jour de la manifestation du Seigneur dans nos vies, « soyons semblables à des enfants nouveau-nés : soyons avides de la Parole, comme d’un lait pur qui nous fera grandir pour arriver au salut » (I P 2, 2). « Préparons notre esprit pour l’action ; restons sobres ; mettons toute notre espérance dans la grâce que nous devons recevoir lorsque Jésus Christ se révélera. Soyons comme des enfants obéissants » (I P 1, 13-14) et « soyons fermes, car la venue du Seigneur est proche » (2nd lect.).

Le « plus petit dans le Royaume des cieux » dont parle Jésus, c’est lui, lui « qui s’est abaissé en devenant obéissant jusqu’à mourir, et mourir sur une croix » (Ph 2, 8) ; mais aussi tout homme qui s’attache à lui par une foi vivante, aimante. C’est en effet par la foi et la foi seule que nous passons du temps de la prophétie, à celui de l’accomplissement. Tout en demeurant en ce monde parmi les hommes, le croyant n’est plus de ce monde ; « né d’eau et d’Esprit », le « tout-petit » du Royaume dépasse les plus grands de ce monde parce qu’il est « devenu participant de la vie divine » (2 P 1, 4). Telle est notre joie, et nous en sommes comblés : « lui il faut qu’il grandisse ; et moi que je diminue » (Jn 3, 29-30), pour devenir « petit » comme lui, et aller demeurer avec lui dans son Royaume.

 

2ème dimanche de l'Avent

Dimanche 8 décembre 2013



Isaïe 11,1-10; Ps 72(71),1-2.7-8.12-13.17; Ro 15,4-9; Matthieu 3,1-12.

La liturgie de la Parole nous invite aujourd’hui à porter notre regard sur Jean, le Baptiste et à écouter cette voix qui crie dans le désert.

Quand Jean-Baptiste commence sa prédication, l'occupation romaine dure depuis quatre-vingt-dix ans à peu près : le roi Hérode a été laissé en place par les Romains mais il est unanimement détesté par le peuple; les partis religieux sont divisés, on ne sait plus très bien qui croire ; il y a les collaborateurs et les résistants... régulièrement un exalté fait parler de lui, il promet le salut, mais cela se termine toujours mal.

C'est dans ce contexte que Jean-Baptiste se met à prêcher ; il vit dans le « désert » de Judée, autrement dit entre le Jourdain et Jérusalem ; à vrai dire cette région n'est pas totalement désertique, mais ce qui intéresse Matthieu, ce n'est pas le degré de sécheresse, c'est le sens spirituel du désert : il a en tête toute la résonance de l'expérience d'Israël au désert pendant l'Exode et la méditation des prophètes sur l'Alliance conclue là-bas dans la ferveur de ce que le prophète Osée appelle des fiançailles.

Jean-Baptiste paraît, tout, son vêtement comme sa nourriture, une nourriture typique des ascètes du désert, l'apparente aux grands prophètes de l'Ancien Testament : lorsque Mathieu nous dit du Baptiste qu’il « portait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins »  il cite une phrase de l’ancien testament. Certains ont même pensé que Jean, était peut-être le prophète Elie dont on attendait le retour pour la fin des temps, Malachie l’avait annoncé : «  Voici que je vais vous envoyer Elie, le prophète, avant que ne vienne le jour du SEIGNEUR. » (3, 23 3).

Par sa prédication, Jean-Baptiste rejoint les prophètes : comme eux, il a un double langage : doux, encourageant pour les humbles, dur, menaçant pour les orgueilleux. Il veut rassurer les petits, mais réveiller ceux qui se croient arrivés, il veut plus exactement attirer leur attention sur leurs comportements. Par exemple, plus qu'une insulte, l'expression « Engeance de vipères » est une mise en garde : cela revient à dire entre les lignes « vous êtes de la même race que le serpent tentateur, le « diviseur » du Paradis terrestre ».

Les auditeurs, habitués au langage des prophètes, savent bien qu'au fond, ce n'est pas à des personnes ou à des catégories de personnes que s'en prend Jean, mais à des manières d'être. Il annonce donc le jugement comme un tri qui se fera non pas entre des personnes, mais à l'intérieur de chacun de nous. Pour cela il emploie l'image du feu : nous retrouvons cette image, dans le même sens chez Malachie : tout ce qui est mort, desséché, entendons dans nos manières d'être, sera coupé, brûlé... mais on sait bien que si le jardinier fait ce tri, c'est pour permettre aux bonnes branches de se développer. Le cultivateur fait un tri analogue au moment de la moisson : le grain sera amassé dans le grenier, la paille sera brûlée ; ce qui est bon, en chacun de nous, même si c'est très peu, sera précieusement engrangé.

Cela aussi, est une Bonne Nouvelle, pour nous nous aujourd’hui : il y a en chacun de nous des comportements, des manières d'être, dont nous ne sommes pas toujours très fiers... ceux-là, nous en serons débarrassés définitivement. Mais tout ce qui, en chacun de nous, peut être sauvé, le sera.

Jean-Baptiste précise bien que c'est Jésus qui fera ce tri : « celui qui vient derrière moi... vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le feu ; il tient la pelle à vanner dans sa main, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier. Quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s'éteint pas. » Cela revient à dire que Jésus de Nazareth est Dieu. Car dans tout l'Ancien Testament, Dieu est présenté comme le seul juge, celui qui sonde les reins et les cœurs, celui qui connaît tout homme en vérité.

Jean-Baptiste emploie encore une autre manière, très imagée, pour nous dire qui est Jésus : « Celui qui vient derrière moi est plus fort que moi » -habituellement dans la Bible, l'adjectif « fort » est appliqué à Dieu, - « je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales » poursuit Jean. Imaginons la scène : pour entrer dans le Jourdain, si on est chaussé, il faut bien évidemment se déchausser ; quand un homme important avait un esclave, c'était l'esclave qui défaisait ses sandales ; mais s'il avait un disciple, le disciple considérait qu'il était au-dessus de l'esclave et il ne s'abaissait pas à défaire les sandales de son maître.

Jean déclare : « Moi, je ne mérite pas d'être considéré comme un disciple de Jésus ; je ne mérite même pas d'être considéré comme son esclave, je ne suis même pas digne de dénouer ses sandales ».Le plus amusant dans cette histoire, c'est que celui qui jusque-là était en position de maître suivi par des disciples, c'était justement Jean et non pas Jésus. Pourquoi Jean s'efface-t-il ainsi devant le nouveau venu ? Parce que Jésus est celui qui baptisera, c'est-à-dire qui plongera l'humanité dans le feu de l'Esprit Saint : « Moi, je baptise dans l'eau (sous-entendu parce que je ne suis qu'un homme), lui vous baptisera dans l'Esprit-Saint ». Qui dispose à son gré de l'Esprit de Dieu, sinon Dieu lui-même ?

Si le prophète Joël était là, au bord du Jourdain, il pourrait nous dire : vous voyez, je vous l’avais bien dit, le jour est enfin venu où Dieu répand son esprit sur toute chair ».

Nous laisserons nous emporter dans ce feu ?




 

Fête du Christ ROI

Dimanche 24 novembre 2013



2 S 5,1-3; Ps 122(121),1-7a; Col 1,12-20; Luc 23,35-43.

En ce dernier dimanche du temps ordinaire, nous célébrons la solennité de Jésus-Christ roi de l’univers. Cette fête fut instaurée par le pape Pie XI le 11 décembre 1925 par l’encyclique « Quas Primas » pour « ramener et consolider la paix par le règne du Christ ».

Les textes de la liturgie présentent plusieurs aspects de cette réalité. Le second livre de Samuel, entendu en 1ère lecture, nous parle de l’unification de toutes les tribus d’Israël qui reconnaissent l’autorité royale de David comme dérivant de celle de Dieu.

Le Psaume 121, quant à lui, reconnaît Jérusalem, le trône de David, comme le point d’union de ces mêmes tribus pour adorer le Seigneur : « Jérusalem, te voici dans tes murs : ville où tout ensemble ne fait qu'un ! C'est là que montent les tribus, les tribus du Seigneur. C'est là qu'Israël doit rendre grâce au nom du Seigneur. C'est là le siège du droit, le siège de la maison de David ».

L’évangile présente de son côté une image de roi, en contraste avec celle qui ressort des lectures précédentes. Jésus, objet de dérision et de mépris, meurt sur la croix comme un criminel et l’écriteau qui est cloué au-dessus de lui, le désigne comme « roi des Juifs ».

La deuxième lecture,- de la lettre de Paul aux Colossiens,- nous donne la clef pour entrer dans le mystère de la mort du Christ en croix, comme sommet de la révélation de sa royauté sur l’univers. Soulignons que Paul, apôtre des nations, nous présente le règne universel du Christ à travers sa mort sur la croix en termes de réconciliation, de rédemption, de pardon des péchés et de paix : « Car Dieu a voulu que dans le Christ toute chose ait son accomplissement total. Il a voulu tout réconcilier par lui et pour lui, sur la terre et dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix ». 
Comment pourrait-on lier plus clairement la royauté du Christ à sa mission de salut. Jésus manifeste sa royauté en nous faisant miséricorde, en nous pardonnant et en nous justifiant, non en nous condamnant. Il pourrait manifester sa toute-puissance en foudroyant le pécheur, il l’exerce, dans sa passion et dans toute l’histoire du salut, en le pardonnant. Ce pardon constitue un acte de puissance sans commune mesure avec le châtiment, parce qu’il a pour effet, non plus d’anéantir le pécheur, mais de le transformer et de le rendre juste.

Seul un regard de foi, perce les apparences sensibles pour nous rendre ce mystère accessible. Seul un regard de foi peut nous permettre de reconnaître en Jésus, le Fils de Dieu, qui « nous a arrachés des ténèbres pour nous faire entrer dans son Royaume » (Cf. 2ème lecture). Seul un regard de foi peut nous faire discerner en lui, celui en qui nous sommes pardonnés.

Tel est le regard du bon larron : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne ». Dans l’évangile de Luc, il est le seul à appeler Jésus, du nom que Dieu lui a donné dès avant sa conception : « Jeshoua », « Dieu sauve » (Lc 1, 31).

Comment Luc, pourrait-il mieux, illustrer ici, l’union dans la propre personne du Christ, du Royaume qu’il inaugure et du salut qu’il apporte !

« Amen, je te le déclare : aujourd'hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » En exauçant sa demande, Jésus manifeste au bon larron, que son Royaume, son salut, n’est pas à remettre dans un futur lointain, mais qu’il est déjà à l’œuvre, ici et maintenant.

Demander au Christ de régner sur notre monde c’est d’abord lui présenter nos vies marquées par le péché et implorer son salut. A chaque eucharistie, nous sommes mystérieusement mais bien réellement rendus présents au pied de la croix. Le salut nous y est proposé par le roi d’humilité. Le défierons-nous en lui demandant de manifester sa toute-puissance en se sauvant et en nous sauvant avec lui ou bien reconnaîtrons-nous humblement notre péché et notre besoin de salut en implorant sa force d’amour et de pardon et en le suppliant comme le bon larron : « Seigneur souviens-toi de moi dans ton Royaume » ?

33è Dimanche ordinaire

Dimanche 17 novembre 2013



Mal 3,19-20; Ps 98(97),5-9; 2 The 3,7-12; Luc 21,5-19.

Le Temple devait, sans nul doute, être très beau, avec ses colonnes et ses boiseries sculptées, ses draperies brodées, ses revêtements d’or. Commencé par Hérode le Grand en 19 avant notre ère pour tenter de gagner la faveur des juifs, il était en voie d’achèvement du temps de Jésus. Il sera terminé en 63 et… détruit en 70 par les armées du général romain Titus. Les pèlerins devaient rester bouche-baie, la contemplation d’un édifice imposant et beau donne une impression de sécurité, comme si les pierres défiaient l’histoire et que pour un instant nous échappions nous aussi à l’usure du temps.

L’intervention de Jésus vient rompre le charme : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit ». Pour les Juifs, ces paroles sont blasphématoires : le prophète Jérémie n’avait échappé que de justesse à la mort pour moins que cela.

Rien d’anormal, à priori, dans l’énoncé de Jésus : tout comme les plus hautes montagnes finissent par être érodées par les vents et se transformer en collines, puis en plaines, ainsi ce monde passe et ses plus beaux édifices sont éphémères, surtout lorsque la furie des hommes s’acharne sur eux. Jésus ne fait que nous arracher à nos rêveries de toute puissance et d’immortalité terrestre, pour nous ramener à la réalité de ce monde où tout est vanité.

Mais son auditoire ne l’entend pas ainsi : il croit comprendre que le Rabbi fait allusion aux événements de la fin du monde : profitons-en, pressons-le et demandons-lui de nous révéler le temps et les signes avant-coureurs !

Devinant la visée du questionnement, Jésus ne répond pas à la demande, mais met en garde non seulement contre ce genre de curiosité malsaine, mais plus encore contre ceux qui prétendraient y répondre : seul le Père connaît le temps et l’heure ; il ne nous appartient pas de scruter ses intentions. « Ne vous laissez pas égarer » par les faux prophètes, nous dit-il, ni par de soi-disant signes de la fin prochaine du monde : les « tremblements de terre » et autres cataclysmes naturels, les « épidémies de peste et les famines » et même « guerres et soulèvements » appartiennent aux conditions de ce monde et ne sont en rien des signes de sa fin. Il y en a eu à toutes les époques, et il en sera hélas ainsi jusqu’au bout.

S’il faut y lire un signe, c’est bien celui du dégât causé par le péché dans la création toute entière ; s’ils sont porteurs d’un message, c’est celui d’un vigoureux appel à la conversion. Car le vrai combat n’est pas « nation contre nation, royaume contre royaume » ; tout cela demeure horizontal. Le vrai combat est vertical : il se livre là où le croyant est persécuté « à cause du Nom » de son Seigneur. Ce combat là est trans-historique, il participe à celui qu’a livré victorieusement le Fils de l’homme et par lequel il a ouvert les portes du ciel.

Luc y reviendra longuement dans le Livre des Actes des Apôtres, où il relatera les persécutions subies par les disciples du Christ. Si ceux-ci ne se dérobent pas et ne sombre pas dans le découragement, c’est précisément parce que leur Maître et Seigneur les avait avertis de ce qui les attendaient. Aussi dramatiques qu’elles soient, pour le vrai disciple, les persécutions sont à saisir comme des « occasions de rendre témoignage » à Celui qui, par sa résurrection glorieuse, nous a définitivement sauvés de la peur de la mort.

Dans les épreuves - qui ne manqueront pas tout au long de l’histoire de l’Église - le Seigneur s’engage à venir personnellement en aide à son témoin : « Moi-même je vous inspirerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront opposer ni résistance ni contradiction ». Dieu ne peut pas changer le cours des événements sans empiéter sur la part de responsabilité qui revient à l’homme ; mais la liberté avec laquelle les chrétiens assument ces événements, devrait être un vivant témoignage que leur vie n’est pas entre les mains des hommes, mais de Dieu.

Sans minimiser les dangers extérieurs qui nous menacent de toute part dans notre monde en ébullition, il n’en reste pas moins que le vrai danger, celui qu’il faut redouter plus que tout, est intérieur : la catastrophe la plus grave serait de trahir Jésus et d’apostasier notre foi devant l’agressivité - peut-être un jour la haine mortelle - de ceux qui nous détestent « à cause de son Nom » justement, et qui hélas pourraient être des proches, des amis, voire des parents.

L’historien romain Tacite écrit que les chrétiens étaient devenus « la haine du genre humain » ! Cela ne les a pas empêchés de témoigner de leur foi, au point que Tertullien a pu écrire : « Le sang des martyrs est la semence de chrétiens ».

Devant de tels exemples, nous devrions être bien plus inquiets de notre tiédeur ? Le mépris, voire l’hostilité affichés envers les croyants, ne menacent que notre réputation, alors que la tiédeur est une maladie spirituelle qui met en danger notre participation à la vie éternelle.

Notre-Seigneur est très clair : le temps de l’Église est un temps de persécution. Si cette épreuve nous a été épargnée en France, il ne faudrait pas oublier qu’il y a eu plus de martyrs au XXe s. sur notre Planète, qu’au cours des vingt siècles précédents de christianisme.

Ces « témoins » ne vivaient pas hors du monde, en marge de leur temps, dans une attente passéiste de l’éternité : Saint Paul nous l’a rappelé fermement dans la 2nd lecture. Loin de nous démobiliser, le discours de Jésus devrait tout au contraire nous stimuler à nous mettre généreusement au service de l’annonce de l’Évangile, à la suite du Christ lui-même, et selon la voie qu’il a ouverte devant nous. Voie étroite de la Croix à re-choisir chaque jour : « c’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie » nous dit Jésus.



32è Dimanche ordinaire

 Dimanche 10 novembre 2013

2 M 7,1-2.9-14; Ps 17(16),1ab.3ab.5-6.8.15; 2Th2,16-17.3,1-5; Luc 20,27-38.

A quelques jours de la fête de la Toussaint et de notre prière pour nos défunts, la liturgie nous invite à méditer sur le mystère central de notre foi : la résurrection. 
Les textes que nous avons entendus, nous invitent à prendre conscience, que la résurrection concerne toute l’humanité, y compris ceux qui ont précédé Jésus dans le cours de l’histoire. Les rabbins juifs prétendaient, que chaque verset de la Torah parle de la résurrection ; si les hommes ne sont pas capables de discerner sa présence, c’est que leur foi n’est pas assez forte. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans l’Ancien Testament des témoignages de la foi, en la résurrection. La 1ere lecture, tirée du livre des Maccabées, présente un des tout premier témoignage de foi, en la résurrection.

Il s’agit d’une déclaration pleine d’espérance : « le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle » et elle prend des accents très concrets : « C'est du Ciel que je tiens ces membres, et c'est par lui que j'espère les retrouver ». Cette conviction trouve son origine dans la fidélité de Dieu. Puisque nous acceptons de perdre la vie par fidélité à Dieu, Il ne permettra pas notre perte, Il nous rendra justice, expliquent ces jeunes martyrs. La première condition pour ressusciter est donc la confiance dans la fidélité de Dieu, une confiance sans faille, une confiance absolue.

Cette confiance indéfectible est illustrée par Jésus sur la Croix : « Père, entre tes mains je remets mon esprit ». Puisque Dieu est fidèle, lui remettre notre vie, et tout ce que nous sommes, est s’assurer que personne ne nous en dépossèdera, et que la vie nous sera rendue. Mais cette attitude doit être bien comprise, car elle n’est pas un investissement, une sorte d’assurance à long terme. Il s’agit d’un véritable acte d’abandon à sa volonté. Au seuil de la résurrection apparaît donc une difficulté de taille. Que Dieu défende et protège mes intérêts est facilement concevable, les païens en font autant ; mais pour qu’Il puisse le faire, il faut que je lui remette avant, même ma vie, et là, bien souvent, il y a un véritable combat.

Ce point est crucial. Avant d’être un couronnement ou une récompense, la résurrection est en effet en elle-même un combat. Arrêtons-nous un instant sur cette idée.
Nous avons pour preuve, les doutes des sadducéens qui interrogent Jésus. L’exemple un peu grotesque, pour ne pas dire un cas d’école, de cette femme qui épouse sept maris successifs au nom de la loi du lévirat, nous montre que les sadducéens, perçoivent la résurrection comme une continuité avec la vie terrestre, c’est pourquoi ils la refusent. Ils ont raison. Mais ils ont à faire un pas de plus : accepter la résurrection pour ce qu’elle est, plutôt que de la refuser pour ce qu’elle n’est pas.

Jésus l’explique quand il fait allusion aux anges. Constatons qu’il y a en effet, une véritable lacune entre la vie que nous connaissons ici-bas, et celle qui nous sera donnée en partage dans la maison de notre Père du ciel. Notre condition sera celle des anges, c'est-à-dire que nous serons sans cesse en présence de Dieu. Nous serons en parfaite communion avec lui, l’expression de notre vie ne sera alors qu’action de grâce. Tout amour vécu ici-bas dans l’ordre de la charité demeurera et sera transfiguré. Le mariage en tant qu’institution n’aura plus de raison d’être, mais l’époux et l’épouse connaîtront Dieu au cœur de l’amour qui les unit pleinement l’un à l’autre.

Le danger subsiste d’imaginer uniquement un saut qualitatif, de considérer qu’aujourd’hui on aime comme on peut, alors que demain nous aimerons parfaitement. Comme si, la vie des ressuscités serait une vie semblable à la nôtre, mais perfectionnée. Non, la différence est radicale. Elle est annoncée dans l’évangile par cette expression propre à Jean « quand Jésus passa de ce monde à son Père ». Autrement dit, Jésus passe d’un monde à un autre. Ce passage se fait par la mort, une vraie mort. Non pas seulement une mort biologique, mais une mort métaphysique, si vous me permettez cette expression.

Pour le dire autrement, la résurrection n’est pas une simple réanimation biologique qui réduirait la mort à un sommeil douloureux et temporaire, mais elle est un passage de la mort à la vraie vie. C’est pourquoi la résurrection de Jésus est la victoire contre la mort, la mort en elle-même, et non la victoire contre une mort particulière, celle d’une personne déterminée, Jésus de Nazareth. D’ailleurs nous le disons dans le Credo : « il est ressuscité d’entre les morts », et non pas « quelqu’un de mort est ressuscité ». Ce n’est pas sa mort qui est dépassée, mais la mort qui est vaincue.

Voilà l’ampleur de la résurrection. Elle est un combat, parce qu’elle l’a été un pour Jésus lui-même. Le mystère du samedi saint, est celui du Christ qui nous extirpe de la mort. Il n’y a donc pas que la Passion et la Croix qui sont un combat, la résurrection l’est aussi. On peut l’assimiler aux douleurs de l’enfantement, Jésus n’est pas seulement le ressuscité, il est aussi le ressuscitant, le principe actif de la résurrection pour les hommes.

Ce combat de Jésus est aussi le nôtre. Entre la Croix et la Résurrection il y a un délai, un espace pour l’attente et la lutte, entre la victoire définitive de Jésus remportée au matin de Pâque et l’avènement du Christ dans la gloire, il y a là, un temps où nous luttons encore contre la mort. Entre notre baptême où nous sommes plongés dans la mort du Christ, et notre entrée dans la plénitude de la vie, il y a l’espace de notre pèlerinage intérieur, notre vie. C’est le temps où le Christ nous attire à lui, le temps où il nous enfante à la vie, dans les douleurs de nos résistances. Durant ce temps là, la résurrection est une lutte.

Il est donc grand temps de nous affranchir de nos raisonnements de sadducéens, pour laisser le Christ nous enfanter à la vie de ressuscités, à la vie filiale qui seule peut faire notre béatitude. Nous ne connaîtrons pas le Dieu vivant, en plénitude, tant que nous ne nous serons pas abandonnés à la victoire de sa résurrection.



31è Dimanche ordinaire

Dimanche 3 novembre 2013

Sg 11,23-26.12,1-2; Ps 145(144),1-2.8-11.13-14; 2 Th 1,11-12.2,1-2; Luc 19,1-10. 

Zachée est sans doute un des personnages les plus connus, et aussi les plus sympathiques des évangiles. Pourtant on ne peut pas dire que ce soit un homme très fréquentable – du moins au commencement de son cheminement. Il est non seulement collecteur, mais aussi et surtout « chef des collecteurs d’impôts » c’est-à-dire l’intermédiaire entre les receveurs de taxes et l’administration romaine. Ce poste était fort envié, car il permettait de brasser beaucoup d’argent ; mais celui qui l’occupait était ipso facto exclu et de la société civile, et de la société civile religieuse juive, parce que considéré comme collaborateur direct de l’occupant.

Luc nous apprend que Zachée « était de petite taille » : était-ce pour compenser un complexe d’infériorité qu’il avait consenti à ce métier peu honorable, métier peu honorable soit, mais qui lui donnait un pouvoir exorbitant sur son entourage ! Était-ce pour se venger des quolibets qu’il avait dû endurer durant son enfance ? Quoi qu’il en soit, sa petite taille lui joue à nouveau, un mauvais tour, puisqu’elle l’empêche de voir Jésus qui passe. On imagine alors les rires sarcastiques et revanchards de la foule qui, à la vue du petit homme mal aimé, se ressert encore davantage pour l’empêcher de se glisser au premier rang.

Alors Zachée « courut en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui devait passer par là » souligne Luc : La scène a quelque chose à la fois de cocasse et de bon enfant : un homme adulte, perché maladroitement sur un arbre et cherchant à se cacher dans les frondaisons qui s’étendent au-dessus de la route. La foule l’a bien sûr remarqué et ne manque pas de se moquer bruyamment de lui, trop heureuse de le voir s’exposer au ridicule.

La surprise vient de la réaction de Jésus, qui va faire basculer la situation. Loin de se joindre aux sarcasmes et aux mépris de la foule, Jésus s’arrête et pose sur Zachée un regard certainement amusé, mais surtout bienveillant. Jésus « lève les yeux » comme pour cueillir un fruit mûr et ouvre le dialogue avec lui : “Zachée descends vite” : sous-entendu si tu veux t’élever, te grandir aux yeux de tous pour compenser ta petite taille mais ce n’est pas ainsi que tu pourras me rencontrer. Le Dieu que tu as trahi et que pourtant tu cherches dans ton cœur, n’est pas dans les hauteurs. Comment ne pas faire résonner ici les paroles de Paul : “devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même” (Ph 2, 7-8). Autrement dit, il est descendu jusqu’à toi, il se tient même en dessous de toi pour ne pas t’humilier comme le font tes concitoyens ; et il vient jusqu’à toi pour mendier ton hospitalité : “aujourd’hui il faut que j’aille demeurer chez toi” ».

« Il faut » : étonnante nécessité, à laquelle fera écho cet autre parole de Jésus Ressuscité aux disciples d’Emmaüs : « Ne fallait-il pas que le Messie souffrit tout cela pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24, 26) Cette halte du Seigneur dans la maison de Zachée, juste avant sa Passion, résume tout le ministère de Jésus : « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ». Jésus n’a pas dit « celui qui était perdu », mais « ce qui était perdu ». Qu’avait donc perdu Zachée, sinon la grâce, dont le péché l’a privé ? « Il fallait » alors que le Fils de l’homme descende dans notre humanité, pour nous rendre la vie filiale que nous avions perdue par nos fautes.

Surpris de voir le Maître « lever le regard » vers lui, Zachée esquisse un geste de recul, cherchant à s’enfoncer plus profondément dans la frondaison. Mais lorsque Jésus lui intime de descendre pour l’accueillir, il n’ose en croire ses oreilles ; cependant l’ordre s’impose à lui, et fou de joie il descend à toute vitesse de son perchoir pour rejoindre Jésus et l’introduire dans sa maison.

Jamais dans tout son récit, Luc ne précise que les pharisiens reçoivent Jésus à leur table « avec joie ». Or dans le troisième évangile - appelé encore « l’évangile de la joie » - celle-ci trahit toujours la présence de l’Esprit Saint. Serait-ce donc que l’Esprit habite davantage le cœur du pécheur Zachée que celui des chefs religieux, ces hommes réputés « justes » en raison de leur stricte observance de la loi ? Ce n’est certes pas le péché qui a attiré l’Esprit Saint dans le cœur de Zachée ; mais force nous est donner de constater que ce ne sont pas davantage les œuvres des pharisiens qui les sanctifient.

La joie de Zachée, nous indique qu’il s’est laissé toucher par les propos de Jésus dont il a entendu les enseignements à l’abri des regards indiscrets. Il s’est pris à aimer ce rabbi dont les paroles de miséricorde ont transpercé son cœur. Aussi brûlait-il secrètement du désir de le voir. Lorsqu’en s’invitant chez lui, Jésus vient au devant de ce désir, Zachée ouvre son cœur à la grâce, et l’Esprit manifeste immédiatement sa présence, non seulement par la joie qui l’envahit, mais aussi en le libérant de son avarice et en lui donnant accès à la liberté du don.

Telles ne sont pas les dispositions intérieures des pharisiens, plus préoccupés de saisir le moindre motif de critique, voire de condamnation dans les propos et les agissements de ce Jésus qui leur fait de l’ombre. Loin de brûler d’amour pour Lui, c’est plutôt la flamme de la haine qui embrase leur cœur. Devant l’enthousiasme des foules, leur aversion ne fait que croître, et leur tristesse morbide se transforme en rage meurtrière. Comment pourraient-ils, eux, « recevoir Jésus avec joie » ?

Le secret de Zachée, c’est d’avoir su distinguer clairement sa malice objective, dont il avait bien conscience, et la bienveillance - bien plus objective encore - de Jésus, dont il s’est perçu aimé, non pas malgré ses fautes, mais à cause de son péché. Se convertir ne signifie pas changer de vie de manière volontariste, mais se laisser trouver par Jésus, qui désire être l’hôte de nos cœurs. Ce n’est que dans la mesure où nous accueillons « le salut dans notre maison », que le Seigneur « par sa puissance, nous donnera d’accomplir tout le bien que nous désirons, et qu’il rendra active notre foi ».

Jésus, poses ce même regard de tendresse à chaque instant, sur chacun de nous ; un regard porteur du même message d’espérance. “Tu fermes les yeux sur nos péchés pour que nous nous convertissions et que nous puissions croire vraiment en toi” (SG 1ère lect.). Le Seigneur ne désire rien d’autre que de nous voir participer à sa gloire, en nous donnant part à sa vie dans l’Esprit (cf. 2nd lect.). Ce n’est pas nous qui le cherchons, mais c’est lui qui vient au-devant de nous en mendiant notre hospitalité.

Qu’aujourd’hui, nous aussi, comme Zachée, nous puissions le recevoir avec joie.

Fête de la Toussaint

Vendredi 1er Novembre 2013



Ap 7,2-4.9-14; Ps 24(23),1-6; 1 Jn 3,1-3; Matthieu 5,1-12a.



Cette destinée de gloire vers laquelle nous marchons, nous est dévoilée dans ce passage de l’Apocalypse, qui n’est pas encore pleinement manifestée : « Nous savons, nous dit la première épître de saint Jean, que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est » (1 Jn 3, 2b).

Cependant, ce Royaume de gloire, même si, non encore pleinement manifesté, n’en demeure pas moins déjà présent au milieu de nous. C’est ce que nous rappelle la deuxième lecture : « Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » (1 Jn 3, 1a).

Par la mort et la résurrection de Jésus, nous avons été restaurés dans notre filiation divine. En Jésus, le Fils unique, nous sommes désormais fils adoptifs. Ce que le péché avait détruit : le lien de filiation qui nous unissait au Père, le Fils l’a rétabli, acte suprême de salut dont nous avons pu recevoir le fruit par le sacrement du baptême.

Ainsi donc, si nous demeurons ici-bas établis dans ce lien de filiation, qui dans l’Esprit nous relie au Père, un jour viendra où nous verrons la gloire de Dieu et serons transfigurés par elle. Il s’agit donc pour nous de vivre dès maintenant comme des fils, c’est-à-dire, de marcher à la suite du Fils, sur le chemin que lui-même a emprunté.

Et quel est ce chemin si ce n’est celui des béatitudes ! Les béatitudes nous orientent déjà vers le bonheur qui sonne comme une promesse : « Heureux… ». Et c’est là, leur paradoxe, car ces béatitudes nous parlent de gens qui sont heureux au cœur de leurs souffrances actuelles, ou qui le seront au moment où ils seront persécutés. L’obscurité du présent de ces personnes, lié à leur souffrance, est éclairée, par ce qui doit venir. Ce que la première partie de chaque béatitude contient de peine, est tourné, par la promesse contenue dans la seconde partie, vers un avenir radicalement différent, objet de toute espérance. Le bonheur des béatitudes s'attache donc à une promesse. C’est un bonheur anticipé qui reflue depuis l'avenir sur un présent encore obscur.

Notre véritable « terre », celle dont nous attendons la possession, appartient au monde à venir. Les béatitudes revêtent ainsi une dimension pascale. Voilà pourquoi elles n'ont pas d'autre chemin à nous proposer que celui de la folie de la croix qui ouvre au bonheur. Bonheur non pas de la souffrance, mais bonheur de pouvoir accéder, par cette nouvelle échelle, à un autre monde, un monde qui ne passera pas, un monde où il n’y aura plus ni pleurs, ni cris, ni peines car le monde ancien s’en sera allé (cf. Ap 25, 4).

Ce chemin de croix, le Fils lui-même l’a suivi, si nous voulons demeurer fils dans le Fils, nous devons aussi à notre tour nous y engager. Les « cent quarante-quatre mille » dont parle l’Apocalypse, ne sont-ils tous ces hommes et ces femmes qui ont misé sur cette promesse vers laquelle nous fait tendre chacune des béatitudes, ils ont eu l’audace de vivre dans la lumière de la Croix glorieuse.

Voilà en quoi cette fête de la Toussaint nous aide aussi à prendre conscience de l’enjeu de notre vie quotidienne. Le bonheur du Royaume est réservé à ceux qui remplissent les conditions intérieures définies par les béatitudes, ceux qui s'engagent sans retour à la suite du Christ, en portant chaque jour leur Croix, seule et unique clé, pour accéder au Royaume du véritable bonheur.

Les saints durant leur vie terrestre, se sont engagés sans réserve sur ce chemin des béatitudes et ont pu recevoir à leur mort – ou plutôt à leur entrée dans la vraie Vie – ou au moment de leur naissance au ciel, comme vous voulez, la couronne de gloire.

En nous appuyant sur leur intercession, nous avons dès à présent à vivre l’évangile des béatitudes pour pouvoir faire partie de cette multitude immense de saints que personne ne peut compter (cf. Ap 7, 9), nous voulons répéter avec eux : «Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! »

 

30è Dimanche Ordinaire

Dimanche 27 octobre 2013



Si 35,12-14.16-18; Ps 34(33),2-3.16.18.19.23; 2 Tm 4,6-8.16-18; Luc 18,9-14.



Une telle insistance de sa part, nous montre bien que la question n’est pas si évidente que cela, elle trahit que, trop souvent, nous nous sentons victimes d’injustice. Peut-être, quand nous n’obtenons pas ce que nous demandons. Peut-être, quand nous considérons que les autres sont mieux exaucés que nous. Peut-être aussi, quand nous constatons que ceux qui ne font manifestement aucun effort pour vivre de l’Évangile connaissent prospérité et bonheur, alors que d’autres, croyants, connaissent les dures épreuves de la vie. Bref, que ce soit sur nos lèvres ou dans nos cœurs, le cri retentit comme une accusation : « c’est pas juste ! ». Dire que « c’est injuste » est en effet insinuer que Dieu n’est pas juste, ou, pour le moins, que nous sommes plus capables que lui, de décider de ce qui est juste, et ce qui ne l’est pas.

Pour nous aider dans notre cheminement de foi, Jésus, lui, nous entretient de la façon de bien prier. La semaine dernière, il nous incitait à la persévérance, rappelant que nous sommes toujours exaucés en Dieu et qu’il nous faut prier continuellement jusqu’à l’avènement du temps de Dieu. Cette semaine, il choisit une petite parabole décrivant une situation très contrastée. Il rassemble dans le temple, au même moment, celui qui est prétendu par tous, -et à commencer par lui-même - comme juste et pieux, et, celui qui est unanimement considéré comme le type du pécheur public. Jésus met ainsi en scène un pharisien et un publicain.

La prière du premier, le pharisien, est une longue action de grâce. Cette action de grâce est réellement adressée à Dieu : il n’a pas l’orgueil de se mettre à la place de Dieu, ni même à sa hauteur. Ce pharisien dit clairement que sa justice lui vient de Dieu. Mais sa prière n’est autre que la liste de ses propres vertus à lui. Ou plus exactement, la liste de tous les péchés qu’il n’a pas commis. Il n’est pas si mauvais. Il se débrouille plutôt bien. Certes, il aurait pu évoquer les bonnes actions qu’il n’a pas commises alors qu’il en avait eu l’occasion. Disons qu’il est honnête dans sa description.

Le second, le publicain, est conscient d’être pécheur. Il n’a pas besoin de faire une liste détaillée des péchés commis. Tout le jour ils sont devant sa face et pèsent sur son âme. Tout le jour il peut en lire la liste dans les yeux des gens qu’il croise. Ce publicain reconnaît ce qu’il a fait de mal. Mais on pourrait souligner que, même s’il est honnête dans sa description, il ne parle pas de réparer les torts qu’il a commis…

Quelle est la différence entre ces deux hommes ? Quelle différence Jésus veut-il mettre en évidence ? Tous les deux sont honnêtes dans ce qu’ils disent. Serait-ce donc la capacité de reconnaître ses tords ? Non, Il y a plus.

Si le publicain n’ose pas lever les yeux au ciel, sa prière est en effet un appel à la miséricorde : « Mon Dieu, prends pitié du pêcheur que je suis» s’écrit-il. Il demande à Dieu de lui pardonner. Le pharisien, lui, n’avait pas demandé à être pardonné, plus fondamentalement, il n’a rien demandé à Dieu. Il n’attend rien de Dieu. Il n’est pas en relation avec le Seigneur, sa prière est centrée sur lui-même, sur sa propre personne. Il n’y a de place dans son cœur pour personne d’autre que lui. Si bien qu’il se contente d’avoir une image approximative de ses frères. C’est pourquoi, il les classe par catégories : les voleurs, les injustes, les adultères. Il n’en connaît aucun, et les méprise tous.

Quand il rentre chez lui, lui qui n’a rien attendu de Dieu, est resté ce qu’il était : pauvre. Inconscient de la justice de Dieu. Il n’a pas connu le vrai visage du Seigneur, le Dieu qui ignore les comparatifs et qui offre l’absolu de son amour.

Ce visage, le publicain montre qu’il le connaît, lorsqu’il se met à la dernière place dans le temple, parce qu’il voit les autres plus méritants que lui ; il montre qu’il connaît le visage de Dieu lorsqu’il se frappe la poitrine, en se reconnaissant pécheur, et en criant vers lui. La justice de Dieu ne se limite pas en effet à l’exigence de dire, ce qui est mal dans nos vies. Elle consiste à recevoir un avenir renouvelé comme don de la bonté de Dieu. Le pécheur qui se bat la poitrine et crie vers Dieu, attend que justice soit faite, c'est-à-dire qu’il attend que Dieu lui donne un avenir que le péché lui a volé. Et puisqu’il l’attend de Dieu, Dieu le lui donne. Quand il rentre chez lui, le publicain est devenu juste, il a reçu la possibilité d’un avenir avec le Seigneur, il est rendu capable de mettre en œuvre la volonté de son Père du Ciel.

Ce publicain nous enseigne donc que la justice de Dieu est sa bonté, bonté généreuse et gratuite, elle donne sens à nos existences en nous reconnaissant comme des personnes, quand nous ne recevons de nos frères, et de nous-mêmes, que de la condamnation. La justice de Dieu n’est pas seulement la miséricorde qui pardonne les péchés commis, elle est la miséricorde qui recrée notre capacité d’être en relation de confiance avec notre Dieu. La justice de Dieu est la preuve de sa fidélité. Elle fait passer de l’attitude du pharisien, qui croit qu’une personne est définie par ses qualités, ou son absence de défauts, à l’attitude du publicain, qui a compris qu’il est devant Dieu un sujet aimé, et qui est rendu capable d’agir et de porter les fruits de l’Esprit.

Ainsi résonne la sentence finale : « Qui s'élève sera abaissé ; qui s'abaisse sera élevé ». Celui qui se met en position de ne rien recevoir de Dieu, sera un jour reconnu pour ce qu’il est : un pauvre, pauvre dans tout les sens du terme. Et celui qui s’humilie recevra ce que sa prière mérite : il sera riche de Dieu et élevé à la dignité de fils adoptif.

Rendons gloire à celui qui a choisi d’incarner pour nous la justice de Dieu, à celui a accepté pour notre liberté que la miséricorde ait un visage, à celui qui a voulu que notre avenir porte son nom : Jésus, le Christ, notre Juge et notre Sauveur, Lui, l’Agneau vainqueur. À lui soit la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

29è Dimanche ordinaire

Dimanche 20 octobre 2013

 Exode 17,8-13, Ps 121(120),1-8; 2 Tm 3,14-17.4,1-2; Luc 18,1-8.

Ces lectures que nous venons d’entendre nous invitent à la persévérance dans la foi. La Foi nous est présentée relative à deux domaines : celui de la prière tel que la 1ère lecture et l’évangile nous le font comprendre, et celui de la lecture et de la proclamation de la Parole de Dieu, la 2ème lecture nous l’enseigne clairement.

Jésus dans l’évangile, nous exhorte avec ses disciples à « toujours prier sans se décourager ». Pour expliciter son propos, il relate la parabole de cette veuve qui n’en finit pas d’implorer justice auprès d’un juge inique jusqu’à ce que « fatigué » et « usé », il lui donne satisfaction. L’argument utilisé par Jésus déploie ici toute sa force de conviction : si cet homme mauvais finit par exaucer le vœu de cette pauvre femme qui lui « casse la tête », combien plus Dieu qui est bon, « fera-t-il justice à ses élus qui crient vers lui » et il fera « sans tarder ». La motivation de la persévérance se trouve être la certitude d’être entendu et exaucé, persévérance témoignant d’une confiance en Dieu à toute épreuve. C’est cette même assurance qui pousse Moïse, accompagné d’Aaron et de Hour, à lever sans relâche leurs mains et leurs cœurs vers le Seigneur jusqu’à la victoire du peuple sur les Amalécites.

Le psaume exprime lui aussi cette confiance, confiance indéfectible dans le Seigneur qui ne saurait rester sourd aux appels de celui qui crie vers lui dans sa détresse : « Je lève les yeux vers les montagnes : d’où le secours me viendra-t-il ? Le secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. […] Non, il ne dort pas, ne sommeille pas, le gardien d’Israël ». Ce psaume est une véritable confession de foi dans la présence du Seigneur à nos côtés et dans son amour fidèle et prévenant à notre égard : « Le Seigneur, ton gardien, le Seigneur, ton ombrage, se tient près de toi… Le Seigneur te gardera de tout mal, il gardera ta vie… Le Seigneur te gardera au départ et au retour, maintenant, à jamais. »

Persévérer dans la prière, exprime et fortifie notre foi en ce Dieu Père qui est toute bonté, pure bonté, pur don, pour chacun de ses enfants. C’est ce que Jésus veut nous faire découvrir lorsqu’après avoir conté sa parabole, il interroge ses disciples : « Mais le Fils de l’Homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? »

Reste cependant l’épineuse question de la prière non exaucée. Nous ne parlons pas ici d’une prière qui reposerait sur des motivations ambigües, une prière qui nous replierait sur nous-mêmes, plus qu’elle ne nous ouvrirait à Dieu et à nos frères. Au non exaucement de la prière, saint Jacques donne la raison : « Vous demandez et ne recevez pas parce que vous demandez mal, afin de dépenser pour vos passions » (Jc 4, 3). Pensons à ces prières où nous demandons à Dieu de faire justice à nos frères ou à nous-mêmes en penchant son cœur miséricordieux sur la souffrance dans laquelle nous nous trouvons.

C’est précisément ce type de prière que formule la veuve de l’évangile. Comment comprendre qu’à la fin du récit, Jésus déclare que Dieu ne saurait faire attendre ces élus, et qu’il leur fera justice sans tarder, alors que l’objet de cette parabole est de nous inviter à persévérer dans la prière, ce qui sous-entend, une réponse non-immédiate ! Nous aurions tort de voir ici une contradiction entre l’exigence posée par Jésus et la promesse d’une réponse immédiate. Le Seigneur nous exauce toujours, seulement la grâce qu’il dépose en nous, lorsque nous le prions a parfois besoin de temps, pour pénétrer notre nature, et déployer en nous toutes ses potentialités.

Il nous faut peut-être aussi du temps, pour reconnaître, en nous, l’œuvre de cette même grâce, qui souvent ne prend pas les chemins que nous voudrions sur le moment. C’est alors, qu’il nous faut poser, humblement, patiemment, un nouvel acte de foi, devant un mystère, insondable, comme l’Amour de Dieu pour chacun de nous.

Nous percevons combien cette foi a chaque jour besoin d’être ravivée. C’est ici, - comme nous le rappelle la deuxième lecture - qu’interviennent l’écoute et la proclamation de la Parole de Dieu. Je souligne volontairement l’écoute et la proclamation, lire et méditer l’Ecriture nous fortifie dans notre foi, en ce Père de tendresse et de miséricorde, pour qui tous nos cheveux sont comptés (Cf. Lc 12, 7). Proclamer cette Parole, qui nous révèle ce Dieu d’Amour, accroît également notre confiance en lui, et par conséquent elle soutient, notre persévérance dans la prière.

Demandons au Seigneur, qu’Il fortifie notre foi en sa bonté et en sa miséricorde, qu’Il nous justifie, afin que nous puisions persévérer dans la prière. Au cœur des épreuves et des souffrances, que nous gardions les yeux fixés sur Lui.

Que l’espérance grandisse en nous, dans l’attente patiente et confiante, de voir nos demandes exaucées, lorsque sa grâce aura germé en nous, jusqu’à donner un beau fruit de charité.

 

28è Dimanche ordinaire

Dimanche 13 octobre



2 Rois 5,14-17; Ps 98(97),1.2-4.6; 2 Tm 2,8-13; Luc 17,11-19.

Dans deux lectures, la première et l’Évangile, des hommes sont guéris de la lèpre, la relation entre celui qui guérit et le malade est assez semblable. Ainsi, le prophète Élisée ne sort pas au devant du général Syrien Naaman qui vient le solliciter, mais il lui parle de loin ; de même Jésus répond de loin aux 10 lépreux qui sont venus le prier ; une fois guéri, Naaman tout comme le dixième lépreux de l’Évangile retournent sur leur pas en rendant grâce à Dieu qui les sauve.

Retenons surtout la manière dont la première lecture nous prépare à recevoir l’Évangile. Naaman nous enseigne en effet qu’obtenir la guérison de Dieu exige l’humilité. Il était arrivé imaginant de grandes incantations et s’attendant à des prescriptions spectaculaires. Mais Élisée ne lui a demandé qu’un geste simple : se plonger sept fois dans le Jourdain. La guérison que Dieu donne ne touche que les cœurs humbles, c'est-à-dire les cœurs de ceux qui acceptent de faire la vérité dans leur vie. Naaman a dû (re)découvrir qu’il n’était pas seulement le général de l’armée syrienne mais un homme aimé par Dieu. La guérison que Dieu donne est gratuite. Il n’y a pas de cadeau à présenter pour dédommager le prophète. Autrement dit : on n’achète pas la grâce de Dieu. Notre participation, -et ce n’est pas rien- consiste à laisser sa grâce porter tout le fruit de vie que le Seigneur désire pour nous.

L’Évangile nous raconte comment les dix lépreux vivaient ensemble, ils formaient une communauté de souffrance, veillant avec impatience la venue du Sauveur. Or, le voici qui apparaît à l’entrée du village. Les lépreux s’avancent à sa rencontre mais ils s’arrêtent à la distance que leur impureté impose de respecter, ils crient vers Jésus. Ils ne se prosternent pas devant lui, la face contre terre, comme on a déjà vu d’autres lépreux le faire dans l’évangile, ils ne font pas non plus de longs discours expliquant leurs années de malheur. Ils appellent Jésus simplement « maître », comme le font les disciples. Ils ne sont pas loin de le reconnaître comme Dieu. Ils se rapprochent de Jésus davantage par leur prière que par leur présence.

« Jésus, maître, prends pitié de nous ! », s’exclament-ils. Ils ne lui demandent rien d’autre que sa pitié, ils veulent être regardés par Jésus et pris en pitié. Cette attitude manifeste une foi digne d’éloges. Ils ont une telle confiance en Jésus qu’ils n’exigent rien. Ils ne demandent pas à être guéris ou à être purifiés. Ils désirent seulement être regardés par leur Seigneur. Jésus entend leur cri et se situe lui aussi sur le plan de la foi. Lui qui a embrassé un lépreux, lui qui a touché les oreilles et la langue d’un sourd-muet, lui qui a pris par la main la jeune fille endormie dans la mort ainsi que la belle-mère de Pierre emportée par la fièvre, il ne franchit pas la distance que les dix lépreux marquent. Il ne pose aucun geste, ne leur donne aucune prescription, il n’ordonne pas non plus à la lèpre de les quitter. Il invite seulement ces hommes à aller se montrer aux prêtres. 
« En cours de route » nous dit Luc, sans en raconter davantage, « ils furent purifiés ». Luc ne dit pas comment ils se sont quittés, si les lépreux sont partis en hâte. Ils ont simplement obéi. Grande est leur foi. Se présenter aux prêtres, est en effet, selon la Loi de Moïse, aller faire constater, par les prêtres, la réalité de la guérison. Guérison qui n’a été ni demandée ni promise. Tout s’est dit dans l’échange d’un regard de confiance et de foi, dans l’espérance de la miséricorde. Et ces hommes n’ont pas été déçus. Ils ont été purifiés en cours de route.

Pourtant « L'un d'eux, voyant qu'il était guéri, revint sur ses pas en glorifiant Dieu à pleine voix ». Il reconnaît l’intervention de Dieu et lui rend grâce. Il semble désobéir à Jésus puisqu’il ne va pas au temple ; disons qu’il ajourne la reconnaissance officielle et réglementaire de sa guérison pour venir glorifier Dieu en premier et enfin se prosterner aux pieds de son sauveur. La barrière qui l’en avait empêché a disparu, enlevée par Dieu lui-même. Ce faisant l’homme obéit plus radicalement à la demande de Jésus, puisqu’il reconnaît en lui le Grand-Prêtre dont l’offrande purifie l’humanité entière, il voit en Jésus le Temple non fait de mains d’hommes qui manifeste réellement la présence de Dieu parmi les siens. En posant le geste d’adoration qu’aucun des dix compères n’a su poser au début du récit, cet homme est donc le seul qui ait accompli jusqu’à son terme le chemin de foi où Jésus invitait les dix compagnons de misère.

Ce n’est alors qu’à cet instant, où l’action de grâce de cet homme devient adoration, que nous apprenons que cet homme est un samaritain, autrement dit un étranger. Comprenons : rien ne peut nous empêcher d’être agréable à Dieu, ni notre condition, ni même la maladie. Jésus s’étonne même de ce que les autres anciens lépreux n’ont pas su rendre gloire à Dieu et reconnaître son irruption dans leur vie. Seul cet étranger manifeste une foi autre, une foi qui permet d’accéder au salut. Pourtant tous ont été guéris. La guérison que donne Jésus ne permet pas d’obtenir le salut si elle ne débouche pas vers une authentique action de grâce. Une guérison reçue du Seigneur est vaine si elle n’ouvre pas à une relation nouvelle avec Jésus. Jésus, ne nous guérit, en effet que pour nous permettre d’être pleinement en relation avec lui, car c’est cette relation que la lèpre de notre péché a rompue, c’est cette relation que Jésus est venu restaurer. Jésus a posé un regard de miséricorde sur l’humanité, il est venu pour la réconcilier avec son Père des cieux.

Lisant cette page d’Évangile, nous découvrons combien nous sommes concernés par la purification des dix lépreux. Cette page d’Évangile ne nous raconte pas une anecdote du passé, elle explique que la purification du cœur, de la lèpre, du péché, la sclérose de la peur, cette purification est offerte par Jésus à tout homme qui accepte de se mettre en route dans l’espérance. Le chemin de la guérison est le chemin d’une promesse faite par Dieu de nous attirer à lui et de nous permettre de nous rapprocher de lui dans un acte d’adoration et d’action de grâce. La guérison est toujours en avant de nous sous la forme d’une invitation de Jésus à reconnaître sa présence dans nos vies et à l’accueillir pleinement. La guérison est au final, une consécration à Dieu. En revenant vers Jésus, le dixième lépreux est devenu son disciple.

Présentons nous à Jésus comme des disciples qui ont faim et soif de mieux le servir, faim et soif de savoir le louer en toute vérité, en toute humilité. Sachons-nous tourner vers lui, sachons savourer le don qu’il nous fait dans l’Eucharistie. Elle est le sacrement de la guérison dont nous avons besoin.

27è Dimanche ordinaire

Dimanche 6 Octobre 2013



Habacuc 1,2-3.2,2-4; Ps 95(94),1-2.6-9; 2 Tm 1,6-8.13-14; Luc 17,5-10.

Qui d’entre nous n’a jamais crié vers Dieu, avec les paroles mêmes du prophète Habacuc ? « Combien de temps, Seigneur, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas ! Pourquoi m’obliges-tu à voir l’abomination et restes-tu à regarder notre misère ? »

La première partie de la réponse du Seigneur semble laisser annoncer une prochaine intervention de sa part, intervention spectaculaire, qui rétablirait le bon droit de l’opprimé. Mais le discours de Dieu change de ton, et finit par déboucher sur une parole énigmatique : « Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité ».

Difficile de ne pas entendre dans ce verset une pointe de reproche. Le Seigneur nous remet à notre place : accuser Dieu de ne pas intervenir en notre faveur est en effet à la limite à l’insolence. « L’âme droite » n’exige pas qu’on lui fasse justice, mais manifeste qu’elle est « juste » en demeurant fidèle contre vents et marées.

L’âme droite est celle qui peut dire avec Esther : « Tout dépend de ta volonté, Seigneur, et rien ne peut lui résister : c’est toi qui as fait le ciel et la terre et les merveilles qu’ils contiennent. Tu es le Maître de l’univers » ?

Nous n’avons pas à attendre de Dieu qu’il change le cours des événements ; par contre nous sommes invités à changer notre manière de les appréhender et de les vivre. Comment pouvons-nous imaginer, ne serait-ce qu’un instant, que nous sommes livrés, impuissants, au hasard des événements ou à la malice des hommes ?

Ce serait faire mentir le Christ qui nous assure que nos vies sont dans la main du Père, et que nul ne peut rien arracher de sa main (cf. Jn 10, 29).

Dieu n’annule pas les causes secondes et ne peut rien contre la liberté des hommes mauvais. Mais la résurrection de Jésus ne proclame-t-elle pas une fois pour toutes que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu ? Une telle lecture n’est évidemment accessible que dans la foi ; c’est pourquoi il nous est sans doute bon de supplier avec les Apôtres : « Augmente en nous la foi ! »

Et là encore une surprise nous attend : la réponse de Jésus est tout aussi déconcertante que celle donnée par Dieu au prophète Habacuc. Que représente ce grand arbre qui est supposé nous obéir au nom de notre foi ? Et quel rapport avec la parabole par laquelle Jésus illustre son propos ? Essayons d’y voir plus clair.
Dans la Bible, l’arbre solidement enraciné en terre - probablement un mûrier noir un sycomore, peut résister jusqu’à six siècles aux intempéries – il représente la vie ; la mer, elle, elle est le symbole de la mort. Jésus affirme donc, que si nous avions de la foi gros comme la plus petite des graines potagères, nous pourrions faire fleurir la vie au cœur même des situations les plus désespérées.

Il est clair qu’un tel regard sur les événements ne peut procéder du « vieil homme », lui qui est devenu affreusement myope depuis que le péché l’a privé de la lumière de la grâce. Aussi ne peut-il évaluer les situations et les événements auxquels il est confronté, que sur l’horizon restreint de cette vie éphémère. La sagesse voudrait qu’il se laisse conduire par la main, comme un aveugle faisant confiance à celui qui voit. Hélas il n’en est rien : nous prétendons mener notre barque comme bon nous semble au risque de l’échouer sur les récifs des épreuves inévitables de nos vies.

Comment prendre autorité sur ce vieil homme auquel nous nous identifions ? Jésus nous répond par la parabole du « serviteur quelconque », il nous faut nous appuyer par la foi sur un Autre, qui voit plus loin que nous, et qui s’est engagé à nous conduire au bon port : « Moi je suis la lumière du monde, proclame Jésus. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie »(Jn 8, 12).

Le bon sens exige que le matelot qui travaille dans la soute, obéisse aveuglément au capitaine qui dirige les manœuvres depuis le pont. On imagine mal que le soir le capitaine aille prendre la place des matelots, leur laissant le gouvernail alors qu’ils n’ont aucune compétence pour conduire le navire. L’obéissance du matelot n’a rien d’aliénant : elle résulte de la reconnaissance de la place et du rôle de chacun, dans la complémentarité des responsabilités et des missions.

Cette image illustre fort bien notre situation concrète : dans la barque de l’Église, chacun est invité à tenir son poste dans l’obéissance au capitaine : Jésus ressuscité, qui depuis le pont, dispense à chacun ses ordres afin que tous ensemble nous puissions arriver à bon port.

La foi consiste à accueillir cette autorité suprême du Christ, dont les directives nous viennent par la voix de la hiérarchie qui répercute jusqu’à nous ce qui se dit sur le pont. « Les fonctions dans l’Église sont variées, mais c’est toujours le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est toujours le même Dieu qui agit en tous. Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous. Le même et unique Esprit distribue ses dons à chacun, selon sa volonté »(1 Co 12, 4-11).

Du haut au bas de l’échelle hiérarchique, tous sans exception nous devrions pouvoir dire en vérité : « Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n’avons fait que notre devoir ». Paul propose une autre image très parlante : celle de la multiplicité des membres d’un même corps et de l’indispensable coopération de chacun de ces membres aux activités du corps tout entier sous la direction de la tête : le Christ.

De ce qui précède, il apparaît que la foi présente deux dimensions indissociables : la première - la plus fondamentale - est une confiance absolue en Dieu, qui ne se laisse pas ébranler par les tempêtes de la vie. Notre capitaine est digne de confiance : il a traversé les grandes eaux de la mort et saura conduire notre barque jusqu’à l’autre rivage - à condition bien sûr que nous ne lui arrachions pas le gouvernail des mains.

La seconde dimension de la foi consiste à reconnaître la nécessité d’obéir à celui qui désire nous conduire en lieu sûr. Cette « obéissance de la foi » (Rm 1, 5 ; 16, 26) se vit dans le contexte de la complémentarité des appels et des missions au sein de l’Église, que le Christ conduit par son Esprit.

L’exhortation de Paul proposée en 2nd lecture, prend tout son sens : demandons à Dieu de « réveiller en nous » le don de l’Esprit dont nous avons été gratifiés au jour de notre baptême. « Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de raison ». Nous disposons ainsi dans la foi de la force nécessaire pour « prendre notre part de souffrance pour l’annonce de l’Évangile », sans maugréer ni nous révolter ; nous disposons de l’amour qui permet de vivre le service dans un esprit de charité et d’unité ; nous disposons enfin d’une raison éclairée par l’Esprit, qui peut prendre autorité sur les revendications du vieil homme.

26è Dimanche ordinaire

dimanche 29 septembre 2013

Amos 6,1a.4-7; Ps 146(145),5a-10a; 1Tm 6,11-16; Luc 16,19-31.« 

Cet homme, c’est toi »(2 Sm 12, 7). Ces paroles par lesquelles le prophète Nathan accuse le roi David, pourraient fort bien m’être attribuées à moi, à chacun d’entre nous, qui nous scandalisons devant l’indifférence de ce mauvais riche faisant bombance, tout en ignorant le pauvre Lazare, mendiant sur le pas de sa porte.

Comme David qui, jadis, se scandalisait du comportement de ce riche propriétaire égorgeant l’agnelle du pauvre pour épargner son cheptel, alors que lui-même venait de prendre la femme de Uri le Hittite, ainsi moi aussi je me fais l’accusateur des riches de ce monde, en refusant de voir que j’en fais partie. « Esprit faux ! Enlève d’abord la poutre de ton œil, alors tu verras clair pour retirer la paille qui est dans l’œil de ton frère » (Lc 6, 42) nous interpelle Jésus.

Ne ferions-nous pas partie de ceux que le prophète Amos dénonce : « ceux qui vivent bien tranquilles et se croient en sécurité » (1ère lect.) alors que tant de nos frères sont aux aboies, tourmentés par la faim, la maladie, le dénuement ; pourchassés sur les routes de l’exil, exposés à toutes sortes de violence ?

Nous sommes tellement habitués au spectacle de la misère du monde, que nous finissons par la regarder de loin, de très loin ; en tout cas, d’assez loin pour ne pas en être dérangés.

Je ne cherche pas à culpabiliser qui que ce soit, en disant cela ; mais si nous sommes un tant soit peu honnêtes, envers nous-mêmes, nous n’aurons nulle peine à nous reconnaître dans ce comportement qui affecte globalement la grande majorité des pays occidentaux, croyants ou non.

N’oublions pas pourtant, que cette inertie nous accuse : « le Seigneur », lui, « protège l’étranger ; il soutient la veuve et l’orphelin ; il fait justice aux opprimés ; aux affamés il donne le pain » (Ps 145) nous rappelle le psalmiste. C’est-à-dire que le Seigneur attend de nous, que nous lui permettions d’accomplir ces œuvres élémentaires de compassion, en nous rendant disponibles à son Esprit de charité.

Jésus nous a enseigné - et nous l’a surtout montré- le comportement de Dieu à notre égard : par compassion pour notre misère, le Verbe a pris chair de notre chair ; « lui qui était riche, il est devenu pauvre à cause de nous, pour que nous devenions riches par sa pauvreté » (2 Co 8, 9). Aussi notre vraie richesse ne serait-elle pas de consentir à nous appauvrir pour nos frères ? Comme lui, Jésus, l’a fait pour nous ?

Soit, nous avons aussi à veiller avec prudence sur l’avenir de nos familles, de notre prochain le plus proche, celui dont nous avons la charge ; « il ne s’agit pas de nous mettre dans la gêne en soulageant les autres, nous rassure Paul. Il s’agit d’égalité, ce que nous avons en trop compensera ce que d’autres ont en moins. Quand on y met tout son cœur on est accepté pour ce que l’on a, peu importe ce que l’on a pas » (2 Co 8, 12-14).

Dimanche dernier Jésus, nous donnait un conseil : « Faites-vous des amis avec l’Argent trompeur afin que le jour où il ne sera plus là ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles » (Lc 16, 9).

La parabole de ce jour, qui n’est distante que de quelques versets de la parabole de la semaine dernière, elle pourrait bien être, une mise en application de ce précepte : si le riche avait vécu la dimension de partage qui s’imposait au nom de la simple humanité du pauvre Lazare, ce dernier l’aurait accueilli dans le sein d’Abraham. Son indifférence - ou son égoïsme - entraine le riche vers le bas, et cette inertie perdure au-delà de la mort : « on l’enterra » nous dit Luc à propos de la mort du riche; alors que rien ne s’oppose à l’élévation de Lazare, au moment de sa mort, il est emporté par « les anges dans les hauteurs célestes ».

Il ne s’agit pas de faire ici l’apologie de la misère, ni de diaboliser la richesse, mais de mettre notre condition de vie quelle qu’elle soit, dans la perspective de notre destinée éternelle, à savoir la participation à la vie même du Dieu d’amour.

Lorsque saint Jean de la Croix annonce qu’au soir de notre vie nous serons jugés sur l’amour, il veut dire par là que nous n’emporterons avec nous que nos actes de charité. Saint Augustin disait « Amor meus, pondus meus » : mon « poids » dans la balance du jugement divin sera mon amour, c’est-à-dire les bonnes œuvres que j’aurai accomplies avec l’aide de la grâce.

C’est également ce que nous enseigne Paul dans la seconde lecture : si nous prétendons être des « hommes de Dieu » il nous faut « vivre dans la foi et l’amour » c’est-à-dire dans « une foi vivante par la charité » (Ga 5, 6) ; car « la foi qui n’agit pas est bel et bien morte » (Jc 2, 26).

Jésus n’a jamais prétendu que ce chemin était facile : dans les versets qui font la transition entre l’Évangile de dimanche dernier et celui d’aujourd’hui, il nous invite tout au contraire à « employer toute notre force pour entrer dans le Royaume » (Lc 16, 16) ; c’est donc qu’il faut faire un effort pour vaincre l’inertie de notre égoïsme. Saint Paul parle même, dans la 2de lecture, d’un combat : « Continue à bien te battre pour la foi et tu obtiendras la vie éternelle ».

A nous, de nous réveiller de nos torpeurs. Bien sûr, nous ne pouvons pas apporter de soulagement à toutes les souffrances du monde – et du reste, Jésus nous ne le demande pas. Mais nous sommes invités à chercher activement le pauvre Lazare qui est « couché à notre porte, couvert de plaies » - les plaies des maladies physiques, mais aussi des épreuves morales ou spirituelles.

 

 

 



25è Dimanche ordinaire

Dimanche  22 septembre 2013

Am 8,4-7; Ps 113(112),1-2.4-8; 1 Tim 2,1-8; Luc 16,1-13.

Nous sommes sous le règne du roi Jéroboam II (787-747), une époque qui ne sera jamais aussi prospère pour le peuple d’Israël dans le Royaume du Nord. Les récoltes sont bonnes, il n’y a pas d’ennemis pour venir les piller. Le commerce avec les Phéniciens va bon train et l’on assiste à un enrichissement sensible du Royaume. Mais arrive ce qui doit arriver comme bien souvent dans ce genre de situation : les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent.

C’est alors que le Seigneur suscite parmi son peuple un prophète, Amos, pour dénoncer, comme nous le rapporte la première lecture de ce dimanche, la gangrène de l’injustice sociale qui est en train de gagner tout le pays. Le riche, accaparé par le souci de son profit matériel, à savoir le gain de la vente de son blé et de son froment, ne prête même plus attention à celui qui est la source de tout bien et qu’il célèbre le jour du sabbat. Il est tellement obsédé par cela qu’il est prêt aux pires escroqueries pour gagner le plus d’argent possible et ce même si cela doit conduire ses débiteurs à la ruine et à la servitude. Amos s’insurge. Comment Dieu pourrait-il cautionner des intentions aussi désolantes de la part de ses enfants, lui qui, « de la poussière relève le faible et retire le pauvre de la cendre pour qu’il siège parmi les princes, parmi les princes de son peuple » ! (Cf. Psaume)

La dénonciation par Amos du désir de l’argent qui aveugle et conduit à l’oubli de Dieu et à l’élimination de ses frères, se retrouve chez Jésus : « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent » affirme t-il. Des paroles claires, percutantes, qui terminent l’évangile de ce jour et qui ne laissent place à aucune ambiguïté dans l’interprétation.
Pourtant, Jésus ne vient-il pas de faire l’éloge d’un gérant trompeur à travers la parabole qu’il vient de raconter ? Comment peut-il si bien vanter un homme malhonnête ? Et que dire de son invitation à nous faire des amis avec l’Argent trompeur ? N’y a-t-il pas ici une contradiction ? Cette parabole a quelque chose de déroutant.
Ne jugeons pas trop vite la moralité de Jésus. N’oublions pas le genre littéraire de cette parabole, dont le but premier est de piquer la curiosité, cela fait partie des moyens utilisés pour inviter à chercher à travers analogies et métaphores le véritable sens du récit. Autrement dit, il s’agit ici de bien lire.

Que lisons-nous ? « Ce gérant trompeur, le maître fit son éloge » et non : « La tromperie de ce gérant, le maître fit son éloge ». Et Jésus explique : « Effectivement, il s’était montré habile… Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’Argent trompeur, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles ».

Jésus fait l’éloge de l’habilité de cet homme. L’exemple de ce gérant n’est donc pas dans sa malhonnêteté mais dans son attitude vis-à-vis de ses débiteurs. Que fait-il ? Il se dessaisit de l’Argent trompeur en remettant à ses débiteurs pour se faire des amis. Plutôt que de se révolter contre la décision du maître, il préfère remettre et entrer dans une logique de miséricorde, en espérant qu’à son tour il lui sera fait miséricorde.
Comprenons bien que, dans cet évangile, le mot „ Argent „ désigne les biens dont nous disposons. Jésus nous invite donc à entrer dans la logique divine du don, du partage et de la miséricorde. Les biens de ce monde nous sont confiés par le Seigneur. Si nous nous montrons dignes de cette „ confiance „ dans l’usage habile que nous en faisons alors nous sera confié le bien véritable : « Si vous n’avez pas été digne de confiance avec l’Argent trompeur, qui vous confiera le bien véritable ? ». Jésus nous rappelle donc que nous n’avons pas à chercher notre bien véritable dans les biens de ce monde.

Quel est-il ce bien véritable ? Saint Paul nous le montre, dans la deuxième lecture, lorsqu’il nous invite à porter le salut des âmes comme un souci permanent de notre être de chrétien. S’il nous exhorte à intercéder pour ceux qui assument des responsabilités dans le monde n’est-ce pas pour qu’ils ne perdent jamais de vue la finalité ultime de toute action humaine : conduire à Dieu, à celui qui est la plénitude de la vérité ? Celui qui prie en levant les mains vers le ciel, sans colère et sans esprit de rivalité ou de jalousie, ne découvre-t-il pas que la richesse de la grâce divine qu’il reçoit par la médiation de Jésus-Christ est l’unique Bien auquel tout autre bien est relatif ?
C’est ce Bien là, à savoir notre participation à la vie divine, que nous devons viser en usant habilement des biens que Dieu nous confie, y compris celui, d’une prière de foi et d’espérance (Cf. Deuxième lecture). Comment ? En les partageants. C’est bien là le seul pouvoir que nous avons sur eux : les partager jusqu’à donner même ce que l’on n’a pas et qui nous reviendrait de droit.

Demandons au Seigneur, la grâce d’entrer toujours plus profondément dans la logique de la miséricorde et du partage. C’est le seul chemin qui nous permettra de parvenir jusqu’à Lui, le Bien qui dépasse tous les autres biens.

Puissions-nous accueillir les paroles de Jésus Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il détestera le premier, et aimera le second ; ou bien, il s’attachera au premier, et méprisera le second. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent”, comme un encouragement à le choisir comme le sens et la finalité de tout ce que nous vivons.



24è Dimanche du temps ordinaire

Dimanche 15 septembre 2013

Exode 32,7-11.13-14, Ps 51(50),3-4.12-13.17.19, 1 Tim 1,12-17,Luc 15,1-32.  

Le péché d’idolâtrie de l’épisode de l’Exode rappelle fortement le périple du fils cadet de la parabole, dont le départ de la maison paternelle est lié à l’image imparfaite qu’il avait de son père et de leur relation. Au cours d’un voyage douloureux et purificateur, comme le fut l’Exode pour le peuple saint, le visage de la Miséricorde du Père est pleinement révélé au fils prodigue.

Il est nécessaire que la Miséricorde nous soit révélée car, nous explique Jésus, nous ne sommes pas conscients de notre état. Nous nous croyons en bonne santé, alors que nous ne le sommes pas : notre relation à Dieu et aux hommes est malade. Jésus nous le montre dans les trois paraboles qui traite de la Miséricorde.

Intéressons-nous d’abord au fils prodigue. Il désire profondément vivre une relation juste et vivifiante avec son père, mais il reste centré sur lui-même. La relation à son père l’intéresse, mais pour le profit personnel qu’il peut en tirer. Sa recherche d’une relation filiale est réduite à une demande d’argent. Si bien qu’il demande sa part d’héritage, sans se soucier de l’effet d’une telle demande sur son père ou sur son frère. Son père, quant à lui, respecte la liberté de son fils et ne le retient pas. Le voici donc qui part, au loin, rechercher ce qu’il avait chez lui. Il croit encore que le désir qui l’habite est orienté vers les biens matériels. Il cherche donc à les posséder, il rêve d’une vie facile et glorieuse.

Puis une famine survint dans le pays. Une calamité qui nous montre qu’on ne peut pas fuir indéfiniment sans être rattrapé par la réalité. On ne peut jamais s’isoler car nous vivons dans un monde de relations ; on ne peut jamais se satisfaire des biens matériels, une faim plus profonde se réveille toujours un jour ou l’autre.

La faim qu’il ressent n’a rien d’un repentir radical. Il cherche encore dans les biens matériels, il regarde vers les caroubes que mangent les porcs : « Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien ». La faim qu’il ressent est donc bien une faim liée à la relation. Car rien ne l’empêchait de se servir lui-même dans l’auge des porcs, les gardiens de porcs ne sont pas sous étroite surveillance. Sa souffrance vient du fait que personne n’avait le souci de lui, personne ne l’aidait à rassasier sa faim.

C’est alors qu’il pense à son père. Sa chance est là, la victoire est déjà acquise. La relation n’est pas encore renouée, mais déjà, par son imagination, il parle à son père. Son raisonnement est simple : Les ouvriers ont du pain car ils le méritent par leur travail. N’ayant pas su trouver la relation juste qui lui aurait attiré l’attention de son père, il décide de renoncer à son statut de fils et de se présenter comme ouvrier. Il cherche à attirer l’amour de son père, tout au moins le mériter pour l’avenir.

En cela, il n’est pas très éloigné des pensées de son frère aîné. Lui aussi est prisonnier d’un esclavage. Celui du travail.

La scène se passe au soir du retour du fils prodigue. Le fils aîné rentre de sa journée de travail, quand « il entendit la musique et les danses ». L’indice est saisissant. Voilà un homme qui n’a jamais voulu être attentif à ses moindres désirs, même les plus légitimes. Il s’est bâti un code de vie extrêmement rigide, auquel il lui fallait être absolument conforme. Le pire est qu’il l’a fait croyant plaire à son père.

Il est évident que dans de telles conditions de vie, la colère gronde dans son cœur depuis longtemps et ne cherche qu’une occasion pour s’exprimer. Ce soir là, la rencontre est trop brutale, il explose : « tu ne m’as jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis ». La question porte-t-elle vraiment sur le chevreau ? Probablement pas. Ce sont ses amis qui lui font défaut, des amis pour faire la fête. En a-t-il seulement ? Esclave de son travail, il a négligé toute relation. Il en souffre et le reproche maintenant à son père pour qui il travaille.

Dans la prison qu’ils se sont construite, les deux frères partagent le même fantasme. Le cadet voit les ouvriers manger à leur faim, l’aîné voit le cadet faire la fête. Mais aucun des deux ne voit l’amour gratuit d’un père bienveillant qui court à leur rencontre. Pour les deux, l’attitude du père est en effet identique. Il sort. Il sort de sa maison et va vers eux. Il court vers le cadet, il supplie l’aîné. Il veut les faire entrer dans sa joie.

Interrogeons-nous sur le projet de Jésus qui raconte cette histoire, ces histoires, nous en avons entendu trois. Pourquoi lire ensemble l’histoire de la brebis égarée, de la drachme perdue, et celle du fils prodigue ? Qu’y a-t-il de commun entre un mouton, une pièce de monnaie et un jeune insensé ? Rien. La brebis est sans intelligence, comme le jeune homme, mais elle n’a pas péché ; le jeune homme était perdu, mais la pièce d’argent ne se perd pas elle-même, c’est nous qui la perdons. Par ces paraboles, Jésus ne cherche pas à attirer l’attention sur le désir de conversion du pécheur, mais sur le désir de Dieu de nous faire miséricorde. Dans les trois paraboles, Dieu laisse tout pour courir à la recherche de celui qu’il a perdu. Dieu a le désir de nous sauver, il en a l’initiative, il le veut et il le fait.

C’est ce que Paul a compris, lui qui a été rétabli dans sa condition de fils par la miséricorde du Seigneur. « Le Christ m’a pardonné » s’exclame-t-il. Que nous ayons conscience de l’amour de Dieu pour nous ne suffit pas à nous libérer de nos esclavages ; vouloir partager l’intimité de sa maison ne rompt pas les chaînes de nos idolâtries. Seul le Christ peut nous sauver. Seul son amour est capable d’agir et de transformer nos vies.

Cessons donc de considérer les complications de nos cœurs malades pour nous tourner avec admiration et reconnaissance vers la source de notre salut, rendons gloire à celui qui nous a aimés alors que nous étions encore ses ennemis, acclamons celui qui veut nous recréer dans sa miséricorde alors que nous méconnaissons son visage. Proclamons avec l’Église en fête notre joie d’être rétablis dans son Alliance : « Honneur et gloire au roi des siècles, au Dieu unique, invisible et immortel, pour les siècles des siècles. Amen ».

23è Dimanche du temps ordinaire

Dimanche 8 septembre 2013





Sag 9,13-18; Ps 90(89),3-6.12-14.17; Phil 1,9b-10.12-17; Luc 14,25-33.

« Quel homme peut prétendre découvrir les intentions de Dieu ? » interroge l’auteur du livre de la Sagesse. En effet, qui pourrait prétendre connaître Dieu par ses propres forces ? Qui pourrait prétendre scruter la profondeur des mystères divins, découvrir les chemins qui conduisent jusqu’à Dieu alors que « nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, et nous trouvons avec effort ce qui est à portée de la main » nous souligne cette même 1ère lecture ?

Dieu seul, dans sa Sagesse, peut nous enseigner qui Il est, et les chemins qui conduisent jusqu’à lui. La première lecture nous enseigne que c’est en écoutant « la Sagesse que les hommes ont appris ce qui plaît à Dieu et ont été sauvés ». Or nous savons que dans la Bible, la Sagesse de Dieu s’identifie avec sa Parole. Dès lors, écouter la Sagesse se révèle comme la caractéristique première du disciple du Christ, Il est lui le Verbe de Dieu, la Parole de Dieu faite chair.

Ce n’est pas sur la qualité d’écoute que le disciple accorde à la Parole, que Jésus insiste dans l’évangile d’aujourd’hui. Il s’attache plutôt à expliciter les renoncements auxquels il doit consentir et ce, sans doute, pour faire prendre conscience de ce qui est incompatible avec ce statut : « Si quelqu'un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. » Les conditions pour suivre Jésus apparaissent ici dans toute leur radicalité. Le renoncement auquel est invité le disciple inclut non seulement ses biens, ses affections les plus légitimes mais aussi l’entière mise à disposition de sa personne jusqu’à sa propre vie.

Vient alors la parole sur la suite : « Quiconque ne porte pas sa croix et ne vient pas derrière moi ne peut être mon disciple ». Porter sa croix signifie accepter la croix, non pas comme un événement ponctuel de sa vie, mais comme un style de vie permanent, comme une thérapie de longue durée, destinée à guérir de cette maladie que Jésus appelle dans un autre passage de l’évangile « la sclérocardia », la sclérose, cette fermeture, cette paralysie du cœur qui nous replie sur nous-mêmes et nous empêche d’aimer.

Comment ne pas être bousculé par de telles paroles ! Pour mieux nous éclairer sur leur teneur, Jésus va prolonger son propos par deux paraboles qui vont montrer que s’engager à sa suite ne peut être pris à la légère. Il s’agit en effet de s’assurer de pouvoir mener cette entreprise jusqu’au bout.
Avant de se décider à suivre Jésus, il faut repérer ses véritables ressources et ses véritables forces. Quelles sont-elles ?

C’est ici que les deux paraboles racontées par Jésus nous éclairent. Nous comprenons alors que calculer ses ressources et ses forces c’est se débarrasser de tout ce qui nous encombre pour ne compter que sur notre véritable richesse : le Christ.

L’essentiel est donc bien le renoncement qui doit conduire à ne plus compter que sur le Christ, ne rien lui préférer c’est-à-dire ne rien mettre avant lui, tout orienter vers lui.

Il est donc capital de repérer tout ce dont nous devons nous détacher. Très vite, nous pensons sans doute à tel bien matériel, à telle affection qui n’est pas tout à fait ordonnée ; à tel souci qui trahit une trop grande préoccupation de nous-mêmes. Mais peut-être ne voyions nous pas les vrais attachements qui nous empêchent de suivre Jésus en qualité de disciple.

N’ayons pas peur de demander au Seigneur de nous aider à prendre conscience de ces liens. Jésus ne parle pas dans l’évangile, comme il le fait, pour nous effrayer, pour nous décourager ; mais après avoir insisté sur l’urgence d’un choix résolu pour le Royaume, qui seul donne sens à notre vie, il nous invite, tout aussi instamment, à prendre les moyens pour arriver au but en devenant ses disciples.

22è Dimanche du temps ordinaire

dimanche 1er septembre 2013

Ecclésiastique 3,17-18.20.28-29; Ps 68(67),4-7,10-11; 12,18-19.22-24a; Luc 14,1a.7-14.

 

« Un jour de sabbat » : la précision est importante, car elle nous projette sur l’horizon du Royaume, que Jésus compare à des noces auxquelles nous sommes conviés. Il ne s’agit pas de noces ordinaires, puisqu’elles se tiennent « sur la montagne de Sion, dans la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste », en présence de « milliers d’anges en fête et des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux » (2nd lect.).

Nous avons donc tout intérêt à nous renseigner sur les règles du protocole en vigueur dans ce haut-lieu. C’est précisément ce dont Jésus veut nous instruire dans l’Évangile de ce jour.

La remarque de Jésus adressée publiquement au convive choisissant la première place peut sembler quelque peu provocante. En fait Il ne fait que lancer le débat autour d’un sujet controversé dans les écoles rabbiniques de son époque. Le problème soulevé était réel, car les places autour de la table n’étaient pas assignées par le Maître de maison : chacun devait donc faire son choix à partir d’une évaluation rapide de son rang par rapport aux autres convives. Comme il était toujours possible que des invités plus importants se présentent à la dernière minute, la prudence exigeait de laisser quelques places libres en amont pour d’éventuels notables. Il était en effet plus honorable d’être appelé, lorsque le Maître donnait le signal du repas, à combler les places laissées vides, plutôt que de devoir céder son rang à un dignitaire surgissant au dernier moment.

Le conseil donné par Jésus n’a rien de révolutionnaire, puisqu’il s’apparente au précepte que nous lisons dans le livre des Proverbes : « Ne fais pas l’arrogant devant le roi et ne te tiens pas dans l’entourage des grands. Car mieux vaut qu’on te dise : “Monte ici !” que de te voir humilié devant un notable » (Pr 25, 6-7). On pourrait penser à première vue, qu’il s’agit d’une simple règle de prudence : il est particulièrement désagréable en effet de se voir rétrograder devant tout le monde. Ou bien une règle de politesse par rapport aux autres convives, qui peuvent effectivement être plus dignes que nous de cette première place. Ou même un subtil calcul, un peu hypocrite : je prends piteusement la dernière place, avec un sourire empreint d’humilité toute feinte, mais avec le secret espoir d’être invité à passer devant tout le monde au premier rang...

Ce n’est pas cela que Jésus attend de nous. N’oublions pas qu’il nous parle du Royaume ; aussi lorsqu’il ajoute « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé », le sujet agissant derrière les verbes au passif, n’est autre que Dieu lui-même, qui abaisse celui qui s’enorgueillit et élève celui qui s’humilie. L’orgueilleux est celui qui « est convaincu d’être juste et qui méprise tous les autres » (Lc 18, 9), alors que « le bien n’habite pas en lui » (cf. Rm 7, 18). Cet homme « se voit d’un œil trop flatteur pour connaître et haïr sa faute » (Ps 36, 3). Comme le pharisien de la parabole, il étale sa vaine gloire devant les hommes et même devant Dieu : « Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes » (Lc 18, 11). Il s’élève à ses yeux et se juge digne du premier rang dans le Royaume comme il le revendique sur terre. Aussi sera-t-il bien dépité de devoir céder sa place à tous ceux que le Seigneur fera « avancer plus haut », parce qu’ils seront couverts des mérites de son Fils.

L’humble est tout au contraire celui qui, devant la Révélation de la miséricorde divine, prend conscience de sa condition terrestre - « humilité » vient de humus : terre. Comme le publicain (Lc 18, 13), ou comme le psalmiste, il ne peut que murmurer : « Prends pitié de moi, Seigneur, toi que je supplie tout le jour ; toi tu es bon, tu pardonnes, tu es plein d’amour pour tous ceux qui t’appellent » (Ps 85, 3.5 ; antienne d’ouverture). La prise de conscience et l’aveu de la faute, la supplication confiante et la confession de la bonté divine, sont les composantes essentielles de l’humilité, qui nous met dans la vérité de notre relation à Dieu.

« Les humbles » sont à vrai dire les seuls à pouvoir « rendre gloire » à Dieu (1ère lect.), car quelle gloire pourrions-nous « rendre » au Très-Haut, si ce n’est celle qui vient de lui ? Et comment pourrions-nous recevoir cette gloire sinon en accueillant la Bonne Nouvelle dans un cœur contrit ? Voilà pourquoi « l’idéal du sage c’est une oreille qui écoute » (Ibid.), qui entend l’appel de Dieu, et qui « vient vers Jésus, le médiateur d’une Alliance nouvelle » (2nd lect.), pour recevoir de lui la grâce du salut.

Telle est la logique du Magnificat : « Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur, parce qu'il a jeté les yeux sur l'abaissement de sa servante » (Lc 1, 46-48). Marie est « pleine de grâce », parce qu’elle s’est humblement abaissée devant celui qui pouvait la combler : « Qui s’abaisse sera élevé ».

Jésus a subi les outrages de sa Passion, mais il a choisi délibérément ce chemin : « Lui qui était dans la condition de Dieu, se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et mourir sur une croix » (Ph 2, 6-8), car il voulait « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 12, 52). L’abaissement auquel consent volontairement Jésus, est en vue de notre élévation : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, et qu’ils contemplent (c'est-à-dire : qu’ils soient participants de) ma gloire » (Jn 17, 24).

L’humble abaissement du Fils et du véritable disciple, n’est ni lâcheté ni démission, mais expression de la suprême charité, qui n’a d’autre souci que le salut des âmes et la glorification du Père en elles. La véritable humilité ne vise pas une récompense future : à l’image de son Seigneur, le chrétien se nourrit au présent du bonheur de pouvoir servir ses frères, qu’il « estime supérieurs à lui-même » (cf. Ph 2, 3). Pour celui qui aime, le service désintéressé est sa récompense : « Quand tu donnes un festin, invite des pauvres ; et tu seras heureux, parce qu’ils n’ont rien à te rendre. »

Il ne peut y avoir de charité sans humilité, car celle-ci consiste précisément dans ce décentrement de soi qui permet le don désintéressé à l’autre dans l’amour. C’est parce que l’Amour infini de Dieu est parfaitement humble, qu’il ne diminue en rien la liberté de l’homme, mais la suscite tout au contraire comme une capacité de réponse à son appel.

Demandons au Seigneur, qu’il purifie nos cœurs de l’hypocrisie et de l’orgueil. Qu’il nous accorde la grâce de considérer les autres comme supérieurs à nous, et de trouver notre joie dans leur service.

« Un jour de sabbat » : la précision est importante, car elle nous projette sur l’horizon du Royaume, que Jésus compare à des noces auxquelles nous sommes conviés. Il ne s’agit pas de noces ordinaires, puisqu’elles se tiennent « sur la montagne de Sion, dans la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste », en présence de « milliers d’anges en fête et des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux » (2nd lect.).

Nous avons donc tout intérêt à nous renseigner sur les règles du protocole en vigueur dans ce haut-lieu. C’est précisément ce dont Jésus veut nous instruire dans l’Évangile de ce jour.

La remarque de Jésus adressée publiquement au convive choisissant la première place peut sembler quelque peu provocante. En fait Il ne fait que lancer le débat autour d’un sujet controversé dans les écoles rabbiniques de son époque. Le problème soulevé était réel, car les places autour de la table n’étaient pas assignées par le Maître de maison : chacun devait donc faire son choix à partir d’une évaluation rapide de son rang par rapport aux autres convives. Comme il était toujours possible que des invités plus importants se présentent à la dernière minute, la prudence exigeait de laisser quelques places libres en amont pour d’éventuels notables. Il était en effet plus honorable d’être appelé, lorsque le Maître donnait le signal du repas, à combler les places laissées vides, plutôt que de devoir céder son rang à un dignitaire surgissant au dernier moment.

Le conseil donné par Jésus n’a rien de révolutionnaire, puisqu’il s’apparente au précepte que nous lisons dans le livre des Proverbes : « Ne fais pas l’arrogant devant le roi et ne te tiens pas dans l’entourage des grands. Car mieux vaut qu’on te dise : “Monte ici !” que de te voir humilié devant un notable » (Pr 25, 6-7). On pourrait penser à première vue, qu’il s’agit d’une simple règle de prudence : il est particulièrement désagréable en effet de se voir rétrograder devant tout le monde. Ou bien une règle de politesse par rapport aux autres convives, qui peuvent effectivement être plus dignes que nous de cette première place. Ou même un subtil calcul, un peu hypocrite : je prends piteusement la dernière place, avec un sourire empreint d’humilité toute feinte, mais avec le secret espoir d’être invité à passer devant tout le monde au premier rang...

Ce n’est pas cela que Jésus attend de nous. N’oublions pas qu’il nous parle du Royaume ; aussi lorsqu’il ajoute « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé », le sujet agissant derrière les verbes au passif, n’est autre que Dieu lui-même, qui abaisse celui qui s’enorgueillit et élève celui qui s’humilie. L’orgueilleux est celui qui « est convaincu d’être juste et qui méprise tous les autres » (Lc 18, 9), alors que « le bien n’habite pas en lui » (cf. Rm 7, 18). Cet homme « se voit d’un œil trop flatteur pour connaître et haïr sa faute » (Ps 36, 3). Comme le pharisien de la parabole, il étale sa vaine gloire devant les hommes et même devant Dieu : « Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes » (Lc 18, 11). Il s’élève à ses yeux et se juge digne du premier rang dans le Royaume comme il le revendique sur terre. Aussi sera-t-il bien dépité de devoir céder sa place à tous ceux que le Seigneur fera « avancer plus haut », parce qu’ils seront couverts des mérites de son Fils.

L’humble est tout au contraire celui qui, devant la Révélation de la miséricorde divine, prend conscience de sa condition terrestre - « humilité » vient de humus : terre. Comme le publicain (Lc 18, 13), ou comme le psalmiste, il ne peut que murmurer : « Prends pitié de moi, Seigneur, toi que je supplie tout le jour ; toi tu es bon, tu pardonnes, tu es plein d’amour pour tous ceux qui t’appellent » (Ps 85, 3.5 ; antienne d’ouverture). La prise de conscience et l’aveu de la faute, la supplication confiante et la confession de la bonté divine, sont les composantes essentielles de l’humilité, qui nous met dans la vérité de notre relation à Dieu.

« Les humbles » sont à vrai dire les seuls à pouvoir « rendre gloire » à Dieu (1ère lect.), car quelle gloire pourrions-nous « rendre » au Très-Haut, si ce n’est celle qui vient de lui ? Et comment pourrions-nous recevoir cette gloire sinon en accueillant la Bonne Nouvelle dans un cœur contrit ? Voilà pourquoi « l’idéal du sage c’est une oreille qui écoute » (Ibid.), qui entend l’appel de Dieu, et qui « vient vers Jésus, le médiateur d’une Alliance nouvelle » (2nd lect.), pour recevoir de lui la grâce du salut.

Telle est la logique du Magnificat : « Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur, parce qu'il a jeté les yeux sur l'abaissement de sa servante » (Lc 1, 46-48). Marie est « pleine de grâce », parce qu’elle s’est humblement abaissée devant celui qui pouvait la combler : « Qui s’abaisse sera élevé ».

Jésus a subi les outrages de sa Passion, mais il a choisi délibérément ce chemin : « Lui qui était dans la condition de Dieu, se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et mourir sur une croix » (Ph 2, 6-8), car il voulait « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 12, 52). L’abaissement auquel consent volontairement Jésus, est en vue de notre élévation : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, et qu’ils contemplent (c'est-à-dire : qu’ils soient participants de) ma gloire » (Jn 17, 24).

L’humble abaissement du Fils et du véritable disciple, n’est ni lâcheté ni démission, mais expression de la suprême charité, qui n’a d’autre souci que le salut des âmes et la glorification du Père en elles. La véritable humilité ne vise pas une récompense future : à l’image de son Seigneur, le chrétien se nourrit au présent du bonheur de pouvoir servir ses frères, qu’il « estime supérieurs à lui-même » (cf. Ph 2, 3). Pour celui qui aime, le service désintéressé est sa récompense : « Quand tu donnes un festin, invite des pauvres ; et tu seras heureux, parce qu’ils n’ont rien à te rendre. »

Il ne peut y avoir de charité sans humilité, car celle-ci consiste précisément dans ce décentrement de soi qui permet le don désintéressé à l’autre dans l’amour. C’est parce que l’Amour infini de Dieu est parfaitement humble, qu’il ne diminue en rien la liberté de l’homme, mais la suscite tout au contraire comme une capacité de réponse à son appel.

Demandons au Seigneur, qu’il purifie nos cœurs de l’hypocrisie et de l’orgueil. Qu’il nous accorde la grâce de considérer les autres comme supérieurs à nous, et de trouver notre joie dans leur service.

21è Dimanche du temps ordinaire

Dimanche 25 août 2013

 

Isaïe 66,18-21; Ps 117(116),1.2; 12,5-7.11-13; Luc 13,22-30.

Le prophète, dans la première lecture, encourage Israël à son retour d’exil. L’exil a été un réel traumatisme pour le peuple hébreu. Les trois piliers qui structuraient son identité ont été battus en brèche. Le temple a été détruit, le roi destitué, la terre confisquée par des étrangers. Sur le chemin du retour, l’enthousiasme n’est pas de mise. De plus, des païens se sont mélangés aux juifs qui n’ont pas été déportés et le peuple peut légitimement s’interroger sur ce qu’il reste à Jérusalem de la foi de ses Pères, dans le Seigneur.

C’est pourquoi le prophète rappelle la fidélité du Seigneur à sa promesse. Ce n’est pas parce que les apparences sont contraires que celle-ci ne se réalisera pas : « je vais rassembler les hommes » ; « de toutes les nations ils ramèneront tous vos frères » ; « ils les conduiront jusqu’à ma montagne sainte ».

Dieu va accomplir sa promesse mais d’une façon qui dépasse ce que le peuple en avait compris. En effet, l’expression, « de toutes les nations, ils ramèneront tous vos frères », peut se comprendre de deux manières. Elle peut faire allusion strictement aux déportés parmi les nations, mais elle peut signifier aussi une ouverture de la promesse aux nations. Nous touchons ici le véritable accomplissement de la promesse : le salut de tous. Désormais, les frères seront pris parmi les habitants des nations. Le Seigneur déclare en effet : « je viens rassembler les hommes de toute nation et de toute langue », et il conclut « et même je prendrai des prêtres parmi eux ».

Le Seigneur se révèle fidèle parce qu’il accomplit ce qu’il annonce en ne se laissant pas enfermer par nos vues humaines. Son Amour demeure toujours plus fort et plus grand que notre entendement humain. « Son Amour envers nous s’est montré le plus fort ; éternelle est la fidélité du Seigneur », proclame le psalmiste.

Au cœur de l’épreuve, il ne s’agit donc pas de nous replier sur nos exils, sur le sens que notre entendement a pu leur donner. Les textes de ce jour nous invitent, au contraire, à ne pas avoir peur de nous laisser déconcerter par ce qui pourra en émerger. Et si par malheur nous le refusions en suivant nos voies, rendons grâce de ce que, pour nous éviter de persévérer dans nos erreurs, l’éducation de notre Père des cieux prend la forme d’une leçon à endurer. « Quand le Seigneur aime quelqu’un, nous dit l’épître aux Hébreux, il lui donne de bonnes leçons ; il corrige tous ceux qu’il reconnaît comme ses fils. Ce que vous endurez est une leçon. Dieu se comporte envers vous comme envers des fils ; et quel est le fils auquel son père ne donne pas de leçons ? ».

Compter sur la fidélité du Seigneur en pensant que cela n’impliquerait aucun changement de notre part serait donc se tromper. Dieu ne veut pas nous sauver sans nous ! Voilà pourquoi Jésus dans l’évangile nous rappelle qu’entrer par la porte étroite demande un réel engagement de notre part.

Les textes de ce dimanche remettent donc en question notre relation à Dieu. Il ne suffit pas seulement d’entendre les enseignements de Jésus, d’être ses compagnons, de partager son pain en sa présence, pour être sauvé. Il s’agit de nous engager à nous convertir, à approfondir sans cesse notre relation avec lui en renouvelant notre façon de penser et en abandonnant tout attachement superflu à ce monde qui passe.

Autrement dit, il s’agit de nous détourner toujours davantage de notre « moi » qui nous tire en arrière, pour nous laisser configurer à notre Seigneur. C’est lui qui est la porte étroite. En lui seul, nous pourrons opérer notre pâque vers le salut, ce passage de la mort à toutes nos vues d’en bas, pour entrer dans les vues de Dieu.
La situation peut parfois nous sembler perdue tant nous nous sommes isolés de Dieu parce que nous sommes installés sur nos terres d’exil. Mais le témoignage du peuple élu et l’enseignement de l’épître aux Hébreux nous font accueillir avec joie l’enseignement de Jésus.

Dimanche 25 août 2013

 

20è Dimanche du temps ordinaire

dimanche 18 août 2013

Jérémie 38,4-6.8-10; Ps 40(39),2.3.4.18; 12,1-4; Luc 12,49-53.

Le prophète Jérémie est bien connu... pour ses « jérémiades » ! La première lecture de ce jour lui rend justice, elle raconte une épreuve difficile qu’il a dû subir et pendant laquelle il ne prononce pas un mot. De quoi est-il accusé ? Difficile de connaître le détail à partir du texte que nous avons entendu. Une chose est sûre : son sort est décidé. Le procès qui lui est fait est éloquent : « qu’il soit mis à mort ». Condamnons-le, on trouvera bien de quoi justifier la sentence après coup. Une seconde parole, résonne comme un début d’explication, mais pas comme un acte d’accusation acceptable : « il démoralise (…) toute la population ». Outre l’iniquité de ses accusateurs et du roi, ce jugement nous enseigne que la Parole que Dieu transmet par ses prophètes n’est pas une parole qui flatte les puissants. Elle n’est pas une parole qui puisse être acceptée facilement. C’est au contraire une parole qui dérange, qui irrite. Au point qu’on voudrait tuer son messager, le faire taire, comme si cela pouvait arrêter la Parole, taire la Parole.

Jérémie, lui, ne dit rien. Il ne cherche pas à se défendre, il connaît bien les réactions que la Parole de Dieu suscite chez un roi qui a décidé de ne pas suivre les voies du Seigneur. Mais il ne se dédit pas, pour autant, même pour sauver sa propre vie. Voici un messager qui ne se considère pas plus important que la Parole qu’il annonce. Le psaume nous aide à mieux comprendre en quoi la figure de ce prophète est un enseignement pour nous. Il nous fait en effet entendre la prière qui était sur les lèvres du prophète alors que les hommes l’avaient condamné et maltraité : « d'un grand espoir, j'espérais le Seigneur » ; « il m'a tiré du gouffre inexorable, de la vase et de la boue ». Jérémie est resté fidèle et confiant dans le Seigneur. « Je suis pauvre et malheureux, mais le Seigneur pense à moi : tu es mon aide et mon libérateur », priait-il encore. Quelle preuve Jérémie a-t-il de l’aide du Seigneur, dans sa citerne, enfoncé dans la boue, privé d’eau et de nourriture? Quel signe reçoit-il dans son trou de la puissance de Dieu venant à son secours ? Un esclave. Un serviteur éthiopien qui humblement ose s’adresser au roi et par sa seule parole parvient à le faire changer d’avis.

Voilà un témoignage qui invite à davantage d’audace dans l’annonce de la Bonne Nouvelle. La Bonne Nouvelle dérange ceux qui prétendent construire un monde sans Dieu, certes. Certes, transmettre cette Parole peut exposer à de grands périls. Mais si nous comptons sur la fidélité du Seigneur, qui aurions-nous à craindre ? Par l’humble prière d’un simple esclave étranger, le Seigneur a fait revenir le roi sur sa décision. Aujourd’hui, notre position est incontestablement plus confortable que celle de Jérémie. Paul nous invite en effet à ne pas mésestimer la « foule immense de témoins » qui ont choisi de ne s’appuyer que sur le Seigneur. L’Église tout entière est solidaire de chacun de ses membres, il est impossible que nous soyons isolés dans notre détresse. Et, par-dessus tout, Jésus est là, lui qui nous a ouvert le chemin de la foi et la mènera à sa perfection. Gardons « les yeux fixés sur Jésus », nous exhorte Paul. Il est le Juste. Il est la Parole que Dieu envoie, le salut que les hommes espèrent. Lui, le premier, il n’a pas été reçu. « Méditez l'exemple de celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle hostilité, et vous ne serez pas accablés par le découragement », insiste l’apôtre. De fait, malgré le procès sommaire qui l’a conduit à la mort, le Christ s’est rendu vainqueur de toutes les oppositions et de la mort elle-même ; il est « assis à la droite de Dieu, il règne avec lui ».

Il n’y a donc pas à nous étonner que vivre en chrétien se fasse toujours dans des circonstances éprouvantes. Jésus rappelle dans l’évangile que l’épreuve peut même être vécue au sein d’une famille. Quel mystère que cette Parole de réconciliation provoque des divisions jusqu’au sein des familles. Jésus sait bien de quoi il parle, lui qui a été chassé de la synagogue de Nazareth et qui a été rabroué par les siens. Comment est-ce possible ? N’est-il pas le Prince de la paix ? Il le dit pourtant sans ambages : « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix dans le monde ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division ». Jésus est venu mettre la division, mais il n’est pas venu dresser les hommes les uns contre les autres. Sa Parole fait apparaître la division, mais elle ne la crée pas. Si les divisions peuvent apparaître au cœur de nos familles, c’est qu’elles existent d’abord dans l’intimité de nos âmes. Il y a toujours en nous un roi prêt à juger le prophète en espérant ainsi rejeter la parole de paix. Les divisions et les persécutions sont le signe de nos résistances à la Parole, elles sont le signe de l’orgueil qui nous pousse à essayer de vivre par nous-mêmes, loin de la source de toute vie.

Ce qui veut dire que nous n’en sommes pas encore à subir les humiliations comme le fit le prophète Jérémie. Avant d’annoncer la Bonne Nouvelle efficacement, avant que cela ne mette notre vie en péril, il faudrait que nous la laissions produire son œuvre de réconciliation dans nos propres cœurs. Tant que les compromissions subsistent, nous courrons avec peine sur les chemins de l’évangile. « Débarrassons-nous de tout ce qui nous alourdit, nous exhorte Paul, et d'abord du péché qui nous entrave si bien ».
Jésus nous fait aujourd’hui la confidence d’un désir profond qui habite son cœur : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu'il soit déjà allumé ! ». Allons-nous le laisser embraser notre cœur de sa Parole ? Allons-nous proposer nos cœurs comme relais pour que le feu du Christ se répande de proche en proche, dans le monde ? Allons-nous accueillir la Parole qui dévoile les divisions et convertit les cœurs ? L’aventure n’est pas de tout repos mais le programme est tout tracé. Paul nous dit en effet très clairement l’étendue du chantier : « vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang dans votre lutte contre le péché ».

Si l’annonce de l’évangile requiert un investissement total, elle n’est en rien compliquée. Accueillir la Bonne Nouvelle commence simplement par remercier le Seigneur pour sa victoire. C’est ainsi que l’annonce trace son chemin dans les cœurs. Le psaume disait en effet : « en ma bouche, il a mis un chant nouveau, une louange à notre Dieu : voyant cela, beaucoup seront saisis, ils croiront au Seigneur ».



Fête de l'Assomption

Jeudi 15 Août 2013

Ap 11,19a.12,1-6a.10ab; Ps 45(44),11-16; 1 Co15,20-27a; Luc 1,39-56.

 

Le 15 août l'Eglise commémore la mort bienheureuse de la Vierge Marie, sa glorieuse résurrection et sa triomphante assomption dans le ciel, c'est à dire son entrée dans la gloire du Paradis avec son corps en son âme. Les églises orientales parlent de la « Dormition » de la Vierge, pour indiquer que la mort de la Mère de Jésus n’avait été qu’un court sommeil, quelques instants de repos, avant d’entrer dans la gloire : Marie s’est endormie et elle a été enlevée au ciel par les anges. L’Eglise d’Orient répand cette vénération au VI° siècle, mais dès le V° siècle, les chrétiens de Jérusalem fêtaient déjà la montée de Marie au ciel avec son corps et avec son âme, on trouve à Gethsémani ; l’église du tombeau de Marie.

Du point de vue liturgique, cette fête du 15 aout est incontestablement la plus importante des fêtes mariales. Sur les pas de son Fils, la Vierge est morte puis a été ressuscitée avant que son corps ne connaisse la corruption dans le tombeau. Cette antique tradition trouvera une confirmation et une formulation solennelle dans le dogme de l’Assomption, promulgué par le Pape Pie XII en 1950, qui élève cette croyance au rang des vérités de la foi (Bulle dogmatique Munificentissimus Deus du 1er novembre 1950). Le Concile Vatican II reprend cette doctrine, dans le document Lumen Gentium,( § 59) lorsqu’il écrit : « La Vierge immaculée, préservée par Dieu de toute atteinte de la faute originelle, ayant accompli le cours de sa vie terrestre, fut élevée corps et âme à la gloire du ciel, et exaltée par le Seigneur comme la Reine de l'univers, pour être ainsi plus entièrement conforme à son Fils, Seigneur des seigneurs, victorieux du péché et de la mort ».

Pour chacun de nous la mort est la séparation de l'âme et du corps, et ce n'est qu'à la fin des temps que notre corps sera ressuscité, c'est du moins ce que nous proclamons dans le symbole des apôtres, lorsque nous parlons de la résurrection de la chair. Mais l'Eglise croit que la Vierge Mère, en qui le verbe s’est fait chair, a été par avance ressuscitée et glorifiée dans son corps. Les paroles qu'elle a prononcées dans son Cantique d'action de grâce, et qui nous sont rappelées dans l'évangile, prennent ici tout leur sens et toute leur force: « Le Puissant fit pour moi des merveilles ; il élève les humbles ».

Désormais, au côté du « Christ Jésus, Roi de l’univers et Seigneur des seigneurs », règne « la Reine du monde entier » selon les paroles du pape Pie XII. A la Vierge Marie, s’appliquent les paroles prophétiques du Psalmiste : « Fille de Roi elle est là dans sa gloire, vêtue d’étoffes d’or ; on la conduit toute parée vers le Roi » (Ps 44 [45]). Aussi Dieu veut que nous vénérions la Mère, dans le même élan d’amour et de reconnaissance, qui nous porte à adorer son Fils ; car le Père a voulu associer son humble servante à l’exaltation et à la royauté universelle de celui devant qui « tout être vivant est invité à tomber à genoux et à proclamer : “Jésus Christ est le Seigneur ” pour la gloire de Dieu le Père » (Ph 2, 10-11).

Si l’Eglise nous invite à contempler l’assomption de la Vierge, c’est non seulement pour glorifier Dieu dans ses œuvres, mais aussi, parce que ce mystère de foi nous concerne. Comme Marie, cette femme, bien de chez nous, nous sommes destinés à la même glorification. L’assomption de la Vierge Marie dans l’intégralité de son être, nous révèle le plein accomplissement du salut que Dieu nous réserve. En elle nous contemplons ce que « la puissance et la royauté de notre Dieu » veulent réaliser en chacun de nous, dans la mesure où nous consentons au « pouvoir de son Christ » (1ère lect.).

« C’est en Adam que meurent tous les hommes ; c’est dans le Christ que tous revivront, mais chacun à son rang : en premier le Christ ; puis Marie, la nouvelle Eve ; et ensuite ceux qui seront au Christ lorsqu’il reviendra »(2nd lect.). L’Assomption est la fête de « l’espérance de la gloire » (Rm 5, 2), déjà réalisée en la personne de Marie, et promise à tous ses enfants de la terre. Bien plus : selon saint Bernard, Marie est le cou du Christ total, par lequel la grâce sanctifiante de la Tête passe dans le tronc et dans tous les membres de son Corps ecclésial.

L’assomption de Marie au ciel dans son âme et dans son corps, découle du premier privilège de la Vierge dont l’âme a été « préservée et mise à l’abri de la tache du péché originel par la grâce prévenante du Saint Esprit, dès le premier instant où elle a été créée et unie à son corps » déclare le pape Pie XII, (op. cit.). Il convenait que la chair virginale de la Vierge-Mère, dont le Christ lui-même avait pris la sienne, fut préservée de la dégradation et fut glorifiée par une divine translation. Car Dieu ne pouvait permettre « que ce corps si saint fut soumis à la corruption du tombeau, et que cet auguste tabernacle du Verbe divin fut réduit en pourriture et en poussière » écrit le pape Pie XII, (Munificentissimus Deus).

En ce jour béni de l’Assomption, réjouissons-nous avec tous les Anges et tous les Saints ; réjouissons-nous avec la très Sainte Trinité pour l’exaltation de la Vierge immaculée, préfiguration de l’Eglise, l’Epouse mystique que « le Christ a aimé et pour laquelle il s’est livré, afin de la rendre resplendissante, sainte et irréprochable, sans tache, ni ride, ni aucun défaut » (Ep 5, 26-28).



19è Dimanche du temps ordinaire

Sag 18,6-9; Ps 33(32),1.12.18-20.22; 11,1-2.8-19; Luc 12,32-48

 

« En quoi la venue de Jésus-Christ a-t-elle changé la face du monde ? » N’avons nous jamais entendu pareille question ? Nous constatons que sur cette terre les hommes poursuivent leurs guerres fratricides ; aujourd’hui comme hier ils prônent l’injustice au mépris du droit des plus faibles ; la paix universelle demeure une utopie. Et pourtant dans la foi nous savons que tout a changé depuis que Jésus ressuscité a inauguré le Royaume : « la nuit de la délivrance pascale » à laquelle fait référence l’auteur du livre de la Sagesse dans la 1ère lecture, annonce le retour glorieux et définitif du Seigneur. Il est venu dans la chair, il demeure au cœur de l’Église par son Esprit, « il viendra dans la gloire, juger les vivants et les morts ; et son Règne n’aura pas de fin » redisons nous régulièrement dans le Credo.

Certes, la plupart d’entre nous meurent « sans avoir connu la réalisation des promesses ; mais nous l’avons vue et saluée de loin » (2nd lect.). La foi qui doit être la notre est justement la fidélité à cette promesse, à cet à-venir qui oriente toute notre vie, et fait de nous d’infatigables pèlerins du Royaume. Chaque Eucharistie relance notre marche : Jésus y vient vers nous, pour nous attirer à sa suite, nous qui sommes « des étrangers et des voyageurs sur cette terre », en recherche « d’une patrie meilleure, celle des cieux » (Ibid.). Jour après jour, nous pouvons poursuivre notre route, accélérer le pas sur le chemin d’éternité, dans la mesure même de l’accueil que nous réservons, dans la foi, au Christ ressuscité. Car « la foi est le moyen de posséder déjà ce qu’on espère et de connaitre des réalités qu’on ne voit pas » nous dit l’auteur de l’épitre aux Hébreux. A condition bien sûr que ce soit une foi vivante et agissante par la charité (cf. Ga 5, 6), c'est-à-dire brûlante d’un ardent désir de communion, « car là où est notre trésor, là aussi sera notre cœur ».

La vie chrétienne authentique est une vie toute tendue vers le Seigneur qui vient, vécue dans une attente ardente de son retour : « Maranatha ! Viens Seigneur Jésus ! », se sont là les dernières paroles du livre de l’Apocalypse (Ap 22, 20). C’est bien ce que nous enseigne Jésus lui-même dans l’Évangile de ce jour : « Restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur Maître à son retour des noces pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Tenez-vous prêts », ses paroles se présentent comme une d’exhortation à la vigilance.

Cette attente n’est pas pour autant passive : « l’intendant fidèle et sensé » est celui « que son maître, en arrivant, trouvera à son travail ». La tâche qui lui est confiée, n’est autre que le service de la charité, à l’exemple de son Seigneur. D’ailleurs à son retour, celui-ci reprendra au milieu des siens, sa place de serviteur : « il prendra la tenue de service, les fera passer à table et les servira chacun à son tour ». Telle est bien la logique du Royaume annoncée par le Christ : « les rois des nations païennes leur commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, le plus grand d’entre vous doit prendre la place du plus jeune, et celui qui commande, la place de celui qui sert. Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien, je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22, 25-27).

A l’image de son Maître, le chrétien est donc appelé à devenir serviteur de la charité, en se mettant au service de ses frères dans la gratuité d’un amour désintéressé, ne cherchant rien d’autre que de hâter l’avènement du Royaume en obéissant à la Parole de son Seigneur. Pour garder une telle orientation de vie au milieu des sollicitations du monde, il est indispensable de « tendre vers les réalités d’en haut, et non pas vers celles de la terre. En effet, nous sommes morts avec le Christ, et notre vie reste cachée avec lui en Dieu. Quand paraîtra le Christ, notre vie, alors nous aussi nous paraîtrons avec lui en pleine gloire » (Col 3, 2-4).

Le plus sûr moyen d’échapper à la triple convoitise dont parle Jean - « les désirs égoïstes de la nature humaine, les désirs du regard, l’orgueil de la richesse » (1 Jn 2, 16) - est encore de nous désencombrer de ce qui risque de nous détourner du Royaume, que « notre Père a trouvé bon de nous donner » : « vendez ce que vous avez, nous conseille Jésus, et donnez-le en aumône ». En clair : ne vous considérez pas propriétaires de vos biens, mais comme des « intendants fidèles et sensés », soyez responsables de ce qui vous est confié ; ayez le souci de vivre la dimension de partage, comme il convient au sein d’une même famille, puisque vous êtes « de la maison de Dieu » (Ep 2, 19). C’est ainsi que nous témoignerons à notre mesure, de la nouveauté déconcertante qui a surgi en ce monde depuis que le Christ ressuscité a répandu son Esprit de charité dans le cœur de ceux qui croient en lui.

L’Église ne fait mémoire des événements fondateurs de son histoire, que pour mieux orienter sa marche vers Dieu. Comme le disait joliment le Bienheureux pape Jean XXIII : « L'Église n'est pas un musée d'archéologie, mais la fontaine au milieu du village qui donne l'eau vive aux hommes d'aujourd'hui, comme elle l'a donnée à ceux d'autrefois ». Cette eau vive n’est autre que la charité, dont les hommes ont soif, aujourd’hui comme hier, mais que seul le Christ peut leur donner, ainsi que ceux qui croient en son amour : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : “Des fleuves d’eau vive jailliront de son cœur” » (Jn 7, 38).

Attendons-nous le Seigneur ? l’attendons-nous vraiment ? Puissions-nous l’attendre avec une sainte impatience, comme on attend le retour d’un enfant, d’un ami, d’un époux. Que l’espérance de son retour imminent nous garde éveillés dans la foi, animés d’un zèle ardent au service de nos frères.

 

18è dimanche du temps ordinaire

Dimanche 4 août 2013

Ecclésiaste 1,2.2,21-23; Ps 90(89),3-6.12-14.17; Col 3,1-5.9-11; Luc 12,13-21

« Vanité des vanités, tout est vanité disait l’Ecclésiaste » : cette sentence est devenue proverbiale. Pour se convaincre de la sagesse de cette sentence, il suffit de porter un regard lucide sur les événements de ce monde : que d’injustices ! Que d’énergies englouties dans des projets éphémères ; que d’espoirs de prospérité légitimes détruits scandaleusement, en un mot que de vanités !

L’épisode de l’Évangile que nous venons d’entendre est une application directe de ce qui choque notre sage Qohélet : « Un homme s'est donné de la peine ; et voilà qu'il doit laisser son bien à quelqu'un qui ne s'est donné aucune peine ». Ce dernier –bénéficiaire du travail d’un autre - trouve même le moyen de se disputer avec son frère, en refusant de partager avec lui le don gratuit qui leur est fait à tous deux. Non seulement celui qui a amassé l’héritage ne jouit pas du fruit de son travail, mais en raison de leur « âpreté au gain », ses héritiers n’en profitent pas davantage : la conséquence est plutôt dramatique : ils s’entredéchirent entre frères !

Celui qui se sent lésé élève la voix : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage ». La démarche peut nous surprendre, mais il était normal dans le monde juif de l’époque, de consulter un « rabbi » pour résoudre ce genre de litige. Jésus le repousse vivement : « Homme - le terme est omis dans la traduction liturgique, mais il signifie qu’au-delà de cette rencontre particulière, c’est à tout homme que Jésus s’adresse - qui m'a établi pour faire vos partages ? » - sous entendu « les partages de vos biens terrestres ». Rompant avec la tradition rabbinique, Jésus refuse d’entrer dans la résolution du différent, argumentant que « la vie d’un homme, fût-il dans l’abondance, ne dépend pas de ses richesses », car la jouissance de la vie véritable ne saurait découler de la possession de biens éphémères. Le seul problème de succession qui compte porte sur notre véritable héritage, celui auquel nous avons accès en devenant par la foi, cohéritier avec Jésus de la vie éternelle (cf. Rm 8, 17).

La liturgie de ce jour nous pose donc une question : à quoi notre cœur s’attache-t-il ? Vers quoi tendons-nous ? Quel sens donnons-nous à notre vie à travers nos choix quotidiens ?

Le problème de l’homme riche que Jésus met en scène n’est pas d’avoir amassé des richesses, mais de s’être coupé du réel. Il s’est en effet construit un monde imaginaire où il se trouve seul avec lui-même, dans un illusoire dialogue sans interlocuteur, puisque c’est à son « âme » qu’il s’adresse. Que nous le voulions ou non, nous nous inscrivons dans une réalité qui englobe toute l’humanité, appelée à devenir le Corps du Christ, c’est-à-dire la Famille de Dieu. Cet homme désire « se reposer », sans autre souci que de « jouir de l’existence » dans une vie centrée sur le « boire » et le « manger », c'est-à-dire la satisfaction égoïste de ses besoins. Hélas, le réveil de ce songe sera douloureux : « cette nuit même on te redemande ta vie ! » Au lieu de « s’enrichir aux yeux de Dieu » en partageant ici-bas ses biens avec ceux qui en ont besoin, il va se trouver pauvre et nu comme un vers dans l’au-delà, tandis que d’autres jouiront de ce qu’il aura amassé dans ses greniers.

En ne vivant que pour lui-même, sans souci ni de Dieu ni des autres, ce pauvre homme est devenu « fou » au dire de Jésus, c'est-à-dire insensé, n’ayant pas su interpréter le sens des richesses que Dieu lui confiait.

Ne serions-nous pas cet insensé ? Chaque fois que, perdant de vue notre destinée de gloire, vivant plutôt bien ici-bas, n’ayant d’autre horizon que la satisfaction de nos désirs et de nos envies.

Paul, dans la seconde lecture, nous aide vigoureusement à vérifier où nous en sommes de la gestion de notre vie : si nous nous adonnons « à la débauche ou à l’impureté », si nous cédons « aux passions, aux désirs mauvais, et à l’appétit de jouissance ».

Aussi longtemps que nous demeurons prisonniers de nos fantasmes, nous « ne recevrons pas en héritage le Royaume de Dieu », auquel nous ne pouvons accéder qu’en adoptant le comportement de l’homme nouveau, celui que le Père « refait toujours neuf à l’image de son Fils pour nous conduire à la vraie connaissance » de son dessein (cf. 2nd lect.).

Ceci ne signifie pas pour autant que ce monde constituerait un piège satanique : entre l’idolâtrie et la diabolisation des biens éphémères, Paul nous enseigne une voie médiane, qui consiste à rechercher « les réalités d’en haut », tout en poursuivant notre pèlerinage ici-bas. La conclusion de la deuxième lecture est éloquente à cet égard : pour ceux qui orientent leur vie vers le Royaume qui vient, « iI n'y a plus de Grec et de Juif, plus d'esclave, d'homme libre, il n'y a que le Christ : en tous, il est tout ». L’unité finale de l’humanité est anticipée par le disciple, elle détermine dès à présent son comportement, en particulier le souci de ses frères.

Par contre celui qui s’attache à des futilités, dresse autour de lui les barrières de l’avarice et de l’envie, qui conduisent aux divisions et à la violence. C’est bien ce que confirme l’épisode de ces deux frères, qui au lieu de s’accorder en bonne intelligence par respect pour la mémoire de leur père et dans l’intérêt de leurs familles, viennent demander à Jésus de consacrer leur division.

L’Eglise nous invite à mettre à profit ce temps estival pour vérifier notre degré de liberté face aux sollicitations de ce monde. Parvenons-nous à conduire nos activités dans l’Esprit de l’Évangile ? ou sommes-nous aliénés par les pseudo-besoins créés par une économie de marché qui envahit tous les domaines de notre vie quotidienne ?
La méditation du psaume de ce jour peut nous aider dans ce travail de conversion que nous avons à faire pour nous même : « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse ». Le souvenir de l’échéance inévitable qui nous attend au terme de cette vie, cette courte vie, est sans aucun doute un moyen efficace pour « nous débarrasser des agissements de l’homme ancien »
(2nd lect.).

Demandons au Seigneur qu’Il nous apprenne la vraie mesure de nos jours, pour faire un bon usage des biens qui passent, et pouvoir dès à présent et pour toujours, nous attacher aux biens qui ne passeront pas.

14è dimanche du temps ordinaire

Dimanche 7 juillet 2013

Is 66,10-14c; Ps 66(65),1-3a.4-5.6-7a.16.20;  Ga 6,14-18; Luc 10,1-12.17-20.

« Vous puiserez avec délices à l’abondance de sa gloire ». En ces temps de repos estival, de telles prophéties sont assez agréables à entendre. Mais le prophète Isaïe ne les a pas données en des temps où Israël aspirait au repos…Elles ont été écrites à l’époque difficile du retour de l’exil, ce discours veut raviver l’espérance des anciens déportés : certes, la Jérusalem qu’ils trouvent à leur retour de Babylone a bien changé : ses remparts sont en ruines, son temple est à reconstruire ; ses habitants ne font pas bon accueil aux exilés, ils s’opposent même aux projets de reconstruction. Mais le Seigneur assure aux déportés qu’il existe une réalité plus certaine que les murs délabrés et l’hostilité de leurs frères : « dans Jérusalem, vous serez consolés » ; « vos membres, comme l'herbe nouvelle, seront rajeunis» ; « vous le verrez et votre cœur se réjouira ».

La joie dont le Seigneur nous comble est en effet un don gratuit de son amour. La deuxième lecture insiste pour dire qu’elle est aussi le fruit d’une expérience d’intimité avec Dieu. Il faut aimer Dieu pour savoir accueillir ses dons, mais il faut aussi vivre selon son commandement d’amour pour s’approprier le don qu’il fait. La paix et la joie dont Dieu gratifie son peuple ne s’enracinent que dans le cœur de ceux qui s’attachent à lui et vivent en enfant de Dieu. « Pour tous ceux qui suivent cette règle de vie, paix et miséricorde », nous dit Paul. Or c’est en Christ que se goûte cette proximité, c’est en lui que se vit cette alliance, c’est en Christ que le monde est transformé. La Croix de notre Seigneur Jésus-Christ est ainsi l’outil indispensable de la création nouvelle, elle est la « marque » que portent ceux qui sont régénérés. Elle est donc notre seule fierté.

Forts de cet héritage, nous voici envoyés par Jésus pour préparer sa venue et répandre la paix. Car l’évangile d’aujourd’hui a la particularité de nous mettre en cause directement. Nul besoin de se reconnaître dans l’attitude des apôtres ou de permettre à un discours de Jésus de montrer son actualité. Jésus choisit d’envoyer les soixante-douze disciples, c'est-à-dire l’ensemble de ceux qui le suivent. Ce chiffre est une première ouverture à l’universalité puisqu’il représente aussi le nombre des nations connues sur la terre, dans le livre de la Genèse. La mission de Jésus s’ouvre également à ses disciples de tous les temps. Quand il dit « Je voyais Satan tomber comme l’éclair », il parle dans le langage apocalyptique, celui qui décrit les derniers temps, le temps que tous les chrétiens vivent. Chaque baptisé est donc explicitement envoyé par Jésus comme porteur de sa paix.

Nous sommes tous envoyés comme des agneaux au milieu des loups. Le moins que l’on puisse dire est que les loups représentent un danger potentiel pour les agneaux ! Mais le Seigneur ne l’ignore pas, et il insiste : « n’emportez ni argent » qui sert à accomplir sa volonté propre, « ni sac » qui sert à faire des provisions au cas le Bon Dieu oublierait de s’occuper de nous, « ni sandale » pour nous protéger du chemin par nous-mêmes, au cas où le Seigneur aurait l’inconscience de nous exposer trop dangereusement. Ces prescriptions nous montrent l’ascèse des missionnaires mais surtout les conditions de leur réussite. Comment des agneaux viendraient-ils à bout des loups si Dieu ne les transformait pas lui-même ? Il nous faut donc rester vulnérable comme le Christ sur la Croix, pour que l’Agneau pascal manifeste sa victoire dans nos vies. De plus, comment des loups apprendraient-ils le langage de l’amour si l’on venait à eux comme des loups parmi les loups ? Il faut des agneaux parmi eux, c'est-à-dire des témoins crédibles de la paix qu’ils prétendent apporter. Alors les loups connaîtront le langage de la Croix, alors seulement ils découvriront la joie et des brebis et du Bon Berger.

Cette perspective nous fait sans doute mieux comprendre l’état d’esprit des déportés rentrant de Babylone et découvrant l’hostilité de leurs frères : comment est-il possible de reconstruire le bonheur et l’unité du peuple autour de Dieu ? Comment est-il possible que nous, si pauvres, soyons envoyés convertir les loups si puissants et si résolus à rester dans l’esprit du monde ? « Voici ce que dit le Seigneur : Je dirigerai vers elle la paix comme un fleuve » ! Les efforts que nous avons à faire (ils ne sont pas minces) sont seulement de rester dans les dispositions qui rendent Dieu puissant dans nos vies. « Vous le verrez et votre cœur se réjouira », encourage Isaïe.

De fait, Luc témoigne : « les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux ». Ils sont heureux de leur mission – et il n’en manque pas un seul à l’appel. Paradoxalement, la seule mise en garde de Jésus est liée à notre succès apostolique. Il est assuré par la victoire de l’Agneau, c’est presque trop facile ! Les choses que Dieu réalisera dans nos vies, si nous prenons le risque de lui faire confiance, sont si grandes qu’elles pourraient nous détourner de Dieu. Jésus ne voit pas de problème à ce que des loups deviennent des agneaux suite à notre témoignage, mais il s’inquiète que nous gardions toujours les yeux fixés sur lui. « Réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux », nous dit-il ; réjouissons-nous parce que nous sommes devenus les héritiers du Royaume, de notre Père céleste pour transformer le monde avec son Fils unique. Nous sommes devenus fils dans le Fils, « ainsi nous sommes nourris et rassasiés du lait de ses consolations, et nous puisons avec délices à l'abondance de sa gloire ».

 

 

13è dimanche du temps ordinaire

samedi 30 juin 2013

1 Rois 19,16b.19-21;Ps 16(15),1-11; Ga 5,1.13-18; Luc 9,51-62.

 

Dés la première lecture, le thème de ce dimanche nous paraît

clair : le Seigneur appelle. Aujourd’hui comme hier, le Seigneur vient chercher derrière la charrue, c'est-à-dire au cœur de leur quotidien, des hommes de bonne volonté. Tel est l’exemple que nous donnent Élie et Élisée. « Elie alla trouvé Elisée, fils de Shafate, en train de labourer. Il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième. Elie passa près de lui et jeta vers lui son manteau. »

Cet épisode nous rappelle que l’appel de Dieu est souverain : Élisée ne peut pas s’y soustraire et Élie lui-même n’a rien à dire, alors qu’il s’agit de sa propre succession : « Le Seigneur avait dit au prophète Elie : « Tu consacreras Elisée, fils de Shafate, comme prophète pour te succéder. » En outre l’appel de Dieu est exigeant : Élie le fait rudement comprendre à Élisée qui demande à retourner pour embrasser ses parents.

Ces aspects, bruts et impressionnants, ne doivent pas occulter les autres. En effet, s’il est irrésistible, l’appel de Dieu ne s’impose pas à nous par la force. Élisée était en train de labourer douze arpents de terre et il en était au douzième, c'est-à-dire qu’il arrivait à l’accomplissement de son travail, à la plénitude d’une partie de sa vie. Le Seigneur vient à point nommé lui ouvrir de nouveaux horizons. De plus, le Seigneur appelle Élisée par l’intermédiaire du prophète Élie qui reste très discret. Il passe près de lui et jette son manteau. Aucune parole pour tenter de l’enrôler, aucun ordre pour obtenir sa soumission. Juste un geste prophétique qu’Élisée doit voir et interpréter selon son cœur. L’appel est une prière de Dieu adressée à l’homme.

Pour y répondre, l’homme doit cependant être libre. Cette liberté nous est acquise par le Christ. Saint Paul le dit dans la deuxième lecture : « le Christ nous a libérés pour que nous soyons vraiment libres ».

Nous ne sommes vraiment libres que lorsque nous pouvons pleinement répondre à l’appel de Dieu sur nous. Le lieu du combat est là et le temps peut être long entre le moment où Dieu appelle et le temps où l’homme accueille la grâce de répondre librement. Dans un premier mouvement, Élisée se replie sur son passé, il cherche à rester dans la sécurité de la maison familiale. Mais, - et ce qui est qui est rassurant pour nous -, le don de Dieu est sans repentance. Élie dénonce fermement la fuite en arrière d’Élisée, mais il ne reprend pas pour autant le manteau qu’il a donné. Dans cette confiance accordée, malgré les résistances, dans cette parole fraternelle qui oriente dans la bonne direction, Élisée trouve la force de se ressaisir et de tout abandonner. Il brûle tout ce qu’il possède pour se consacrer entièrement au Seigneur : «Alors Elisée s'en retourna ; mais il prit la paire de bœufs pour les immoler, les fit cuire avec le bois de l'attelage, et les donna à manger aux gens. Puis il se leva, partit à la suite d'Elie et se mit à son service. » Ce détachement est une joie pour tous, il se célèbre par un festin.

Dans l’évangile, trois hommes sont appelés. Leur histoire est un peu différente. Il n’est question que de l’appel de Dieu mais jamais de leur réponse. Il ne s’agit donc pas à proprement parler de récits d’appel. La liturgie nous invite donc à une méditation plus vaste que l’appel individuel et la réponse personnelle que nous y apportons.

La question que pose le premier homme, ouvre en effet notre méditation à la dimension communautaire de l’appel. Cet homme n’est pas appelé par Jésus mais il vient de lui-même

demander à être un de ses disciples. « Un homme dit à Jésus : Je te suivrai partout où tu iras ». L’attitude de cet homme est tout à fait banale. Il était d’usage, de solliciter un rabbin pour lui demander d’entrer dans son école. Mais Jésus n’habite pas dans une école particulière, il n’a pas de condition stable, il vient de se faire rejeter à l’entrée d’un village. Jésus habite le chemin, il est toujours plus loin. « Jésus lui déclara : Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer sa tête. »

Entrer à son école, c’est donc se mettre en route, renoncer à être quelqu’un d’établi, qui peut compter sur un patrimoine ou sur une réputation. Cet abandon n’est pas un acte d’héroïsme personnel, il est un compagnonnage. Les disciples suivent Jésus ensemble, ils adoptent ensemble sa condition pour n’être jamais séparés de lui. Pour avancer sur cette route, il faut se décider seul, mais il est impossible d’avancer seul.

Le deuxième homme est une exception. Jésus l’appelle lui-même « Suis-moi ». Cet homme est donc appelé à entrer d’une manière particulière dans l’alliance d’amour. À lui, Jésus demande le renoncement le plus terrible : ne pas retourner enterrer ses propres parents. « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le règne de Dieu. » Cette exigence montre que se mettre au service du Royaume entraîne toujours une rupture radicale qui ne va pas sans souffrance. Les renoncements que nous avons faits pour Jésus sont donc une bonne mesure de l’amour que nous lui portons. Mais cette fois encore, il n’est pas question de s’appuyer sur ses propres forces. Nous ignorons la réponse de cet homme, mais il est certain que sa seule force réside dans l’appel même du Seigneur.

Le troisième homme propose à Jésus une fidélité sous condition « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d'abord faire mes adieux aux gens de ma maison. ». Là encore, la relation n’est pas strictement individuelle. Il s’agit pour Jésus de mettre la main à la charrue, c'est-à-dire de se mettre au service des autres en préparant le champ où le blé sera récolté par d’autres. Le renoncement à sa famille n’est pas un reniement, il est une ouverture à une autre famille, qui n’exclue pas la première mais la dépasse.

La première vertu de cet évangile est peut-être de nous rappeler que la vie ne consiste jamais à mettre les pieds sous la table. Rares sont ceux qui peuvent céder à cette illusion, mais nombreux sont ceux qui imaginent pouvoir puiser à pleines mains dans le trésor de la vie. Rêver à ce dont on pourrait user pour soi-même n’est en effet pas réservé aux égoïstes : on peut chercher honnêtement comment se construire et y travailler activement. Mais Élie surgissant dans la vie d’Élisée nous rappelle qu’il faut se laisser défier par la vie. Nous vivons tous une histoire commune, les uns en lien avec les autres. Il ne suffit pas de se demander ce qu’on voudrait, il faut aussi se demander à quoi on pourrait participer. Car on s’accomplit dans ce qu’on reçoit des autres comme dans ce qu’on leur donne. Dans cette nécessaire ouverture, l’appel de Dieu peut s’exprimer et se réaliser.

Offrons au Seigneur de réaliser son rêve. Achevons aujourd’hui la révolution intérieure qui nous fait renoncer à nos attachements, à nos sécurités, à nos droits, pour nous revêtir du manteau du prophète, pour nous revêtir du tablier du serviteur. C’est à genoux devant nos frères, occupés à leur laver les pieds, que nous ressemblons le plus facilement à notre maître Jésus. La grandeur du Royaume se révèle dans ceux qui savent se faire petits. Alors l’appel des uns ne peut plus être vécu comme le rejet des autres, la mission des uns n’est plus accomplie au détriment des autres. Nous sommes désormais unis, au sein d’une même famille, celle des enfants de Dieu qui s’assemblent autour de cet autel pour appeler, d’un même cœur, « Notre Père ».





12 ème dimanche du temps ordinaire

dimanche 23 juin 2013

Za 12,10-11a.13,1; Ps 63(62),2-6.8-9; Ga 3,26-29; Luc 9,18-24.

Nous venons d’entendre : « Celui qui veut marcher à ma suite » : le disciple est celui qui marche à la suite de son Maître afin de demeurer sans cesse avec lui. Notre religion est donc essentiellement mise en route, cheminement, avancée, progression continue.

A entendre les médias, l’Eglise serait l’institution la plus statique et réactionnaire que l’humanité ait produite de toute son évolution : une religion qui enferme ses fidèles dans des dogmes rigides, les étouffe dans un moralisme suranné, les tient prisonniers de la peur de l’enfer. La liturgie de la Parole de ce jour nous invite, au contraire de ce que disent les médias, à retrouver le dynamisme de la foi.

Inutile de chercher à démontrer combien la description des médias est caricaturale : la position est idéologique, elle ne se laisse pas infléchir par des arguments rationnels ; seul le témoignage d’une vie transformée peut faire la preuve du caractère mensonger de ces propos. Ne soyons ni étonnés, ni scandalisés devant la réaction du monde ; vérifions plutôt notre progression sur le chemin de la vérité et de la vie, sous la conduite de l’Esprit de Jésus Christ.

Nous venons de l’entendre : la conversion constitue le moment fondateur du chemin de foi, la grâce initiale qui nous met en route vers Celui qui nous appelle. « En ce jour-là je répandrai sur la maison de David un esprit qui fera naître en eux bonté et supplication » nous disait Zacharie dans la 1ère lecture : l’initiative vient du Seigneur ; lui seul peut nous ouvrir les yeux et nous permettre de les « lever avec foi, vers celui que nous avons transpercé ». Heureux « l’homme dont l’esprit est sans fraude » et qui dans la contemplation de la Croix, se laisse convaincre de péché. Heureux celui « qui ne cache pas ses torts, mais rend grâce au Seigneur en confessant ses péchés » (Ps 32 (31), 5). Oui « heureux est-il, car pour lui « une source jaillit, qui le lavera de ses souillures » (1ère lect.).

Le baptême ne consiste pas seulement dans la purification de la faute : « Vous tous que le baptême a unis au Christ, précise Paul dans la seconde lecture, vous avez revêtu le Christ ». Le salut est aussi et surtout participation à la vie de celui qui est descendu dans notre mort pour nous en arracher définitivement et nous entraîner à sa suite. Cet exode, nous ne l’entreprenons pas seuls : « si vous appartenez au Christ, c’est vous qui êtes la descendance d’Abraham » (2ème lect.). Tous ceux qui ont cru en la promesse de Dieu, ne sont « plus qu’un dans le Christ Jésus » (Ibid.) ; en lui ils ont accès à « l’héritage que Dieu a promis à Abraham ».

Le Seigneur nous avertit cependant que la route de la Terre Promise n’est pas facile : « celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive ». Nous n’entrerons dans le Royaume qu’en crucifiant le vieil homme, c'est-à-dire cette part obscure de nous-mêmes qui divise et oppose les hommes : Juifs contre païens, esclaves contre hommes libres, hommes contre femmes (cf. 2nd lect.). L’Esprit de Dieu tout au contraire « fait naître en nous bonté et supplication » (1ère lect.). Lorsque Paul nous exhorte à « suivre fidèlement l’appel que nous avons reçu de Dieu », il résume cette vocation en quelques mots : « ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour » (Ep 4, 1-2).

Collaborer avec l’Esprit à la réalisation de son œuvre de communion, exige de nous que nous renoncions à tout les obstacles que nous dressons pour nous protéger des autres, « car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi – c'est-à-dire par amour pour l’unité du Corps total du Christ - la sauvera ».

« Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » nous interroge Jésus. Il ne nous demande pas une définition de sa Personne, mais un témoignage de ce qu’il est « pour nous ». L’évangéliste précise que Jésus pose cette question après s’être écarté pour prier. En lisant la suite de la péricope, où Jésus annonce les souffrances, la mort et la résurrection du « Fils de l’homme », on devine qu’il s’est entretenu avec le Père de la Pâque qu’il s’apprête à vivre pour notre salut. Certes la réponse de Pierre – «Tu es le Messie de Dieu » - est juste, mais elle ne révèlera pleinement son sens qu’après la victoire de Jésus sur le péché et sur la mort ; alors seulement nous comprendrons que le Christ est venu « pour nous » sauver. Nous ne pourrons donc répondre à la question de Jésus qu’en faisant mémoire du chemin parcouru avec lui, et de son œuvre de libération dans nos vies ; libération de nos égoïsmes, de nos mensonges, de notre hypocrisie ; et ouverture à la vraie liberté, celle qui consiste à pouvoir aimer, c'est-à-dire à pouvoir perdre notre vie gratuitement au service des autres.

Voilà un témoignage qui fait mentir sans appel toutes les idéologies développées par les médias, idéologies qui tentent de réduire le christianisme à un moralisme mortifère.

 

 

 

11ème dimanche du temps ordinaire

Dimanche 16 juin 2013



2 S 12,7-10.13 ; Ps 32(31),1-2.5.7.10-11; Ga 2,16.19-21; Luc 7,36-50.8,1-3.

« Simon, j’ai quelque chose à te dire ». Jésus a surpris les pensées de son hôte qui s’enlise dans une interprétation erronée de l’événement se déroulant sous ses yeux. En bon pharisien, il évalue la situation en termes de pur et d’impur. Il « sait » qui est cette femme qui touche le Rabbi ; il « sait » que tout homme qui entre en contact avec une pécheresse se rend lui-même impur ; il « sait » qu’un prophète - un vrai - aurait immédiatement perçu le triste état de l’âme de cette femme, et qu’il ne se serait jamais laissé toucher par elle. La conclusion s’impose à notre homme de loi : ce Jésus de Nazareth est un imposteur ; il se fait passer pour un prophète, mais il n’en a que l’apparence.

Jésus le rejoint, dans cet état d’esprit, pour lui ouvrir les yeux sur la face cachée de l’événement, c'est-à-dire sur son sens profond, qui ne se dévoile qu’aux yeux illuminés par la foi.

Le fait que Jésus interpelle son hôte par son nom n’est pas anodin : « Simon » signifie « souviens-toi ». « Souviens-toi que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob que tu adores, ne repousse pas un cœur brisé de repentir (cf. Ps 50, 19). Souviens-toi comment il a pardonné à David sa double transgression lorsque le roi d’Israël avait ajouté le meurtre à l’adultère : il a suffi d’un sincère mouvement de repentance de la part du coupable, pour que Dieu renonce à appliquer la sentence qu’il avait prononcée contre lui (1ère lect.). Et je n’aurais pas pitié de cette fille d’Abraham qui mouille de ses larmes mes pieds en signe de repentir ? »

Simon a « oublié » le visage de miséricorde de Dieu qui s’annonçait dans les Écritures dés la première Alliance ; il est enfermé dans une religiosité légaliste sans âme, dont Jésus va tenter de l’arracher, en lui proposant une parabole sous forme de devinette. Sous des abords très simples, celle-ci n’en demeure pas moins paradoxale.

On s’attendait en effet à ce que ce soient les débiteurs qui sollicitent une remise de leur dette. Or il n’en est rien : l’initiative vient du créancier, et son motif est uniquement la compassion : « Comme ni l’un ni l’autre (les débiteurs) ne pouvaient rembourser, il remit à tous deux leur dette ».

Simon répond sans peine à la question que Jésus lui pose : la reconnaissance des débiteurs est évidemment proportionnelle à la dette annulée. Mais il n’est pas sûr que notre pharisien se soit rendu compte de la portée de son affirmation. C’est pourquoi Jésus va interpréter la situation qu’ils sont en train de vivre à la lumière de la réponse que Simon vient de lui donner. Jésus fait comprendre, avec beaucoup de délicatesse, à son interlocuteur, qu’il est lui-même un des débiteurs de la parabole, l’autre étant la femme pécheresse.

Dieu a remis leur dette à tous deux indépendamment de la gravité de leurs fautes respectives, et avant même qu’ils ne sollicitent son pardon. Mais tous deux n’ont pas pris conscience, de la miséricorde divine, avec la même mesure.

En bon pharisien, Simon se considère justifié en raison de son observance de la Loi. Comment pourrait-il dès lors discerner en Jésus le Sauveur qui le rétablit devant Dieu dans la justice ? Aussi la reconnaissance et l’amour sont-ils absents du repas qu’il offre à Jésus – repas en apparence convivial, mais convivial qu’en apparence.

La femme par contre - dont le nom n’est pas mentionné - parce qu’elle représente l’humanité pécheresse mais repentante - a compris que Dieu annule la dette de ses enfants pécheurs, non pas en raison de l’amour que ceux-ci lui témoigneraient mais tout au contraire : afin qu’ils puissent l’aimer, en découvrant la gratuité de sa miséricorde.

On pourrait objecter que cette interprétation ne correspond pas à celle que Jésus donne lui-même, il dit explicitement : « Si ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, c’est à cause de son grand amour ». L’amour de la femme est ici désigné comme la cause du pardon, et non comme son effet.

Une telle explication n’est pas compatible avec la parabole proposée par Jésus, le pardon est incontestablement antérieur à la reconnaissance qu’il suscite. Pour concilier ces deux interprétations apparemment contradictoires, il suffit de constater qu’elles décrivent l’événement de la réconciliation sous deux angles différents.

Eu égard à la Croix de son Fils, Dieu a pardonné tous nos péchés, avant même que nous les commettions. Mais ce pardon ne nous est pas imposé. Notre part à nous est de reconnaitre en Jésus le visage de miséricorde du Père. Le pardon peut alors envahir notre cœur que dans la mesure où il s’ouvre à la reconnaissance dans l’amour.

La cause première du pardon est donc bien l’initiative divine ; mais l’appropriation du don de Dieu dépend de l’accueil que nous lui réservons. Les péchés de Simon sont tout autant pardonnés que ceux de cette femme pécheresse ; mais il ne s’est pas ouvert au pardon que Jésus lui offre : chacun boit l’eau vive de l’Esprit à la mesure de sa soif. Si l’amour peut jaillir du cœur de cette femme, c’est parce qu’elle a entendu l’appel du Cœur de Jésus : « Vous tous qui avez soif, venez à moi, et buvez, vous qui croyez en moi ! Comme dit l’Écriture : “Des fleuves d’eau vive jailliront de votre cœur” » (Jn 7, 37-38).





10ème dimanche du temps ordinaire

Dimanche 9 juin 2013

 



I Rois 17,17-24; Ps 30(29),3-5-6ab.6cd.12-13; Ga 1,11-19; Luc 7,11-17.

L’évangile de ce dimanche met devant nos yeux deux cortèges. Le premier, dans lequel figure cette femme, éprouvée par la vie, veuve et venant de perdre son unique enfant, c’est un cortège de mort, marqué par la pesanteur de la souffrance et le silence de la désespérance.

Face à lui, un autre cortège s’avance, celui de Jésus, suivi de ses disciples, et accompagné par une grande foule nous dit L’évangéliste. Dans ce cortège, résonnent les rires, les chants. On y respire la vie et la joie.

Le cortège funéraire quitte Naïm, la ville des « délices », pour mettre en terre le jeune homme décédé, pour s’enfoncer dans le monde extérieur, le monde de la mort.

Le cortège qui accompagne Jésus, lui, remonte de ce monde de la mort, pour passer par la porte de la cité et entrer dans le monde d’une vie nouvelle.

Lorsque les deux cortèges se croisent, Jésus s’avance vers la civière qui porte le jeune homme pour le réanimer, et Luc souligne bien que Jésus prend cette initiative de lui-même, Il n’est sollicité par personne. Il s’approche, ému de compassion, à la rencontre de ce mort et de sa mère qui dans sa tristesse l’a déjà rejoint. Il se fait proche d'eux pour les ramener à la vie, l’un et l’autre : « Il s’avança et toucha la civière ; les porteurs s’arrêtèrent, et Jésus dit : ‘Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi.’ Alors le mort se redressa, s’assit et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère. »

Le mort se relève, son corps se met en mouvement et il parle. Jésus le restitue dans l’intégralité de son humanité, corps, âme et esprit, jusque dans sa relation à Dieu.
Notons que Luc utilise le terme de « Seigneur » pour désigner Jésus, à l’œuvre, au cœur de ce récit. Par cet indice, il nous indique qu’à travers ce miracle, il s’agit de reconnaître la Seigneurie du Christ. Mais ce qu'il est capital de remarquer c'est que celle-ci se manifeste dans le fait qu’à travers Jésus, Dieu se fait proche de tout homme pour le sauver de la mort.

Luc met en effet moins l’accent sur le miracle et la gloire de Jésus qui en découle que sur la disposition du cœur de Dieu qui en Jésus, « ému de compassion », s’approche de l’humanité enfermée dans la mort du péché pour la ressusciter et la restaurer dans sa relation avec lui.

Ce récit nous fait appréhender ce qui constitue le point de départ de l'adhésion de foi : Croire que Jésus est ressuscité et qu’il me délivre de la mort et du péché. Croire qu’il n’a pas peur de s’approcher de mon péché et de toucher l’impureté de toutes mes morts pour les purifier, sans même que je lui demande, simplement parce qu’il m’aime d’un amour infini. Croire qu’il me restaure ainsi dans mon humanité, qu’il me recrée et qu’il m’ouvre à nouveaux les portes du Jardin des « délices ».

Demandons au Seigneur Jésus, au Dieu de la vie, lui qui a compassion de tout ce qui vit, de venir toucher ce qui est mort en nous. Nous reconnaitrons en lui ce Dieu de tendresse et de miséricorde qui se fait proche de notre souffrance pour y déverser sa vie. Dans la foi, recevons aujourd’hui de lui ces paroles de résurrection : Tu as droit au bonheur, tu as droit à la joie !Il nous donne ce bonheur et cette joie, accueillons les à pleine main.

Dimanche de la fête du Corps et du Sang du Christ

Dimanche 2 juin 2013

L’Institution de l'Eucharistie, telle que Paul nous la transmet dans la 2ème lecture, le sacrifice de Melchisédech décrit dans le livre de la Genèse en 1ère lecture, et la multiplication des pains dans l’Evangile de Luc : tel est le triptyque suggestif que nous présente la liturgie de la Parole en cette solennité du « Corpus Domini » du Corps et du Sang du Seigneur.

Le geste de Jésus dans l’évangile était préfiguré dans celui de Melchisédech, « roi de Salem » et « prêtre du Dieu très haut » qui bénit Abraham et lui « apporta du pain et du vin »(Gn 14, 18) en signe d’hospitalité, de générosité et d’amitié. Le Psaume 109 fait référence à ce passage en attribuant au Roi-Messie un caractère sacerdotal particulier en vertu de l'investiture directe de Dieu : « Tu es prêtre à jamais selon l'ordre du roi Melchisédech » (v.4).

Lorsqu’il se livre lui-même aux hommes en nourriture, Jésus se révèle ainsi comme le véritable Roi-Messie, le véritable grand prêtre. L’auteur de l’épître aux Hébreux l’avait bien compris lorsqu’il nous décrit Jésus Christ comme : « le grand prêtre qu'il nous fallait : saint, sans tache, sans aucune faute ; séparé maintenant des pécheurs, il est désormais plus haut que les cieux. Il n'a pas besoin, comme les autres grands prêtres, d'offrir chaque jour des sacrifices, d'abord pour ses péchés personnels, puis pour ceux du peuple ; cela, il l'a fait une fois pour toutes en s'offrant lui-même. »(He 7, 26-27)

Le signe de la multiplication des pains par Jésus anticipe le geste de l’Ultime Cène avec les apôtres. L’Eucharistie célébrée par les chrétiens en mémoire de lui : « la nuit même où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : ‘Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi’ » nous rappelle Paul en 2ème lecture.

Luc, dans son évangile, nous permet de mieux comprendre le don et le mystère de l'Eucharistie. Après que Jésus eût béni et rompu les pains, il les donne aux apôtres afin qu'ils les distribuent au peuple (v. 16). Tous, observe l’évangéliste, mangèrent et furent rassasiés et douze couffins de morceaux furent même recueillis (v. 17). Nous assistons ici au début d'un long processus historique : la multiplication sans arrêt dans l'Eglise du Pain de vie nouvelle pour les hommes de toute race et de toute culture. Ce ministère sacramentel a été confié par Jésus aux Apôtres et à leurs successeurs qui, fidèles à la consigne du Seigneur, ne cessent de rompre et de distribuer le Pain eucharistique de génération en génération.

Le Christ - unique Seigneur hier, aujourd'hui et à jamais - a voulu lier sa présence salvifique dans le monde et dans l'histoire au sacrement de l'Eucharistie. Il a voulu devenir pain rompu, afin que chaque homme puisse se nourrir de sa vie même, à travers la participation au Sacrement de son Corps et de son Sang. A travers l’Eucharistie c’est la vie même de Dieu qui continue à nous parvenir pour transfigurer et sauver chacun de nous.

Luc dans l’évangile insiste sur le fait que « tous furent rassasiés ». Le pape Benoît XVI soulignait fortement cet aspect dans une homélie, à l’occasion d’une procession du St Sacrement en la fête du Corps et du Sang du Christ, il déclarait : « Si, le Jeudi Saint, on met en évidence le rapport étroit qui existe entre la Dernière Cène et le mystère de la mort de Jésus sur la Croix, aujourd’hui, en la fête du Corpus Domini, avec la procession et l’adoration eucharistique ensemble, on attire l’attention sur le fait que le Christ s’est immolé pour l’humanité tout entière. Son passage au milieu des maisons et par les rues de notre ville sera pour ceux qui y habitent une offrande de joie, de vie immortelle, de paix et d’amour. »

Comme nous y invite l’épître aux Hébreux, « Tenons donc ferme la profession de foi ». Notre grand prêtre souverain qui a traversé les cieux, Jésus, le Fils de Dieu, n’est pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout, d’une manière semblable, à l’exception du péché.
« Avançons-nous donc avec assurance vers le trône de la grâce afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce pour une paix opportune. »
(CF. He 4, 14-16)

Dimanche 2 juin 2013

 

Dimanche de la Trinité

Dimanche 26 Mai 2013

Pr 8,22-31; Ps 8,4-5.6-7.8-9; Ro 5,1-5; Jean 16,12-15

« Les temps sont accomplis : le Règne de Dieu est tout proche » (Mc 1, 14) : tel est le message proclamé par Jésus à l’aube de son ministère public et dont il va expliciter progressivement le contenu par toute sa vie, sa mort et sa résurrection. La Bonne Nouvelle, c’est que Dieu, le Père, règne en son Fils Jésus-Christ, agissant dans l’Esprit. Cette présence trinitaire bienveillante ne s’est pas interrompue au moment de l’Ascension : Jésus demeure présent et agissant au cœur de son Église, et cela, selon ses dires « tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20). Par l’Esprit « qui nous guide vers la vérité toute entière », Jésus nous dévoile le visage du Père et nous fait participer à sa vie filiale.

Cette révélation trinitaire qui parcourt tout l’évangile, culmine dans le triduum pascal : le Père a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique. L’absolu de la filiation du Christ, ne nous est révélé le vendredi saint, que lorsque Jésus se livre à la mort avec une confiance inébranlable dans la puissance vivificatrice de son Père. Au matin de Pâques, le Père nous révèle l’absolu de sa paternité lorsqu’il relève son Fils d’entre les morts et l’exalte à sa droite en tant que Seigneur et Sauveur universel. Ainsi, le jour de Pentecôte, Jésus ressuscité envoie d’auprès du Père l’Esprit Saint, en qui nous devenons participants de la vie divine (2 P 1, 4), cohéritiers avec le Christ, partageant sa filiation dans l’unique Esprit. C’est ce que nous enseigne St Pierre dans sa seconde épître : « En effet, sa puissance divine nous a fait don de tout ce qu'il faut pour vivre en hommes religieux, grâce à la véritable connaissance de Celui qui nous a appelés par la gloire et la force qui lui appartiennent. Ainsi, Dieu nous a fait don des grandes richesses promises, et vous deviendrez participants de la nature divine, en fuyant la dégradation que le désir produit dans le monde ».

Ainsi les trois Personnes sont solidairement impliquées dans le mystère de notre salut : l’initiative vient du Père qui envoie le Fils, et c’est vers le Père et en lui que converge l’humanité réconciliée, sous la conduite de l’Esprit. C’est le Paraclet en effet qui conduit l’Église-Épouse jusqu’à la cité sainte où son Époux l’attend. Pour nous qui sommes encore en chemin, les Béatitudes nous enseignent que les vicissitudes du temps présent ne sont pas un obstacle à la participation à la gloire du Père, puisque cette gloire resplendit déjà sur la face du Christ pauvre, doux, miséricordieux, assoiffé de justice, persécuté. Les épreuves de la vie sont le creuset dans lequel sont purifiées notre foi, notre espérance et notre charité, car « la détresse produit la persévérance ; la persévérance produit la valeur éprouvée ; la valeur éprouvée produit l’espérance ; et l’espérance ne trompe pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint, qui nous a été donné » (2nd lect).

Tout au long de ce cheminement, qui se déroule dans le clair-obscur de la foi, l’Église ne se lasse pas de chercher les traces de son Seigneur. Elle se plonge bien sûr dans les Écritures pour y rencontrer celui que son cœur aime ; mais elle s’instruit aussi dans le grand livre de la Nature, que le Seigneur a orné de tant de beauté, afin que sa présence et son action y soient perceptibles par tous. La création toute entière en effet est l’œuvre de la Trinité. « Le Père ne prononce qu’une seule Parole, et il la prononce dans un éternel silence »écrit Saint Jean de la Croix ; mais ce Verbe unique contient en lui le germe de toutes créatures. C’est en effet « en lui, le premier-né par rapport à toute créature, que tout a été créé dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles et les puissances invisibles : tout est créé par lui et pour lui » (Col 1, 15-17). Aussi, la Sagesse incréée se reflète-t-elle dans tous les êtres, couvrant de son ombre le monde inanimé, laissant des vestiges de sa beauté dans les êtres vivants, et créant l’homme « à son image et selon sa ressemblance » (Ga 1, 26).

Dans son Itinéraire de l’esprit vers Dieu, saint Bonaventure s’écrie plein d’émerveillement : « Celui que tant de splendeur créée n’illumine pas est un aveugle. Celui que tant de cris n’éveillent pas est un sourd. Celui que toutes ces œuvres ne poussent pas à louer Dieu est un muet. Celui que tant de signes ne force pas à reconnaître le Premier Principe est un sot. »

C’est ainsi : « Dieu a voulu que dans le Christ toute chose ait son accomplissement total » (Col 3, 19) ; c’est en lui que le Père veut « nous introduire en sa présence, saints, irréprochables et inattaquables. Mais il faut que par la foi, nous tenions solides et fermes ; ne nous laissant pas détourner de l’espérance que nous avons reçue en écoutant l’Évangile proclamé à toute créature sous le ciel » (Col 3, 22-23), et que l’Esprit nous fait connaître.
Dès à présent nous pouvons déjà jouir des prémices de ce qui constituera notre béatitude éternelle, car dans sa folie d’amour, le Dieu trois fois Saint a voulu élire sa demeure dans notre cœur. « Nous portons notre ciel en nous », écrivait Saint Élisabeth de la Trinité, car « l'Amour, l’Amour infini qui nous enveloppe, c’est toute la Trinité qui repose en nous ». Nous sommes la demeure de la Trinité ; la Trinité est notre demeure : « La Trinité, voilà notre chez nous, la maison paternelle d'où ne devons jamais sortir ».
« Seigneur, à voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, que sommes-nous pour que tu penses à nous et nous prennes en souci » (Ps 8) ? Toutes ces merveilles que nous pouvons contempler chaque jour, et que nos intelligences commencent à peine à sonder, nous dépassent infiniment et chantent la gloire de Dieu bien mieux que nous ne pourrions le faire. Et pourtant, c’est « avec les fils des hommes que tu trouves tes délices » (1ère lect.) ; tu as voulu élire ta demeure dans le cœur de ceux qui t’ignorent, te refusent, te rejettent. Ne permets pas que nous soyons ingrats ; guéris-nous de notre aveuglement ; donne-nous de reconnaître les signes de ta présence et de te glorifier pour ta patience, ta miséricorde et ta bonté, toi qui es Père, Fils et Saint Esprit, Dieu d’amour à jamais vivant. ! »

Dimanche de Pentecôte.

Dimanche 19 mai 2013

Act 2,1-11; Ps 104(103),1.24a.24c.29bc-30.31.34; Rm 8,8-17; Jn 14,15-16.23b-26.

Aux apôtres barricadés dans le cénacle, Jésus Ressuscité était venu apporter sa paix. Mais il ne comptait pas en rester là. Vaincre notre Ennemi, nous libérer de notre esclavage, ne lui suffit pas. Il veut encore nous transformer de l’intérieur, nous renouveler, nous recréer. Il veut nous diviniser, nous introduire au cœur de la vie divine, c’est un véritable mystère pour nous. Pourtant, Il le veut, il le fait.

La merveille que Dieu opère, en ce jour de la Pentecôte, n’est pas de faire entendre le message des apôtres, par ces foules, si diverses soient-elles, qui se pressaient à Jérusalem. La merveille que nous accueillons est une œuvre de recréation : « Tu envoies ton souffle, ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre » ! Aujourd’hui, une humanité nouvelle se lève, définitivement rétablie dans sa dignité, revêtue de la gloire même de Dieu !

Avec le recul que nous avons sur l’ensemble de l’histoire du salut, c’est facile à lire et à dire aujourd’hui. Dès le commencement, Dieu avait le projet de nous établir dans son Alliance. Le livre des Actes des Apôtres veut le démontrer en inscrivant les événements de la pentecôte dans la continuité de toute l’histoire de l’Alliance. Le « feu », la « voix », et les innombrables indices textuels, font référence au don de la Loi fait à Moïse sur le Sinaï. Aujourd’hui, une loi nouvelle nous est donnée, cette Loi Nouvelle ne vient pas s’inscrire sur des tables de pierre, mais dans des cœurs de chair. Cette loi, est une règle de conduite, que nous ne nous donnons pas à nous-mêmes : elle nous est donnée par notre maître et Seigneur.

Sur cette question là, Paul reste très ferme. L’Esprit qui nous est donné a sur nous une « emprise ». Le terme n’est pas neutre. L’Esprit Saint nous prend en main. Et le Seigneur compte bien que nous nous soumettions à cette loi nouvelle. Oubliée, la sagesse mondaine qui veut absolument qu’on essaie de louvoyer en ne s’engageant ni à droite ni à gauche, en ne s’opposant ni à l’un à ni à l’autre. Cette politique n’a d’autre ambition que de flatter notre désir d’autonomie, il s’agit d’une pure utopie. Nous appartenons à Jésus-Christ car il nous racheté par son sang. Rejeter sa souveraineté, nous explique Paul, c’est se remettre sous l’emprise de la chair, c’est se révolter contre Dieu. Il n’y a donc pas d’alternative possible.

Là est la vérité, et nous la connaissons déjà. Il ne faut pas attendre de l’Esprit Saint une nouveauté qui serait l’acquisition d’une science jusqu’alors inconnue. Mais, ce que nous connaissons déjà est aujourd’hui éclairé d’une lumière nouvelle ; ce que nous savions de Dieu et de son projet sur nos vies, apparaît dans la bonté et la cohérence de son unité. Cette nouveauté vient de l’Esprit, qui nous conduit à la vérité, la vérité tout entière.

Notre condition, en effet, ne se résume pas à passer d’un esclavage à un autre, de l’esclavage de la chair à l’esclavage de l’Esprit. Jamais l’Esprit ne contraint notre volonté ; il la sollicite, il l’éduque, il l’oriente. Jésus ne nous appelle pas ses serviteurs, mais ses amis. L’Esprit de vérité n’est pas un Esprit qui fait de nous des esclaves, mais des fils. Le jour où Dieu nous donne d’entrer au cœur de la relation d’amour qui unit les personnes divines, l’Esprit sollicite notre libre engagement. Il attend de nous un acte de confiance et d’amour. Il attend qu’on lui laisse enfin les rênes de notre vie, il demande que nous nous laissions guider par lui.

La fête de la Pentecôte nous pose donc la question de notre engagement dans notre vie spirituelle… Allons-nous continuer à vivre comme si l’on pouvait s’installer sur cette terre, comme si notre vie allait durer des années encore ? Allons-nous continuer à prendre des décisions chaque jour comme si le Seigneur n’allait pas revenir bientôt, voir très bientôt ? Allons-nous longtemps encore justifier nos tiédeurs, nos peurs sous prétexte de sagesse et de pondération ? Regardons les apôtres ! Ils sont partis ! Ils ont quittés la pièce dans laquelle ils s’étaient eux-mêmes enfermés par peur des juifs. Un incendie embrase Jérusalem, il se répand jusqu’en Galilée, et bientôt de par le monde entier ! Il est temps pour nous de courir avec Pierre, Jacques, Jean et tous les autres, de courir la course de la sainteté ; cette course là est la notre, ne nous faisons pas d’illusions là-dessus, en pensant que nous ne sommes pas concernés, il est grand temps de s’abandonner radicalement à la grâce qui nous pousse à annoncer les merveilles de Dieu.

Certes, cet abandon est aussi l’œuvre de l’Esprit en nous. Laissons-nous donc saisir par la grâce de la pentecôte, grâce de l’humilité, grâce de la véritable crainte de Dieu. Ne laissons désormais aucun intérêt supprimer, les exigences de la justice ; ne supportons qu'aucun calcul, qu’aucun égoïsme, aucun manque de charité. En ce jour, il nous est donné de renaître, il nous est donné que tout soit grand en nous, grand comme Dieu lui-même ! Laissons la recherche et le culte de la vérité prendre toute sa place en nous. Ne réprimons pas la promptitude au sacrifice, jusqu'à la croix, que l’Esprit suscite dans nos âmes. Ce jour est grand, il est beau, parce que tout peut enfin correspondre à la prière que le Fils adresse au Père céleste, parce que l’effusion de l’Esprit sur le monde et dans nos cœurs vient renouveler la face de la Terre.

Aujourd’hui, dans l’Esprit, donnons à Dieu la joie qui le comble au-delà de toute mesure, la seule joie qu’il espère de nous : sachons nous abandonner, dans la confiance, à son action créatrice.





7ème Dimanche de Pâques

Dimanche 12 Mai 2013

Ac 7,55-60; Ap 22,12-14.16-20; Jn 17, 20-26.

«  Nous croyons que le Sauveur des hommes est auprès de toi dans la gloire ; fais-nous croire qu’il est encore avec nous jusqu’à la fin des temps, comme il nous l’a promis ». La prière d’ouverture de la messe de ce dimanche nous donne le sens du temps liturgique dans lequel nous sommes. Nous attendons la venue glorieuse de notre Seigneur, monté auprès de son Père, l’Eglise ne demeure pas seule, elle n’est pas abandonnée. Chacun de ses membres sait qu’il peut compter sur la présence du Ressuscité en lui et à ses côtés grâce à l’action de son Esprit.

Dans l’évangile d’aujourd’hui, la prière de Jésus à son Père pour l’unité de ses disciples est un appel à l’Esprit Saint. C’est lui qui nous établit dans la communion du Père et du Fils puisqu’il est lui-même cet amour « communionnel » entre le Père et le Fils : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, dit Jésus à son Père, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi. Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu'ils soient un en nous, eux aussi... » Jean n’utilise à aucun moment le vocable « Esprit-Saint » mais il n’en demeure pas moins que c’est bien celui-ci qui est désigné lorsque Jésus parle de « la gloire » que le Père lui a donnée et qu’à son tour il donne aux hommes, afin qu’ils soient un comme lui et le Père sont un : « Ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire », c’est-à-dire qu’ils y participent eux aussi.

Jésus nous a donné part à la gloire qui est sienne en tant que Fils unique, pour que nous entrions avec lui dans cette communion avec le Père dans l’Esprit qui constitue le dynamisme même de la vie divine. Chaque croyant, est ainsi appelé à être intégré dans cette relation d’amour qui unit le Père et le Fils, par le lien particulier qui l’unit à Jésus dans l’Esprit : « L'Esprit et l'Épouse disent : ‘Viens !’ Celui qui entend, qu'il dise aussi : ‘Viens !’ Celui qui a soif, qu'il approche. Celui qui le désire, qu'il boive l'eau de la vie, gratuitement » (Cf. 2ème lecture).

Toute unité durable entre les hommes ne pourra se faire que dans le Fils, dans l'union avec lui par la vertu de l'Esprit Saint, amour subsistant du Père et du Fils, qui les rassemble dans l'unité. Le souci premier de l’Eglise doit donc être de demeurer sous l’onction de l’Esprit qui l’unit au Christ, car « hors de lui nous ne pouvons rien faire » (Jn 15, 5).

Notre communion, notre unité, est avant tout un don à recevoir de Dieu, un don qui trouve ses racines au cœur même de la Trinité. Mais Dieu n’agit pas sans nous. Et c’est ici, dans cette prière à la veille de sa passion que Jésus nous révèle la manière la plus éloquente de dépasser et de surmonter les facteurs de divisions en nous et entre nous : le don total de nous-mêmes au nom de l’Evangile. C’est ce que fit saint Etienne à la suite du Seigneur (Cf. 1ère lecture). A ce titre, les parallèles mis en relief par saint Luc dans son récit entre le martyre d’Etienne et la mort de Jésus sur la Croix sont saisissants.

Ne disons pas trop vite cela n’est pas pour nous. Car avant d’aller jusqu’au martyre, il y a déjà de nombreuses manières de donner sa vie pour Jésus. Durant ce temps de préparation à la Pentecôte, nous pouvons demander à l’Esprit Saint de nous éclairer sur ces mille et une façons de nous engager à la suite du Christ sur le chemin du don de nous-mêmes. Il en va de notre identité de chrétien. Il en va de l’authenticité du témoignage de l’Eglise. Il en va du salut de tous les hommes : « Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Cf. Evangile, v. 21).

Demandons, au Seigneur son Esprit. Qu’il nous rende participant de sa gloire. Transformés et illuminés nous pourrons alors porter au monde ce témoignage de paix et d’unité dont il a tant besoin.

Jeudi de l'Ascension

jeudi 9 mai

Ac 1,1-11; Ps 47(46),2-3.6-7.8-9; Hébreux 9,24-28.10,19-23; Luc 24,46-53.

En cette fête de l’Ascension, nous célébrons le moment où, comme nous le rappelle la première lecture, le Christ « fut enlevé au ciel après avoir, dans l'Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu'il avait choisis ». Il suffit de lire L’évangile pour retrouver ces recommandations : « Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui refusera de croire sera condamné. Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : en mon nom, ils chasseront les esprits mauvais ; ils parleront un langage nouveau ; ils prendront des serpents dans leurs mains, et, s'ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades s'en trouveront bien. »

Ainsi, après avoir donné aux Apôtres la grâce de l’intelligence des Ecritures et les avoir enseignés pendant quarante jours, sur le mystère de sa mort-résurrection, Jésus leur confie maintenant, dans le prolongement de sa propre mission à lui, de témoigner de la miséricorde du Père qui vient libérer, guérir et sauver.

Pour cela, il leur promet l’assistance de l’Esprit Saint qu’il leur enverra d’auprès du Père, une fois qu’il sera monté auprès de lui : « Vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit, qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. »

Grand prêtre victorieux, Jésus retourne vers le Père, comme nous l’enseigne l’épitre aux Hébreux «  le Christ n'est pas entré dans un sanctuaire construit par les hommes, qui ne peut être qu'une copie du sanctuaire véritable ; il est entré dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu. »(2eme lecture). Il est conduit à l’accomplissement de sa vie filiale. Désormais un des nôtres vit devant le Père. Par lui, avec lui et en lui, Jésus nous introduit au sein de la Trinité. Il a pu réaliser cela parce que tout en montant vers le Père il ne s’est pas éloigné de nous. En raison de l’unité qui existe entre lui, qui est notre tête, et nous, qui sommes son corps. Voilà comment nous sommes déjà avec lui auprès du Père même si cela n’est pas encore pleinement réalisé.

C'est ici que réside le secret de la transfiguration de notre quotidien. Notre mission de chrétien portera du fruit dans la mesure où nous ne nous couperons pas de notre Source : le Père des miséricordes auprès de qui nous demeurons si nous restons unis à son Fils bien-aimé notre Seigneur Jésus-Christ en accueillant l’Esprit Saint qu’il nous envoie.
Saint Paul nous enseigne dans la lettre aux Ephésiens que le seul moyen pour rejoindre Jésus, assis à la droite du Père, c’est de prendre le chemin de notre vie, conduits en tout par son Esprit : « Ayez beaucoup d'humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez à cœur de garder l'unité dans l'Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il n'y a qu'un seul Corps et un seul Esprit. Il n'y a qu'un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui règne au-dessus de tous, par tous, et en tous » (Ep 4, 2-6).

Par la foi, l’espérance et la charité reçues à notre baptême et que l’Esprit Saint vient fortifier, nous sommes unis au Christ, en lui nous reposons auprès du Père dans les cieux. Saint Augustin, dans une de ses homélies pour l’Ascension, le dit clairement : « Pourquoi ne travaillons-nous pas, nous aussi, sur la terre de telle sorte que par la foi, l’espérance, la charité, grâce auxquelles nous nous relions à lui, nous reposerions déjà maintenant avec lui, dans le ciel ? Lui, alors qu’il est là-bas, est aussi avec nous ; et nous, alors que nous sommes ici, sommes aussi avec lui. »

Mais saint Paul nous rappelle aussi que, si cette route sur laquelle l’Esprit nous conduit vers le Père s’accomplit dans l’amour, on ne peut y entrer que par le porche de l’humilité : « ayez beaucoup d'humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour » nous dit-il. Le disciple n’est pas au-dessus du maître. N’oublions pas qu’avant de monter vers le Père et d’être glorifié à sa droite, Jésus a d’abord emprunté le chemin de l’humilité et de l’amour jusqu’au don total de soi.
Demandons au Seigneur, qu’il augmente en nous le désir du ciel, et, pour pouvoir y parvenir, qu’il nous accorde la grâce de consentir à reprendre, chaque jour dans l’ordinaire de nos vies, le chemin d’humilité et d’amour qu’il a lui-même emprunté.

 

6ème Dimanche de Pâques

dimanche 5 mai 3013

Act 15,1-2.22-29 ; Ps 67(66),2b-3.5abd.7b-8; Ap 21,10-14.22-23; Jn 14,23-29.

« C'est la paix que je vous laisse, c'est ma paix que je vous donne ». Cette phrase de Jésus, nous la rappelons chaque jour en célébrant l’eucharistie, elle représente sans doute le sommet du mystère pascal. Le plus beau fruit de la résurrection est la capacité qui nous est donnée de vivre enfin dans la paix. Non pas dans la sérénité, ou la tranquillité, mais bel et bien dans la paix de Jésus-Christ. Cette paix est à ce point originale que Jésus doit nous sortir de nos raisonnements humains : « ce n'est pas à la manière du monde que je vous la donne », précise-t-il.

Pour l’esprit du monde, tout a un prix. Ce qui est gagné d’un côté est perdu de l’autre. Non seulement il n’y a jamais d’équilibre, mais encore nous sommes souvent perdants. Nous voyons Jésus qui nous donne sa paix, alors qu’il est sur le départ. Dans le contexte strict de l’évangile, nous sommes à la veille de sa mort, dans le contexte de notre liturgie du temps pascal, nous sommes à quelques jours de l’ascension. Jésus va nous être enlevé. Nous donne-t-il sa paix pour garder un lien avec lui, au-delà de la séparation ? Non. La paix que Jésus donne n’est pas un lot de consolation, elle est un mode de vie sous le regard du Père. « C'est la paix que je vous laisse, c'est ma paix que je vous donne ».

Cette perspective ouvre sur une pure merveille, dont la splendeur apparaît de surcroît quand elle annoncée la veille de la Passion. Avant même d’avoir livré sa dernière bataille, Jésus parle déjà en vainqueur. IL peut déjà partager le fruit de sa victoire, il peut déjà donner sa paix comme il la donnera aux disciples peureusement barricadés dans la chambre haute du cénacle, au lendemain de la Pâque. Oui, nous pouvons placer notre confiance en lui. Reconnaissons aussi que la paix de Dieu est liée à un contexte de combat très rude.

« Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés », nous dit Jésus. « Vous avez entendu ce que je vous ai dit : je m'en vais, et je reviens vers vous ». S’il insiste ainsi, c’est pour nous inviter à scruter plus profondément ses paroles. Il ne faudrait pas se focaliser sur le « je m’en vais » qui suscite la peur. Jésus dit : « Je m’en vais et je reviens vers vous ». Les deux verbes sont au présent. Ce n’est pas un « Je m’en vais maintenant mais je reviendrai bientôt », mais il dit « je m’en vais et je reviens ». Jésus décrit un seul et même mouvement. Flux et reflux. Absence et présence nouvelle. Il n’est plus visible mais il est davantage auprès de nous. Mieux encore, ce mouvement évoque celui qui unit les personnes de la Sainte Trinité. Le Père et le Fils, dans un élan éternel d’amour, se donnent l’un à l’autre dans l’Esprit Saint, sans rien retenir d’eux-mêmes. Or Jésus s’adresse à présent à ses disciples. Par sa victoire sur la mort et le péché, il nous rend participants de son amour. Nous n’avons rien à craindre car nous n’avons rien à perdre et tout à gagner. Nous sommes rendus capables d’aimer Dieu. Par Jésus-Christ, nous sommes devenus capables d’aimer comme Dieu. Comme Dieu lui-même nous aime.

Ainsi la merveille que nous découvrons peu à peu au fil des dimanches du temps pascal, est l’accomplissement du rêve de Dieu. Il avait toujours dit qu’il voulait vivre parmi les hommes. Dans l’Ancien Testament, les rois ont imaginé lui construire une maison digne de lui, un temple magnifique. Mais saint Jean, dont les yeux de la foi ont été ouverts au dessein divin, témoigne : « dans la cité, je n'ai pas vu de temple ». Le jour promis est arrivé, mais il ne se présente pas comme on l’imaginait. Il n’y a pas de temple ni de lumière terrestre. Le « temple, c'est le Seigneur », explique le livre de l’Apocalypse. Dieu se donne à contempler directement. Lui et l’Agneau font office de temple et de lumière. L’Agneau est la lumière du monde, qui éclaire toutes les nations. Ainsi Dieu ne veut-il pas habiter dans une maison au milieu des hommes, il veut vivre dans la paix en communion avec les hommes.

C’est pourquoi il nous fait le don de sa paix. C’est pourquoi il nous introduit dans sa communion d’amour. Ainsi, après la résurrection qui nous fait entrer dans sa paix, notre Dieu nous fait-il le don de son Esprit. Par lui, nous vivons en enfants de lumière dans le Christ. Par lui, Dieu le Père nous engendre à sa vie. Par lui, l’Église apparaît, sainte et immaculée, aux yeux de son créateur.

Ne nous y trompons pas : cette contemplation mystique dans laquelle saint Jean nous guide, n’a rien d’une réalité idyllique. Elle concerne notre quotidien dans ce qu’il a de plus concret. Les Actes des Apôtres, que nous avons entendus dans la première lecture, le montrent. La première communauté chrétienne, qui vit intensément de la grâce de la résurrection et de l’Esprit de Pentecôte, dispute des menus, de la circoncision, de l’accueil des païens dans l’Église. Dans ces questions bien incarnées, la voix des Apôtres, ces apôtres dont les noms sont inscrits sur les douze portes de la Jérusalem céleste, l’annonce fermement : « l’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé que… ». Ils nous enseignent ainsi que pour aimer Dieu, pour être fidèle à sa Parole, il faut se laisser guider par l’Esprit sur les chemins du monde. C’est ici et maintenant, au milieu de nous, au cœur de notre monde, que le Seigneur nous demande de construire son Royaume. La Cité sainte, resplendissante de la gloire de Dieu, est ici même car Dieu accomplit son projet de vivre au milieu de nous.

Laissons-nous donc renouveler, préparons-nous à cette grâce. Le Seigneur Jésus nous le promet : bientôt viendra sur nous « l'Esprit Saint que le Père enverra en son nom ». Par lui et en lui, nous resterons « fidèles à la parole du Christ », nous entendrons le Père et le Fils frapper à la porte de nos cœurs pour venir chez nous et demeurer auprès de nous, dans la paix du ressuscité. Débarrassés de toute crainte, accueillons le don de la paix et soyons dans la joie : « La terre a donné son fruit ; Dieu, notre Dieu, nous bénit. Que la terre tout entière l'adore ! ».



5 ème Dimanche de Pâques

Dimanche 28 avril 2013

Act 14,21b-27; Ps 145(144),8-13ab; Ap 21,1-5a ; Jn 13,31-35.

Le passage d’évangile a quelque chose de déconcertant, de provoquant même, qui devrait nous ébranler dans notre « bonne conscience chrétienne ». Jésus sait que son sort est décidé : Judas, un des Douze à qui il a donné toute sa confiance - qu’il a aimé plus que les autres en raison de sa faiblesse - Judas vient de sortir pour trahir son Maître ; pour le vendre comme un vulgaire objet évalué à trente pièces d’argent.

Paradoxalement – et c’est notre première surprise - Jésus déclare à ce moment précis : « Maintenant, le Fils de l’homme est glorifié ». Le « maintenant » ne peut porter que sur la trahison et sur tout ce qui s’en suivra : l’arrestation, les interrogatoires, la flagellation, la couronne d’épines, les humiliations de la soldatesque, le portement de croix, la crucifixion, la longue agonie et enfin la mort dans un grand cri.

Est-ce donc dans ces événements, où semblent triompher le mal, la haine, la violence, que le Christ est glorifié ? Qui donc voudrait participer à une telle gloire ? « et quel est donc ce Dieu qui réserve un tel sort à son Envoyé », Jésus a poursuivi en disant : « et Dieu est glorifié en lui ». Comment Dieu peut-il être glorifié en cet homme meurtri, humilié, anéanti ? Qu’est-ce que tout cela peut bien vouloir dire ?

S’il est paradoxal pour nous de parler de la glorification du Crucifié, c’est avant tout parce que la gloire de la Croix est trop éblouissante pour nos yeux de hiboux qui ne peuvent la saisir : nous ne percevons de la Passion que les ténèbres de l’horrible souffrance et de la déréliction du Fils de l’homme. Aussi, puisque nous n’avons pas d’autre lumière pour nous guider que la Parole, recueillons-la précieusement pour pénétrer dans ce mystère.

Après avoir affirmé qu’il serait glorifié par la Passion et que son Père serait glorifié en lui, Jésus poursuit en annonçant que Dieu va « bientôt » reprendre l’initiative et « donner en retour sa propre gloire à son Fils ». Autrement dit, après avoir reçu les honneurs de son Fils, le Père s’apprête à l’exalter à son tour. La réciprocité ne signifie pas pour autant que les dons soient les mêmes : c’est en tant que Fils que Jésus glorifie son Père par sa mort sur la croix ; c’est en tant que Père que Dieu exalte son Fils au matin de Pâques, lui conférant le Nom qui est au-dessus de tout nom. Or si la gloire de la croix demeure impénétrable, la gloire de la résurrection par contre fait sens pour nous : l’intronisation de Jésus ressuscité Roi de l’univers relève bien de la catégorie de la glorification, contrairement à l’humiliation de la croix. Le mystère de la glorification dans lequel nous essayons de pénétrer, pourrait donc être plus accessible par le versant du Père, c’est-à-dire celui de la résurrection.

Au matin de Pâques, le Père relève son Fils en lui donnant part à sa propre vie, ce qui correspond à l’action paternelle par excellence. Nous pouvons donc identifier la gloire de la résurrection à la vie divine qui prend sa Source dans le Père et que celui-ci répand en flots de lumière sur son Fils.

Force est de constater que si la gloire du Père n’a pas rencontré d’obstacle en se répandant sur le Fils, celui-ci par contre a dû vaincre une résistance inouïe pour faire refluer cette gloire vers le Père. Non pas que l’élan d’amour du Fils vers le Père se soit affadi, mais parce que le Fils s’est chargé des refus d’amour de toute l’humanité, passée, présente et à venir. Le drame de la Passion nous dit le combat victorieux du Fils sur toute la haine du monde, qui sévit depuis que le péché nous a asservis au démon.

L’amour du Fils pour le Père demeure intact, mais il a accepté que son humanité soit « plombée » par notre péché qui le cloue sur la croix après l’avoir écrasé sous le bois. Aussi le Père n’est-il pas glorifié par les supplices subis par son Fils, mais par la surabondance d’amour que celui-ci déploie pour nous sauver : nous arrachant à la puissance des ténèbres il nous emmène dans la demeure du Père afin que nous y soyons glorifiés en lui.

Cette longue méditation était sans doute indispensable pour accéder à l’intelligence de l’autre parole, tout aussi déconcertante de Jésus : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres ». Si Jésus s’adresse à ses apôtres comme à des enfants auxquels il commande de s’aimer les uns les autres, c’est donc qu’ils n’ont pas encore commencé à le faire, parce qu’ils en étaient jusque là incapables.

Et ce qui vaut pour eux vaut bien sûr aussi pour nous. Nous nous imaginons que nous savons aimer, alors qu’en réalité nous ne sommes capables de conjuguer ce verbe qu’à la première personne du singulier et dans le mode réflexif : « Je m’aime » - caricature narcissique du véritable amour, tant il est vrai que l’amour devrait tout au contraire nous sortir de nous-mêmes. Voilà pourquoi Jésus précise : « Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres », c’est-à-dire avec le même renoncement radical dont j’ai fait preuve tout au long de ma passion.

Peu à peu les choses s’éclairent. Nous aussi nous sommes appelés à la gloire ; à nous aussi le Père veut donner « sa propre gloire ». Si nous voulons participer à la gloire du Fils, il n’est d’autre chemin que celui sur lequel il nous précède : apprendre à nous servir des épreuves de la vie pour mourir à nos convoitises, à nos revendications égoïstes, à notre individualisme, à nos ressentiments, nos haines, nos colères, nos jalousies et nos rancœurs ; pour accueillir le germe de la vie véritable : l’Esprit Saint, qui seul est capable de nous apprendre à aimer en vérité. Comme le dit l’apôtre Paul, « il s’agit de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa Passion, en reproduisant en nous sa mort, dans l’espoir de parvenir, nous aussi, à ressusciter d’entre les morts » (Ph 3, 10-11).

Que la perspective de la croix ne nous effraye ni ne nous paralyse. Le Père ne prend pas plaisir à notre souffrance pas plus qu’à celle de son Fils ; mais il est glorifié par la patience avec laquelle nous la supportons, et par l’amour dont nous la transfigurons. Saint Paul l’affirme avec force : « J’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous » (Rm 8, 18). Soyons en bien convaincus : si nous persévérons dans la foi, l’espérance et la charité, « Dieu en retour nous donnera sa propre gloire, et il nous la donnera bientôt ».



4 ème Dimanche de Pâques

Dimanche 21 Avril

Ac 13,14.43-52; Ps 100(99),1.2.3.5; Ap 7,9.14b-17;  Jn 10,27-30.



La journée des vocations est mise sous le signe – pour ne pas dire sous la houlette – du « Bon Pasteur ». L’image est riche, elle évoque des résonances qui ne sont pas toujours en accord avec les conditions de vie concrètes des bergers à l’époque du Christ. Le troupeau en effet était exposé aux lions, aux loups, voire aux ours ; et si le « mercenaire » avait plutôt tendance à s’enfuir devant les dangers comme l’ecrit Jean « Le berger mercenaire, lui, n'est pas le pasteur, car les brebis ne lui appartiennent pas : s'il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s'enfuit ; le loup s'en empare et les disperse. » (cf. Jn 10, 12), le « Berger » digne de ce nom, était amené à exposer sa vie pour assurer la protection de son troupeau contre les prédateurs en tous genres.

De leur côté, les brebis avaient tout intérêt à demeurer proches du Pasteur, attentives au moindre son de sa voix, qui les prévenait des périls éventuels.
L’image du troupeau rassemblé autour du Bon Berger dans la docilité à ses commandements, est une image traditionnelle de l’Église, que l’on trouve déjà représentée dans les catacombes ; de nos jours elle est quelque peu tombée en désuétude - voire même franchement rejetée par la culture individualiste contemporaine.

Pourtant Jésus est clair : seules les brebis qui écoutent sa voix et accueillent sa Parole dans un cœur disponible et aimant, entrent dans son intimité – « je les connais » nous confie Jésus, seules celles qui le suivent docilement en mettant en œuvre ce qu’elles ont entendu, échappent aux dangers qui les menacent ; elles « ne périront pas » dans « la grande épreuve », mais après avoir « lavé leurs vêtements dans le sang de l’Agneau, elles se tiendront devant le trône de Dieu, le servant jour et nuit dans son temple » (2nd lect.) - ce qui signifie qu’elles vivront de sa propre vie : « l’Agneau qui se tient au milieu du trône sera leur Pasteur pour les conduire vers les eaux de la source de vie » (Ibid.).

A nous de choisir : la pseudo-liberté d’une autonomie qui n’est bien souvent qu’un prétexte pour céder aux désirs du vieil homme, conduisant à la mort spirituelle ; ou bien la véritable liberté acquise au prix des efforts patiemment consentis, avec l’aide de la grâce, sur le chemin de la vérité et de la vie, à la suite du « Bon Pasteur ».
Un tel discernement suppose que nous ayons pris conscience de notre aliénation spirituelle et de notre impuissance à entrer dans la vie par nos propres forces. Cette humble reconnaissance n’est certes pas facile : dès les premiers temps du christianisme, la radicalité du message n’a pas manqué de choquer, comme nous pouvons en avoir un écho dans la 1ère lecture.

Aujourd’hui comme hier, la proclamation du Christ comme Seigneur et Sauveur universels suscite des réactions scandalisées et soulève des accusations de fanatisme et d’intolérance.

Pourtant, seul celui qui a vaincu le Mauvais, peut nous libérer du mal ; seul celui qui s’est relevé d’entre les morts, a le pouvoir de nous en arracher pour nous donner part à sa vie filiale. De même qu’il vit par le Père auquel il est parfaitement uni dans l’Esprit, ainsi Jésus, Notre-Seigneur veut communiquer ce même Esprit de vie à ceux qui s’unissent à lui par une foi vivante et un amour sincère. Comment pourrions-nous « périr » dès lors que nous vivons de la vie de Dieu même ? Or c’est par la foi que nous sommes unis au Christ en un seul Corps, et en lui unis au Père dans un même amour.

Croire, c’est reposer dans la main du Père, qui n’est autre que celle de son Fils ; y reposer en sécurité, car « personne ne peut rien arracher de la main de Dieu ». A condition bien sûr qu’au milieu « de la grande épreuve », nous y demeurions fidèlement blottis. Cette « épreuve » - au singulier et qualifiée de « grande » - est la tentation d’apostasie, qui consiste à renier l’unique Berger, à lui tourner le dos ; parce qu’il nous fait honte, parce que nous nous sommes laissés séduire par de pseudo-Maîtres, ou tout simplement parce que nous avons laissé refroidir voire s’éteindre la flamme de l’amour qui nous unissait à lui.

La tentation est à ce point redoutable, que chaque jour nous supplions le Père : « Ne nous laisse pas succomber à la tentation » tentation d’apostasie soit, « mais délivre-nous du Malin » celui là même qui veut nous y entrainer.

Pierre nous met lui aussi en garde contre les manœuvres sournoises de l’ennemi qui s’attaque au cœur de notre vie spirituelle, de notre foi : « Soyez sobres, soyez vigilants : votre adversaire, le démon, comme un lion qui rugit, va et vient, à la recherche de sa proie. Résistez-lui avec la force de la foi » (1 P 5, 8-9). Saint Jean Chrysologue interprète dans le même sens la parole énigmatique de Jésus : « Soyez adroits comme les serpents » (Mt 10, 16). Il y entend une invitation à consentir - à l’image du serpent - à tout perdre, sauf notre tête, c'est-à-dire notre foi.De ce qui précède il apparait que le terme de « vocation chrétienne » - au sens premier et général - doit être compris comme l’appel à adhérer par la foi à la personne du Christ, et à travers lui au Père, dans un abandon confiant de tout notre être au Dieu qui nous libère de l’aliénation du péché par « le Sang de l’Agneau », et qui nous donne part à sa propre vie dans l’Esprit.

 

Notre réponse à cet appel consiste à consentir à l’action de la grâce : « L’œuvre de Dieu c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé » (Jn 6, 29). L’Esprit seul en effet peut nous introduire dans la foi, nous y garder et nous y faire grandir - dans la mesure de notre désir et de notre collaboration avec son action dans nos vies.

 

C’est ensuite dans le cœur à cœur établi avec le Christ dans la foi, que chacun peut entendre son appel personnel - sa « vocation particulière » - et trouver la force d’y répondre généreusement, dans la certitude que « le Dieu qui nous appelle est fidèle : lui-même accomplira tout ce qu’il nous demande » (cf. 1 Th 5, 24).



3 ème Dimanche de Pâques

dimanche 14 avril 2013

Ac 5,27b-32.40b-41; Ps 30(29),3-4.5-6ab.6cd.12.13; Ap 5,11-14;Jn 21,1-19.

En ce temps de pâques, c’est la figure du Christ ressuscité qui est mise devant nos yeux. Mais le thème auquel elle nous renvoie ce dimanche est celui de la mission : tant dans son contenu que dans les conditions qu’elle requière pour pouvoir porter du fruit.

La mission ne porte du fruit que dans la mesure où le Christ nous appelle. L’épisode de la pêche sans aucun résultat des apôtres autour de Pierre est emblématique. Leurs filets ne se rempliront que lorsque le Ressuscité les aura appelés et qu’eux, auront répondu à cet appel. Saint Jean nous le rappelle de manière très forte : « Jésus les appelle : « Les enfants, auriez-vous un peu de poisson ? » Ils lui répondent : « Non. » Il leur dit : « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. » Ils jetèrent donc le filet, et cette fois ils n'arrivaient pas à le ramener, tellement il y avait de poisson. »

Nos filets ne se rempliront que dans la mesure où nous les jetterons sur l’ordre du Seigneur. Et quel fruit cela portera-t-il ! 153 poissons, l’ensemble des espèces de poissons répertoriées à l’époque par les zoologistes grecs d’après Saint Jérôme, autrement dit la plénitude à ramener au Seigneur ressuscité. Nous avons ici, la réalisation anticipé, de l’objet du programme missionnaire de Matthieu : « Allez, de toutes les nations faites des disciples ! »

Après la Pentecôte, les Apôtres et les disciples commenceront à mettre en pratique la mission reçue de Jésus en prêchant la Bonne Nouvelle du Christ mort et ressuscité, remplissant Jérusalem de cette annonce, c’est du reste le reproche qui est fait aux apôtres dans la 1ere lecture du livre des Actes des Apôtres « Les Apôtres comparaissaient devant le Grand Conseil ; le grand prêtre les interrogea : « Nous vous avions formellement interdit d'enseigner le nom de cet homme-là, et voilà que vous remplissez Jérusalem de votre enseignement ».

La prédication constitue une première forme de mission que rien ne saurait éclipser. Les Apôtres n’ont pas eu peur de payer le prix, quel qu’il soit, pour accomplir leur mission. Dans la 1ere lecture Pierre et les apôtres répondent au grand conseil qui les accuse « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » peu importe si cela doit conduire les apôtres à être fouetté ou emprisonné.
Mais il existe une deuxième forme de mission : le culte rendu à Dieu, plus exactement : l’adoration envers le Seigneur, l’Agneau immolé, seul « digne de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et bénédiction » est-il écrit dans le livre de l’Apocalypse.

Nous touchons ici quelque chose du « lex orandi, lex credendi » : « La loi de la prière est la loi de la foi » comprenons « l’Eglise croit comme elle prie ». Autrement dit, nous célébrons dans la liturgie, ce que nous croyons et que nous sommes envoyés annoncer au monde. Ce que nous annonçons se nourrit de notre adoration et doit amener ceux qui nous écoutent à célébrer et adorer Celui-là même qui seul qui en est digne.

Adoration et prédication sont donc inséparables. Comme le Psaume nous invite à le chanter : notre cœur ne saurait se taire pour annoncer l’œuvre de salut que notre Dieu réalise en son Fils Jésus-Christ, notre cœur ne saurait cesser de rendre grâce pour ce don offert à tout homme : « Que mon cœur ne se taise pas, qu’il soit en fête pour toi ; et que sans fin Seigneur, mon Dieu, je te rende grâce ! » proclame le psalmiste.

Le lien entre adoration et prédication nous renvoie à celui qui existe entre Eucharistie et évangélisation. Dans l’évangile, Jésus sur le bord du lac, prend le pain et le donne à ses disciples, c’est une allusion claire à l’Eucharistie. La présence du poisson est aussi à considérer attentivement. Les Pères de l’Eglise tel St Augustin, y verront la figure du Christ : « Le poisson cuit, c’est le Christ qui a souffert et il est le pain qui est descendu du ciel. » Dans l’iconographie primitive, pains et poisson désignent le repas eucharistique.

L’Eucharistie est « la source et le sommet de toute évangélisation » déclare le concile Vatican II dans sa constitution sur la vie et le ministère des prêtres (PO, 5). L’Eucharistie est l’horizon et le but de toute la proclamation de l’Évangile du Christ.

Evangélisation pour l’Eucharistie, dans l’Eucharistie et à partir de l’Eucharistie : ce sont les trois aspects inséparables, de la manière dont l’Église vit le mystère du Christ mort et ressuscité pour notre salut et elle accomplit sa mission de le communiquer à tous les hommes.

Toute l’Église est appelée à un nouvel élan missionnaire, nouveau dans ses moyens comme dans ses expressions. L’adoration de l’Eucharistie est la contemplation, la reconnaissance de la présence réelle du Christ, Jésus vivant et présent, dans les espèces consacrées. C’est une véritable rencontre de dialogue par laquelle nous nous ouvrons à l’expérience de Dieu et nous accueillons toute grâce de miséricorde du Ressuscité dans nos vies. C’est là dans l’ordinaire de nos vies que nous sommes appelés à vivre en communion avec lui.

Dimanche de la Divine Miséricorde

Dimanche 7 avril 2013

Ac 5, 12-16; Ps 117; Ap 1,9a-11.12-13.17-19; Jn 20, 19-31.

En ce premier dimanche après Pâque, l'Eglise nous invite à tourner notre attention vers le mystère de la Divine Miséricorde, selon la demande de Jésus lui-même à Sainte Sœur Faustyna Kowalska : « Je désire qu'il y ait une fête de la Miséricorde. Je veux que cette image que tu peindras, soit solennellement bénie le premier dimanche après Pâques. Ce dimanche doit être la fête de la Miséricorde ».

Les textes de ce dimanche ne nous parlent pas directement de la Miséricorde. Comment faire le lien entre la miséricorde divine et la figure de Thomas qui doute de la résurrection du Seigneur et demande des preuves bien concrètes de celle-ci ? « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l'endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je n'y croirai pas » : Somme toute, une telle requête n’est-elle pas normale ? Serait-il bien raisonnable d’engager toute sa vie à la suite de ce prétendu ressuscité sans un minimum de garanties ?
Ce qui est touchant ici, c’est que Jésus va consentir à cette demande de Thomas. En invitant son Apôtre à avancer la main et à la mettre dans son côté, Jésus va bien lui donner une « preuve » tangible de sa résurrection. Mais en même temps, il lui intime de cesser d'être incrédule et de devenir croyant. Cette injonction n'aurait pas de sens s'il s'agissait seulement de « croire » en la résurrection, puisque celle-ci est maintenant pour Thomas de l'ordre de l'évidence sensible.

En fait, Jésus invite Thomas à dépasser une incrédulité qui ne concerne pas le fait de la résurrection mais son interprétation. C'est au niveau du sens à donner à l'événement de la résurrection du Seigneur que Thomas doit passer de l’incrédulité à la foi.

Les disciples lui avaient annoncé pleins de joie : « Nous avons vu le Seigneur ! ». Certes ils avaient bénéficié d'une apparition du Ressuscité ; mais chez saint Jean, le verbe « voir » ne désigne pas une vision sensible, mais la perception nouvelle qui s'ouvre au regard du croyant grâce à l’action de l'Esprit, comme le récit nous le suggère par le geste du Seigneur qui souffle sur eux en disant : « Recevez l'Esprit Saint ».

Ainsi, ce que les Apôtres ont « vu » de part l’œuvre de l’Esprit en eux, c’est le véritable sens de l’événement de la résurrection à savoir le triomphe de la miséricorde divine. Cela nous le percevons à travers les paroles de Jésus qui leur donne le pouvoir de pardonner, pouvoir qui révèle le sens rédempteur de sa Passion glorieuse. Ils sont invités à partager la grâce dont ils sont les premiers bénéficiaires. Et c’est bien ici qu’ils doivent entrer dans la foi car cette grâce demeure invisible : rien dans l’ordre sensible ne permet de vérifier le pardon des péchés.

Nous comprenons alors que l’acte de foi que Thomas est invité à poser est celui de croire que la miséricorde du Seigneur a triomphé de son péché. Le Ressuscité l’appelle à sortir d’une culpabilité mortifère pour accueillir la vie nouvelle de son Esprit : « La paix soit avec vous ». Comment ne pas réentendre ici ces paroles de Jésus à sainte Faustine : « L'humanité n'aura de paix que lorsqu'elle s'adressera avec confiance à la Divine Miséricorde » (Journal, p. 132), autrement dit lorsqu’elle croira que ma Miséricorde a triomphé de tout péché, de toute mort.  

Thomas n’était donc pas en quête d’une preuve de la résurrection. D’ailleurs, il n'est pas dit qu’il met sa main dans les plaies glorieuses de son Maître. En réalité, Thomas demandait un « signe » pour oser croire en la miséricorde. Et le Seigneur le lui donne en lui présentant ses plaies, et tout particulièrement son côté ouvert : « Cesse d'être incrédule, sois croyant ! »

Thomas peut alors accueillir la grâce et prononcer dans l'Esprit la plus belle confession de foi des évangiles : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». L’Esprit Saint lui a donné de reconnaître en Jésus, le Fils de Dieu, vainqueur du monde par l’effusion de sa miséricorde dans l’eau et le sang jaillis de son côté transpercé, ces deux faisceaux lumineux que Sainte Faustine a vu sortir du cœur ouvert de Jésus pour illuminer le monde.

Maintenant, Thomas aussi a « vu le Seigneur » et a confessé son Dieu. Il sait qu'il est réconcilié avec le Père et peut à son tour devenir héraut de ce pardon dont il est bénéficiaire. D’une certaine manière, on pourrait dire que Thomas fait la même expérience de la miséricorde divine que Pierre, lorsque le Ressuscité lui apparaît sur les bords du lac de Tibériade (Cf. Jn 21). C’est elle qui va désormais le suivre comme son ombre (Cf. 1ère lecture) et rejoindre tous ceux qu’il croisera pour les amener à « adhérer au Seigneur par la foi » (Cf. 1ère lecture).

En ce jour, où Jésus a promis à Sainte Faustine que ceux qui imploreraient sa Divine Miséricorde recevraient beaucoup de grâces, nous pouvons nous interroger : N’avons-nous pas besoin nous aussi du signe offert à Thomas à savoir le Cœur ouvert du Ressuscité ? En effet, quel sens donnons-nous à l'événement de la Pâque de notre Seigneur, à sa mort et à sa résurrection ? Osons-nous croire qu' « ensevelis dans la mort avec Jésus par le baptême, nous vivons nous aussi dans une vie nouvelle, celle du Christ ressuscité par la gloire du Père » ? (Rm 6, 4)

Ne nous est-il pas arrivé, devant notre péché, de nous enfermer dans la culpabilité ? Les plaies ouvertes de Jésus ne nous parlent-elles pas plus souvent de condamnation que de miséricorde ? La figure de Thomas et l’attitude de Jésus à son égard peuvent ici nous être d’un grand secours. Nous aussi avons besoin de « voir », de croire, que les plaies de Jésus, que l’eau et le sang jaillis de son côté, nous parlent de vie et non pas de mort.

En ce dimanche, contemplons comme Thomas ce Côté ouvert pour nous et écoutons Jésus nous dire : « En ce jour les entrailles de ma miséricorde sont ouvertes, je déverse tout un océan de grâces sur les âmes qui s'approcheront de la source de ma miséricorde; toute âme qui se confessera et communiera recevra le pardon complet de ses fautes et la remise de leur punition; en ce jour sont ouvertes toutes les sources divines par lesquelles s'écoulent les grâces; qu'aucune âme n'ait peur de s'approcher de moi, même si ses péchés sont comme de l'écarlate. »

A cette Miséricorde, nous voulons nous abandonner avec confiance. Elle seule pourra triompher de nos doutes. Sainte Faustine aimait redire cette prière : « Jésus, j’ai confiance en toi ». C’est à Jésus ressuscité qu’elle se livrait ainsi, celui qui dans le livre de l’Apocalypse nous dit : « Sois sans crainte. Je suis le Premier et le Dernier, je suis le Vivant : j’étais mort mais me voici vivant pour les siècles des siècles » (Cf. 2ème lecture).

Dimanche de Pâques

Dimanche 31 mars.

Ac 10,34.37-43; Ps 117; Col 3,1-4, Jn 20,1-9.

Le premier jour de la semaine, de grand matin, les femmes qui avaient accompagné Jésus depuis la Galilée, se rendent au sépulcre pour embaumer le Corps de leur Maître. Une surprise de taille les attend : la dépouille mortelle du Seigneur a disparu du tombeau, de plus, la pierre est roulée sur le côté ! Leur désarroi est total.

Brusquement, alors que tout est encore ténèbres autour d’elles et que tout est encore ténèbres dans leur cœur aussi, deux messagers divins au vêtement éblouissant se présentent à elles, chargés d’orienter leur recherche : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » S’Il est vivant, alors il est clair qu’« Il n’est pas ici » : les vivants n’habitent pas les tombeaux.

Mais comment peut-Il être vivant, Lui dont la dépouille mortelle a bel et bien été déposée dans ce sépulcre ? La réponse résonne comme un coup de trompette : « "Il est ressuscité" comme Il l’avait annoncé ; ne vous avait-Il pas prévenu par trois fois : "Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’Il soit crucifié et que, le troisième jour, Il ressuscite" ? »

Aujourd’hui encore, cette Parole de Jésus qui doit orienter notre quête ; c’est elle qui nous fait pressentir que l’absence apparente du Seigneur, annonce un autre mode de présence, qu’il s’agit de discerner à la lumière de la foi.

Mission accomplie, les anges disparaissent. Mues par une folle espérance, « Marie Madeleine, Jeanne et Marie mère de Jacques ainsi que les autres femmes qui les accompagnaient » courent partager leur expérience bouleversante, dont à vrai dire, elles ne mesurent pas encore la portée. Mais les Apôtres ne prêtent guère crédit à leurs propos qui leur semblent délirant, incohérent, ils les mettent sur le compte de la difficulté de ces femmes à faire leur deuil, le deuil de leur espérance.

Pierre cependant est bouleversé par leur récit ; il veut en avoir le cœur net et court au tombeau, où il ne découvre que le linceul. Le corps a donc effectivement disparu. Bouleversé, Pierre ne rejoint pas ses compagnons, mais il « retourne chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé ». Il n’a pas encore la foi, mais lui aussi se met en chemin : il rentre à l’intérieur de lui-même pour faire à son tour l’exercice de relecture des faits que les Anges ont demandé aux femmes. Il se prépare ainsi à la rencontre avec le Ressuscité (Lc 24, 34), qui sera le fondement de la foi de l’Eglise.

Tel fut le chemin des femmes, des apôtres, et de toutes les générations de croyants tout au long de l’histoire ; tel est aussi le chemin que nous prenons à notre tour.

Oui le Christ est ressuscité : Il est vivant ici maintenant, au milieu de nous. Puisse-t-Il nous renouveler dans notre foi, dans notre espérance et notre charité, afin de pouvoir discerner les signes de sa présence dans notre vie quotidienne. Nous pourrons alors être témoin par toute notre vie de la Bonne Nouvelle : Christ est ressuscité, Il est vraiment ressuscité, alléluia !

 

Vendredi Saint

Vendredi 29 mars 2013.

Is 52,13-53,12; Ps 30; He 4,14-16; 5,7-9; Jn 18,1-19,42.

 

Peut-être se trouve t-il parmi vous quelques cinéphiles, qui connaissent le personnage d’Indiana JONES. Dans le film « à la recherche du Graal », notre héros doit résoudre des énigmes, seule la résolution de l’énigme, lui permet d’avancer plus loin dans sa quête du Graal.

Voilà notre héros dans une caverne, il doit se rendre de l’autre coté, sur l’autre rive de la caverne, pour avoir accès au graal. Le problème c’est qu’entre les deux rives il y a un précipice abyssal, et qu’au moindre faux pas, notre héros termine son aventure tragiquement dans le précipice. L’énigme qu’il doit résoudre à ce moment là, indique simplement « le saut de la foi ». Notre héros a le dos collé à une paroi de la caverne, le moindre faux pas entrainerait sa chute, après maintes hésitations, il rassemble toutes ses forces et se décide enfin à faire un pas, le pas, en direction du précipice. C‘est seulement à ce moment là, qu’apparait sous ses pieds un pont de pierre, pont jusque là invisible, il lui permettra de traverser le précipice avec une relative sécurité, pour entrer enfin dans la caverne ou se trouve le Graal, objet de toute sa recherche. Il lui fallait faire ce pas décisif, ce pas dans la foi, c’est-à-dire dans la confiance, pour trouver le pont qui relie les 2 rives, et lui permet de traverser le précipice.

Nous sommes parfois, dans la vie, dans la situation de notre héros le professeur Jones. Nous sommes confrontés à une difficulté, un problème auquel il faut faire face et qu’il nous faut résoudre, il nous faut avancer, faire un pas, pas toujours simple à faire ce pas là. Parfois on a peur de le faire, on ne sait où il nous conduira, on ne sait ce qui nous attend, si on prend tel chemin plutôt que tel autre, telle décision plutôt que telle autre, et si on se trompait ? Et notre esprit nous torture, au point de nous faire douter, au point que parfois on ne sait pas ce qu’il faut faire ! On n’est pas tranquille, on s’interroge, on se torture intérieurement : Et si ? ET si ? Et, comme cela, on n’avance pas !

Faire un pas en avant, surtout dans des situations graves, difficiles, ou lourds, c’est engager notre liberté. C’est engager notre confiance. A quel prix ?

Une phrase me frappe souvent dans le 2nde prière Eucharistique « au moment d’être livré et d’entrer librement dans sa Passion, Jésus prit du pain… ». Jésus est « entré librement dans sa Passion ».

Combien de fois, dans l’Evangile, a-t-il annoncé sa mort aux disciples ? Lui, le Verbe, qui connaissait la Parole, celle des prophètes notamment, savait que son chemin avait été annoncé par Isaïe, 7 siècles auparavant. Et la Vierge Marie aussi le savait.

Inutile de dire à quel point les croyants juifs, qui étaient pétri de l’Ecriture dans leur foi, ont su reconnaitre, après coup, Jésus dans la description, qu’en avait fait le prophète Isaïe bien avant l’heure : « Il était méprisé, abandonné de tous, homme de douleurs, familier de la souffrance, semblable au lépreux dont on se détourne ; et nous l'avons méprisé, compté pour rien. Maltraité, il s'humilie, il n'ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l'abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n'ouvre pas la bouche. Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. »

Malgré l’annonce effrayante d’Isaïe, que Jésus connaissait, et qu’il devait réaliser, Jésus est « entré librement dans sa Passion ». Ce n’est pas pour autant qu’il n’a pas connu la peur et l’angoisse. Dans l’évangile de Jean Jésus avoue « Maintenant je suis bouleversé. Que puis-je dire ? Dirai-je : Père, délivre-moi de cette heure ? - Mais non ! C'est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! »Luc nous partage un autre élément qui peut nous aider à comprendre à quelle horreur Jésus a été confronté : « Alors, du ciel, lui apparut un ange qui le réconfortait. Dans l'angoisse, Jésus priait avec plus d'insistance ; et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient jusqu'à terre. »

Malgré cela Jésus est « entré librement dans sa Passion » et il nous confie : « C'est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! ». L’heure de la mort de Jésus, c’est l’heure du plein accomplissement de sa mission, le plein accomplissement ou la pleine révélation du mystère de Jésus. Le centurion romain le reconnait « vraiment celui-ci était fils de Dieu ».

Mais ce que Jésus veut, c’est faire la volonté de son Père, lui rester fidèle jusqu’au bout. Ce qu’il veut c’est la délivrance de l’homme des chaines de la mort et du péché, pour accomplir cela, il se remet totalement, entièrement entre les mains de son Père, dans la confiance et l’abandon « Père, l'heure est venue. Glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie. »

Jésus se donnant à son Père, corps et âme, si vous me permettez l’expression, se reçoit de son Père : « Père, glorifie ton fils ! » A quoi le Père répond : « Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore. »

Dans l’échec apparent de la croix, Jésus apparait dans sa gloire, une gloire difficile à reconnaitre dans cet homme de douleur, et sa victoire ne se laisse pas encore deviner. On peut imaginer la jubilation que le diable a connu à se moment là, en voyant Jésus crucifié, Luc écrit, dans l’épisode de la tentation au désert : « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le démon s'éloigna de Jésus jusqu'au moment fixé. » Saint Jean écrira plus tard, dans sa 1ere lettre « C'est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu est apparu. »Même lui, le diable, est désormais vaincu à tout jamais. Il n’a plus aucun pouvoir sur nous, parce que le Christ nous a délivrés de son influence néfaste, de son influence de mort.

La véritable victoire elle va au delà de la mort, cette victoire Jésus nous l’a obtenue, il nous l’a offert, dans cette mort qu’il a vaincu pour nous : « vous savez que lui, Jésus, est apparu pour enlever les péchés, »confesse Jean. Jésus est venu nous réconcilier avec Dieu sur le bois de la croix. Tout comme l’arbre du jardin d’éden est devenu jadis, signe de mort en permettant la désobéissance d’Adam et Eve, voilà que l’arbre de la croix est devenu désormais l’arbre de vie, sur lequel Jésus à accompli parfaitement l’obéissance à son Père. Une obéissance qu’il a accompli jusqu’au bout, totalement, parfaitement.

Paul nous livre une magnifique méditation dans la première épître aux Corinthiens, il médite sur la croix, sur la sagesse du monde, qu’il appelle folie et l’oppose à la vraie sagesse, celle qui vient de Dieu : «  le langage de la croix est folie pour ceux qui vont vers leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu. L'Écriture dit en effet : La sagesse des sages, je la mènerai à sa perte, et je rejetterai l'intelligence des intelligents. Que reste-t-il donc des sages ? Que reste-t-il des scribes ou des raisonneurs d'ici-bas ? La sagesse du monde, Dieu ne l'a-t-il pas rendue folle ? Puisque le monde, avec toute sa sagesse, n'a pas su reconnaître Dieu à travers les œuvres de la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par cette folie qu'est la proclamation de l'Évangile. (…), ce qu'il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion les sages ; ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d'origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n'est rien, voilà ce que Dieu a choisi pour détruire ce qui est quelque chose, avant de conclure, afin que personne ne puisse s'enorgueillir devant Dieu. Ainsi, comme il est écrit : Celui qui veut s'enorgueillir, qu'il mette son orgueil dans le Seigneur. » (1 Co 1,18svt)

Voilà que la Passion de Jésus, sa mort, est le prix que le Christ à payer pour nous, à une incidence directe et pour la façon de concevoir notre vie et notre vie de foi. Nous avons parfois du mal à le réaliser, mais dans la souffrance de Jésus, dans sa mort et sa résurrection, nous avons la pleine délivrance de nos péchés et de la mort, sous toute ses formes, c’est ce que Pierre enseigne aux premiers chrétiens : «  Vous le savez : ce qui vous a libérés de la vie sans but que vous meniez à la suite de vos pères, ce n'est pas l'or et l'argent, car ils seront détruits ; c'est le sang précieux du Christ, l'Agneau sans défaut et sans tache. Dieu l'avait choisi dès avant la création du monde, et il l'a manifesté à cause de vous, en ces temps qui sont les derniers. » (1Pi 1,18-20)

Paul lui aussi nous invite, comme il invitait jadis, les Ephésiens à prendre la pleine mesure du sacrifice de Jésus : « Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l'amour, comme le Christ nous a aimés et s'est livré pour nous en offrant à Dieu le sacrifice qui pouvait lui plaire. (…) maintenant, dans le Seigneur, vous êtes devenus lumière ; vivez comme des fils de la lumière - or la lumière produit tout ce qui est bonté, justice et vérité - et sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur. » (Ep5)

Dimanche de la fête des rameaux

Dimanche 24 mars 2013.

Isaïe 50,4-7; Psaume 22; Philippiens 2,6-11; Luc 22,14-71.23,1-56.

Nous voici au terme du Carême : nous entrons dans la Semaine Sainte, elle nous conduira, à travers les ténèbres de la Passion, jusqu’à la pleine lumière de la Résurrection. Ces prochains jours, nous sommes invités à suivre Jésus, il va accomplir, seul, le grand passage, ouvrant pour nous une brèche dans le mur de la mort qui nous sépare de Dieu.

Le récit de la Passion selon Luc nous présente Jésus serein au milieu de l’incompréhension de ses proches et de la haine meurtrière de ses ennemis. Ses dernières paroles : « Père, entre tes mains je remets mon esprit », résument à elles seules, son attitude d’abandon filial durant toute sa vie terrestre.

Tout comme les témoins de la crucifixion, nous ne voyons sur le Golgotha qu’un homme broyé par la souffrance, en prise avec une agonie qui le conduit vers une mort accueillie comme une délivrance. Mais si nous nous laissons éclairer par l’Esprit et par la Parole, nous découvrons au contraire le Verbe engagé par amour pour nous, dans le combat suprême contre le Prince des ténèbres, dont il triomphe en acceptant de se laisser engloutir par lui.

Pressentant le mystère de cette mort paisible au milieu de tant de haine, nous rendons gloire à Dieu, confessant avec le centurion romain : « Sûrement, cet homme, était un juste ! »

Bien plus, tombant à genoux, l’Eglise adore l’Agneau sans tâche qui « présente son dos à ceux qui le frappent, et ses joues à ceux qui lui arrachent la barbe ; qui ne protège pas son visage des outrages et des crachats » (1ère lect.), afin de pouvoir intercéder pour ses bourreaux : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font ».

Tout cela Jésus l’a accompli dans l’incompréhension la plus totale, de ses proches, soutenu par la seule certitude « qu’il ne serait pas confondu » car « le Seigneur Dieu vient à son secours » (1ère lect.)

Ne décevant pas son espérance, le Père l’a « réveillé au matin » du troisième jour, et « l’a élevé au-dessus de tout ». Désormais, Il exerce, son pouvoir royal depuis le trône de gloire : la Croix sur laquelle il a voulu se laisser introniser pour le salut du monde : « Amen, je te le déclare, aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ».

Au moment où Jésus lance son cri de victoire, les cieux s’ouvrent, le rideau du temple - symbolisant le voile tendu entre ciel et terre après le péché des hommes - « se déchire par le milieu ». L’histoire bascule, les temps sont accomplis, un monde nouveau s’apprête à surgir, « déjà brillent les lumières du grand sabbat de Dieu » qui ne finira pas.
Comme le larron, condamné à juste titre pour ses fautes, nous aussi, conscients de nos nombreux péchés, nous tournons nos regards vers Jésus en le suppliant : « Souviens-toi de nous quand tu viendras inaugurer ton règne »

Saisi de compassion, le Seigneur nous rassure : « Pour vous qui avez tenu bon avec moi dans mes épreuves, je dispose du royaume, comme mon Père en a disposé pour moi. Ainsi vous mangerez et boirez à ma table dans mon royaume, et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël ».

Ce banquet royal, nous l’anticipons dans chaque Eucharistie ; le Seigneur a voulu laisser le mémorial de sa Passion victorieuse avant de l’accomplir, de manière à ce que tout au long de notre route nous puissions disposer du viatique de son Corps et de son Sang.

Quant à « siéger sur des trônes pour juger », cela sera réservé à ceux qui auront choisi la place de serviteur, à l’image de celui qui se tient « au milieu de nous comme celui qui sert », « s’abaissant lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix » (2ème lect.)

Certes, nous ne sommes pas tous appelés à vivre la crucifixion dans notre corps ; mais nous n’échapperons pas à l’exigence de crucifier notre volonté propre, à l’exemple de Jésus au Jardin de Gethsémani : « Père, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne ».

Le disciple n’est pas au-dessus de son Maître ; nous devons nous attendre à ce que le démon s’acharne aussi sur nous comme il s’est acharné sur Jésus : « Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme du froment. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne sombre pas ».

Luc nous présente la Passion comme le dernier acte du combat décisif entre Jésus et le Prince de ce monde ; combat initié au désert (Lc 4, 1-13), mais en attente de son dénouement : « Le diable s’écarta de lui jusqu’au moment fixé » nous disait-il alors (Lc 4, 13).

Dans cet affrontement final, le Démon se sert aussi bien des amis du Seigneur que de ses ennemis pour tenter une dernière fois de lui faire renoncer au chemin de l’humble offrande de soi, et pour l’inciter à manifester sa toute-puissance par un signe éclatant.

Mais Jésus ne cède pas, reprenant Pierre qui veut le défendre par l’épée ; refusant d’accomplir un miracle spectaculaire devant Hérode ; résistant à la provocation « des chefs qui ricanent en disant : “Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même s’il est le Messie de Dieu, l’Elu !” » Même les soldats sont sollicités par le diable pour l’éprouver : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » Comble d’acharnement : « l’un des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait : “N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même, et nous avec !” »

Un seul semble avoir compris que c’est en allant jusqu’au bout du consentement à la sentence injuste, que cet Innocent triompherait et recevrait tout pouvoir pour juger les vivants et les morts : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne ».

Que celui que la tradition a baptisé « saint Dismas, le bon larron » nous aide à puiser dans la contemplation de la douceur et de l’humilité de l’Agneau, la force de renoncer à notre volonté propre et de nous abandonner à la toute-puissance de Dieu : « Père, entre tes mains je remets mon esprit »

cinquième dimanche de carême

Dimanche 17 mars

Isaïe 43,16-21; Psaume 126(125),1-2ab.2cd-3.4-5.6.; Philippiens 3,8-14; Jean 8,1-11.

L’évangile nous place déjà dans le contexte de la Passion : « Jésus s'était rendu au mont des Oliviers », souligne Jean. Or les évangélistes ne parlent du Mont des Oliviers que dans les derniers jours de la vie publique de Jésus. De plus, le désir des Pharisiens de prendre Jésus au piège signifie que son procès se profile déjà à l'horizon :«ils  parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve, afin de pouvoir l'accuser. » nous dit Jean.

Soyons attentifs aux détails de ce texte : au début de la scène, Jésus est en position d'enseignant«Comme tout le peuple venait à lui, il s'assit et se mit à enseigner », mais voici que par la question des scribes et des Pharisiens, Jésus est placé en position de juge : de tous les protagonistes, il est le seul assis. Le thème du jugement, chez Saint Jean, est suffisament important pour qu'on ne s'étonne pas de cette insistance. La scène de la femme adultère est l’application de la phrase qu'on retrouve au tout début de ce même évangile :« Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. »(Jn 3, 17).

Dans ce simulacre de procès, les choses sont apparemment simples : la femme adultère a été prise en flagrant délit, il y a des témoins ; la Loi de Moïse condamnait l'adultère, cela faisait partie des commandements de Dieu « Tu ne commettras pas d'adultère »(Ex 20, 14 ; Dt 5, 18) ; le Livre du Lévitique prévoyait la peine capitale : « Quand un homme commet l'adultère avec la femme de son prochain, ils seront mis à mort, l'homme adultère aussi bien que la femme adultère. » (Lv 20, 10). Les scribes et les Pharisiens qui viennent trouver Jésus sont très attachés au respect de la Loi de Moïse : on ne peut pas le leur reprocher ! Ils oublient seulement de dire que la Loi prévoyait la peine capitale pour les deux complices, aussi bien l'homme que la femme adultère ; tout le monde le sait, mais personne n'en parle, autrement dit : la vraie question posée par les Pharisiens ne porte pas sur l'observance exacte de la Loi ; leur question est ailleurs, le texte nous le dit très bien :« Dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en dis-tu ? Ils parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve, afin de pouvoir l'accuser. »

Où est le piège tendu à Jésus ? De quoi espérait-on l'accuser ? On se doute bien qu'il n'approuve pas la lapidation, ce serait contredire toute sa prédication sur la miséricorde ; mais s'il ose publiquement plaider pour la libération de la femme adultère, on pourra l'accuser de pousser le peuple à désobéir à la Loi. Dans le même évangile de Jean (au chapitre 5), on l'a déjà vu donner au paralytique guéri l'ordre de porter son grabat, le jour du sabbat, ce qui est un acte interdit le jour du sabbat. Ce jour-là, on n'a rien pu contre lui, mais cette fois-ci, l'incitation à la désobéissance va être publique. En vérité, malgré l'apparent respect de l'apostrophe « Maître, qu'en dis-tu ? » Jésus n'est pas en meilleure posture que la femme adultère : les deux sont en danger de mort.

Jésus ne répond pas, pas tout de suite : « Jésus s'était baissé, et, du doigt, il traçait des traits sur le sol. » Ce silence est certainement destiné à laisser à chacun le soin de répondre : très respectueux, Jésus n'humilie personne ; lui qui incarne la miséricorde, ne cherche pas à mettre qui que ce soit dans l'embarras, pas plus les scribes et les Pharisiens que la femme adultère ! Aux uns comme aux autres, il veut faire faire un bout de chemin. Son silence est constructif : il va faire découvrir aux Pharisiens et aux scribes le vrai visage du Dieu de miséricorde
Quand il se décide à répondre, sa réponse ressemble plutôt à une question : « Que celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter la pierre. » Sur cette réponse, ils s'en vont, « l'un après l'autre, en commençant par les plus âgés ». Rien d'étonnant à cela : les plus anciens sont les plus prêts à entendre l'appel à la miséricorde. Tant de fois, ils ont expérimenté pour eux-mêmes la miséricorde de Dieu... Tant de fois, ils ont lu, chanté, médité , que se soit dans le livre de l’Exode : « Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère et plein d'amour » (Ex 34, 6), ou en chantant le psaume 50/51 « Pitié pour moi, SEIGNEUR, en ta bonté, dans ta grande miséricorde efface mon péché »...

Ils viennent de comprendre que leur manquement à la miséricorde était en soi une faute, une infidélité au Dieu de miséricorde. La Loi ne serait-elle pas devenue leur idole ? Peut-être que l’attitude de Jésus leur a suggéré une réflexion : « Celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter la pierre. » Etre « le premier à jeter la pierre » était une expression connue de tous, dans le contexte de la lutte contre l'idolâtrie. La Loi ne disait pas que c'était le témoin de l'adultère qui devait lancer la première pierre ; mais elle le disait expressément pour le cas d'idolâtrie (Dt 13, 9-10 ; Dt 17, 7). Si bien que la réponse de Jésus pourrait se traduire : « Cette femme est coupable d'adultère, au premier sens du terme, soit, c'est entendu ; mais vous, n'êtes-vous pas en train de commettre un adultère autrement plus grave, c'est-à-dire une infidélité au Dieu de l'Alliance ? » les prophètes de l’Ancien Testament ont souvent parlé de l'idolâtrie en termes d'adultère.

Aux Pharisiens et aux scribes qui voulaient sincèrement être les fils du Très-Haut, Jésus leur dit « Ne vous trompez pas de Dieu, soyez miséricordieux ». Jésus, le Verbe, vient d'accomplir parmi eux sa mission de Révélation.

Seuls, Jésus et la femme restent : c'est le face à face, comme le dit Saint Augustin, de la misère et de la miséricorde. Pour elle, le Verbe va là encore, accomplir sa mission, dire la parole de Réconciliation. Isaïe parlant du serviteur souffrant l'avait annoncé : « Il ne brisera pas le roseau ployé, il n'éteindra pas la mèche qui s'étiole... » (Is 42, 3). Ce n'est pas ici du laxisme : Jésus dit bien « ne pèche plus », tout n'est pas permis, tout n’est pas autorisé, tout n’est pas bon, le péché reste condamné... mais seul le pardon peut permettre au pécheur d'aller plus loin.

A l’exemple de la femme adultère, acceptons-nous la miséricorde de Dieu ? Ou préférons nous rester dans notre misère, celle de notre péché ?



Quatrième dimanche de carême

Dimanche 10 mars

Josué 5,10-12; Ps 33(34); 2 Co 5,17-21; Luc 15,1-3.11-32.





En ce quatrième dimanche de carême, nous célébrons le « dimanche de la joie ». A l’exemple du psalmiste, la liturgie nous invite à bénir, magnifier, exalter le nom du Seigneur : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres. Je me glorifierai dans le Seigneur : que les pauvres m'entendent et soient en fête ! Magnifiez avec moi le Seigneur, exaltons tous ensemble son nom. » (Ps 33)

Quel est donc le motif de cette joie ? La réponse nous est donnée à travers les autres lectures de la liturgie de la Parole.

Commençons par l’évangile. La figure du Fils prodigue est emblématique de la condition humaine pécheresse qui a besoin de réconciliation. Dans cette parabole bien connue de Luc, nous est révélée la miséricorde infinie du Père pour chacun de ses enfants, y compris et surtout, pour ceux qui se sont le plus éloignés de lui. Dans ce récit, nous contemplons notre réconciliation avec le Père, dans les bras de qui nous pouvons nous blottir à nouveau pour naître à la vie.

Joie, joie des retrouvailles célébrées au cours d’un festin où l’on tue le veau gras. Joie d’une relation d’alliance restaurée, signifiée par le passage de l’anneau au doigt. Joie de la recréation de tout notre être par la Miséricorde divine, exprimée par la tunique blanche dont le père revêt son fils. Tout cela notre Père du ciel l’a réalisé pour nous en son Fils Jésus-Christ, mort et ressuscité pour nous : « il nous a réconciliés avec lui par le Christ. » (2 Co 5, 18) Désormais, comme nous le rappelle Paul dans la deuxième lecture, nous sommes des créatures nouvelles, « le monde ancien s'en est allé, un monde nouveau est déjà né. » (2 Co 5, 17).

Joie de l’’entrée en Terre Promise, à la suite de Josué, il avait déjà donné la certitude au peuple d’Israël que Dieu tenait toujours ses promesses (Cf. Jos 5, 10-12). Dans sa Miséricorde, Dieu s’était montré fidèle à son Alliance au-delà de toutes les infidélités de ses enfants durant les quarante années qu’ils avaient passé dans le désert. Entré dans « le pays où coulent le lait et le miel », après avoir traversé le Jourdain, le peuple a pu célébrer dans la joie, la Pâque du Seigneur. Cette Pâque n’était que la préfiguration de celle accomplie définitivement dans la mort et la résurrection de Jésus-Christ. La joie éprouvée par le peuple d’Israël à cette occasion n’était que l’annonce de celle du matin de Pâque après le triomphe du Christ sur la mort et du péché. Dieu a tenu ses promesses. Dans la joie, nous pouvons célébrer la fidélité de notre Père qui culmine dans le don de sa miséricorde en son Fils bien-aimé.

Nous nous savons sauvés par le Christ, réconciliés avec le Père, restaurés avec lui dans une relation de filiation que le péché était venu altérer. Par sa Parole de réconciliation, prononcée en son Verbe, le Père est venu redonner à notre humanité blessée la beauté du premier matin. Tout cela est absolument gratuit, pur don, et reflète l’être même du Père qui n’existe qu’en se donnant.

La victoire du Christ sur la mort et le péché n’est pas encore pleinement manifestée. Mais, dans la foi, nous avons la certitude que dans la mort et la résurrection de son Fils, « Dieu […] réconciliait le monde avec lui », et qu’« il effaçait pour tous les hommes le compte de leurs péchés. » (Cf. 2 Co 5, 19) Nourris de cette foi, nous marchons dans la joyeuse espérance de pouvoir un jour, à notre tour, ressusciter en Christ et d’être réunis pour le festin définitif dans le royaume du Père.

Toutefois, la miséricorde divine ne se montre efficace dans nos vies que dans la mesure où nous la laissons opérer. C’est notre manière de coopérer à notre salut : consentir à l’œuvre de réconciliation divine en nous, ce qui signifie avant toute chose reconnaître notre besoin de miséricorde. Notre Père du ciel le sait bien, lui qui par la bouche de son apôtre, nous adresse cet appel pressant : « Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu. » (2 Co 5, 20) Le carême est sans aucun doute un temps privilégié pour retrouver le chemin du sacrement de pénitence et expérimenter la joie d’être pardonné.

Libre à nous d’entrer dans cette joie, ou pas .

Troisième dimanche de carême

Dimanche 3 mars

Troisième dimanche de carême : Exode 3,1-8.10.13-15; Ps (102) 103; 1 Corinthiens 10, 1-6.10-12; Lc 13,1-9.

La 1ere lecture nous présente l’expérience déconcertante de Moïse au désert.
Moïse a du fuir son pays d’adoption, l’Egypte. Voyant un fils d’Israël, c'est-à-dire un frère de sang, battu par un Egyptien, il a tué ce dernier. Mais comme son forfait est découvert, il doit fuir pour sauver sa vie. Arrivé en terre de Moab, il prend la défense des filles de Jéthro, manifestant à nouveau son ardeur pour la justice.
Pourtant, sa vie est en échec : Moïse, fils adoptif de pharaon, élevé à la cour de pharaon, appelé aux plus hautes destinées, se trouve à paître le troupeau d’un prêtre idolâtre de Madian dans le désert du Sinaï.

C’est à ce moment, qu’il fait l’expérience déconcertante du Buisson Ardent, un buisson d’épine qui est en feu, mais qui ne se consume pas, parce qu’il ne brûle pas du feu de la violence, d’une justice toute humaine, mais du feu de l’amour divin.

Du cœur de la flamme, Dieu s’adresse à lui pour lui révéler son Nom : « Je suis celui qui était avec tes pères, Abraham, Isaac et Jacob ; je suis avec toi, et je serai toujours au milieu de mon peuple, ce peuple que je veux délivrer de l’oppression qu’il subit en Egypte ».

Ce n’est pas en rendant la violence pour la violence, comme il l’avait fait jusqu’alors, que Moïse est un défenseur de la justice. Dieu seul peut rendre juste, et il ne le fait pas en ayant recours à la violence : il rend juste en habitant au milieu de son peuple à la nuque raide, ce peuple qui ressemble lui aussi à un buisson d’épine dont il vaut mieux ne pas s’approcher si on veut éviter de se piquer ; mais un peuple aimé de Dieu, et qui doit découvrir que le Dieu de tendresse et de pitié habite au milieu de lui pour toujours, parce qu’il s’est engagé personnellement dans l’Alliance juré à ses pères, cette Alliance qu’il va renouveler au Sinaï.

Pendant les quarante années de traversée du désert, Israël devra faire progressivement l’apprentissage du compagnonnage avec Dieu. Il devra découvrir sa présence cachée qui se révèle dans la manne et l’eau jaillissant du rocher ; le pain et l’eau : autant dire que Dieu pourvoit à l’essentiel.

Or cette manne préfigurait le Pain de la Parole incarnée ou de l’Eucharistie, et cette eau jaillie du Rocher en lequel Paul reconnait le Christ « tous ils ont bu à la même source, qui était spirituelle ; car ils buvaient à un rocher qui les accompagnait, et ce rocher c'était déjà le Christ. » (2nd lect.), cette eau préfigure l’eau vive de l’Esprit que Jésus fera jaillir lorsque la lance frappera son côté pour transpercer son Cœur sacré.

Nous sommes ce peuple qui faisons notre traversée du désert sous la conduite du nouveau Moïse : Jésus, le Bon Berger qui mène ses brebis vers les gras pâturages de la vie éternelle.

Reconnaissons que nos vies à chacun de nous, ressemblent plus à un buisson d’épine qu’à une verte prairie : nous non plus, il vaut mieux ne pas trop nous approcher si on ne veut pas être écorché. Pourtant depuis le jour de notre baptême, le Feu de l’Esprit est tombé sur nous ; nous sommes entrés dans l’Alliance nouvelle et éternelle ; nous formons le nouveau peuple de Dieu qu’il conduit par son Fils et dans l’Esprit, aux sources vives du salut.

Notre vie ne se limite pas aux épines visibles ; notre vie n’est pas qu’échec ; le péché n’a pas le dernier mot. Certes il ne s’agit pas de le nier : Jésus nous le dit clairement : « Si vous ne vous convertissez pas, vous mourrez tous dans votre péché ». Mais au cœur même de la mort qui résulte de ce péché, la vie a déjà surgit : celui qui se convertit, qui se tourne vers cette présence vivifiante du Dieu de la vie qui a voulu faire sa demeure en nous, celui-là vit déjà de sa vie. Ne savez vous pas qu’« ensevelis avec le Christ dans le baptême, avec lui encore vous avez été ressuscités puisque vous avez cru en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. Vous êtes morts en effet, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » (Col 2, 12 ; 3, 3).

Si nous restons repliés sur notre péché, sur nos échecs, sur notre médiocrité,… notre vie sera médiocre, nous ne ferons que prolonger la série des échecs, et cette triste aventure nous conduira à périr lamentablement, c'est-à-dire à sombrer dans une mort insensée.

Mais si nous tournons les regards vers la lumière qui luit déjà dans nos ténèbres, nous deviendrons participants de la lumière, nous deviendrons des fils de lumière, des fils du Jour qui ne finira pas. La mort n’aura sur nous plus aucune emprise puisque nous serons passés de la mort à la vie dans le Christ.

Le carême ne nous est pas donné pour nous appesantir sur notre péché au risque de sombrer dans la désespérance ; nous sommes invités à nous rendre au désert pour y contempler cette chose merveilleuse : notre vie transfigurée par un feu qui brûle en nous sans nous consumer.

La semaine passée nous avons contemplé Jésus transfiguré sur  la Montagne sainte ; aujourd’hui nous sommes invités à accueillir cette même lumière dans nos vies ; ou plutôt à prendre conscience que ce Feu brûle déjà en nous, et qu’il ne tient qu’à nous qu’il embrase toute notre vie.

Jésus est ce jardinier céleste qui intercède pour nous auprès du vigneron son Père, afin qu’il lui permette de bêcher encore autour du buisson stérile de nos vies, dans l’espérance que nos yeux vont enfin s’ouvrir, et que nous verrons le don de Dieu. Alors nos vies transfigurées pourront enfin porter le fruit que le Père est en droit d’en attendre.

Préparons-nous à nous laisser renouveler dans l’Alliance, en participant au banquet que Dieu nous offre au cœur de nos déserts : le Pain de la vie éternelle et la coupe du salut, qui nous donnent part à sa propre vie.

Deuxième dimanche de carême

Deuxième dimanche de carême : Genèse 15,5-12.17-18, Psaume 27(26),1.7-8.9abcd.13-14, Philippiens 3,17-21.4,1, Luc 9,28b-36.

Quelques jours avant ce récit, au cours d'un temps de prière avec ses disciples, Jésus leur pose la question : « Qui suis-je au dire des foules ? » Pierre a su répondre : « Tu es le Christ, c'est-à-dire le Messie de Dieu ». Et Jésus a aussitôt mis les choses au point : le Messie, oui, mais pas celui que l’ on l'attend : « Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite. » il annonçait, déjà, que la gloire du fils de l'homme est inséparable de la Croix.

Environ huit jours plus tard, nous dit Luc, Jésus conduit ses disciples Pierre, Jacques et Jean sur la montagne, il veut de nouveau aller prier avec eux. Luc est le seul des évangélistes à mentionner la prière du Christ, lors de la Transfiguration ; les trois disciples découvrent que pour Jésus, la prière est une rencontre transfigurante. Quelque temps auparavant, en expliquant la parabole de la semence au groupe des disciples, Jésus leur avait dit : « à vous il est donné de connaître les mystères du Royaume de Dieu ». ceci est vrai, ici, pour les trois témoins : Pierre, Jean et Jacques ; notons au passage que ces mêmes trois disciples Pierre, Jean et Jacques ont été témoins de la résurrection de la fille de Jaïre ; au moment de la Passion, ils seront encore les trois mêmes, qui seront témoins de la dernière grande prière à Gethsémani.

Revenons à la Transfiguration : c'est ce moment de prière, sur la montagne, que Dieu choisit pour révéler à ces trois témoins privilégiés le mystère du Fils de l'homme. Car ici, ce ne sont plus des hommes, la foule ou les disciples, qui donnent leur opinion, c'est Dieu lui-même qui apporte la réponse et nous donne à contempler le mystère du Christ : « Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi, écoutez-le ».

Cette montagne nous fait penser à une autre montagne, le Sinaï ; et Luc choisi son vocabulaire de façon à évoquer le contexte de la révélation de Dieu au Sinaï : la montagne, la nuée, la gloire, la voix qui retentit, les tentes... Du coup, nous sommes moins étonnés, de la présence et de Moïse et d’Elie aux côtés de Jésus. N’oublions pas que Moïse a passé quarante jours sur le Sinaï en présence de Dieu et qu'il en est redescendu le visage tellement rayonnant que tous furent étonnés et eurent peur : « Quand Moïse descendit de la montagne, il ne savait pas que la peau de son visage était devenue rayonnante en parlant avec le Seigneur. Aaron et tous les fils d'Israël virent Moïse : la peau de son visage rayonnait. » (Ex 34, 29-30).

Quant à Elie, lui aussi « marcha quarante jours et quarante nuits jusqu'à la montagne de Dieu, l'Horeb ... La parole du SEIGNEUR lui fut adressée : Sors et tiens-toi sur la montagne, devant le SEIGNEUR ; voici, le SEIGNEUR va passer... Il y eut alors un vent puissant, un tremblement de terre, un feu, mais le SEIGNEUR n'était ni dans le vent puissant, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu... Il y eut alors le bruissement d'une brise légère. Alors en l'entendant, Elie se voila le visage avec son manteau, et la voix du SEIGNEUR s'adressa à lui. » (1 R 19, 8... 14).

Ainsi, Moïse et Elie, les deux personnages de l'Ancien Testament qui ont eu le privilège de la révélation de la gloire de Dieu sur la montagne sont également présents lors de la manifestation de la gloire du Christ sur la montagne. Luc est le seul évangéliste à nous préciser le contenu de leur entretien avec Jésus : « Ils parlaient de son départ qui allait se réaliser à Jérusalem. » En réalité, Luc n’emploie pas le mot « départ », mais le mot « Exode ». Il est donc, impossible de séparer la gloire du Christ de sa Croix. Et si Luc emploie le mot « Exode » en parlant de la Pâque du Christ, c’est parce qu’il veut rappeler que la Pâque de Moïse avait inauguré l'Exode du peuple d’Israël, sa sortie de la terre d'esclavage, l’Egypte, pour aller vers la terre de liberté. La Pâque du Christ ouvre ce même chemin de la libération pour toute l'humanité.

Dans la nuée lumineuse de la Transfiguration, la voix suppliante du Père se fait entendre « Ecoutez-le ». Ces deux mots rappellent le « Shema Israël », pour des oreilles juives, c'est tout un programme. « Ecoute Israël », c'est la profession de foi quotidienne : le rappel que c’est au Dieu Unique qu’Israël doit sa libération ; libération d'Egypte, d'abord ; mais celle-ci n'est que le prélude de la longue entreprise de libération amorcée par Dieu avec Abraham, poursuivie avec Moïse, pleinement accomplie en Jésus. Pour tous ceux qui écouteront, justement, le « Shema Israël » n'est pas un ordre donné par un maître exigeant ou dominateur... mais une supplication ... « Ecoutez-le », autrement dit, c’est un appel, une invitation à la confiance.

« Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi, écoutez-le » : « Fils », « Choisi », « Ecoutez-le » : ces trois mots exprimaient au temps du Christ la diversité des portraits sous lesquels on imaginait le Messie : « Tu es mon Fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré » était l'une des phrases du sacre des rois ; « Choisi », c'est l'un des noms du serviteur de Dieu dont parle Isaïe dans les « Chants du serviteur » : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon Elu » ; « Ecoutez-le », Dieu seul peut se permettre de dire une chose pareille et, d'autre part, c'est une allusion à la promesse que Dieu a faite à Moïse de susciter à sa suite un prophète : « C'est un prophète comme toi que je leur susciterai du milieu de leurs frères ; je mettrai mes paroles dans sa bouche. » (Dt 18, 18). Certains en déduisaient que le Messie attendu serait un prophète.

Pierre, émerveillé du visage transfiguré de Jésus, parle de s'installer : « Maître, il est heureux que nous soyons ici ; dressons trois tentes... » Mais Luc souligne que « Pierre ne savait pas ce qu'il disait. » Il n'est pas question de s'installer, à l'écart du monde et de ses problèmes : le temps presse ; Pierre, Jacques et Jean, les trois privilégiés, doivent se hâter de rejoindre les autres. Car le projet de Dieu ne se limite pas à quelques privilégiés : au dernier jour, c'est l'humanité tout entière qui sera transfigurée ; comme dit Saint Paul dans la lettre aux Philippiens, que nous avons entendu en seconde lecture « nous sommes citoyens des cieux. »

Je voudrais conclure avec les mots de l’oraison d’ouverture de cette messe : Tu nous as dit Seigneur d’écouter ton Fils bien-aimé. Fais-nous trouver dans ta Parole les vivres dont notre foi a besoin : et nous aurons le regard assez pur pour discerner ta gloire, par Jésus le Christ notre Seigneur.

Premier dimanche de carême

Premier dimanche de carême : Dt 26, 4-10; Ps 90 (91), 1-2, 10-11, 12-13, 14-15ab, Rm 10, 8-13, Lc 4, 1-13.

« Quand je me tiens sous l'abri du Très-Haut et repose à l'ombre du Puissant, je dis au SEIGNEUR : Mon refuge, mon rempart, mon Dieu dont je suis sûr. » ce verset du psaume d’aujourd’hui correspond exactement à l'attitude du Christ, au seuil de sa vie publique : il se tient tout simplement à l'ombre du Très-Haut.

La tentation serait de quitter cet abri ou encore de douter qu'il soit sûr, ou encore de chercher d'autres abris, d'autres sécurités. Ces trois tentations ont été celles du peuple d'Israël tout au long de son histoire. Et quand le Tentateur, de son vrai nom le « diviseur », el « diabolos », (grec) s'adresse à Jésus, c'est bien sur ce terrain là qu'il se place : par trois fois, il essaie de distiller son poison : Si tu es Fils de Dieu, tu peux tout ce que tu veux... : Tu es grand, tu peux bien faire ton bonheur tout seul ; dis donc à cette pierre de devenir du pain pour satisfaire ta faim immédiate...c’est là, la première tentation. Peut-être ferais-tu mieux de m'adorer, moi, pour réaliser tous tes projets... la deuxième tentation. Jette-toi en bas, Dieu sera bien obligé de t'aider... c’est la troisième tentation.

Jésus sait bien que Dieu seul peut combler toutes les faims de l'homme, et il a choisi de lui faire confiance jusqu'au bout, de « se tenir sous l'abri du Très-Haut ».

Reprenons une à une les trois sollicitations du Tentateur et les trois réponses de Jésus. 
La 1ere tentation : quand Jésus commença à souffrir de la faim, le Tentateur lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain » et Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre. » Cette phrase est bien connue de tout le peuple juif, elle se trouve au chapitre 8 du Deutéronome ; elle fait référence à une méditation sur l'expérience d'Israël pendant l'Exode : « Tu te souviendras de toute la route que le SEIGNEUR ton Dieu t'a fait parcourir depuis quarante ans dans le désert, afin de te mettre dans la pauvreté ; ainsi il t'éprouvait pour connaître ce qu'il y avait dans ton cœur et savoir si tu allais, oui ou non, observer ses commandements. Il t'a mis dans la pauvreté, il t'a fait avoir faim et il t'a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez pour te faire reconnaître que l'homme ne vit pas de pain seulement, mais qu'il vit de tout ce qui sort de la bouche du SEIGNEUR. »(Dt 8, 2-3). Le peuple sait d'expérience qu’elle est la béatitude de la pauvreté : « Heureux ceux qui ont faim, ils comptent sur Dieu seul pour les combler. »

Jésus, Fils de Dieu, venu prendre la tête de son peuple, vit dans sa chair l'expérience d'Israël au désert. Quand le Tentateur interpelle Jésus en lui disant « Si tu es le Fils de Dieu, prouve-le », il reçoit pour toute réponse : « J'ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas... Ma nourriture, c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son œuvre. » (Jn 4, 32-34).

La 2nde tentation, le Tentateur promet à Jésus, tous les royaumes de la terre ; Jésus répond « Tu te prosterneras devant le SEIGNEUR ton Dieu, et c'est lui seul que tu adoreras. » Jésus cite le texte le plus connu de tout l'Ancien Testament, il est la suite du fameux « Shema Israël », la profession de foi juive. Remarquons l'inversion de la perspective entre les exigences du Tentateur et les dons gratuits de Dieu : le Tentateur dit : commence par te prosterner, puis je te donnerai, soulignons que le tentateur, promet ce qui ne lui appartient pas ; Dieu, au contraire, commence par donner, et seulement après, il dit : n'oublie pas que je t'ai donné, alors fais-moi confiance pour la suite : « Quand le SEIGNEUR ton Dieu t'aura fait entrer dans le pays qu'il a juré à tes pères Abraham, Isaac et Jacob, de te donner... garde-toi d'oublier le SEIGNEUR qui t'a fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude. C'est le SEIGNEUR ton Dieu que tu craindras, c'est lui que tu serviras, c'est par son nom que tu prêteras serment. »(Dt 6, 10... 13).

La 3eme tentation : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi à ses anges l'ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Et Jésus répond : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le SEIGNEUR ton Dieu »(Dt 6, 16), Autrement dit tu n'exigeras pas de Dieu des preuves, preuve de sa présence, preuve de sa protection. Jésus sait, qu'il est en permanence sous l'abri du Très-Haut quoi qu'il arrive.

Les réponses de Jésus sonnent étrangement face aux interpellations du Tentateur « si tu es le fils de Dieu » ; « Si tu es le Fils de Dieu, prouve-le » semble dire le Tentateur et Jésus le prouve, réellement, en restant fidèle à son Père.

Où Jésus puise-t-il la force de résister à celui qui veut le séparer de son Père ? Manifestement dans la parole de Dieu : le Tentateur s'adresse à Jésus par trois fois ; mais à aucun moment, Jésus n'entre en discussion avec lui ; ses trois réponses sont exclusivement des citations de l'Ecriture.

Jésus est bien l'héritier de son peuple : à lui s'applique cette phrase du Deutéronome que Saint Paul reprend dans la lettre aux Romains que nous avons entendu en 2nde lecture : « La Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur »(Dt 30, 14).

Toutes les réponses de Jésus sont extraites du livre du Deutéronome, le livre écrit justement pour que les fils d'Israël n'oublient jamais que Dieu est leur Père ; c’est une autre manière de dire que Jésus refait pour lui-même l'expérience que son peuple a faite au désert.

De son Baptême, où il a été révélé comme le Fils, jusqu'à Gethsémani, où le Tentateur lui fixe rendez-vous : « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentation, le démon s'éloigna de Jésus jusqu'au moment fixé. », souligne Luc, Jésus restera sous l'abri du Très-Haut.

Notre tentation permanente, à nous, est précisément de quitter cet abri, de douter qu'il soit sûr, et de chercher d'autres abris, d'autres sécurités. Que de fois n’avons-nous pas résisté à l’action de l’Esprit dans nos vies en refusant de lui faire confiance, en choisissant d’aller par nos propres chemins lorsque celui du Seigneur nous semblait trop exigeant ! Le temps du Carême, est le temps du recentrement sur l’essentiel, demandons au Seigneur la force de la fidélité, à l’image du Christ ; que nous sachions résister aux ruses du Tentateur, les yeux fixés sur la victoire de Pâque.

5ème Dimanche du temps ordinaire

Dimanche 10 février

Textes : Isaïe 6,1-8; Ps 137, 1 Corinthiens 15,1-11; Luc 5,1-11.

Les lectures de ce dimanche pourraient s’intituler : « les trois temps de la vocation ». En Effet, dans chacune de ces lectures, il est question d’un « héros » biblique : le prophète Isaïe, Paul et Pierre – autrement dit trois hommes au tempérament fort, bien trempé.

Tous les trois ont à découvrir, à l’occasion d’une initiative déconcertante de ce Dieu qu’ils croyaient connaître, qu’il est avant tout le Kadosch, c-à-d le Saint, littéralement : le Tout-Autre. Ceux qu’il touche vont nécessairement devenir à leur tour « tout autre ». Et nos trois personnages seront, à leur tour envoyés, proclamer qu’il faut se convertir, c'est-à-dire devenir « tout-autre ».

Saisi par l’Esprit, Isaïe est introduit en présence du Dieu d’Israël, et il assiste à la liturgie céleste : « Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils se criaient l'un à l'autre : "Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu de l’univers. Toute la terre est remplie de sa gloire"». Ecrasé par la Beauté transcendante du Très-Haut, Isaïe perçoit en cet instant toute la distance qui le sépare de « Celui-qui-est » : « Malheur à moi, je suis perdu ! Car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au sein d'un peuple aux lèvres impures, et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ». Cette prise de conscience de la distance qui nous sépare de Dieu est sans aucun doute la première étape, incontournable, qui prélude à une rencontre pour le moins transformante.

Comme il nous l’explique lui-même, Saul a acquis son savoir sur Dieu auprès d’un Maître en Israël : « Je suis Juif. C'est aux pieds de Gamaliel que j'ai été formé à l'exacte observance de la Loi de nos pères, et j'étais rempli du zèle de Dieu » (Ac 22,3). Zèle à vrai dire peu éclairé, puisqu’il exige que soit éradiquée la secte chrétienne qui s’oppose à la doctrine traditionnelle : « J'ai persécuté à mort cette Voie, chargeant de chaînes et jetant en prison hommes et femmes » (Ac 22, 5). Confronté sur le chemin de Damas à la vraie lumière, il prend conscience de son aveuglement, et humblement, se laisse enseigner par ceux-là mêmes qu’il persécutait. Faisant mémoire de cette rencontre avec le Ressuscité, qui a transformé sa vie, Saint Paul précise : « En tout dernier lieu, il m'est apparu à moi aussi, comme à l'avorton. Car je suis le moindre des apôtres ; je ne mérite pas d'être appelé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Église de Dieu ».

- Pierre - ou plutôt Simon - est un pécheur du bord du lac de Galilée ; un maître-pécheur semble-t-il à en juger à l’autorité dont il jouit auprès de ses collègues - ce qui ne l’empêche pas de rentrer certains jours bredouille. On imagine sans peine, la surprise de Simon, lorsque ce matin là, après avoir enseigné les foules, Jésus l’invite à « avancer en eau profonde », et à « jeter les filets ». Il lui faut, à lui aussi, beaucoup d’humilité, pour répondre devant ses compagnons : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ton ordre, je vais jeter les filets. » Nous connaissons la suite : à la vue de la « grande multitude de poissons » qu’ils ramenèrent dans leurs filets, Simon-Pierre tombe aux pieds de Jésus, en confessant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur ! » L’évangéliste précise : « La frayeur en effet l'avait saisi, lui et ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient prise ».

Isaïe, Paul, Simon - mais plus largement : tout homme, ne découvre vraiment son néant, sa misère, son péché qu’en présence de Dieu, lorsque celui-ci lui révèle sa sainteté - à chacun d’une manière adaptée à son propre cheminement.

Mais le Seigneur ne nous abandonne pas à notre désarroi : au cœur de cette rencontre bouleversante, qui tourne forcément à notre défaveur, il vient lui-même à notre secours : « L'un des séraphins vola vers moi, explique Isaïe, tenant un charbon brûlant qu'il avait pris avec des pinces sur l'autel. Il l’approcha de ma bouche et dit : "Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné" ».

Pierre lui-aussi s’entend dire : « Sois sans crainte » ; et Paul, écrivant à Timothée, laisse à son tour éclater sa reconnaissance, tout en dévoilant la pédagogie divine à l’œuvre dans ces interventions : « Le Christ Jésus m'a pardonné pour que je sois le premier, en qui toute sa générosité se manifesterait » (1 Tm 1, 16).

Se manifestant dans son Altérité, le Seigneur nous révèle notre vérité de créature aliénée par le péché, mais aussi infiniment aimée par un « Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité » (Ex 34,6) ; un Dieu qui croit en l’homme, un Dieu qui espère en lui et l’aime d’un amour éternel ; un Dieu qui lui garde sa bienveillance malgré ses transgressions et ses péchés, et n’hésite pas, après lui avoir fait miséricorde, de l’envoyer annoncer sa proximité bienveillante : « Alors j'entendis la voix du Seigneur qui disait : "Qui enverrai-je ? Qui sera notre messager ?" » Fort de son expérience, Isaïe peut maintenant répondre : « Me voici, envoie-moi ».

La découverte de la sainteté de Dieu et de sa gloire, ne peut se limiter à une contemplation ou à des discours : elle devient vocation ; on ne peut voir Dieu sans le rayonner. A Pierre qu’il vient de rassurer, Jésus précise : « Désormais ce sont des hommes que tu prendras » - sous-entendu : que tu arracheras aux grandes eaux de la mort, la mer étant dans la bible, l’habitacle de Satan et des forces opposées à Dieu. C’est parce que Simon est devenu tout-autre – au point de recevoir le nouveau nom de Pierre – qu’il pourra être le témoin de cette autre vie à laquelle il vient d’être initiée, vie de disciple du Christ, vie de fils de Dieu et non plus d’esclave du péché. Paul non plus ne sera plus jamais le même ; parce qu’il est devenu tout-autre au contact du Tout-Autre, il s’entendra annoncer par la voix d’Ananie : « Le Dieu de nos pères t'a destiné à connaître sa volonté, à voir celui qui est le Juste et à entendre la parole qui sort de sa bouche. Car tu seras pour lui, devant tous les hommes, le témoin de ce que tu as vu et entendu » (Ac 22, 14-15).

Terrassés par Dieu, c’est en hommes nouveaux qu’ils se relèvent. Simon devenu Pierre, Saul transformé en Paul, peuvent maintenant se mettre au service du Seigneur, en ne s’appuyant plus sur ce qu’ils croyaient savoir de lui, mais sur ce qu’il leur a fait connaître.

Serions-nous désavantagés par rapport à ces hommes privilégiés qui ont pu se tenir en présence de Dieu et s’exposer à son action transformante ? Ce serait oublier un peu vite que dans quelques instants nous allons communier au Corps du Christ, Jésus est réellement présent sous les espèces eucharistiques. L’Eucharistie est bien plus embrasée que « le charbon brûlant que le Chérubin avait pris avec des pinces sur l'autel » ; non seulement elle est capable de purifier nos lèvres et tout notre être du péché, mais elle nous unit au Christ ressuscité, elle nous transforme en lui, en un mot: elle nous fait devenir tout-autre à son image et à sa ressemblance, pour peu que nous soyons ouverts, disponibles au don qu’Il nous fait de tout lui-même.

C’est pourquoi après une célébration eucharistique, nous ne pouvons pas rentrer chez nous comme si nous rentrions d’un quelconque rassemblement religieux : par notre communion eucharistique, nous sommes réellement devenus des « christs », et nous participons à sa mission. Comme Isaïe, Simon-Pierre et Paul, nous sommes devenus participants de l’Eglise Epouse par qui et en qui le Christ Epoux veut continuer son œuvre. A nous maintenant de jeter les filets de la Parole au cœur de ce monde, pour tirer sur l’autre rivage, celui de la vraie vie, les hommes encore prisonnier des ténèbres du mensonge et du péché qui conduisent à la mort.



4 ème Dimanche du temps ordinaire

Dimanche 3 février

Textes : Jr 1,4-5.17-19; Ps 71 (70), 5-8.15-17.19; 1 Co 12, 31-13,1-13; Luc 4,21-30.

« Cette Parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit » : ces paroles de Jésus inaugurent son ministère ! Elles en constituent à la fois le programme et elles anticipent en même temps son accomplissement.

La confiance paisible qui émane de Jésus jaillit de la conscience de son identité et de sa mission : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Lc 4, 18).

Jésus se sait envoyé par le Père pour « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 52). Il sait que pour ce faire, il devra les arracher de haute lutte à celui qui les tient assujettis dans le cruel esclavage de l’ignorance et du péché. Il est conscient que même si au désert il a déjà vaincu l’Ennemi, le combat sera rude, en raison de nos complicités avec l’Antique Serpent qui nous séduits par ses propositions mensongères.

Jésus sait aussi que tous n’accepteront pas d’être guéris de leur cécité, que tous n’accepteront pas de venir à la lumière, d’être libérés de leurs chaînes et d’accéder à la liberté ; nombreux même seront ceux qui se boucheront les oreilles à l’annonce de la Bonne Nouvelle et refuseront d’entrer dans l’année jubilaire de réconciliation accordée par le Seigneur (Lc 4, 19). C’est « dans son propre pays » que Jésus fait, en premier, cette douloureuse expérience ; l’épisode de la synagogue de Nazareth, annonce que l’ombre du rejet pèsera sur tout le ministère de Jésus. L’opposition deviendra, progressivement, de plus en plus explicite et organisée, pour conduire finalement Jésus au drame de la Passion.

Le dernier paragraphe de l’Evangile de ce jour résonne comme une véritable anticipation de la Pâque : rendus « furieux » par l’action occulte du Malin dans leurs cœurs, les Juifs « se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où la ville est construite ».

Cette issue dramatique de son ministère, Jésus l’a pressentie. Il connaît les Ecritures : il sait qu’ « aucun prophète n’est bien accueilli dans son pays ». Mais il ne faiblira pas, car il marche « dans la puissance de l’Esprit » (Lc 4, 14), c’est-à-dire dans la force invincible de l’amour de son Père dont la voix résonne sans cesse à ses oreilles : « C’est toi mon Fils : Moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » (Lc 3, 22). « Je fais de toi aujourd’hui une ville fortifiée, une colonne de fer, un rempart de bronze, pour faire face à tout le pays, aux rois de Juda et à ses chefs, à ses prêtres et à tout le peuple. Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi, car je suis avec toi pour te délivrer » annonçait le prophète Jérémie dans la 1ère lecture.

Au moment d’entrer dans sa Passion, Jésus trahira son angoisse par ces paroles bouleversantes que nous rapporte Jean dans son Evangile: « Maintenant mon âme est troublée. Que puis-je dire ? Dirai-je : Père, délivre-moi de cette heure ? Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père glorifie ton Nom ! » (Jn 12, 27).

La gloire de Dieu, que Jésus va manifester dans la puissance de l’Esprit qui repose sur lui, ne triomphe pas du mal en s’y opposant par la force, mais tout au contraire en y consentant ; en laissant la violence s’épuiser en vain à vouloir triompher de sa douceur ; et en triomphant de la haine meurtrière par le pardon qui redonne la vie : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).

En rédigeant l’hymne à la charité, qui saint Paul contemplait-il avec tendresse et reconnaissance ? Où son regard se pose-t-il, sinon sur le visage de son Seigneur crucifié par amour pour lui ? Certes Jésus avait donné la preuve qu’il était un « prophète, possédant toute la science des mystères et toute la connaissance de Dieu » (2nd lect.) ; mais c’est sur l’autel de la croix, où l’Agneau est offert en holocauste, qu’il révèle l’absolu de la charité.

« Il m’a aimé, et s’est livré pour moi » écrira Paul aux Galates (2, 20) : voilà la clé de lecture. C’est l’amour et rien d’autre qui motive sa marche persévérante, héroïque, affrontant toutes les oppositions, déjouant tous les pièges, franchissant tous les obstacles. « Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin», s’avançant résolument vers sa Pâques. « Passant » au creux de notre mort, il « allait son chemin », ne prenant aucun repos avant de nous avoir préparé une place dans la demeure de son Père et notre Père, de son Dieu et notre Dieu (cf. Jn 20, 17).

C’est en ressuscitant son Fils que le Père révèlera aux yeux de tous que « l’amour ne passera jamais ». « Ciel et terre passeront » (Mc 13, 31), mais la charité ne passera pas, car « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8).

Certes, « notre connaissance est actuellement partielle ; nous ne voyons qu’une image obscure dans un miroir ». Mais dans la mesure où nous consentons à l’action de l’Esprit Saint que le Fils nous a envoyé d’auprès du Père, nous grandirons dans la vraie connaissance de Dieu, jusqu’au jour où « nous le verrons face à face », dans la pleine lumière de l’amour. Alors « nous connaîtrons vraiment, comme Dieu nous a connu ».

3 ème Dimanche du temps ordinaire

Dimanche 27 janvier 2013

Textes : Néhémie 8,2-10; Psaume 19, 8-10.15; 1 Corinthiens 12,12-30; Luc 1,1-4;4,14-21.

La première lecture que nous avons entendue, du livre de Néhémie, nous situe à l’époque du retour de l’exil. Le peuple a alors perdu tout ce qui faisait sa fierté et son identité : son roi, sa terre, son temple, le voici de retour dans la ville de Jérusalem, seulement toute la ville a été détruite.

Sous la direction de Néhémie, le gouverneur, Israël entreprend la restauration de la cité sainte, et sous la conduite d’Esdras, qui était prêtre et scribe, le peuple élu redécouvre l’enracinement de sa foi. La Loi raconte le don de Dieu et il est important que tous entendent à nouveau cette loi.

« Esdras, fit la lecture dans le livre, depuis le lever du jour jusqu'à midi,
en présence des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre : tout le peuple écoutait la lecture de la Loi. Le scribe Esdras se tenait sur une tribune de bois, construite tout exprès. »

Ainsi, en regardant toute cette foule rassemblée, les hommes, les femmes, les enfants, nous découvrons que l’unité du peuple de Dieu se fait. Elle se fait d’abord, autour de la célébration de la parole. En entendant la parole, en écoutant les explications que les lévites étaient chargés de donner, tous comprennent la grandeur du don de Dieu aux hommes. Ils re-découvrent leur identité, qui ils sont vraiment, pour eux-mêmes et pour le monde entier. Ils re-découvrent la bonté du Seigneur qui organise le monde pour le bonheur de ses enfants.

La première lecture est ainsi une interpellation pour nous même : quelle place donnons-nous chaque jour à la Parole de Dieu dans notre vie ?

Mais elle est aussi une invitation à donner toute sa place à l’Ecriture dans notre vie spirituelle. La lecture quotidienne de la Parole de Dieu nous permet d’entrer dans un dialogue personnel avec le Seigneur –puisqu’elle est sa Parole à travers laquelle il continue à nous parler – Sachons lire la Parole, en étant accompagnés par des maîtres qui ont l’expérience de la foi, des maîtres qui sont entrés dans cette Ecriture Sainte. Sachons enfin la lire au sein de la grande communauté de l’Eglise – là encore le Seigneur nous parle aussi. N’est-ce pas au final, l’expérience des maisons d’Evangile ? Le sujet principal de l’Ecriture est le Seigneur lui-même.

Nous avons souvent tendance à évaluer le monde, selon nos propres critères, nous sommes prompts à montrer que nous savons mieux que le Bon Dieu, ce que devrait être le cours des événements, et la façon dont il devrait intervenir pour un monde meilleur…Réformer le monde, c’est d’abord nous réformer nous-mêmes, en vivant de la vie de l’Eglise.  Pour cela, nous avons à redécouvrir sans cesse la grandeur du projet de Dieu, car seule la réalisation de son dessein sur le monde, peut combler les cœurs.

Ce dessein de Dieu pour le monde est bien plus grand, que tout ce que nous pourrions imaginer par nous-mêmes. Paul nous rappelle en 2nde lecture, que le Seigneur veut faire de nous les membres de son corps. Il nous explique comment comprendre l’unité de l’Église. Elle n’est pas une organisation bien huilée, elle n’est pas une corporation qui a su traverser les siècles, en apprenant à équilibrer ses différentes fonctions. L’Église existe d’abord et avant tout, par le Christ, il est son Seigneur et son Dieu. « Il est aussi la tête du corps, c'est-à-dire de l'Église. Il est le commencement, le premier-né d'entre les morts, afin d’avoir en tout la primauté. » (Col1, 18) écrit Paul aux Colossiens.

Ce même Paul nous rappelle que « tous, nous avons été baptisés dans l’unique Esprit pour former un seul corps ». Cela ne veut pas dire, que nous recevons le baptême dans le but de constituer un corps qui sera uni. Non. Cela veut dire, que par le baptême, nous sommes rendus membres d’un seul corps. L’unité de ce corps est première, de cette unité, vient l’harmonie des parties et des fonctions de ce corps. Aussi nous faut-il rester vigilant à ne jamais entrer dans l’attitude stérile du pied et de l’oreille, pour reprendre les exemples de Paul.

Il ne nous appartient pas de chercher à comparer les membres, encore moins à entretenir entre eux, une quelque rivalité. Par contre, il nous revient d’écouter, de chercher à comprendre, de nous renseigner auprès de ceux qui ont autorité, c’est-à-dire auprès de ceux qui ont reçu de Dieu le charisme, de nous expliquer la Parole.

Il nous revient d’approfondir notre foi et notre connaissance.  Alors nous saurons qui nous sommes, quel membre nous sommes, pour nous, pour l’Église, et une vie nouvelle s’ouvrira à nous.

L’évangile nous donne à entendre deux récits de commencements. L’extrait que nous avons entendu, est la compilation des premiers versets de l’évangile de Luc et de l’annonce, dans la synagogue de Nazareth, du commencement de la mission de Jésus.

Luc, est, des quatre évangélistes, celui qui est le plus sensible rapporter les événements tels qu’ils se sont vraiment passés : «  J’ai décidé, moi aussi, après m'être informé soigneusement de tout, depuis les origines, d'en écrire pour toi, cher Théophile, un exposé suivi,  afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as reçus. » Paul cherche à découvrir le dessein de Dieu, pour s’y conformer.

Nous disposons d’un élément nouveau. Quand Jésus se lève dans la synagogue pour faire la lecture du livre d’Isaïe, pour proclamer la venue du messie, ce messie qui délivrera définitivement le peuple, et inaugurera le royaume de Dieu sur terre,

Jésus annonce que, non seulement, l’attente du peuple est exaucée, mais aussi et surtout, qu’il l’accomplit lui-même. Dans sa parole, Dieu agit réellement parmi les hommes. Jésus insiste sur l’ « aujourd’hui » de la promesse, pour manifester que l’ère de grâce est inaugurée dans sa personne. La parole de grâce se confond avec sa présence, ce n’est plus désormais, au Livre, de manifester la présence et l’action de Dieu, mais il faut savoir accueillir Jésus, et la grâce qu’il apporte.

Après l’avoir accueilli dans sa Parole, accueillons le dans  sa présence réelle.

2 ème Dimanche du temps ordinaire

Dimanche 20 janvier 2013, 2ème dimanche du temps ordinaire.

Textes : Isaïe 62,1-5; Psaume 95; 1 Corinthiens 12,4-11; Jean 2,1-11.

 

Cette précision chronologique est bien entendu, tout à fait, intentionnelle : il s’agit d’une allusion aux trois jours d’attente de la manifestation de la victoire du Ressuscité. Ainsi, l’évangéliste Jean, prévient le lecteur dès le premier verset du récit, que les événements de Cana sont à interpréter à la lumière du mystère pascal.


Au cœur du récit, nous trouvons deux acteurs : Jésus et une femme, dont le nom n’est pas divulgué. Elle est désignée par l’évangéliste comme la « mère de Jésus », mais Jésus l’interpelle sous le vocable de « femme ». Dans le symbolisme biblique, la « femme » représente le peuple sevré du vin de la sagesse ; elle ne peut qu’attendre l’initiative de Dieu qui lui rendra le bonheur. C’est elle, la « femme », qui intervient pour signaler que le vin manque, elle ne demande rien. Pourtant, la réponse de Jésus trahit qu’elle a déclenché quelque chose en lui. Sa réaction semble mettre en cause le lien mère-fils puisqu’il l’appelle par ce mystérieux vocable : « femme » ; il lui demande :
« Femme, que me veux-tu ?» La traduction littérale présente la réaction de Jésus avec d’autres mots : « quoi entre toi et moi ? »

 

Cette parole est probablement un cri d’émerveillement devant la complicité qui vient de s’instaurer avec celle qui fut - jusque là - sa mère selon la chair. Par sa demande en effet, Marie, vient de manifester son consentement à entrer dans une nouvelle mission, qui ne lui sera cependant pleinement dévoilée qu’au pied de la Croix. C'est à l’« Heure » de la Passion que se révèlera la véritable identité de « la femme », qui ne représentera plus alors le peuple de la première Alliance en attente de son Messie, mais l’humanité nouvelle, restaurée par l’effusion de l’Esprit.

 

C’est d’ailleurs la remarque de Marie qui suscite la première référence à cette « Heure ». L’allusion de Jésus à cette mystérieuse échéance qu’il désigne comme sienne - « mon heure » - et dont il précise qu’elle n’est pas encore venue, prouve que tout son désir se porte vers ce jour où il réalisera le salut du monde à travers sa mort librement consentie. La mise en relation de la situation présente - la pénurie de vin - signifie que le don du vin nouveau dépend de cette Heure à laquelle il glorifiera le Père en révélant pleinement son amour pour nous.

 

Le fait que cette Heure ne soit pas encore venue, conduit Jésus à poser le premier des sept « signes » qui tout au long de l’Evangile, vont orienter nos regards vers l’événement qu’ils annoncent, et dans lequel ils trouveront tout leur sens. Ce ne sera en effet qu’à l’Heure de leur accomplissement, que Jésus renoncera à faire des miracles. Si Marie conseille aux serviteurs de « faire tout ce que Jésus dira », c’est précisément parce qu’elle a compris que l’expression « mon heure n’est pas encore venue » n’est pas un refus, mais tout au contraire un consentement à agir et à poser un premier signe, puisque le temps de l’accomplissement n’est pas encore ad venu.

 

Jésus fait remplir d’eau des cuves destinées au rite de purification ; il n’utilise pas les amphores prévues pour contenir le vin des noces. Les jarres, mise à la disposition des convives pour qu’ils puissent accomplir une prescription rituelle de la première alliance, sont détournées de leur destination, puisqu’elles vont permettre, non pas, de se préparer au repas, mais de l’accompagner d’un excellent vin.

 

En offrant celui-ci, Jésus prend la place de l’époux, qui selon la coutume, est supposé fournir le vin. Une noce nouvelle vient donc se substituer à celle qui était en cours. Une noce dont le Christ est l’époux, et dans laquelle la « femme » fait figure d’épouse, puisque c’est elle qui porte le souci du bon déroulement du banquet.

 

Tel est le premier signe : Jésus n’ouvre pas son ministère par un discours inaugural, mais par un geste symbolique : il donne à boire un vin supérieur, qu’il offre en surabondance ; ce vin rend obsolète les rites de purification de la Loi ancienne, et introduit dans la vraie joie.

 

En préambule à la vie publique, l’évangéliste situe le récit des noces de Cana comme une annonce de ce que le Christ s’apprête à réaliser par tout son parcours, qui culminera dans le triduum pascal : descendant dans la mort, fruit du péché qui nous prive du vin de la joie, il ressuscitera le troisième jour, relevant en lui l’humanité déchue, pour l’introduire comme son Epouse dans les noces éternelles, où coule en abondance le vin nouveau de l’Esprit. Ce jour-là se réalisera la prophétie d’Isaïe entendue dans la première lecture : « Comme un jeune homme épouse une jeune fille, celui qui t’a construite t’épousera. Comme la jeune fille mariée est la joie de son mari, ainsi tu seras la joie de ton Dieu ».

 

Dans quelques instants, nous entendrons ces paroles : « Heureux les invités au banquet des noces de l’Agneau » : puissions-nous alors exulter de joie en nous approchant de la Table ou le Christ Epoux fait de son Eglise son Epouse éternelle, puissions-nous lui rendre grâce en « chantant le chant nouveau » (Ps 95) des rachetés du Seigneur. Renouvelés dans « les dons variés de la grâce », nous aurons alors à cœur de « manifester l’Esprit en vue du bien de tous » les hommes de notre temps (2nd lect.), afin qu’ils puissent « croire en Jésus », et accueillir son salut en « bénissant son Nom » (Ps 95).

 

 

 

Dimanche de la fête du Baptême du Seigneur

Dimanche 13 janvier 2013               Fête du Baptême du Seigneur

Textes : Is 40,1-5.9-11 PS 103 (104) Tite 2,11-14 ;3,4-7 Luc 3,15-16.21-22

Nous célébrons aujourd’hui la solennité du Baptême du Seigneur qui clôture le temps de Noël. Nous venons d’entendre le récit de l’évangéliste Luc qui nous présente Jésus venant se faire baptiser auprès de Jean-Baptiste.

Tout de suite, après avoir reçu le baptême, Luc nous précise que Jésus «Jésus priait, après avoir été baptisé lui aussi, » (3, 21).

Luc nous présente Jésus qui parle avec son Père. Après ce qu’il vient d’accomplir, Jésus présenta à son Père celles et ceux qu’il portait intentionnellement à travers ce geste qu’il venait de poser.

« Or, nous dit Luc, il advint [...] au moment où Jésus, baptisé lui aussi, se trouvait en prière, que le ciel s'ouvrit, et l'Esprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et une voix partit du ciel: "Tu es mon fils; moi, aujourd'hui, je t'ai engendré" » (Lc 3, 21, 22).

« Tu es mon fils » : Ces paroles du Père ne sont pas seulement adressées à Jésus mais également, à chacun de ses enfants pour qui le Fils unique a donné sa vie. Ces paroles sont la réponse du Père à la prière de Jésus, elles sont la réponse du Père à l’offrande du Fils sur la croix, réponse dont la puissance de vie se manifestera au matin de Pâque lorsqu’après avoir été enseveli dans la mort, le Fils se lèvera dans sa résurrection, vainqueur de la mort et du péché.

Le fruit de la mort et de la résurrection du Christ, c’est notre réconciliation avec le Père du ciel. Nous faisons désormais partie de la famille de Dieu, ce dont le péché originel nous avait privés. Le Ciel s’ouvre, il s’est déchiré. Nous pouvons à nouveau être en relation avec notre Père céleste. Le don de la filiation divine nous est à nouveau offert en Jésus Christ.

Tout cela se réalise concrètement dans le sacrement du baptême. Baptême dans l’Esprit qui fait de nous des fils du Père dans le Fils unique, baptême dans le feu de l’Amour trinitaire de Dieu dans lequel nous sommes plongés. Par le baptême, s'opère en effet dans le Christ, par la grâce de l’Esprit Saint, la restauration du chrétien dans une relation de liberté filiale vis-à-vis de Dieu son Père.

Dans le Baptême, le Père céleste répète pour chacun de ces enfants ces paroles prononcées sur Jésus : « Tu es mon Fils ». Réalisant ainsi notre adoption, le baptême marque notre insertion dans la famille de Dieu, dans la communion avec la Très Sainte Trinité, dans la communion avec le Père, le Fils et le Saint Esprit. C'est précisément pour cela que le baptême est administré au nom de la Très Sainte Trinité : « Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit », proclame le célébrant en versant l’eau sur la tête du nouveau baptisé.

Ces paroles ne sont pas seulement une formule, elles sont une réalité. Elles marquent le moment où de fils ou filles de parents humains, un enfant, un homme, une femme, deviennent également fils ou filles de Dieu dans le Fils du Dieu vivant.

Probablement que nous n’avons pas entendu de voix venant du ciel au moment où le prêtre nous baptisait, et pourtant, elle a bel et bien retenti dans le secret de nos cœurs. La grâce du sacrement en vue de notre sanctification et de notre filialisation a bien agi en nous. Ce jour-là, le ciel s’est bien ouvert et des milliers d’anges en fête, qui se sont réjouis en nous voyant revêtus de l'humanité du Christ, et accueillis par le Père comme ses fils et ses filles bien-aimés.

Dans les premiers temps de l'Église le baptême avait une force extraordinaire, c'était un événement déterminant car foi et sacrement, se trouvaient réunis. Aujourd'hui, pour beaucoup de croyants, le baptême est comme un paquet cadeau qu'on a oublié d'ouvrir, il est encore emballé, voire parfois laissé de côté… Certes, ils ont reçu validement le baptême, mais c'est un sacrement dont l’efficacité reste entravée, dont le fruit n’est pas utilisé. Pourquoi ? Parce qu’on n’y a pas adjoint la condition essentielle de la foi.

En effet, Jésus n’a pas dit : « celui qui sera baptisé sera sauvé » mais « celui qui croit et sera baptisé, sera sauvé » (Mc 16,16). Quand on reçoit le baptême bébé, l'Église se porte garant de la foi du nouveau baptisé, mais dans l'espérance que devenu adulte, la personne le ratifie en faisant son propre acte de foi et en accueillant librement dans sa vie Jésus comme son Seigneur et son Sauveur.

C’est pourquoi, nous dit Paul, nous possédons dans l’espérance l’héritage de la vie éternelle.
 

Dimanche de la fête de l'épiphanie

6 janvier 2013

Les premiers adorateurs de cet Enfant, né dans la lignée du Roi David, étaient pour le moins surprenants : des bergers - ils sont issus de la population mal famée en Israël -. Nous pourrions penser que les choses rentreraient dans l’ordre, avec l’Evangile de ce jour : les Mages représentent une caste sacerdotale - voire royale - chez les Perses ; venus du lointain Orient, ils viennent présenter, comme il se doit, leurs hommages au Messie.

En fait, le scandale ne fait que croître ! Les bergers, - de mauvaise réputation -, appartenaient, eux au moins, au peuple élu, alors que ces princes étrangers sont tout bonnement des païens, de vrais, bons, païens. On comprend alors l’émoi que suscite leur quête auprès du roi Hérode et des sages de Jérusalem : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ?

En choisissant de rapporter en détail cet événement, l’évangéliste veut annoncer, dès les premières pages de son récit, que la Bonne Nouvelle est offerte à l’humanité entière. Le caractère universel du salut, qui fait l’émerveillement du juif Matthieu, bouleversera également un autre juif : Paul. Il nous partage son émerveillement dans la 2nde lecture que nous avons entendu à l’instant : « Le Mystère du Christ, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus par l’annonce de l’Evangile ».

Cette révélation ne rend pas pour autant obsolète la première Alliance : c’est bien à Jérusalem que se rendent les Mages car « le salut vient des Juifs » nous rappelle St Jean (Jn 4, 22). C’est de la bouche de gardiens de la Loi que les Mages apprennent le lieu où était né le Messie.

Et pourtant la seule Parole prophétique ne suffit pas : il faut le ministère de l’étoile, pour que nos sages découvrent l’objet de leur recherche. La précision de la « très grande joie » éprouvée par les Mages à la découverte de l’étoile, est une allusion explicite à l’action de l’Esprit Saint. On voit mal en effet, comment du haut du firmament un astre éloigné de plusieurs années-lumière, pourrait désigner une maison particulière parmi toutes celles de la bourgade de Bethléem ?

A travers le langage symbolique de l’étoile, le récit nous révèle en fait un autre mystérieux Acteur céleste. Saint Matthieu avait déjà évoqué les Anges - c’est-à-dire les messagers de Dieu -. Cette fois il oriente nos regards vers l’Esprit Saint, discrètement à l’œuvre dans tous les cœurs de bonne volonté. « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire vers moi » (Jn 6, 44), proclamera plus tard Jésus. Cette attraction que le Père exerce par l’Esprit Saint, commence dès les premiers instants de l’Incarnation. « La volonté du Père, c’est que tout homme qui voit le Fils et croit en lui obtienne la vie éternelle » (Jn 6, 40) déclarera plus tard Jésus.

Curieusement, les Mages semblent bien être les seuls à avoir vu se lever cette étoile. Certes, Hérode ne risquait pas de la voir, lui préférait le faste bruyant de sa cour, au silence de la méditation sous un ciel étoilé. Quant aux « chefs des prêtres et scribes d’Israël », ils étaient sans doute trop convaincus de détenir la plénitude de la vérité dans leurs Ecritures, pour demeurer disponibles aux signes l’accomplissement de ces mêmes écritures. Ils n’étaient plus disponibles à l’imprévu de Dieu, alors qu’ils étaient précisément chargés de veiller, afin de pouvoir interpréter les interventions divines au cœur de l’histoire.

Mais pour discerner une étoile, il faut s’enfoncer dans la nuit ; pour se laisser instruire par l’Esprit, il faut au préalable reconnaître son ignorance. Le récit d’aujourd’hui nous révèle que cette humilité a cruellement fait défaut aux chefs religieux de l’époque. Et nous-mêmes, ne péchons-nous pas de la même manière ? Qui d’entre nous n’a pas été ébranlé par des questions troublantes nous interpellant sur le cœur même de notre foi : « Croyez-vous vraiment que Celui que l’univers ne peut contenir, se soit fait homme ? Que l’Ineffable se soit exprimé dans notre langage humain ? Que l’Eternel soit entré dans le temps ?... » Si nous tentons de répondre à ces interpellations comme on essaie de résoudre un problème de mathématique, voire de philosophie, nous découvrons avec angoisse que nous pouvons certes argumenter, mais guère démontrer le bien-fondé de nos convictions.

Seule l’étoile peut nous conduire là où les apparentes contradictions sont dépassées. L’étoile représente ici la lumière surnaturelle de la foi, qui est d’une autre nature que celle de notre intelligence naturelle. Seul celui qui reconnaît les limites de la raison humaine, et confesse humblement son ignorance des mystérieux desseins de Dieu, peut recevoir l’illumination de l’Esprit et se laisser guider par lui, au lieu où Dieu se donne dans un Enfant.

« Mille questions ne font pas un doute » disait Saint Vincent de Paul : mille questions qui demeurent sans réponse pour notre intelligence ne devraient pas ébranler notre foi, mais nous inviter tout au contraire à soumettre notre raison naturelle à la lumière de la Révélation divine.

Comme les Mages, c’est de nuit que nous nous approchons de l’Enfant, guidés par les prophètes de la première Alliance dont nous parle la 1ere lecture, illuminé par l’Esprit Saint que nous avons invoqué sur nous. Curieusement, les Mages semblent accueillis uniquement par « l’enfant et sa mère » : le père n’est pas nommé, sa présence ne fait aucun doute. Ce silence est d’autant plus surprenant que Matthieu est l’évangéliste qui insiste le plus sur la place de St Joseph - l’épisode que nous lisons suit immédiatement le songe au cours duquel l’Ange lui a révélé sa mission propre dans le mystère de l’Incarnation. L’absence de mention de St Joseph doit être comprise comme une discrétion sur l’origine davidique de l’Enfant. Celui-ci en effet n’est pas venu sauver le seul peuple d’Israël, mais il « associe les païens au même héritage, au partage de la même promesse par l’annonce de l’Evangile » (2nd lect.), pour constituer un corps nouveau, où « il n’y a plus ni juif, ni païen » (Ga 3, 28).

Après avoir déposé leurs trésors au pied de l’Enfant, les Mages rentrent chez eux, tout comme l’ont fait les sages de Jérusalem. Les Ecritures ont joué leur rôle ; l’étoile aussi : elles ont désigné comme lieu de l’épiphanie du mystère tenu caché aux générations passées, un Enfant qui ne diffère en rien de tous les autres enfants, dont il est venu assumer l’humanité. Désormais, c’est sur lui que doit se concentrer notre regard, car il est « la vraie lumière qui éclaire tout homme en venant dans ce monde » (Jn 1, 9) ; c’est lui que nous devons écouter, car il est la Parole du Dieu vivant.

Préparons-nous à l’accueillir sous les humbles espèces du Pain et du Vin consacrés ; puis, après l’avoir adoré et nous être unis à lui par la communion eucharistique, nous regagnerons nos maisons respectives « par un autre chemin ».

Nous serons devenus les disciples de Celui en qui nous reconnaissons le roi, le prêtre et le prophète des temps nouveaux, Jésus-Christ, à qui nous offrons l’or de notre adoration, l’encens de notre louange et la myrrhe de notre reconnaissance.

Dimanche de la fête de la sainte famille

Textes : 1 Samuel 1, 20-22.24-28; Ps 84 (83), 3.4.5-6.9-10; 1 Jean 3,1-2.21-24; Luc 2,41-52.

L’église nous donne de célébrer aujourd'hui la fête de la Sainte Famille. Nous fixons notre regard sur Jésus, Marie et Joseph, et nous adorons le mystère d'un Dieu qui a voulu naître d'une femme, la Sainte Vierge, et entrer dans ce monde par la voie commune à tous les hommes.

“Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu”cette phrase de Jean, semble bien être illustrée ici, dans l’évangile que nous venons d’entendre. Car ce récit nous présente à la fois une manifestation du mystère de Jésus et l’incompréhension de ses plus proches.

 

Que cette famille se soit rendue à Jérusalem pour la Pâque, rien d’étonnant. Que cela ait duré huit jours, rien d’étonnant non plus : les deux fêtes réunies de la Pâque et des Azymes,- qui n’en faisaient déjà plus qu’une - duraient en effet huit jours. Ce qui est étonnant, c’est la suite : Jésus, reste au Temple sans se soucier, apparemment de prévenir ses parents. Eux quittent Jérusalem avec le groupe avec lequel ils sont venus, sans vérifier qu’il est bien du voyage. Cette séparation durera trois jours - chiffre que Luc précise, bien sûr, intentionnellement. Et quand ils se retrouvent tous les trois, ils ne sont pas encore sur la même longueur d’ondes : le reproche affectueux de Marie, encore tout émue de l’angoisse de ces trois jours se heurte à l’étonnement tout aussi sincère de son fils :« Comment se fait-il que vous m‘ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C’est chez mon Père que je dois être. »

 

La manifestation du mystère de Jésus réside, dans l’émerveillement de tous, particulièrement des docteurs de la Loi devant la lumière qui l’habite. Elle réside aussi dans la mention des trois jours qui, tout au long de la Bible, sont le délai habituel pour rencontrer Dieu. Trois jours, ce sera aussi le délai entre la mise au tombeau et la Résurrection, c’est-à-dire la victoire plénière de la vie. La manifestation du mystère de Jésus, réside aussi, dans cette phrase étonnante dans la bouche de ce garçon de douze ans, accompagné de ses deux parents bien humains :“C’est chez mon Père que je dois être.”

 

Avec ces mots, Jésus, s’affirme clairement comme le Fils de Dieu. À l’Annonciation, l’Ange Gabriel l’avait déjà présenté comme le “Fils du Très Haut”, mais ceci pouvait être entendu comme le titre du Messie. Cette fois, la révélation franchit une étape : le titre de fils appliqué à Jésus n’est pas seulement un titre royal, il dit le mystère de sa filiation divine. Pas étonnant que ce ne soit pas immédiatement compréhensible ! Et ce n’est pas fini : Jésus, aujourd’hui, dit “je suis chez mon Père ». Plus tard, il dira“Qui un ‘a vu a vu le Père” (Jn 14.9).

 

Ce n’est effectivement, pas compréhensible, même pour ses parents : Jésus ose leur dire “Ne le saviez-vous pas ? ». Même des croyants aussi profonds et fervents que Joseph et Marie sont surpris, désarçonnés par les mystères de Dieu. Cela devrait nous rassurer. Ne nous étonnons pas de comprendre si peu de choses nous-mêmes ! Aurions-nous oublié la phrase d’Isaïe qui nous dit : “Vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins - oracle du Seigneur. C’est que les cieux sont hauts par rapport à la terre ainsi mes chemins sont hauts, par rapport à vos chemins, et mes pensées, par rapport à vos pensées” (Is55. 8-9).

 

L’évangile nous suggère que Marie, elle-même, ne comprend pas tout, tout de suite : elle retient tout, et s’interroge, elle cherche à comprendre. “Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements.” Après la visite des bergers à la grotte de Bethléem, Luc nous dit déjà “Quant à Marie, elle retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur” (Lc 2, 19). Et le mot grec qui a été traduit ici par “méditer” suggère que les pensées s’entrechoquent.

 

Luc nous donne là un exemple à suivre : accepter de ne pas tout comprendre tout de suite, mais laisser se développer en nous le frottement de la méditation. La foi de Marie n’est pas un chemin semé de roses, pas plus que nos chemins de foi ! Jésus lui-même, comme tous les enfants du monde, a besoin de grandir ! Le mystère de l’Incarnation va jusque-là : “Il grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes.”

 

Cela veut dire d’une part, que Jésus est complètement homme, et d’autre part que Dieu a la patience de nos maturations, car pour lui, mille ans sont, comme un jour (Ps 89/90).

 

Tout ceci se passe dans le Temple de Jérusalem. Luc y attache beaucoup d’importance. Le Temple de Jérusalem était pour les juifs le signe de la présence de Dieu au milieu de son peuple : c’est là que Luc commence son évangile avec l’annonce à Zacharie, à propos de la naissance de Jean-Baptiste ; c’est là aussi que, le jour de la Présentation de Jésus, Siméon annonce que le salut de Dieu est arrivé ; c’est là enfin que finit l’évangile de Luc : après leurs adieux au Christ ressuscité, les disciples retournent au Temple de Jérusalem.

 

Pour les chrétiens, c’est désormais le corps du Christ lui-même qui est le vrai Temple de Dieu, le lieu par excellence de sa présence. Notre récit d’aujourd’hui est l’une des étapes de cette révélation. Luc pense peut-être ici à la prophétie de Malachie : “Subitement, il entrera dans son Temple, le maître que vous cherchez, l’Ange de l’Alliance que vous désirez ; le voici qui vient, dit le Seigneur, le Tout-Puissant” (Mal 3,1).

On peut être surpris d’une contradiction apparente. Jésus répond à ses parents : “C’est chez mon Père que je dois être”, aussitôt après, il retourne avec eux à Nazareth. Ce qui veut dire qu’il n’est pas resté dans le temple de pierre, pas plus que Samuel, dont nous avons entendu le commencement de l’histoire dans la première lecture : pourtant il a été consacré au Seigneur et amené au temple de Silo pour y demeurer toute sa vie, celui-ci a finalement servi le Seigneur, hors du temple, en prenant la direction de son peuple. Il y a peut-être là très certainement une leçon pour nous.

 

“C’est chez mon Père que je dois être” veut dire une vie donnée au service des hommes, pas forcément dans l’enceinte du Temple, être chez le Père veut dire aussi être au service de ses enfants.

 

Messe du jour de Noël

Textes : Isaïe 52,7-10; Hébreux 1,1-6; Jean 1,1-18.

« Éclatez en cris de joie, ruines de Jérusalem ! »proclamait le prophète Isaïe dans la 1ere lecture. Jérusalem la cité sainte, était abandonnée aux conséquences de son péché. Délabrée, elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Et voici qu’un jour nouveau s’est levé sur ses remparts : « ils voient de leurs yeux le Seigneur qui revient à Sion ». Dieu a agit, « le Seigneur a consolé son peuple, il rachète Jérusalem ».

 

Cette consolation est clairement visible sous nos yeux, elle est exposée aujourd’hui, à la face des nations. Le temps des prophéties, le temps des révélations « fragmentaires et variées » est révolu, confirme Paul : « dans ces jours où nous sommes, Dieu nous a parlé par ce Fils », ce Fils qu’il nous invite à adorer dans la crèche. « Reflet resplendissant de la gloire du Père, expression parfaite de son être, ce Fils qui porte toutes choses par sa parole puissante » vient à nous comme un enfant qui désire être accueilli.

 

Tel est l’avènement que nous célébrons aujourd’hui. Telle est la joie à laquelle nous nous sommes préparés durant tout l’Avent, en retournant vers notre Dieu et Père. Retourner à Dieu est toujours un commencement, car la puissance de Dieu est sans limite. Jean ouvre son évangile par le récit d’un commencement, un commencement absolu, une nouvelle création dont l’origine n’est autre que le Verbe de Dieu.

 

Méditer ce texte en ce jour de Noël, c’est proclamer dans la foi qu’aujourd’hui, un jour nouveau se lève sur nous. Dieu en effet, ne naît pas un jour, il fait le jour en naissant. Lorsqu’il se fait chair, Dieu s’ouvre sur le monde d’une manière qui le renouvelle et l’illumine.

 

Cette lumière éclaire en premier lieu Marie et Joseph. Ce sont eux que les bergers voient d’abord, comme si le Bon Dieu nous reconnaissait le besoin d’une étape d’acclimatation à sa pureté.

 

La lumière qui les éclaire est la manifestation du don que Dieu fait à Noël. En épousant notre humanité, le Verbe inaugure une relation de dépendance avec l’homme. Marie et Joseph ne font rien, ils ne disent rien ; ils écoutent et ils regardent. Ils accueillent le don de Dieu en faisant don d’eux-mêmes. Dieu prend un corps, Marie et Joseph, les premiers, deviennent membres de ce corps. En contemplant l’enfant Jésus, ils voient celui qui dépend entièrement d’eux. En contemplant Marie et Joseph tournés vers l’enfant, nous découvrons le regard de l’Église qui contemple celui dont elle dépend entièrement.

Ce mystère est grand, et il nous concerne parce que Dieu s’est fait petit enfant, un enfant qui n’avait pour seul berceau que l’amour unissant Marie et Joseph. Il nous montre ainsi que Dieu donne sa vie à ce qui est le plus petit, le plus faible, le plus démuni.

 

« Le Verbe était auprès de Dieu », il était uni à Dieu dans un face-à-face qui n’est que don de soi et amour. C’est à la crèche que Dieu nous apprend à nous tenir face à lui, qu’il nous initie à l’adoration des fils. À la crèche, Dieu nous attire irrésistiblement en lui.

 

Courrons donc à la suite des bergers ! Accueillons avec reconnaissance, la lumière qui crée le jour nouveau.

 

Venez, adorons-le !

Messe de la nuit de Noël

Textes : Isaïe 9,1-6; Ps 95; Tite 2,11-14; Luc 2,1-14.

 

Une antique coutume prévoit que pour la fête de Noël, chaque prêtre peut célébrer trois messes, appelée « messe de la nuit », « messe de l'aurore » et « messe du jour ». Dans chaque messe, les lectures changent, mais à chaque fois, un aspect différent du mystère de Noel est présenté, afin d'en avoir une vision, en quelque sorte tridimensionnelle.

 

L'Evangile de la messe de la nuit, se concentre sur le fait historique. Il y est décrit avec une simplicité déconcertante. Trois ou quatre lignes, de paroles humbles, ordinaires, pour décrire l'événement incontestablement le plus important de l'histoire du monde : la venue de Dieu sur la terre.

 

La tâche de mettre en lumière, et la signification et la portée de cet événement, est confiée, par l'évangéliste Luc, au chant que les anges entonnent, après avoir transmis l'annonce aux bergers : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu'il aime ».

 

Dans le passé, cette expression était traduite différemment : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ». L'expression est devenue une expression courante dans le langage chrétien.

 

Depuis le Concile Vatican II, on a l'habitude d'indiquer avec cette expression tous les hommes honnêtes qui recherchent la vérité, et le bien commun, qu'ils soient croyants ou non. Il s'agit toutefois d'une interprétation faussée, qui a été, abandonnée aujourd'hui.

 

Dans le texte biblique original, il s'agit des hommes qui sont aimés de Dieu, les hommes qui sont objets de la bonne volonté divine, et non pas, qui sont eux-mêmes, dotés de bonne volonté.

 

L'annonce en devient encore plus réconfortante. Si la paix était accordée aux hommes pour leur bonne volonté, elle serait limitée à un petit nombre, à ceux qui la méritent ; mais comme elle est accordée en fonction de la bonne volonté de Dieu, par grâce, elle est offerte à tous.

 

Noël n'est pas un appel à la bonne volonté des hommes, mais une annonce éclatante de la bonne volonté de Dieu pour les hommes. L'amour de Dieu pour les hommes, est source et origine de tout ce que Dieu a commencé à accomplir à Noël.

 

Il nous a prédestinés à être ses enfants adoptifs, c'est « ce qu'il a voulu dans sa bienveillance » (Ep 1, 5), écrit l'Apôtre. Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, selon ce qu'il prévoyait « dans sa bienveillance » (Ep 1, 9). Noël est l'épiphanie suprême de l’amour de Dieu, pour les hommes : « Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et sa tendresse pour les hommes » (Tt 3, 4).

 

En venant au monde, Jésus a répandu en abondance parmi les hommes des dons de bonté, de miséricorde et d’amour. C'est ce qui fait dire à saint Jean : « Voyez comme il est grand l’amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu » (1 Jn 3, 1). Celui qui s’arrête pour méditer devant le Fils de Dieu couché dans la mangeoire, sans défense, ne peut être que surpris par cet événement humainement incroyable ; il ne peut pas ne pas partager l’émerveillement de la Vierge Marie, que Dieu a choisie comme Mère du Rédempteur justement en raison de son humilité.

 

Dans l’Enfant de Bethléem, chaque homme découvre qu’il est gratuitement aimé par Dieu. Dans la lumière de Noël, se manifeste à chacun de nous, la bonté infinie de Dieu. En Jésus, le Père céleste, a inauguré une nouvelle relation avec nous ; il nous a rendus « fils dans le même Fils ».

 

L’Apôtre Jean, souligne que fils, « nous le sommes » (1 Jn 3, 1) : de cette manière, Dieu est proche de nous ; il nous attire à lui au moment de son incarnation, en se faisant l’un de nous. Nous appartenons donc vraiment à la famille qui a Dieu comme Père, car Jésus, le Fils unique, est venu planter sa tente parmi nous, pour rassembler toutes les nations en une seule famille, la famille de Dieu.

 

Jésus est venu pour nous révéler le véritable visage du Père. Et nous connaissons le visage de Dieu : c’est celui du Fils, venu pour rendre les réalités célestes plus proches de nous, plus proche de la terre. Saint Jean écrit : « Voici à quoi se reconnaît l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés » (1 Jn 4, 10). A Noël, retentit dans le monde entier cette annonce simple et bouleversante : « Dieu nous aime ».

 

Ce n'est qu'après avoir contemplé la « bonne volonté » de Dieu envers nous, que nous pouvons nous occuper aussi de la « bonne volonté » des hommes, c'est-à-dire de notre réponse au mystère de Noël. «Nous aimons - dit saint Jean - parce que Dieu lui-même nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19). Ce mystère de Noël, ce mystère de l'Amour de Dieu, est désormais déposé entre nos mains pour que, en faisant l’expérience de l’amour divin, nous vivions tendus vers Dieu en étant tendu par la charité vers nos frères et sœurs en humanité.

 

A nous maintenant d'imiter l'action de Dieu à notre égard. Imiter le mystère que nous célébrons, signifie abandonner toute pensée de se faire justice soi-même, tout souvenir de tort reçu, effacer de son cœur tout ressentiment, même juste, envers tous. N'admettre volontairement aucune pensée hostile, contre personne : ni contre ceux qui sont proches, ni contre ceux qui sont loin, ni contre les faibles, ni contre les forts, ni contre les petits, ni contre les grands de la terre, ni contre aucune créature existant au monde.

 

A Noël, le Seigneur nous montre qu’il n'a gardé aucune rancune, Il ne nous a pas tenu rigueur pour les torts reçus, il n'a pas attendu que d'autres fassent le premier pas vers lui, au contraire c’est lui qui fait le 1er pas vers nous.

 

Noël est la fête de la bonté, fondé sur l'expérience du pardon offert gratuitement en Jésus-Christ.

Quatrième dimanche de l'Avent

Dimanche 23 Décembre 2012

Mi 5,1,4a; Ps 79(80); He 10,5-10; Lc 1,39-45.

« Après un temps de délaissement, viendra un jour où enfantera celle qui doit enfanter ». nous dit Michée. Le temps de l’Avent est celui où nous apprenons à vivre le temps de Dieu. Notre vue, est très courte. Notre désir d’être comblés, le souhait que nous avons de connaître le bonheur que Dieu nous a promis, sont tels que nous adoptons souvent, malgré nous, une attitude un peu infantile, ne supportant aucun délai, comme des enfants, qui veulent tout, tout de suite. Dieu aurait-il quelque retard ? Prendrait-il plaisir à nous faire languir ? Dieu aurait-il oublié sa parole ?

Le prophète Michée nous apprend aujourd’hui, que le Seigneur œuvre sans cesse à la réalisation de sa promesse. Ce qui nous manque pour le voir agir, c’est d’apprendre le temps de Dieu. Le temps de son silence, est en effet, celui de la grossesse. Dieu œuvre à notre salut, mais il nous faut redécouvrir comment il s’y prend avec chacun de nous. l’épaisseur de l’Ancien Testament nous l’enseigne, que le temps de la grossesse traverse les siècles. A l’échelle de notre vie, les choses peuvent aller bien plus vite. Notre Avent, qui cette année ne fait pas quatre semaines complètes, nous le montre. Nous sommes dans l’urgence de la préparation ultime, les médias sont là pour rajouter encore à la pression. Dieu choisit de se révéler dans la faiblesse d’une femme enceinte. La puissance de sa royauté se manifeste dans « le plus petit des clans de Juda », comme nous le dit le prophète. Le berger, que le troupeau dispersé attend, arrive enfin pour rassembler les nations et leur donner la paix, sa paix.

Telle est la douceur du temps de l’Avent. Il nous faut la pénétrer pour goûter pleinement la paix de Noël. Cette paix n’est pas une simple absence de guerre, une disparition de toutes les agressions qui nous font souffrir. Aussi nous faut-il ouvrir les oreilles, celles de notre cœur, et affiner la sensibilité de notre âme. Nous vivons le temps où le Dieu caché fait pressentir sa présence, avant de la dévoiler entièrement. Cette phase de reconnaissance nous fera découvrir l’étoile qui mène à la crèche. Pour la distinguer entre toutes, nous aurons en effet à écouter l’appel intérieur, la voix du « berger d’Israël ».

« Jamais plus nous n’irons loin de toi : fais-nous vivre et invoquer ton nom ! » proclame le psalmiste. Telle est l’ultime préparation à l’accueil de l’enfant divin. Il ne faut pas nous préparer à nous asseoir béatement dans une étable mais nous laisser renouveler par une vie entièrement nouvelle. L’enfant divin ne vient pas, en effet, pour être adulé, mais pour rassembler ses brebis. Honorons cette venue que nous avons tant désirée, décidons nous enfin à rester à ses côtés pour toujours, avec le psalmiste redisons : « Berger d’Israël, viens nous sauver ! ».

Ce cri, cet appel, nous fait entrer dans l’attitude filiale, celle qui nous dévoile la vraie nature de notre sauveur. L’auteur de la lettre aux hébreux nous dit : « En entrant dans le monde, le Christ dit : me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté ». C’est la volonté du Père de sauver l’humanité esclave du péché et de la mort. C’est la volonté du Fils de faire de sa vie, une offrande au Père, pour le salut des hommes. Mais est-ce notre volonté à nous de toujours rester auprès du Christ, notre berger ? Voulons-nous entrer dans l’alliance nouvelle ? Vraiment ? Voulons-nous pénétrer le mystère de Noël, et apprendre de l’enfant de la crèche à dire « Père, me voici,je suis venu pour faire ta volonté ».

Ce désir nous tourne tout naturellement vers Marie, elle, la servante du Seigneur par excellence. « Comment ai-je ce bonheur que la mère du Seigneur vienne jusqu’à moi ? », s’écrie Élisabeth. Celle qui a dit le « me voici » le plus pur et le plus parfait qui se puisse concevoir, vient à notre rencontre, brûlée du désir de salut pour tous les hommes. L’évangile ne nous la présente pas comme un santon, attendrissant et inerte. Marie se dépêche, elle accourt. Elle connaît le temps de Dieu mais son désir est tel qu’elle semble, dans sa course, vouloir nous apporter l’Enfant avant l’heure.

Accueillons-la comme il se doit. Accueillons la grâce qui nous est donnée au seuil de la fête de la Nativité, c’est la grâce de l’effusion de l’Esprit Saint : « Élisabeth fut remplie de l’Esprit Saint » rapporte Luc. Accueillir Marie qui vient à nous, accueillir son fils qui se donne à nous, c’est faire nôtre sa disponibilité à elle, à l’Esprit, c’est faire nôtre sa pureté de cœur. Utilisons cette dernière journée de l’avent qui nous est donnée, pour nous centrer sur l’essentiel, pour chercher l’étoile qui brille dans nos nuits. Redécouvrons au fond de nous-mêmes la vie qui se donne à nous. Cette vie est notre joie. Elle est le don ineffable que nous avons reçu au jour de notre baptême. Le désir de Marie qui accourt vers nous est de nous apprendre à enfanter Dieu dans nos vies. À ouvrir les yeux de nos cœurs sur la gloire qui nous est donnée. À entrer dans l’exultation d’Élisabeth dont les yeux s’ouvrent à la présence discrète du Dieu qui se fait proche, l’Emmanuel.

Nous entrerons alors, dans la joie de Noël. Alors, comme Marie auprès d’Élisabeth, nous serons les relais de cette joie qui, de proche en proche, va embraser le monde entier.

Que le Seigneur nous donne un cœur sensible à sa présence dans nos vies. Qu’il nous renouvelle tous dans le don de son Esprit. Que par notre présence simple et joyeuse, comme Marie auprès d’Élisabeth, nous soyons des témoins de son amour pour l’ensemble de son troupeau qui accoure auprès de Lui. Lui, notre berger, notre Seigneur, notre Dieu.

 

Troisième dimanche de l'Avent

Dimanche 16 décembre 2012

 

So 3,14-18; Is 12; Ph 4,4-7; Lc 3,10-18.

 

Les foules se pressent autour de Jean. Elles viennent répondre à son appel à la conversion. Les gens l’assaillent de questions : « Que devons-nous faire ? » lui demandent t-ils. On ne demande pas à Jean ce qu’il faut croire ou ce qu’il faut penser, non, mais ce qu’il faut faire. Le Précurseur n’exige rien de ce que nous nous attendions à entendre : pénitence, ascèse, exercices de piété. A tous il demande seulement de partager nourriture et vêtement avec celui qui en a besoin. Autrement dit, il demande à chacun de reconnaître que nous ne sommes pas seuls, il demande à chacun de reconnaître l’autre à côté de moi, c’est-à-dire mon prochain, il m’oblige par sa seule présence à m’intéresser à lui, et à pourvoir - dans la mesure de mes possibilités - à ses besoins élémentaires.

Dans la foule, des personnages particuliers se détachent : les collecteurs d’impôts et les soldats. Jean leur impose le même comportement en signe de conversion : ne pas faire de l’égoïsme le critère de leur action ; ne pas profiter de leur profession ou de leur pouvoir pour s’enrichir injustement. On est encore loin du sermon sur la Montagne, mais n’est ce pas déjà un signe de conversion au Royaume : ne plus faire de son « moi » sa seule raison de vivre !

Par ces règles qu’il donne à ceux qui veulent se préparer à la venue de Celui dont il a proclamé l’avènement imminent, Jean veut creuser le désir de cet Autre qui vient, en nous ouvrant à l’autre qui est déjà là.

« Le peuple était en attente » L’Evangéliste souligne l’efficacité de la méthode du Baptiste : sortir de nous-mêmes en prêtant attention à nos proches, est le meilleur moyen, -hier comme aujourd’hui- pour nous préparer à la venue du Seigneur ; c’est déjà de l’accueillir dans ce frère qui m’est confié.

Jean-Baptiste se défend d’être le Messie, il ne décline pas son identité pour autant ; il s’efface derrière sa mission : il est envoyé uniquement pour donner forme à l’attente, en suscitant un« bain de conversion ».Le mot« conversion »signifie en hébreu« retournement »: il s’agit de changer d’angle de vue, d’échelle de valeurs, de critères d’évaluation, en nous tournant vers quelqu’un de radicalement différent, porteur d’une nouveauté inouïe - c'est-à-dire : qui n’a encore été jamais entendue. C’est pourquoi Jean, lui-même, ne peut rien faire de plus, qu’aiguiser son désir, creuser son attente de Celui qui est« plus puissant » que lui, et dont il ne se juge« pas digne de défaire la courroie de ses sandales ». C’est là un geste d’humilité, geste du serviteur qui dénoue la chaussure de son maître à son retour de voyage, ce geste exprime la distance qui sépare le Précurseur de Jésus, et situe à leur juste place son message et son rite d’immersion.
Celui qu’annonce le Précurseur va baptiser lui-aussi, mais ce sera « dans l’Esprit Saint et dans le feu ». Le mot « esprit » signifie d’abord en grec « vent, souffle ».

 Le Baptiste présente le Juge qui vient comme un vanneur qui bat son blé en plein vent pour séparer le grain de la balle, cette dernière étant vouée au feu. Ce faisant, il agit en tant que propriétaire : l’aire qu’il nettoie est sienne ; il se prépare à engranger le fruit de sa moisson. Celui-qui-vient vient donc en réalité chez lui. Et nous qui pensions être chez nous ici bas, nous découvrons que nous sommes en réalité chez lui, mais nous n’en savions rien ; un peu comme Jacob qui découvre à sa plus grande stupéfaction, que la terre qu’il foule est sainte, puisqu’il s’agit de « la maison de Dieu et de la porte du ciel » (Gn 28, 17-19).

Dieu est mystérieusement présent à notre monde sans que nous le sachions. Aussi le véritable travail de conversion auquel nous sommes invités en ce temps de l’Avent, consiste à découvrir - dévoiler- la présence cachée de l’Emmanuel, à l’accueillir, et par le fait même à le faire advenir en nos vies.

Il reste encore à clarifier l’action de Celui-qui-vient, car la description qu’en donne le Précurseur est pour le moins inquiétante. Les gestes qu’il va accomplir sont tous des actes de séparation : de même qu’au commencement, Dieu crée en séparant, cette nouvelle intervention divine s’annonce comme une action re-créatrice. Dieu tire un monde nouveau de l’ancien monde retourné au chaos, en séparant les éléments qui étaient conjoints – la paille et le grain – qu’il est temps de séparer et de consigner à leur place respective.

La paille qui ne s’est pas envolée avec le vent, est destinée au feu : il n’en restera rien ; son rôle n’était que passager : elle n’a pas de consistance, pas de poids, pas de valeur durable. Par contre le blé ainsi purifié de la balle, sera amassé – « rassemblé » – dans le grenier du propriétaire.

Telle est la Bonne Nouvelle : tout ce qui dans nos vies a été préparation, apprentissage, avec tout ce que cela comporte d’essais infructueux, d’erreurs, d’échecs, mais aussi de péchés, tout cela disparaîtra. Seul le bon grain caché au cœur de nos existences souvent enlisées dans bien des préoccupations nécessaires mais éphémères, seul le fruit de nos efforts désintéressés accomplis pour les autres - seuls nos partages fraternels du vêtement et de la nourriture avec ceux qui en ont besoin - seront engrangés dans les demeures éternelles, où nous partagerons avec tous nos frères, l’unique pain qui résultera de cette moisson universelle.

De même qu’au matin de Pâque, le Seigneur Ressuscité demande à ses disciples redevenus pécheurs, de tirer à terre le fruit de leur pêche pour la partager avec eux (Jn 21), ainsi fera-t-il au terme de notre vie, rompant pour nous et avec nous le pain des bonnes œuvres qu’il aura lui-même accomplies en nous par son Esprit, dans un partage qui sera notre joie éternelle.

Dans chaque Eucharistie nous anticipons ce repas eschatologique. Nous offrons à Dieu le pain, « fruit de la terre et du travail des hommes », et il nous le rend en Pain de la vie éternelle (cf. Jn 6, 51) ; pain qui nous sanctifie et qui fait notre unité en nous unissant en un seul Corps : le Corps du Christ ressuscité, présent et agissant au milieu de nous, source de notre paix et de notre joie (2nd lect.), comme nous le rappelle ce dimanche du « gaudete ».

C’est à nous qui avons le bonheur de participer à cette Eucharistie, que s’adresse l’exhortation du prophète Sophonie entendue en première lecture : « Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi, tressaille d'allégresse, fille de Jérusalem ! Le roi d'Israël, le Seigneur ton Dieu est en toi, c'est lui, le héros qui apporte le salut. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête » (1ère lect.).

Second dimanche de l'Avent

Dimanche 9 décembre

Ba 5,1-9; Ps 125(126), 1-6; Ph 1,4-6;8-11; Lc 3,1-6.

Nous sommes en l’an 28 de notre ère. L’empereur Tibère règne sur l’immense empire romain, qui va des rivages de la mer du Nord aux confins du désert saharien, de la Palestine au détroit de Gibraltar, autant dire que la mer méditerranée est un lac romain.

« Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode, prince de Galilée, son frère Philippe, prince du pays d'Iturée et de Traconitide, Lysanias, prince d'Abilène, les grands prêtres étant Anne et Caïphe »

L’évangéliste Luc, prend soin de donner des précisions d’ordre géographique, il énumère ainsi les régions où Jésus exercera plus tard son ministère. Mais il prend soin aussi de donner des précisions historique, il énumère en effet les princes qui gouvernent ces régions, il termine en nommant les chefs religieux de l’époque en Judée. Cette précision du temps, du lieu, du contexte historique, souligne que les événements dont il va être question ne sont pas un mythe, mais une réalité dans l’histoire universelle.

Et voici Jean, fils d’un inconnu : Zacharie, ce Jean ne parle pas en son nom propre, ni au nom de son père, de son clan, de sa tribu, ni même au nom d’un pouvoir politique quelquonque : il est porteur d’un message venu d’ailleurs : « la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, fils de Zacharie. »

Par Jean, « la parole de Dieu fut adressée » aux hommes de toutes races, langues, peuples et nations. Jean, le Précurseur de Jésus, va donner vie à une parole contenue dans les anciennes prophéties d’Israël, des paroles qui attendaient leur heure.


Le lieu où surgit cette parole est également significatif : le désert, c’est un espace hostile où on évite de passer, lieu à distance des territoires occupés par les hommes, où le silence appelle à l’aventure de l’intériorité.

 

La discrétion avec laquelle Luc décrit le Baptiste contraste avec celle qu’en donnent les autres évangélistes : Luc ne fait aucune allusion à la pauvreté de son vêtement ni à sa nourriture frugale. Pourquoi ? Cette sobriété permet en réalité, de focaliser toute l’attention du lecteur sur la Parole que Jean est chargé de transmettre. Ce n’est pas le Précurseur qui fait face aux grands hommes politiques et religieux cités, mais la Parole dont il est porteur, et devant laquelle ils auront chacun à se situer.

 

Cette Parole continuera à interpeller les hommes même lorsqu’ils auront éliminé la voix qui l’a fait résonner à leurs oreilles ; car à défaut d’entendre le Précurseur, « tout homme verra le salut de Dieu ». C’est donc que la Parole que Jean annonce, se manifestera de manière visible, que le salut que cette parole apporte sera perceptible par tout homme de bonne volonté. Tel est la Bonne Nouvelle : la parole de salut vient comme quelqu’un que l’on pourra voir et entendre, toucher, aimer.

 

On ne peut plus clairement annoncer sa portée universelle: cette Parole se diffusera comme une flamme qui coure et qui brûle tout sur son passage, annonçant partout son message de paix, de joie et de réconciliation à tous les hommes sans exception. Les enfants de Dieu seront enfin « rassemblés du levant au couchant par la Parole du Dieu Saint ; ils se réjouiront parce que Dieu se souvient » annonce Baruc dans la 1ère lecture, il se souvient « de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa race à jamais » (Lc 1, 55). Ils les « conduira dans la joie, à la lumière de sa gloire, leur donnant comme escorte sa miséricorde et sa justice » dit Baruc (1ère lect.).

 

La mission prophétique pousse Jean à s’approcher du fleuve, où il proclame un « baptême » autrement dit « une plongée », « un plongeon de conversion ». Pour se rendre au fleuve qui coule en bordure du désert et pour s’y plonger, les Juifs à l’époque devaient quitter leurs routes, c’est-à-dire leurs comportements habituels, et consentir à l’initiative d’un autre ; ce qui suppose faire confiance à ce Jean, à « la Parole de Dieu qui lui fut adressée ». Pour eux, comme pour nous, la conversion commence lorsque nous consentons à sortir de nos ornières pour nous exposer, dans la confiance aux appels de l’Esprit, qui nous parle, à nous aussi, par les prophètes.

 

« A travers le désert, une voix crie » : la voix de Jean appelle, elle atteste, elle conteste. Le cri s’élance comme une flèche qui file droit devant, vers celui-qui-vient et dont il faut préparer la route ; elle traverse toutes les palissades que nous avons érigées pour nous protéger de Dieu, et des autres. Les ravins, montagnes, collines qui sont autant d’obstacles sur la route du désir éveillé par la voix du Baptiste, mais c’est celui-qui-vient qui les enlèvera : « car Dieu a décidé que les hautes montagnes et les collines éternelles seraient abaissées, et que les vallées seraient comblées : ainsi la terre sera aplanie, afin qu’Israël chemine en sécurité dans la gloire de Dieu » (1ère lect.).

 

C’est en ces termes qu’au cœur de la liturgie de ce 2nd dimanche de l’Avent, résonne, pour nous, l’appel à la conversion. Elle ne consiste pas dans l’observance scrupuleuse d’un ensemble de règles rituelles. Elle réside dans la reconnaissance de notre pauvreté, de notre impuissance à nous amender, dans l’accueil de l’intervention du Dieu tout-autre qui seul peut sauver l’homme. Se convertir, c’est accepter que Dieu fasse la vérité sur le triste sort de notre humanité. Aussi la conversion n’est-elle rien d’autre que la levée des obstacles qui nous empêchent de recevoir « le Salut de Dieu ». Quant à l’urgence de la conversion, elle est motivée par l’imminence de l’intervention divine, de la perspective de la rencontre prochaine avec le Dieu vivant.

 

Le thème de la conversion sera également au cœur de la prédication de Jésus ; là encore, elle ne sera liée à aucune pratique pénitentielle particulière : la voie royale que propose Jésus est celle du dépouillement de toute suffisance, condition sine qua none pour pouvoir prendre conscience de notre état de pécheur, et donc de notre besoin de salut. Seule une telle conversion peut libérer en nos vies la puissance de l’amour, entendu comme l’amour du Christ, et l’amour concret de tous nos frères, quelle que soit leur race, leur condition sociale et même leur identité spirituelle, au nom de notre commune appartenance au Père : c’est en « progressant de plus en plus dans l’amour, que nous marcherons sans trébucher vers le jour du Christ » écrit Paul aux Philippiens (cf. 2nd lect.).

 

L’Eucharistie qui nous rassemble, est le lieu par excellence où s’exprime, ce caractère universel de la Bonne Nouvelle ; elle constitue le rassemblement où tout homme peut voir le salut de Dieu, il peut enfin entrer dans la joie de son Seigneur. C’est ici autour de la table où le Père lui-même nous nourrit du Pain venu du ciel, qu’après nous avoir « dépouillé de notre robe de tristesse et de misère, il nous revêt de la parure de la gloire de Dieu ; qu’il met sur notre tête le diadème de la gloire de l’Eternel » (1ère lect.). 

Premier dimanche de l'Avent

Premier dimanche de l'Avent, Dimanche 2 décembre 2012.

Lectures : Jr 33, 14-16   Ps 25(24), 4-5.8-9.10.14   1 Th 3,12-13;4,1-2   Lc 21,25-28.34-36

L’évangile que nous venons d’entendre, suit la description du siège de Jérusalem, à propos duquel Jésus annonçait « Lorsque vous verrez Jérusalem encerclée par des armées, sachez alors que sa dévastation est toute proche. Alors, ceux qui seront en Judée, qu'ils s'enfuient dans la montagne ; ceux qui seront à l'intérieur de la ville, qu'ils s'en éloignent ; ceux qui seront à la campagne, qu'ils ne rentrent pas en ville… »

 

Selon la tradition apocalyptique juive, la chute de la ville est présentée sur l’horizon d’un bouleversement de la création tout entière, un bouleversement qui signifie la fin du monde ancien, et la venue du royaume messianique.

 

Dans ces versets tragiques que nous avons entendus aujourd’hui Luc n’annonce pas la fin du monde ; mais il annonce le passage de l’ancienne humanité à l’Homme nouveau. Cet Homme nouveau, c’est celui qui est désigné comme le « Fils de l’homme », celui qui apparaît sur la nuée, selon ce que nous en dit le prophète Daniel « Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d'homme » (Dn 7, 13-14) ce fils de l’homme, vient en Juge des nations, au moment même de la chute du temple « il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et toutes les langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. »

 

La venue de ce Fils de l’homme dans la nuée, plus éblouissant que les astres dans le ciel, n’est pas l’événement dernier, l’instant ultime qui mettrait un terme à l’histoire : on le voit venir, nous dit Daniel, il est donc en mouvement, il se rapproche ; sa venue n’est pas instantanée, surprenant tout le monde, mais elle s’étale dans le temps. De plus, s’il est voilé dans une nuée, il n’est donc pas visible comme les évidences de la réalité ordinaire. Pour pouvoir le discerner en train de venir « avec grande puissance et grande gloire », il faut un autre regard celui de la foi.

 

Résumons :

- l’évangéliste nous parle de « commencement » :« quand ces événements commenceront », nous dit-il. Comment des commencements pourrait-il être synonymes de fin du monde ? Autrement dit : ce n’est pas la fin du monde qui est ici au centre du récit, mais la venue du Fils de l’homme ; cette venue est une rupture avec le monde ancien.

 

- La description impressionnante qui nous est donnée, nous invite donc à voir dans la chute de Jérusalem le signe de la proximité du Royaume « Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche. » Il ne s’agit pas ici d’une proximité chronologique.

Le Royaume est déjà là, tout en étant toujours en devenir, il n’est pas là pleinement, totalement, il est là secrètement, présent dans chaque événement de notre vie quotidienne. Depuis les jours de la Pentecôte, le salut offert en Jésus vivant, ressuscité, brûle au cœur du monde comme un Feu divin prêt à tout transformer.

 

Jésus nous invite à « relever la tête ». Autrement dit : la venue du Fils de l’homme opère une attraction puissante vers le haut : elle s’accompagne d’une invitation à nous tenir debout, à relever la tête, mouvement qui contraste singulièrement avec l’effondrement dont nous pourrions être accablés en comprenant mal ces versets de l’Evangile.

 

La description de la venue du Fils de l’Homme débouche logiquement dans la seconde partie de l’Évangile d’aujourd’hui, sur l’invitation à adopter l’attitude qui correspond au temps dans lesquels nous sommes désormais entrés : « Tenez-vous sur vos gardes » ; littéralement : « Méfiez-vous de vous-mêmes ».

 

La vigilance est une attitude essentielle au christianisme. Dieu vient sans cesse au cœur de nos histoires, mais pour le découvrir dans la trame des événements, il nous faut demeurer vigilant ; il nous faut veiller pour ne pas céder aux « distractions » qui ne conduisent qu’à alourdir notre cœur, à l’opacifier, à l’attacher toujours plus à cette terre, le rendant de moins en moins capable de discerner celui qui vient « faire toutes choses nouvelles ».

 

La vigilance était déjà l’attitude des prophètes de la première Alliance. La vigilance, de tout instant, n’est que la foi lorsqu’elle est lucide du vide de nos mains. Elle est l’attitude fondamentale de cette période de l’Avent dans laquelle nous entrons aujourd’hui.

 

Jésus nous a donné l’exemple : il a vécu toute sa vie sous le signe de la vigilance à laquelle il nous invite à notre tour aujourd’hui. Il est le Vigilant par excellence ; en lui, la vigilance de la foi dévoile sa véritable identité : elle est accueil de l’éternel aujourd’hui de Dieu au cœur de l’histoire des hommes.

 

La volonté de son Père, dont il faisait sa nourriture, ne lui était pas dictée : Jésus n’hésitait pas à passer des nuits entières en prière pour discerner cette volonté. Comment dès lors pourrions-nous faire l’économie de ces temps de recueillement, d’écoute dans le secret du cœur, de relecture de notre vie sous le regard de Dieu ?

 

Demandons au Seigneur, qu’il renouvelle en ce temps de l’Avent, notre vigilance : que nous puissions trouver la présence lumineuse du Christ dans l’obscurité de nos vies quotidienne, afin de courir au devant de lui, puisqu’il vient dans la gloire.